ENJEUX TERRITORIAUX ET METHODES D ANALYSE : CONCEPTION D UN COURS D INGENIERIE POUR L AMENAGEMENT DURABLE



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ENJEUX TERRITORIAUX ET METHODES D ANALYSE : CONCEPTION D UN COURS D INGENIERIE POUR L AMENAGEMENT DURABLE ARTICLE DE VALORISATION DU COURS ENPC- VET «METHODES D ANALYSE DES SYSTEMES TERRITORIAUX» Suivi des versions Version 1a, 13 juin 2007 Version 1f, 5 juillet 2007 Auteurs Fabien Leurent ( 1 ), Thierno Aw, Nicolas Coulombel, François Combes ( 2 ) Diffusion préliminaire LVMT : JL, MHM, CG, MOT, NBY, AL, VS ENPC : PC, AdlB, EDK, KD, VP, JMO, BS Autres : Bernard Decomps, Gabriel Dupuy, JP Orfeuil, Pierre Skriabine 1 auteur correspondant : fabien.leurent@enpc.fr 2 UPE / ENPC, LVMT

Sommaire Résumé...3 1. Enjeux territoriaux : un panorama en six thèmes...3 2. Besoins d analyse et objectifs d ingénierie...6 3. Une revue d analyses intégratrices...7 3.1. Diagnostic socio-économique...7 3.2. Projet ou politique à portée territoriale...8 3.3. Méthodologies de prospective territoriale...9 3.4. Synthèse et critique...10 4. Les principes d une formation d ingénieur...12 4.1. Méthodes d ingénieur et fonctions-métiers...12 4.2. Sélection des objectifs de méthode...12 4.3. La panoplie de référentiels d analyse...14 4.4. Détermination des enjeux pédagogiques...14 4.5. Modalités pédagogiques...15 5. L itinéraire de découverte...16 5.1. L introduction du cours...16 5.2. Démographie et sociologie...16 5.3. Logistique et transport...17 5.4. Economie spatiale et impacts territoriaux...19 5.5. Conception pour l aménagement durable...22 6. En conclusion...22 7. Références...23 8. Compléments...24 2

RESUME Un territoire est un espace habité par une population avec ses besoins de subsistance, qui vit en société et mène des activités économiques, qui se déplace afin d utiliser les sites. Le fonctionnement de ce système nécessite des consommations diverses allant des fluides aux équipements, et produit des impacts écologiques. Pour comprendre et gérer un territoire, il convient de le saisir dans ses aspects spatiaux, démographiques, sociaux et économiques, écologiques. Parmi les sciences humaines et sociales, la géographie et l économie fournissent des méthodes d analyse qui ont été développées jusqu à la modélisation. Ainsi l analyse territoriale est devenue un secteur d activité pour l ingénieur, destiné à mesurer, évaluer et modéliser les divers enjeux. L article présente les motivations, les principes, le contenu et les modalités d un cours d ingénierie sur les méthodes d analyse des systèmes territoriaux, professé à l ENPC. Il s agit d un enseignement intégrateur qui parcourt les méthodes et les fait appliquer progressivement, sur un territoire concret traité au moyen d un système d information géographique (SIG) augmenté par des fonctions de modélisation. L ordre du parcours pédagogique concilie l apprentissage des méthodes et la cohérence des thèmes d analyse : la population, sa composition et sa spatialisation ; les besoins localisés de consommation ; les activités sociales et les besoins de déplacement ; la logistique et la localisation des établissements ; les services de transport et l usage des modes individuels ou collectifs ; les impacts écologiques et leur gestion ; la localisation résidentielle et le marché du logement ; les activités économiques et les revenus territoriaux ; les impacts sociaux et leur gestion ; les stratégies de structuration spatiale ; la recherche d un aménagement durable. L article est organisé en cinq parties et une conclusion : après un panorama des enjeux territoriaux en six thèmes, nous caractérisons les besoins d analyse et les objectifs d ingénierie, puis nous passons en revue les analyses territoriales dans le monde professionnel et dans le milieu académique ; alors nous posons les principes d une formation analytique destinée à des ingénieurs, et nous proposons un itinéraire pédagogique structuré et balisé. 1. ENJEUX TERRITORIAUX : UN PANORAMA EN SIX THEMES Un territoire est conçu comme un espace investi par une société. Une population humaine, constituée en société, utilise un espace géographique pour ses consommations et ses productions, pour ses établissements et ses déplacements. L espace contribue au milieu de vie : il est à la fois utilisé et produit, construit et agencé, aménagé, pour servir aux activités, aux établissements et à son propre franchissement. La couverture du sol et le cadre bâti manifestent superficiellement l usage du sol et l artificialisation de l espace par la société ( 1 ). Plus profondément, la société investit l espace en l impliquant dans ses enjeux humains et sociaux, économiques, et aussi écologiques : la problématique du développement durable revient in fine à la contrainte de finitude de l espace et des ressources qu il porte, face aux besoins des populations. 1 en géographie, la problématique du paysage témoigne bien de la relativité du caractère naturel d un espace 3

Pour circonscrire les enjeux territoriaux, nous les organisons en six thèmes ( 1 ) : la population, les modes de vie, les structures d organisation et processus de gestion, les formes spatiales, les formes techniques, le milieu écologique (Cf. figure 1). Population Milieu écologique Modes de vie Formes spatiales Formes techniques Structures d organisation et processus de gestion La population : une personne a pour point d ancrage dans l espace son domicile, site d établissement résidentiel. Ses caractères individuels et son appartenance à des groupes sociaux conditionnent ses comportements et ses consommations, ses activités et ses relations. Au niveau d ensemble d un territoire, l effectif de la population et sa composition en catégories constituent comme un stock de population, dont l état évolue dans le temps par renouvellement naturel ou par migration spatiale en import ou export de l espace considéré. Ce stock peut faire l objet d une gestion collective de type patrimonial concernant son état sanitaire (lié aux conditions de salubrité), la sécurité physique, la tranquillité. Les modes de vie : ou comment les personnes vivent au quotidien, dans quelles conditions matérielles (logement, consommations ) et dans quelles structures sociales, avec en premier lieu la cellule familiale qui partage la vie domestique. Et comment les personnes pratiquent des activités économiques notamment productives mais aussi consommatrices, des activités sociales par relation interpersonnelle ou pour motif de loisir. Ces activités sont menées à diverses échelles de temporalité, dans le territoire résidentiel ou au-delà. Les citoyens du territoire constituent une société, dont la cohésion tient aux liens interpersonnels et aussi à une certaine homogénéité ( 2 ) des modes de vie : à cet égard, quand la vie sociale a une tournure économique marquée alors l incorporation sociale d une personne nécessite son intégration aux circuits économiques, ou une compensation par un transfert social alimentant son revenu. Les modes de vie peuvent faire l objet d une gestion collective de type juridique : droit de la famille, droit social, droit civil, de la consommation etc. Les structures d organisation et processus de gestion comprennent : les institutions administratives, juridiques et financières, perçues ici comme des infrastructures ; les structures de production et leur organisation industrielle ; les circuits et les marchés économiques ; et les réseaux sociaux (en y incluant les circuits de transfert social). Nous détachons ce thème de celui relatif aux modes de vie, afin de distinguer les structures et les personnes qui y sont impliquées, de même qu en analyse économique on distingue la 1 Jeu de mots involontaire 2 harmonisation, normalisation 4

consommation et la production, et que l on conçoit les personnes avant tout comme des consommateurs (puis éventuellement comme des salariés, des actionnaires, des financeurs, des impactés) par opposition aux entreprises, qui se situent à un niveau supérieur d acteurs. Ce thème peut faire l objet d une gestion collective de type juridique : droit administratif, droit fiscal, droit des entreprises, des affaires et du commerce, droit du travail. Les formes spatiales vont d un zonage à but administratif, jusqu à la structure de réseau pour certains équipements techniques ou certaines entreprises, en passant par l affectation du sol aux divers usages. L usage du sol se manifeste localement par l occupation du terrain : zone naturelle ou agricole, zone urbanisée ou infrastructure. Sur un espace plus large, les lieux par leurs caractères respectifs se conditionnent les uns les autres, ils s intègrent à une configuration : un établissement productif dépend de son aire de marché ; un pôle d activité a pour aire d influence sa périphérie ; la localisation rapprochée d établissements attracteurs permet des spécialisations accrues et des productions diversifiées, donnant lieu à une agglomération urbaine ; les pôles et les centres urbains forment une trame spatiale, dont le motif dépend des conditions entre centres et des coopérations à des niveaux supérieurs dans une hiérarchie des centres. Le milieu écologique sur un espace concerne les éléments et les phénomènes de nature physique, chimique et biologique, dans leur situation respective et leurs processus d interaction soit hors présence humaine, soit avec présence et activité humaine. Nous y incluons le sous-sol avec ses potentialités de ressource et ses fonctions de traitement et d écoulement des eaux ; le sol avec sa composition chimique et biologique, avec les phénomènes d écoulement des eaux, de dynamique des versants, d érosion, de pollution ; les espèces végétales ; les espèces animales qui peuplent l espace, dans leurs possibilités de subsistance, leur sécurité physique et leur confort physiologique ; l eau et l air avec leur qualité respective, et leur capacité à transporter des pollutions. Au niveau global le climat fait partie du milieu écologique. L activité humaine interfère avec les composantes écologiques, par ses cultures, ses constructions, ses circulations, ses bruits et ses émissions polluantes ( 1 ). L espèce humaine encourt les mêmes effets que les espèces animales, avec toutefois des potentialités accrues de protection, d évitement ou de réparation. La disposition dans l espace des enjeux écologiques et des activités humaines conditionne fortement les impacts et les besoins de gérer les nuisances ( 2 ). Les formes techniques recouvrent les technologies dans leurs principes et leur diffusion, ainsi que les techniques d organisation et les techniques de production. Les technologies diffusées conditionnent la vie matérielle des populations humaines, la structure et les modes de consommation. Avec les techniques de production et d organisation, elles déterminent les types de production et leurs formes d organisation. Le développement des techniques procède par évolution des connaissances scientifiques et technologiques, mais il est surtout motivé par des enjeux économiques, la recherche de profit et d efficacité conduisant à des formes techniques de type industriel, dégageant des économies d échelle pour produire des volumes élevés. Pour un produit, l intensité industrielle implique la concentration de la production en certains sites dûment équipés, ce qui polarise l espace. L équipement productif peut être prolongé par un équipement de distribution : notamment pour les réseaux d eau et les réseaux d énergie. Les moyens de transport constituent aussi un équipement, dont la disposition spatiale est intimement liée à la productivité pour franchir l espace, ce qui conditionne fortement la configuration 1 certaines interactions sont voulues pour tirer profit des sources d énergie naturelle, de la circulation des eaux 2 éventuellement par des solutions industrielles puissantes 5

spatiale des sites d établissement et la trame des centres. Enfin les réseaux de télécommunication permettent de coupler les lieux en coordonnant les acteurs et les activités : leurs flux de messages ont un impact écologique direct extrêmement faible, alors que les polarisations industrielles induisent des impacts concentrés, et que les flux de transport disséminent leurs impacts sur leurs parcours. Les six thèmes d enjeux territoriaux interagissent fortement : la population pratique les modes de vie, ceux-ci correspondent aux formes d organisation ainsi qu aux formes techniques ; les techniques conditionnent les modes de vie et déterminent l emprise écologique ; les formes spatiales dépendent des autres thèmes et en constituent une synthèse caractéristique, manifestée par la localisation des stocks d établissements et des flux de déplacements. 2. BESOINS D ANALYSE ET OBJECTIFS D INGENIERIE L analyse de chaque thème d enjeux fait l objet d une discipline scientifique dédiée : la démographie pour la population, la sociologie pour les modes de vie, l économie et le droit pour les structures d organisation et processus de gestion, la géographie pour les formes spatiales, l écologie pour le milieu écologique, les sciences de l ingénieur pour les techniques. Une compréhension intégrée des thèmes dans leurs interactions, est nécessairement pluridisciplinaire et de nature systémique, en reconnaissant que les interactions sont portées par des composants-acteurs qu il importe de discerner et d analyser spécifiquement. En effet un acteur est engagé dans un contexte situationnel qui l expose à des influences et à des impacts ; lui-même peut être auteur d impacts et souvent auteur de décision, motivé par des objectifs et soumis à des contraintes : chaque acteur décisionnel opère ses choix en fonction de ses objectifs et des contraintes qu il subit. Ainsi l analyse systémique, discernement des composants-acteurs et des situations, est renforcée par l analyse économique des choix d acteurs. Pour un système territorial, les acteurs à considérer comprennent : Les acteurs microéconomiques en situation de demandeurs, de consommateurs : demandeur d établissement, demandeur de déplacement, demandeur d équipement ou de bien de consommation. Les acteurs microéconomiques en position d offreur, de producteur : offreur d établissement (foncier, immobilier), offreur de transport, offreur d équipement ou de bien de consommation. La collectivité : d une part comme réceptacle d impacts et d autre part comme centre de décisions et de gestion collective. Une compréhension systémique et économique est utile au plan de l action dans les métiers suivants : logisticien, gestionnaire d établissement ou d équipement, éventuellement en réseau ; planificateur, en entreprise ou en administration ou en collectivité ; aménageur spatial, urbaniste. Ces contextes professionnels conviennent tout particulièrement à l ingénieur, en tant qu opérateur et même concepteur de méthodes, et en tant qu ensemblier, intégrateur de contraintes et gestionnaire de complexité. Dans ces circonstances, les compétences d analyse suivantes sont souhaitables et bienvenues de la part d un ingénieur : 6

Mesurage et quantification : pour certains postes ou impacts de nature économique, sociale ou écologique, une capacité technique de choisir la variable à quantifier, de mesurer effectivement, d apprécier et de relativiser dans le temps ou dans l espace. Une relativisation dans l espace correspond à une analyse spatiale des variations locales et des configurations de lieux selon la variable considérée. La modélisation d un impact ou d un phénomène entre autre la consommation d un bien ou l émission d un polluant. La modélisation permet de compléter le mesurage par interpolation ou extrapolation, par généralisation. Elle sert aussi à la simulation et à la prévision. Une simulation est nécessaire pour l évaluation ex-ante d un projet d investissement, et donc pour l aide à la décision. Modélisation microéconomique par acteur : pour un acteur, identifier les postes de profit et de coût, les impacts subis ou émis ; discerner les variables exogènes de conditionnement, et les variables stratégiques de décision ; identifier et formuler les contraintes d ordre physique, comptable ou budgétaire, ainsi que les fonctions de profit et de coût. Il s agit là d une modélisation d ordre conceptuel : pour la rendre concrète il reste à associer à chaque poste une valeur monétaire, et à rechercher des stratégies optimisées d action. L analyse d un marché économique en structure, comportements et performances. Cela nécessite une compréhension économique des acteurs et aussi des relations entre les acteurs, notamment leurs ajustements mutuels et les potentialités d équilibre. A un niveau macroscopique, pour un impact physique ou économique, l analyse d adéquation entre des besoins de consommation et la ressource correspondante, à une époque donnée ou à long terme ce qui renvoie aux stocks de ressource, à leur renouvellement éventuel et à leur gestion patrimoniale. L analyse d adéquation est cruciale pour la gestion durable de la ressource. Ces compétences d analyse constituent une ingénierie spécialisée, qui peut être incorporée aux organismes opérationnels ou concentrée en bureau d études. Elles sont conjointement utiles pour le diagnostic d un territoire dans sa gamme d enjeux, comme pour la conception d un projet ou d une politique à effet territorial. 3. UNE REVUE D ANALYSES INTÉGRATRICES Après avoir décrit les enjeux territoriaux et établi des objectifs de connaissance et de compétence, tournons-nous vers les travaux concrets d analyse territoriale réalisés dans un but de diagnostic, de projet ou de prospective. Nous avons recherché des documents d analyse destinés à saisir une gamme large d aspects relatifs à un territoire concret, et produits dans les milieux professionnel ou académique. Les travaux identifiés se rangent en trois catégories, respectivement : des diagnostics socio-économiques ; des documents de projet ; des méthodes de diagnostic et prospective d un territoire. Nous donnons ci-après un aperçu de chaque catégorie, avant d opérer une synthèse. 3.1. Diagnostic socio-économique En France, l Insee ( 1 ) est l organisme public chargé de collecter des statistiques d intérêt général et de réaliser des études économiques ou sociales. Il réalise périodiquement des 1 Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques 7

enquêtes sur des thèmes très variés : citons le recensement de la population, le fichier des logements, le répertoire des entreprises et de leurs établissements, les enquêtes d entreprise par secteur productif etc. L Insee produit notamment les tableaux économiques par année au niveau national ou régional, en balayant les thèmes suivants : conjoncture ; territoire (environnement, espace, énergie) ; population, travail et emploi, revenus et salaires ; conditions de vie et société, santé, enseignement et éducation ; économie, entreprises, agriculture, industrie et construction, commerces, services tourisme transport. Il s agit de tableaux commentés, traitant du territoire dans son ensemble, avec des allusions à des disparités locales, mais sans cartographie. A d autres échelles spatiales, l Insee propose des fiches thématiques pour décrire un quartier (ou toute zone d au moins 2 000 habitants) selon un thème donné, par des indicateurs quantitatifs, des cartes descriptives et quelques commentaires. L Insee produit également des diagnostics territoriaux plus approfondis, qui explicitent l espace, les relations spatiales et la trame des lieux : L observatoire interconsulaire du département de la Meuse, et la direction régionale Lorraine de l Insee ont dressé une Ecoscopie de la Meuse, reprenant pour ce département les thèmes des tableaux économiques, et qui approfondit la dimension économique par secteur d activité et par secteur spatial. L analyse du tissu productif et des enjeux de localisation pour les ménages, des activités économiques et des équipements est tout à fait remarquable. La direction régionale Basse-Normandie de l Insee a produit un dossier La Basse- Normandie entre villes et campagnes qui traite la couverture du sol par les établissements et les activités, la structuration de l espace en bassins de vie et en bassins d emploi, l économie des revenus sur le territoire, en incluant les transferts sociaux. Ces documents privilégient la démographie, la socio-économie, optionnellement la structure spatiale et les circuits de revenus. L environnement écologique est parfois présent mais à l arrière-plan, au titre du cadre de vie ou des terrains agricoles. Les enjeux écologiques sont traités de manière privilégiée dans les Cahiers régionaux de l environnement établis par l Ifen ( 1 ) pour aider à comprendre les relations entre développement économique, qualité de vie et préservation des ressources. Les thèmes analysés comprennent non seulement la population, les données économiques par habitant ou par secteur productif, le logement ; mais encore le territoire dans ses conditions naturelles de relief, d hydrographie et de climat, dans son armature urbaine ; l occupation des sols ; l agriculture et sa pression environnementale ; la qualité de l air ; l eau ; l énergie ; le patrimoine naturel ; les déchets ; les risques naturels et technologiques ; les transports avec leurs trafics globaux et par personne ; sans oublier le financement, et l opinion sociale sur l environnement. Le cahier de la région Centre (Ifen, 2005) constitue un bon exemple de description thématique soignée, basée sur des indicateurs quantitatifs et spatialisée au moyen de cartes. 3.2. Projet ou politique à portée territoriale Un projet d aménagement ou d équipement présente des coûts et constitue un investissement dont l opportunité doit être analysée a priori et située dans un plan large d investissement, afin d éviter des contradictions ou des redondances, et d optimiser les 1 Institut Français de l Environnement 8

investissements. Cela motive d étudier un tel projet de manière particulière, en identifiant les effets et en évaluant les coûts et les bénéfices. Le rapport d étude constitue un document d analyse territoriale, focalisé sur le projet en relation avec le territoire, dans son inscription spatiale, dans ses usages et ses impacts. A titre d exemple, en 2006 le projet de ligne ferroviaire à grande vitesse entre Poitiers et Limoges a donné lieu à un Débat Public sur la base d un Dossier du maître d ouvrage (en l occurrence RFF), qui aborde l évolution démographique et la dynamique territoriale, les transports et les déplacements, les enjeux d aménagement, avant de présenter des variantes de projet et leur évaluation économique, et d évoquer le financement. Un autre grand équipement, le réacteur ITER d expérimentation sur la fusion nucléaire destiné à une implantation à Cadarache, a fait l objet d un dossier analogue centré sur la finalité scientifique et technologique, les risques d impacts sanitaires et environnementaux à proximité du site, et les retombées potentielles pour l aménagement et l économie territoriale. Là les enjeux semblent spatialisés de manière concentrique : circonscrits au site d implantation pour le milieu écologique, étendus au bassin d emploi pour l activité économique, ou à portée générale pour les retombées scientifiques et technologiques. Au plan plus large d une politique de transport, un autre Débat Public a porté en 2006 sur la Vallée du Rhône et l Arc Languedocien. Le dossier préparé par les ministères chargés des transports et de l écologie est remarquable par l ampleur des thèmes abordés dans le diagnostic territorial : géographie et démographie, orientation économique, enjeux d environnement. De manière plus systématique, en France la conception et l implémentation de la planification intercommunale a pour outil privilégié un document d urbanisme, le Schéma de Cohérence Territoriale (SCOT), destiné à orienter l évolution du territoire dans la perspective du développement durable et dans le cadre d un projet d aménagement et de développement. Un tel schéma concerne un bassin de vie, en vue de coordonner les politiques sectorielles en matière d urbanisme, d habitat, des déplacements et d implantations commerciales. Concrètement, l élaboration d un SCOT comporte d abord un diagnostic qui couvre les grands thèmes déjà évoqués à propos des productions de l Insee, en ajoutant les enjeux d urbanisme : structuration urbaine, équipements urbains, forme et architecture urbaine. Le diagnostic est suivi par un Projet d Aménagement et de Développement Durable (PADD) qui exprime les orientations et les objectifs, et se décline dans un «Document d Orientations Générales» qui fixe les prescriptions réglementaires permettant l implémentation du PADD (organisation générale de l espace, choix des politiques sectorielles, stratégies sociales d habitat, de transport, d équipement, de protection environnementale ). Ainsi le SCOT constitue un outil d intégration des enjeux, d élaboration des orientations et de choix stratégique. Le diagnostic de la situation courante conditionne les orientations pour l évolution qui fixent le cadre des projets particuliers. 3.3. Méthodologies de prospective territoriale Dans le milieu académique français, nous avons identifié trois approches méthodologiques de la prospective territoriale, qui se caractérisent par une interaction avec les acteurs locaux : 9

L équipe Métafort de l Inra ( 1 ) analyse les atouts et les dynamiques d un territoire en établissant un diagnostic multi-thématique synthétisé par une carte «chorématique» ( 2 ) : cela sert à partager entre les acteurs locaux une vision du territoire et à élaborer collégialement un projet collectif. L équipe partenaire Pop ter de l Engref à Clermont-Ferrand enseigne aux élèves-ingénieurs la méthode liée de diagnostic SDP (Diagnostic de Structures, Dynamiques et Projets de territoire). L équipe Tera du Cirad ( 3 ) à Montpellier, a développé la méthode ZADA : Zonage à Dire d Acteurs, afin de recueillir les perceptions et les projets des acteurs, et de les exprimer par des cartes là encore chorématiques. Le modèle cartographique du territoire sert à révéler les configurations spatiales, à en déceler les forces et les faiblesses. Au Cnam, le Lipsor ( 4 ) a développé des méthodes de prospective territoriale : à partir des enjeux et des facteurs exprimés par les acteurs locaux, les connexités et les influences entre facteurs sont enchaînées systématiquement (méthode MICMAC) pour révéler les facteurs moteurs, les émetteurs et les récepteurs d effets, et a contrario les facteurs relativement isolés. Cela permet de grouper les enjeux en sous-ensembles cohérents et de mieux cibler des stratégies de gestion. 3.4. Synthèse et critique Nous avons évoqué des approches analytiques qui intègrent des thèmes variés d information sur un territoire donné. Chaque approche produit un diagnostic, pour synthétiser les thèmes abordés. Pour apprécier la portée des approches, nous allons discuter successivement : la nature des thèmes, la profondeur de la synthèse, la problématisation du système, et la conception de projet ou de stratégie d action. Parmi les thèmes abordés, nous constatons en général la présence des aspects démographiques, sociaux et économiques, tandis que les aspects écologiques sont plus spécialisés. Il manque cependant : Dans les aspects sociaux, des indicateurs de cohésion ( 5 ), en particulier pour la cohabitation des diverses catégories de population dans une zone. Dans les aspects économiques, des indicateurs de coût et de performance. Par exemple pour la qualité de service offerte par un réseau de transport, le coût généralisé de déplacement par unité de distance pour un usager (en /km). Concernant la synthèse des aspects, l approche par thème revient à décomposer la complexité du système en strates. Une carte spécifique à un thème peut en synthétiser les enjeux spatiaux propres : par exemple une carte de bruit ou d insécurité routière. Mais pour croiser les thèmes il faut : 1 Inra = Institut National de la Recherche Agronomique. Engref = Ecole Nationale du Génie Rural et des Eaux et Forêts 2 en géographie, les chorèmes (dus à Roger Brunet) sont des symboles graphiques exprimant un caractère ou une relation dans l espace, pour diverses formes spatiales 3 Cirad = Centre International de Recherche en Agriculture du Développement. Tera = Territoire, Environnement et Acteurs 4 Cnam : Conservatoire National des Arts et Métiers. Lipsor = Laboratoire d Investigation en Prospective, Stratégie, Organisation. MICMAC = Matrice d Impacts Croisés Multiplication Appliquée à un Classement 5 il est assez étonnant que pour diagnostiquer l intégration d une zone aux circuits économiques et sociaux, on utilise des indicateurs d attribution d un revenu minimal social : sans cette disposition politique quel serait l indicateur? Et comment la disposition a-t-elle été calibrée initialement, en l absence d indicateur? 10

Une carte multi-thématique telle qu une carte de contraintes environnementales, ou une carte d occupation du sol pour caractériser les pressions foncières. Ou une carte chorématique puisque les chorèmes permettent de symboliser les aspects et leurs interactions, et constituent une modélisation qualitative. Ou une analyse par acteur, puisque les acteurs mettent en relation les thèmes dans leurs activités et leurs comportements. Une telle analyse peut être basée sur des déclarations d acteurs, ce qui constitue une pré-modélisation ; ou sur un modèle explicite, notamment dans une modélisation socio-économique de l usage des sols, des établissements, des déplacements et des impacts. L intégration des thèmes dans une analyse paraît la réponse naturelle à la complexité du système, afin de le comprendre suffisamment pour concevoir des stratégies d action qui servent effectivement les buts assignés. Comme une telle analyse représente un investissement coûteux, il convient de l utiliser pour identifier ou apprécier des problèmes, et pour rechercher des solutions à certains problèmes. La problématisation dépend évidemment du contexte local. Cependant trois axes de questionnement ont une portée générale : L analyse par thème, en interrogeant les variations spatiales des indicateurs, en les appréciant relativement à d autres époques ou d autres territoires. La performance économique : le fonctionnement du système engage des coûts, on peut s interroger sur le rendement des investissements et chercher à optimiser le système en stratégie et en fonctionnement. Nous arrivons ainsi au problème de sélection des investissements, bien connu dans divers secteurs et particulièrement en transport. Pour une ressource, l adéquation des consommations aux disponibilités, donc l adéquation de la demande et de l offre si la ressource est échangée sur un marché économique. Dans une perspective de long terme, l adéquation est intimement liée à la gestion durable de la ressource. Concernant enfin la conception de projet ou de stratégie d action, elle intervient en réponse à un questionnement, à la formulation d un problème. Il faut alors imaginer une solution (souvent plusieurs variantes) et simuler les effets de la solution pour en apprécier la portée face au problème posé et déceler d éventuels effets de bord. A ce stade un expert pourrait bâtir une simulation qualitative sur la base d un diagnostic ; mais mieux vaut disposer d un modèle de simulation quantitative, dûment ajusté sur la situation du système observé pour le diagnostic, et projeté sur une situation hypothétique. Un tel modèle permet d évaluer ex-ante les impacts dans leur diversité, et de sélectionner les investissements. Actuellement sont disponibles en bureau d étude des modèles de sous-systèmes : pour l évolution démographique, pour certaines consommations, pour les transports, pour certains impacts écologiques. Les modèles intégrés d usage du sol et de transport ont le champ le plus large : mais ils sont encore très peu utilisés, en raison du coût, de leur complexité propre et, paradoxalement, de leur réductionnisme relativement à la complexité du système concret. 11

4. LES PRINCIPES D UNE FORMATION D INGENIEUR 4.1. Méthodes d ingénieur et fonctions-métiers La figure 2 situe les méthodes techniques utiles pour les fonctions-métiers dans la gestion d un système : en lien avec la production de données, l analyse commence avec le traitement de données, qui alimente l évaluation ex-post ( 1 ), l analyse qualitative et la modélisation. L analyse qualitative débouche sur la problématisation et sur la conception de solution, que l on peut simuler au moyen d un modèle. La simulation, complétée par une évaluation ex-ante ( 2 ), rétroagit sur la conception. Ces méthodes d analyse sont rattachées aux fonctions opérationnelles d ingénierie : l évaluation ex-post et l analyse qualitative au Diagnostic et à la Gestion, la conception au Développement et à l Implémentation, et l évaluation ex-ante au Développement. Production de données Evaluation ex-post Diagnostic Traitement de données Analyse qualitative Gestion Modélisation Conception Développement Implémentation Simulation Evaluation ex-ante 4.2. Sélection des objectifs de méthode Pour un cours d ingénieur dispensé en une quarantaine d heures, nous privilégions trois méthodes en tant qu objectifs de formation : le traitement de données, l analyse qualitative et la modélisation. Le traitement de données consiste à collationner des bases d information de diverses natures et à les exploiter isolément ou conjointement, par croisement et fusion de données. Cela nécessite de comprendre chaque base : les objets dans la base et la signification des champs d information qui sont les attributs des objets. Une exploitation conjointe peut nécessiter de transformer certaines des informations, par exemple en changeant d unité ou de coordonnées ; et surtout, de formuler des requêtes de traitement en langage SQL ou analogue. Il faut aussi savoir traiter la dimension spatiale, les objets localisés qui ont une certaine forme géométrique se prêtent à des opérations spatiales telles que l intersection, l agrégation, la recherche de voisinage ou de proximité etc. Enfin il faut connaître les principales bases de données à caractère territorial au plan français. 1 d un état observé 2 d une situation hypothétique 12

Concernant l analyse qualitative, l objectif est de discerner les acteurs et comprendre leurs situations respectives et leurs comportements, leurs productions d effets et leur exposition aux impacts, leurs postes de coût ou de surplus. Il s agit aussi de comprendre les enjeux par thème, par secteur de production dans le thème économique, par grande nature d impact dans le thème écologique. A chaque thème est associé un référentiel d analyse et interprétation, qui provient de la discipline scientifique privilégiée du thème. Il s agit encore de saisir les interactions entre acteurs ou entre natures d impacts, et d enchaîner qualitativement une série d interactions afin d identifier les influences aussi bien indirectes que directes. Il s agit enfin de synthétiser tout ou partie du système, d en repérer les aspects essentiels. Concernant la modélisation, l objectif est de connaître des modèles thématiques de base, d en maîtriser les principes de causalité, de savoir comment les appliquer isolément ou en combinaison pour un contexte concret. Les thèmes de base sont : La population avec un modèle d évolution démographique, par évolution locale naturelle et mouvements spatiaux. La consommation d un bien, au niveau désagrégé d un individu et au niveau agrégé d une population. Le type de bien peut varier : consommable, équipement, besoin de déplacement La demande sur un marché, par modèle microéconomique de choix discret. Particulièrement pour le marché des déplacements et les marchés de l établissement (logement, immobilier, foncier). L offre sur un marché : notamment les réseaux individuels ou collectifs sur le marché du transport, ou l offre des établissements. En reconnaissant les effets de prix et les phénomènes de congestion. La production d impacts, pour certains impacts écologiques ou sociaux. En résumé, les objectifs de formation constituent une ingénierie d analyse, destinée à la problématisation et à la conception de solutions.! "# $! " #$ #$ 13

4.3. La panoplie de référentiels d analyse Les trois objectifs de méthode combinent l ingénierie pour l analyse (modélisation, traitement de données) et la méthodologie analytique pour l ingénieur : l analyse qualitative, qui inspire conceptuellement la modélisation. Pour un ingénieur, nous basons l analyse qualitative et la modélisation conceptuelle sur des référentiels d analyse tirés des disciplines académiques suivantes : L analyse spatiale : la localisation d un objet géographique et son extension géométrique, les relations spatiales entre de tels objets, les propriétés qualitatives de l espacement, du franchissement, d un établissement en un site. L analyse économique par acteur de ses intérêts et comportements, postes de coût ou de bénéfice ; les relations entre acteurs, notamment sur un marché ; la notion d équité et les externalités. L analyse démographique : composition d un stock de population ; mécanismes d évolution dans le temps et dans l espace ; prospective sur un territoire circonscrit. L analyse sociologique : la distinction de groupes sociaux, par catégorie sociale ou par zone de localisation ; les formes génériques des modes de vie ; leurs dépendances aux conditions d établissement et de déplacement. L analyse écologique est réduite aux consommations de ressources et aux émissions d impacts. Néanmoins les enjeux écologiques inspirent les recherches d adéquation durable. L analyse systémique à portée englobante pour identifier les acteurs et les relations, les impacts ; pour discerner les enjeux et les hiérarchiser ; pour organiser l analyse d un système concret, en procédant à des démarcations, à des regroupements, à des articulations. L analyse systémique convient particulièrement à un ingénieur, susceptible d exercer une fonction d ensemblier. 4.4. Détermination des enjeux pédagogiques L objectif de méthodes d analyse inclut l analyse qualitative qui est un enjeu majeur du cours. Celui-ci étant destiné à des ingénieurs, la modélisation et le traitement de données sont tout aussi importants car ils constituent les deux liaisons entre la théorie et la pratique. L analyse qualitative et la modélisation doivent être fondées sur une connaissance générique minimale des thèmes d enjeux territoriaux : en donnant les notions de base et les causalités fortes qui constituent le référentiel d analyse du thème ( 1 ). La décomposition des thèmes permet de répartir l acquisition de ces connaissances, comme on le verra dans la prochaine section. Il faut aussi marquer les interactions entre les thèmes, avec leurs conséquences. Le dernier enjeu pédagogique est une application concrète des méthodes d analyse, application qui inclut du traitement de données : pour cela nous avons choisi le territoire de l Ile de France car des relations partenariales de long terme avec des acteurs locaux ( 2 ) nous permettent de disposer de bases de données par eux produites. Nous avons choisi 1 le propos du cours ne laisse pas de place à des considérations épistémologiques dans chaque discipline thématique 2 Iaurif = Institut d Aménagement et d Urbanisme de la Région Ile de France. DREIF = Direction Régionale de l Equipement d Ile de France 14

aussi un outil logiciel qui constitue à lui seul un environnement de travail : le système d information géographique TransCad, qui incorpore des modèles de transport et de logistique, mis à notre disposition par son éditeur américain Caliper. 4.5. Modalités pédagogiques Les enjeux de méthode, de référentiel d analyse et d application concrète représentent un ensemble considérable ; leur acquisition en une quarantaine d heures est une ambition exigeante. Pour la satisfaire, nous avons fixé les modalités pédagogiques suivantes : Une découverte progressive des thèmes d enjeux, comme une accumulation de strates. L ordre des thèmes sert aussi à décomposer la complexité de la dimension spatiale : on traite d abord un territoire dans son ensemble, puis le niveau local d un point ou d une parcelle, ensuite les relations spatiales par couple origine-destination, enfin les formes de réseau. La réduction du référentiel d analyse aux notions de base et aux causalités majeures. La réduction des modèles aux formes simples qui restent significatives. Il subsiste néanmoins quelques pics de complexité, le plus haut concernant la modélisation des déplacements sur un réseau de transport collectif. Un outil logiciel intégré, ce qui amortit les coûts d apprentissage des fonctions et limite les durées de manipulation. Le logiciel TransCad est puissant par sa palette de représentation et sa gestion des bases de données ; ses fonctions cartographiques vont au-delà d un SIG classique afin d intégrer la topologie des réseaux et les caractères spatiaux des flux. Sans oublier des conditions spécifiques à l ENPC : des élèves intellectuellement agiles et sélectionnés sur leur capacité d abstraction et de formulation mathématique, déjà familiers de l informatique ; un cursus de formation Ville- Environnement-Transport dans lequel notre cours est précédé par la découverte des enjeux et par des cours thématiques en tronc commun ; un couplage entre recherche et enseignement, déterminant pour notre équipe pédagogique constituée d un directeur de recherche et trois de ses doctorants. Pour combiner les objectifs et les modalités pédagogiques, chacune des 13 séances de 3 heures dans le cours est organisée selon un format type : un exposé théorique suivi d une application dirigée. L exposé d environ une heure traite de tout ou partie d un thème : les enjeux, le référentiel d analyse, les instruments d observation et les bases de données, un modèle significatif présenté comme une machine logique, et le schéma logique de l application dirigée. Celle-ci dure environ 2 heures en petite classe informatique ; elle comporte d abord la reprise des données concrètes ; puis la réalisation de requêtes simples pour prendre connaissance tant de la nature et de la structure des informations, que des fonctions élémentaires du logiciel ; ensuite la mise en œuvre du modèle traité dans l exposé ; enfin l application du modèle à des requêtes complexes, représentatives des problèmes de décision que rencontrent les acteurs opérationnels en aménagement et dans la planification des territoires et des réseaux. 15

5. L ITINERAIRE DE DECOUVERTE Venons-en au détail des séances, conçues chacune comme une étape dans un parcours de découverte et d apprentissage. L itinéraire se compose de cinq parties : introduction, démographie et sociologie, logistique et transport, économie spatiale et impacts territoriaux, conception pour l aménagement durable. 5.1. L introduction du cours La première séance introduit le cours. L exposé magistral traite successivement, en 1h30 : les six thèmes d enjeux ; la philosophie d analyse, concentrée sur l analyse systémique et l analyse spatiale ; les objectifs d ingénierie : les objectifs propres du cours, leur croisement avec les fonctions professionnelles. Des rudiments d ingénierie géographique, pour y distinguer les spécialités techniques. Le schéma logique de l application dirigée. L application dirigée est une initiation aux fonctions élémentaires du logiciel TransCad, en traitant des bases de données sur l occupation du sol et la population. Ces thèmes se prêtent à des requêtes spatiales assez simples : inclusion ( 1 ), agglomération de parcelles aux caractéristiques voisines, clusters d individus. 5.2. Démographie et sociologie La séance 2 aborde la Population, l analyse démographique avec des modèles d inspiration Insee, la prospective d évolution. L application dirigée étudie la composition des individus en groupes sociaux : principalement en ménages, et la cohésion sociale dans l habitat ; elle fait une rétrospective de l évolution démographique francilienne. %&' " # ( 1 en l occurrence, l inclusion de parcelle MOS (Mode d Occupation du Sol) dans un zonage administratif 16

La séance 3 porte sur les modes de vie et les besoins matériels. L exposé traite de comment caractériser un mode de vie, d après les pratiques d activités personnelles et interpersonnelles, aux implications budgétaires notamment en temps et en revenu ; et des modèles simples de consommation, illustrés pour les besoins des ménages en eau, en énergie, en émission ou réception de déplacement, en logements, et aussi en matériaux de construction. L application dirigée localise et quantifie ces types de consommation en Ile de France, et donne l occasion d une réflexion sur l influence du mode d urbanisation. Elle aborde aussi la répartition des revenus entre les individus et les lieux. La séance 4 concerne les relations sociales et les structures spatiales. Après une brève histoire de l artificialisation des sociétés, sont présentées les formes spatiales récurrentes dans un espace investi et configuré par une société : pôle et zone d influence, centre et périphérie, ville monocentrique ou polycentrique, bassin de vie et bassin d emploi, trame de centres et hiérarchisation de centres, la dépendance aux équipements techniques et l organisation en réseau. Les méthodes d observation et les conventions statistiques sont indiquées, ainsi que la notion de matrice origine-destination et des modèles simples de distribution spatiale des flux. L application dirigée étudie la distribution spatiale et temporelle des activités des individus franciliens pour certains types d activités ; puis la distribution spatiale des déplacements pour ces motifs ; et enfin la forme des bassins de vie et des bassins d emploi. )& *+ 5.3. Logistique et transport La séance 5 porte sur la logistique et la localisation d entreprise. L exposé traite successivement : une évocation historique (l industrie de la viande aux Etats-Unis) ; la logistique d un établissement, en liaison aux approvisionnements et aux marchés, ce qui conduit au problème de localisation ; la logistique d une ressource productive, ou comment une entreprise rentabilise un équipement ; la logistique d une production, les notions de processus et filière de production, de filière et chaîne et famille logistiques ; et la logistique d un réseau d établissements, selon leurs complémentarités fonctionnelles et leur implantation spatiale. L application dirigée aborde : un problème de tournée pour un véhicule de livraison ; une décision de localisation ; le partage d une zone en aires de marché pour des commerces ; la distribution optimale d un bien entre les sites de fourniture et de consommation. A ce stade, les conditions de transport sont représentées abstraitement par des matrices de coût et de temps entre les zones d origine et destination. 17

,# ' *+ La séance 6 traite le transport, la mobilité et les déplacements. La formation de la demande ayant déjà été préparée en séance 3 pour la génération des déplacements, en séance 4 pour la distribution spatiale, on se concentre sur le choix microéconomique du moyen de déplacement par un usager, face aux services offerts par les réseaux de transport. L exposé apporte des modèles simples pour le choix du moyen de déplacement et la formation des services : choix d itinéraire sur un réseau, choix modal entre des réseaux décrits abstraitement ; ainsi que la modélisation spatialisée des moyens de transport, et la formation de la qualité de service et des coûts. On donne aussi des définitions et des méthodes d analyse pour la notion d accessibilité. L application dirigée porte sur le réseau routier francilien : appropriation du modèle spatialisé (source Dreif), formation des moyens de déplacement pour un usager sur une relation originedestination ; l affectation d une matrice de flux de déplacements sur le réseau ; et les conséquences en coût généralisé pour les usagers, en charge de trafic et en congestion pour le réseau, en accessibilité pour le territoire. -! ' & ' 18

La séance 7 traite des transports collectifs. L exposé présente d abord les atouts, les coûts et les conditions de pertinence pour équiper un territoire urbanisé en transports collectifs ; puis les spécificités de la modélisation spatialisée des transports collectifs, tant pour décrire l offre et constituer les services, que pour représenter la qualité de service ( 1 ), évaluer le coût généralisé et modéliser le cheminement d un usager ( 2 ). L application porte sur le réseau de transport collectif en Ile de France, en suivant le même ordre que pour le réseau routier en séance 6../ ' ' 5.4. Economie spatiale et impacts territoriaux La séance 8 porte sur les impacts écologiques et leur gestion. L exposé présente les formes matérielles de la production de ces impacts (bruit, pollution, accidents) et leurs effets concrets sur l espace (occupation, coupure), sur les milieux naturels (eau, air, sol), sur les espèces vivantes (faune, flore), sur le climat et sur le patrimoine culturel. Après avoir imputé les quantités d impacts aux secteurs d activité, on explique la perception dans la société et l évaluation par la collectivité, ainsi que les formes de gestion collective. Enfin sont indiqués des modèles simples pour la production d impacts. L application dirigée aborde les émissions de bruit et de polluants gazeux par le trafic routier en Ile de France ; les émissions sont modélisées et cartographiées ; on trace alors des zones (fuseaux, «tampons») par niveau d impact, et on dénombre des effectifs de résidents par niveau d exposition. Enfin on prospecte les effets écologiques de quelques évolutions structurelles du système de transport. 1 y compris les conditions de rabattement et de correspondance, les phénomènes d attente ; et avec une sensibilisation aux aspects probabilistes 2 une complexité particulière tient aux moyens concurrents en un nœud, compte tenu des variations temporelles dans la disponibilité des services 19

0 1 ' ' 2 La séance 9 traite la localisation résidentielle et le marché du logement. L exposé donne d abord un panorama de ce marché, de manière systémique et aussi macroéconomique à partir des Comptes du logement. Puis on indique les diverses sources d information sur le stock et les conditions économiques du logement. Ensuite on modélise la demande d établissement résidentiel avec le modèle monocentrique et, plus opérationnellement, avec des modèles de choix discret. Enfin sont évoqués les mécanismes de formation des prix, et les impacts sociaux d une configuration spatiale de l habitat. L application dirigée concerne le marché francilien du logement : la composition et l occupation du parc, les prix par zone et par type de détention. Ensuite on étudie les budgets consacrés par les ménages d une part au logement, d autre part au transport, afin de rapprocher ces deux dépenses selon l esprit du modèle monocentrique. Enfin on simule le choix de localisation résidentielle pour un ménage originaire de l agglomération ou venant du dehors. 3&4 ' ' *! # * 1' 2 ' & 20