LA SECURISATION FONCIERE EN ALGERIE. Constats et propositions provisoires



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Transcription:

Omar BESSAOUD Chercheur CIHEAM-IAM-Montpellier Rencontre internationale sur le financement de l économie algérienne Ministère des finances- 1 au 4 avril 2005 LA SECURISATION FONCIERE EN ALGERIE Constats et propositions provisoires L analyse de la question foncière mérite un bref rappel du contexte dans lequel elle se pose. Les expériences des pays industrialisés sont évoquées pour illustrer le fait que les politiques foncières et de structures - mises en œuvre se sont construites sur la base de critères économiques. Dans les économies libérales, les politiques de régulation foncière et de développement agricole ont pris comme référence une unité économique de base : l exploitation agricole -, et une unité sociale: l exploitant et/ou sa famille (I). Il est clair qu il faut bien considérer les conditions spécifiques dans lesquelles la question des structures foncières se pose en Algérie - en particulier sur les terres du domaine national- (II). Il convient enfin, en partant d un constat des pratiques passées ou actuelles, de définir quelques alternatives et propositions (III). 1. Les questions préalables posées dans la définition des politiques agricoles Les questions d organisation foncière sont inséparables des missions assignées par les pouvoirs publics au secteur agricole dans l économie nationale et de la place qu occupe les agriculteurs dans la société globale et dans le développement rural. Les options fondamentales socio-économiques et politiques qui sont retenues déterminent, d une part, les modes d organisation du secteur, et d autre part, les formes d organisation foncière ou les types d exploitation que l on veut promouvoir dans l agriculture. 1

Dans tous les pays industrialisés, les politiques agricoles définies en tant que contrat liant la société aux agriculteurs, l Etat aux agriculteurs ont inscrit la politique foncière comme une dimension essentielle des transformations à réaliser. Les droits de propriété, les droits d usage, les formes d appropriation et d exploitation des sols et d organisation de la production ont été au plan socioéconomique- des questions déterminantes. Quels enseignements tirer de l expérience des pays industrialisés? Le modèle d organisation de l agriculture dans les pays industrialisés Le processus de modernisation de l agriculture dans la majorité des pays industrialisés s est intégré dans une stratégie d accumulation du capital qui a conduit à adopter des stratégies de restructuration des exploitations agricoles où le capital s est substitué au travail et où l intensification recherchée a visé la production à moindre coût d une ration alimentaire au profit des populations urbaines. Les politiques agricoles dans ses dimensions multiples ont consisté à mettre en place des mécanismes économiques (prix et revenus agricoles, crédit, investissements, ), institutionnels (formation du capital humain, organisation de la recherche agronomique, structures de représentation des agriculteurs) et juridiques (lois foncières, législations commerciales et fiscales, régime social et de protection) en conformité avec les objectifs fondamentaux et les stratégies de développement économique adoptées. Il convient de noter que les structures foncières (orientées vers la constitution d exploitations de taille - foncière optimale, en rapport avec la contrainte économique et la nécessité de produire plus et à moindre coût) étaient promues par une politique foncière adaptée. Cette politique se définissait par à ses aspects législatifs (lois foncières, ), institutionnels (agences foncières), économiques (organisation du marché foncier pour lutter contre la spéculation à laquelle est sensible le secteur, régime des prix d accès, primes d installation ) et fiscaux (sur les droits de mutation et de succession ). Les voies empruntées par cette modernisation agricole ont produit les effets que nous connaissons aujourd hui. Le nombre d exploitations a été divisé par 2,5 au cours de ces trois dernières décennies en France et la population active agricole représente moins de 4 % de la population active totale en 1999 (taux qui est inférieur au nombre de retraités agricoles) contre près de 25 % en 1960. La taille des exploitations a augmenté (38,5 ha/exploitation en 1995 en France contre 19 ha en 1965), les volumes de capital détenu par exploitant de même que les chiffres d affaires par unité d exploitation ont également enregistré des accroissements continues. Les productivités et les rendements agricoles ont été tels que les pays industrialisés ont eu à gérer, dès les années 1970, les effets 2

résultants de la surproduction agricole extrêmement coûteux pour les budgets publics. Les populations agricoles actives en excédent, suite aux restructurations des exploitations, ont trouvé un exutoire dans les emplois crées par l expansion industrielle. Les départs massifs des petits exploitants (et/ou des propriétairesexploitants ) et l exode agricole ont été régulés par l organisation d un marché du travail fortement déterminé par le développement des autres secteurs de l activité économique (industrie et services). Les problèmes ont, comme on le sait, changé de nature aujourd hui : ils se résument dans la gestion raisonnée des ressources naturelles pour résoudre les questions de pollution des sols agricoles et des nappes phréatiques par les nitrates, dans la lutte contre la dévitalisation et la désertification des zones rurales (4 % d actifs agricoles a en charge de la gestion des deux tiers de l espace français), dans le développement des produits de qualité, dans la diversification des activités agricoles et la promotion de la multifonctionnalité de l agriculture, dans le soutien des revenus et la formation aux métiers agricoles. Une des clés du succès : une politique foncière assurant la promotion de l exploitation agricole Il est utile de rappeler que les succès enregistrés dans les pays industrialisés résultent d interventions très fortes des pouvoirs publics (en termes de contributions budgétaires, de soutiens indirects dans les domaines de la formation, de la recherche, en termes d encadrement des marchés, de soutien des prix, de prêts bonifiés ). Ils ont été obtenus dans un contexte où la gestion du foncier a privilégié le concept - ou l unité économique et juridique- d exploitation (et d exploitant) agricole. Les grandes unités agricoles intensives, localisées dans les régions les plus performantes de France - principale puissance agricole au monde- sont exploitées sous le mode du fermage (qui représente selon les dernières statistiques un mode de faire-valoir dominant et en progrès constant). Ceci pour illustrer que la propriété de la terre n est pas la condition sine qua non de la croissance agricole. D autres pays, au développement agricole exemplaire (Pays- Bas, Danemark), ont développé la forme coopérative comme mode d organisation de leurs structures foncières. Il est établi que si les droits de propriété sont reconnus constitutionnellement dans ces pays, les droits d exploitation ont fait l objet de législations qui les ont 3

particulièrement renforcé et les exploitants agricoles qui ont défendu leurs droits dans le cadre de puissantes organisations syndicales comme, c est le cas de la FNSEA en France- ont bénéficié de règles juridiques qui les ont protégé, à la fois contre les prélèvements de la rente foncière opérés par les propriétaires, et contre l insécurité foncière. Les Etats ont ainsi édicté des dispositions juridiques et créée des institutions de gestion du marché foncier facilitant aux exploitants l accès à l exploitation de la terre et encourageant l installation des jeunes agriculteurs. Promotion de l exploitation agricole, libre circulation des droits d exploitation, aménagements juridiques pour protéger les agriculteurs contre la spéculation foncière portant sur les droits de propriété et encourager les investissements de capital fixe dans le secteur, institutions publiques ou privées adaptées pour gérer le marché foncier ont été les principaux instruments de politique foncière utilisés par les pouvoirs publics dans les pays industrialisés. 2. Les caractères spécifiques de l approche de la question foncière en Algérie S il est utile de tirer les enseignements des pays industrialisés et de considérer avec attention les instruments qu ils utilisent dans la gestion de la question foncière, l analyse des conditions particulières que revêt la question en Algérie est incontournable. La relation de propriété celle au patrimoine foncier en premier lieu- est le produit d une histoire des sociétés, des formes d organisation sociale dont elles se dotent pour gérer leurs ressources (naturelles et économiques), des ajustements qu elles assurent pour tirer le meilleur profit des milieux et des espaces qu ils occupent. Les caractères spécifiques de l évolution foncière Trois aspects qui nous paraissent essentiels méritent d être rappelés : a) D un point de vue historique, avant la période coloniale l organisation de l espace agricole se caractérisait, d une part, par une adaptation des populations rurales aux éléments offerts par le milieu naturel, et d autre part, par l élaboration de systèmes de production et de propriété propres à chacun des domaines bio-climatiques. Cette adaptation a joué, on le sait, pleinement sur les complémentarités : montagnes/plaines, forêts/terre de culture, élevage/cultures céréalières et fourragères... Les modes d appropriation de l espace, les systèmes de propriété ont été variés et combinaient formes individuelles, familiales et 4

collectives de propriété. Propriété melk indivise sur les parcelles cultivées intensivement, propriété publique sur les communaux de village et les forêts, arch et tribale sur les parcours... L organisation foncière ancienne conciliait ainsi la gestion collective de l espace agricole et l appropriation individuelle du sol. La période coloniale bouleversa brutalement cette organisation. La colonisation du territoire se fera sur la base d une mise en valeur d un espace agricole dit utile spécialisant des régions (disposant généralement de bonnes potentialités naturelles) dans des cultures spéculatives et de rente. Elle développera - via les lois foncières- un mode de propriété du sol qui visait essentiellement la transformation des formes sociales antérieures d organisation de l activité agricole (organisation collective, familiale et/ou tribale). Elle a favorisé en Algérie, le développement de grandes propriétés foncières. Les modes d exploitation et de propriété du sol qui ont été promus par la colonisation ont considérablement freiné et/ou ajourné le processus (déjà contrarié par le passé) de constitution d une paysannerie algérienne dotés de titres permanents de propriété- au sens moderne du terme. A la sortie de la lutte de libération, la paysannerie (au sens réel du terme) est minoritaire. Les fellahs algériens sont représentés par des populations déracinées formées majoritairement de salariés agricoles, de saisonniers, de chômeurs ruraux et de khammès. En ce sens l autogestion et le mode collectif d exploitation des terres qu elle impose en 1963 n est pas le fruit d un hasard historique. b) Les formes de propriété et d exploitation des terres sont également déterminées par les contraintes agro-climatiques. La pauvreté des sols, la faiblesse des ressources hydriques en liaison avec l aridité du climat et le bas niveau des techniques ont imposé des formes collectives d activités agricoles sur de grandes superficies exploitées extensivement (dans les zones steppiques et les hautes plaines sèches). c) Le développement économique - en particulier industriel amorçé après l indépendance, conjugué à l inefficience des politiques agricoles et rurales accéléreront le processus de décomposition de la paysannerie sans toutefois réussir à reconstruire ou favoriser l émergence d un autre type d agriculture (collective, d entreprise, étatique ou familiale). Les structures agraires, les modes d usage du sol ainsi que les formes de propriété de la terre promouvoir évoluent sous la pression de plusieurs facteurs. 5

Outre les aspects historiques, économiques (industrialisation avancée ou non) et ceux liés aux politiques agricoles - les mouvements démographiques (évolutions des taux de croissance naturelle et solde migratoire), le poids et caractéristiques de la population active agricole (donnant des indications sur la pression exercée sur les ressources naturelles), les configurations du marché des produits agricoles (et en particulier les tendances qui marquent la demande), les rapports juridiques et les législations relatifs au foncier sont les principaux déterminants des modes de gestion du patrimoine foncier. Ces principales contraintes servent à définir une position stratégique dans le domaine du foncier agricole. Proposition d une démarche stratégique La démarche stratégique adoptée face au problème foncier posé en Algérie doit prendre en considération ces caractéristiques que l on vient d évoquer. Cette démarche qui va concerner d abord les terres du domaine national- doit à l avenir intégrer les terres de statut privé. - En Algérie, plus de la moitié de la SAU est de statut privé. Les terres melk sont exploitées ou gérées par le droit musulman (cf. règles d héritage et de succession, droit de chafaâ, ). Les modes de faire-valoir (directs et indirects) ne sont plus soumises à des conditionnalités particulières (comme ce fut le cas dans le cadre de la loi de Révolution agraire). Les problèmes d immatriculation, d hypothèques, de cadastre, d enregistrement et d inscription au livre foncier méritent une attention particulière du législateur pour assurer une régularité et une transparence des transactions foncières. Le régime juridique de ces terres n a pas, en outre, pas freiné le processus de morcellement des exploitations et d extension du micro-fundisme préjudiciables au progrès technique et à l augmentation de la productivité du travail dans l agriculture. - Les terres du domaine privé de l Etat 2,8 millions d hectares - ont été attribuées en jouissance perpétuelle à des exploitants agricoles dans le cadre de la loi 87-19 adoptée en novembre 1987. Elles sont gérées sous forme d exploitations agricoles collectives (EAC) ou d exploitations agricoles individuelles (EAI). L innovation juridique introduite dans le cadre d un projet libéral de réformes agricoles était la séparation entre le droit de propriété (le droit sur le sol appartient à l Etat) et le droit d exploitation (droit portant sur l ensemble des actifs agricoles et qui est transféré aux exploitants bénéficiaires). Un bilan exhaustif reste à faire sur les pratiques d exploitation mises en œuvre et sur les distorsions constatées sur le terrain. 6

Propositions (provisoires) de réformes Ces propositions se fondent sur une préoccupation majeure que les pouvoirs publics veulent prendre en charge dans un souci de relance de la production agricole et qui est celle relative au principe de sécurisation foncière. La décision politique prise récemment (et qui nous semble être en cohérence avec le plan national de développement agricole) a écarté la solution d une privatisation des terres du domaine national et d une cession à titre onéreux des droits sur les actifs fonciers placés sous son contrôle de l Etat. Ces propositions découlent d un constat et de problèmes résultants des réformes mises en œuvre dés le début des années 1980. a) Principaux constats : Les questions posées découlent des constats suivants : - les titulaires exploitants ont, dans les faits, modifié les situations. Des quotes-parts attribuées collectivement sont possédées et cultivées individuellement, des titulaires de quote-part se sont associés avec des apporteurs de capitaux (qui dans les faits exploitent, moyennant versement d une rente, les terres cédées légalement par l Etat), d autres ont vendu leurs actifs et/ou cédé leurs droits d exploitation, d autres ont transféré à leurs ascendants ou à leurs descendants leur part, d autres enfin ont abandonné leurs droits et laissé en déshérence les terres attribuées Tous ces faits témoignent de l existence de véritables transactions portant sur les droits d exploitation dont les règles obéissent aujourd hui aux lois d un marché informel. Les coûts de ces transactions sont élevés et, ni la puissance publique qui ne contrôle plus son patrimoine, ni les producteurs réels qui agissent dans un cadre juridique opaque et non-règlementaire (et qui de ce fait hésitent à investir faute de cadre sécurisé), ni les consommateurs qui payent les surcoûts induits par ces transactions ne gagnent dans le maintien d un tel marché. - Les restrictions posées dans les modes de cession et de transfert des quotesparts entravent une libre circulation des droits d exploitation. - Le cadre juridique d organisation de la production imposé par la loi 87-19 est limité (formes EAC ou EAI) et les statuts-type des EAC-EAI n ont jamais fait l objet d une définition claire. La notion d exploitation et/ou d exploitant est restée floue dans l esprit du législateur. 7

- L Etat enregistre des déficits dans le fonctionnement des instruments (administratifs, fiscaux, statistiques) lui permettant de suivre les changements qui interviennent sur son domaine agricole (dans la consistance du fonds, dans le mouvement des bénéficiaires, dans la valeur des patrimoines, ) et d en tirer un profit substantiel (via la fiscalité directe ou indirecte, le système de redevances ou les frais de transactions prélevés lors des opérations de transfert ou de cession des droits d exploitation). b) Les principes directeurs d une sécurisation foncière La conduite politiquement et socialement justifiable consiste : - à prendre en charge les distorsions issues de l application de ces textes et à rendre plus visible les réformes foncières que l on adopte, - à clarifier les situations existantes, à consolider par des mesures pratiques les situations des véritables exploitants et de leurs associés engagés dans le secteur, - à conforter les droits des exploitants en organisant sur la base de règles claires et transparentes le marché foncier. Les principes d une restructuration foncière doivent prendre en considération les aspects économiques liés à une gestion de l emploi agricole. Les faibles rythmes de notre processus développement industriel et de l économie globale- font que les campagnes et l agriculture sont soumises à une forte pression démographique : les taux de croissance de l emploi hors- agriculture sont aujourd hui trop bas pour absorber la surpopulation rurale et le croît de population active agricole. - Le principe de base d une opération de sécurisation foncière consiste à éviter de remettre en cause les lois, règlements et procédures juridiques déjà existants. Des textes juridiques (la loi 87-19, la loi d orientation foncière de 1990, la loi sur le domaine national et les textes qui sont subséquents ) ont défini le cadre général de la politique foncière de l Etat. Leur remise en cause, une fois de plus, viendraient ajouter à une instabilité et à l insécurité foncière qui est évoquée, à juste titre, comme un facteur de crise de notre système agricole. La démarche stratégique du ministère qui nous semble être en parfaite cohérence avec ce principe de sécurité foncière doit ainsi confirmer le droit de l Etat sur son domaine privé et inviter à réhabilier la dimension économique dans l approche de la question foncière. 8

De cette démarche stratégique découle clairement un autre principe, celui qui consiste à séparer de droit de propriété (l Etat conserve son droit de propriété sur les terres du domaine national) d avec le droit d exploitation ( concédé et/ou transféré à des exploitants agricoles). Tous les actes de gestion sont placés sous la responsabilité unique et exclusive des exploitants agricoles. Les fonctions de régulation de la puissance publique se résument dans les systèmes d incitations économiques (prix, crédit, subventions, formation, organisation des marchés) ou de coordination institutionnelle. L Etat doit veiller à ce que la terre bien ou ressource commun(e)- soit cultivée par des exploitants «en bon père de famille». Il doit créer les mécanismes empêchant le développement d un marché spéculatif auquel est particulièrement sensible le domaine foncier. Les objectifs opérationnels de la réorganisation foncière : Ils doivent tendre : - d une part, à définir les règles, normes et procédures pour organiser les transactions portant sur les droits d exploitation, à asseoir le cadre légal d une libre circulation de ces droits, à protéger les exploitants directs de la spéculation foncière, - d autre part, à formuler des propositions innovantes sur les formes d organisation des exploitations agricoles installées sur les terres du domaine national. Les statuts doivent assurer la création d entités juridiques souples et évolutives à même, à la fois de protéger les droits des exploitants (droits leur permettant en particulier de bénéficier du fruit de leur travail et de favoriser leurs investissements productifs) et d améliorer les performances dans le domaine de la production. La gamme des formes d organisation doit être large et l adhésion des exploitants à l une ou l autre des formes doit être libre et volontaire. Cette gamme peut reprendre des formes connues mais non définies juridiquement dans le secteur de la production comme les coopératives qui ont pour objet de favoriser l utilisation par les agriculteurs de tous les moyens propres à développer l activité économique des sociétaires (associés sociétaires 9

et associés non-coopérateurs) et d accroître les résultats de leur activité à des formes nouvelles de groupements et de sociétés agricoles. Elle peut innover en élargissant à l agriculture les formes sociétaires existantes dans d autres secteurs économiques. Le législateur peut s inspirer, entre autres, des modèles de sociétés agricoles connues sous la dénomination d entreprises agricoles à responsabilité limitée EARL- ou de sociétés civiles d exploitation agricole SCEA- ). Ces sociétés visent généralement, comme on le sait : - à améliorer les conditions de vie et de travail des exploitants, - à développer l exploitation, - à éviter le démembrement de l unité d exploitation - à rentabiliser - à partager les risques et responsabilités Nous savons que l EARL permet d opérer une séparation entre patrimoine privé et patrimoine professionnel, de limiter la responsabilité personnelle de l associé au montant des apports effectués dans la société, d intégrer des nonagriculteurs apporteurs de capitaux propres, d organiser et de faciliter la transmission et la transformation d une exploitation. La particularité de cette forme juridique est que la société devient titulaire du droit d exploitation et de jouissance - dès lors que les associés-exploitants agricoles apportent sous réserve de l accord de l Etat ou de l agence foncière qui le représente- leur droit d exploitation à l EARL. Les associés-exploitant peuvent mettre à la disposition de l'earl, les terres dont ils jouissent à titre perpétuel même si leurs co-associés ne participent pas tous à l exploitation. Il convient de prévoir un éventail très large de ces formes sociétaires. L on peut ainsi autoriser la création (et définir les statuts-type) d EARL à caractère familial (formées exclusivement entre personnes parentes en ligne directe, entre frères et sœurs ainsi qu entre conjoints), d EARL unipersonnelle (avec associé unique), d EARL constituée entre l apporteur d une exploitation individuelle et un exploitant qui s installe ainsi que leurs familles et d EARL non familiales comprenant plusieurs associés (des associés-exploitant et des associés non exploitant). Les pouvoirs publics peuvent appliquer à l agriculture des dispositions relatives aux sociétés civiles. Formule souple, les sociétés civiles d exploitation agricole auraient pour objet la création ou la gestion d une ou de plusieurs exploitations agricoles. Cette formule présente les mêmes particularités que l EARL (à savoir 10

que l exploitant peut s associer en cédant son droit d exploitation à la société). Il s agit toutefois de réglementer d une part, les cumuls de droits de jouissance, et d autre part, de gérance des biens des associés. La création de telles formules permettront de faciliter le fonctionnement des règles relatives au régime social (affiliation au régime de protection sociale), du régime économique (l EARL et la SCEA peuvent être sociétaires du crédit mutuel, bénéficier des bonifications, des fonds publics et de prêts garantis par le patrimoine de la société), et du régime fiscal (perceptions des droits d immatriculation, d enregistrement des actifs, de cession des parts, et selon la nature de la société et ses résultats récolte des impôts, des taxes et des contributions directes et indirectes). La création de ces formules se heurte à une double l exigence qu il s agira d affronter. La première à trait à une amélioration du niveau de qualification et de formation des exploitants et des gestionnaires. Il revient à la puissance publique d ajuster le système de formation aux nouveaux besoins exprimés. La deuxième exigence est relative à la mise en place d un système d information et de comptabilité agricole performants. Ce système facilitera, d une part, la gestion des patrimoines et des actifs confiés aux exploitants, et donnera plus de transparence aux transactions portant sur les actifs agricoles et les droits d exploitation. Il permettra enfin aux administrations, aux agences foncières et aux juridictions compétentes en la matière de se doter des instruments de gestion et de règlement des contentieux fonciers. Ce sont ces déficits institutionnels que la puissance publique doit aujourd hui résorber pour assurer les conditions d un bon fonctionnement du marché foncier, pour sécuriser les exploitants et encourager une restructuration favorable à la relance des investissements et à une dynamique de croissance durable de la production agricole. Alger, le 20 avril 2005 SOCIETE CIVILE D EXPLOITATION AGRICOLE (SCEA) 11

Objet : créer ou gérer une ou plusieurs exploitations agricoles. Objet qui peut être étendue à des opérations de conditionnement, de transformation ou de vente de produits agricoles. Associés : exploitants agricoles, apporteurs de capitaux, personnes morales Capital social et apports : actifs des exploitants-associés et des associés non exploitant en nature (matériel, cheptel, bâtiments d exploitation ) et en espèces. Règle de séparation du patrimoine privé par rapport au patrimoine professionnel. Particularités : mise à disposition par l exploitant des terres cédées en jouissance et association possible de l exploitant par cession des droits d exploitation et de jouissance à la société constituée avec agrément de l autorité publique compétente. Réglementation des cumuls des droits d exploitation. Régime fiscal : droits prélevés lors des opérations d enregistrement des apports, de la cession, du partage ou de la dissolution. Contributions directes (impôts sur le revenu ou les bénéfices). Régime économique : Pour les prêts du crédit mutuel agricole, la société peut être sociétaire du crédit agricole, elle peut obtenir des crédits bonifiés et les prêts sont garantis par le patrimoine de la société et l engagement solidaire de ses membres. Les fonds publics sont accordés au même titre qu un exploitant individuel. Régime social : affiliation des associés, des gérants et des salariés à la caisse de la mutualité agricole et soumission aux mêmes règles de la protection sociale qu un exploitant individuel. Administration et gestion : assemblée générale des associés et nomination de gérant (s). EXPLOITATION AGRICOLE A RESPONSABILITE LIMITEE (EARL) 12

Objet : Exercice d une activité agricole dans des conditions comparables à celles existant dans les exploitations de caractère privé familial. Associés : associé unique et plus (maximum à fixer par la loi), associés non exploitants. Est dénommé «exploitant associé», celui qui participe de façon permanente aux travaux de l exploitation. Les autres sont des associés non exploitants. Capital social et apports : apports en espèces et en nature. Actifs agricoles. Particularités : Les exploitants associés font apport de leurs actifs à l EARL Après agrément de l autorité publique compétente, ils peuvent mettre à la disposition de l EARL les terres dont ils ont la jouissance, même si leurs coassociés ne participent pas tous à l exploitation. La responsabilité des associés est limitée au montant de leurs apports dans le capital social. Seuil de superficie à réglementer. Une autorisation préalable doit être sollicité auprès des structures de contrôle pour les agrandissements et réunions d exploitations au bénéfice d une EARL lorsque la superficie excède un seuil. Administration et fonctionnement : voir SCEA Régime social, économique et fiscal : voir SCEA et en fonction du type d EARL créée (familiales ou non familiales). Les types d EARL : - EARL unipersonnelle : associé unique - EARL familiales : formées exclusivement entre personnes parentes - EARL non familiale : constituées de plusieurs associés 13

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