Devises Les raisons de l attrait des devises émergentes à long et court terme AUTEURS : STEFAN HOFRICHTER & MARTIN HOCHSTEIN 20
Les devises de nombreux pays émergents ont subi d importantes corrections fin 2013 et début 2014. Elles ont ainsi été entraînées dans une spirale baissière par plusieurs facteurs, notamment l annonce du retrait de la politique accommodante de la Fed (ou «tapering» dans le jargon des marchés), le ralentissement économique du monde émergent ainsi que les craintes que l endettement massif des entreprises chinoises ne vienne brutalement freiner la croissance du pays. 21
DEVISES Comment devons-nous interpréter les hauts et les bas des devises émergentes dans l environnement actuel? Quels effets pouvonsnous raisonnablement anticiper à partir des processus d analyse et de valorisation? L équipe Economics & Strategy d Allianz Global Investors nous présente ses perspectives. Nous avons actualisé notre dernière analyse sur les devises émergentes, qui traite de l effet Balassa-Samuelson. En outre, nous avons réalisé une analyse de régression à partir de plusieurs variables, dont des paires de devises du monde développé. Il nous semble important de souligner que notre processus de valorisation sert d outil prédictif de l évolution des taux de change à long terme. Il n est pas conçu comme un outil de gestion tactique des devises. Les tendances à court terme sur les marchés des changes sont essentiellement influencées par des facteurs techniques ou spéculatifs. Par conséquent, des variations quotidiennes sont à anticiper et les taux de change décorrélés de facteurs fondamentaux sont sujets à d importantes fluctuations. La valorisation est probablement le facteur le plus pertinent pour déterminer les tendances à long terme en matière d évolution des prix de marché, et cela vaut également pour les taux de change. Notre recherche s appuie sur les taux de change réels, ce qui explique pourquoi un ajustement potentiel des sur ou sousévaluations dans le temps et dans certaines conditions n aura qu un impact limité sur le taux de change nominal et pourra également résulter de changements dans les niveaux de prix relatifs. Afin d appliquer la théorie à une sélection de devises émergentes, nous avons employé une procédure développée par deux économistes d Harvard, Kenneth Rogoff et Jacob Frankel. Nous avons ainsi cherché à déterminer la sous ou surévaluation des devises émergentes par rapport au dollar américain sur la base de la relation aux produits intérieurs bruts (PIB) respectifs. Cette approche permet également de déterminer le lien avec le niveau de productivité des pays concernés. Elle contribue en outre à déterminer la vitesse à laquelle l écart de valorisation se referme dans le temps. En associant ces différents résultats, nous disposons d une première perspective des tendances d évolution des taux de change à l avenir. Une évaluation définitive de la performance future des devises requiert une approche prédictive visant à définir la vitesse à laquelle le PIB réel par habitant dans les pays émergents se rapprochera du PIB des États-Unis. À cette fin, nous nous sommes appuyés notamment sur les prévisions de l OCDE, du FMI et des Nations Unies. L EFFET BALASSA-SAMUELSON D après l effet Balassa-Samuelson, les devises émergentes tendent à se déprécier par rapport aux devises des pays développés, mais s apprécient néanmoins en termes réels dans le temps. Le principal argument qui explique ce phénomène est le suivant : dans la mesure où la productivité d un pays émergent en matière de biens échangeables est plus faible, le niveau général des prix et des salaires y est également plus faible, et la devise est par conséquent valorisée à un moindre niveau. Cependant, les prix et les salaires augmentent dans le temps à mesure que la productivité des marchés émergents s améliore. En conséquence, la valeur réelle des devises émergentes augmente également. 22
Update III/2014 «Les tendances à court terme sur les marchés des changes sont essentiellement influencées par des facteurs techniques et spéculatifs.» 23
DEVISES En 2012, nous sommes arrivés à la conclusion que la très grande majorité des 12 devises émergentes que nous analysions était vouée à s apprécier en termes réels face au dollar américain d ici 2020. Le real brésilien constituait la principale exception à la règle, la devise étant à l époque surévaluée de près de 25% par rapport à l USD. Environ 6 mois plus tard, nous avons ajouté 15 devises émergentes supplémentaires à l équation. La conclusion a été similaire : plus des deux tiers des devises analysées présentaient un réel potentiel d appréciation d ici la fin de la décennie, en particulier les devises chinoise et indienne. D une manière générale, nous étions d avis que les devises asiatiques et d Europe de l Est présentaient une forte probabilité d appréciation, tandis que plusieurs devises latino-américaines semblaient surévaluées. Suite à la dépréciation de nombreuses devises émergentes fin 2013 et début 2014, quelle est la situation à présent? Les devises émergentes affichent des valorisations attrayantes Les résultats de notre analyse montrent que seule une poignée de devises reste surévaluée. Cependant, la grande majorité des devises émergentes devrait s apprécier d ici 2020. Les devises qui offrent le plus grand potentiel d appréciation d ici la fin de la décennie sont celles qui ont enregistré la plus forte correction sur une base nominale. Il s agit notamment du peso argentin et de la hryvnia ukrainienne, ainsi que du rand sud-africain et de la roupie indienne. De nombreuses devises asiatiques devraient également s apprécier sur une base ajustée de l inflation au cours des prochaines années. Ce constat vaut notamment pour le renminbi chinois, le dollar taïwanais, le baht thaïlandais et la roupie indonésienne. Notre analyse suggère que les valorisations réelles de ces devises sont environ 10% à 20% inférieures à leur juste valeur. Notre analyse montre également que certaines devises d Europe de l Est sont sous-évaluées, telles que le rouble russe, le zloty polonais et la couronne tchèque. Cependant, leur potentiel de hausse est moins important que celui de la plupart LES CONDITIONS RELATIVES DE CHANGE En fonction du degré d ouverture d une économie, la hausse du ratio des prix à l export par rapport aux prix à l import soutient les taux de change réels du pays, principalement en améliorant sa balance commerciale et en attirant des flux d investissement positifs. LES TENDANCES RELATIVES DE PRODUCTIVITÉ Une hausse de la productivité devrait avoir un impact positif sur le taux de change réel du fait de la hausse des salaires et des taux d intérêt. En outre, en complément du facteur de productivité globale ou de productivité du travail, une estimation du rapport entre investissements et PIB ou (sur la base de la méthode d AllianzGI) PIB par habitant est utilisée. L ÉVOLUTION RELATIVE DE LA DETTE SOUVERAINE Une hausse de la dette souveraine (par rapport au PIB) pénalise une devise, dans la mesure où elle augmente le risque d inflation et de défaut de paiement. Une telle situation peut donner lieu à un recours accru au financement externe (et donc à des déficits budgétaires et commerciaux). 1 SPREADS DES TAUX D INTÉRÊT RÉELS À LONG TERME Des taux d intérêt réels élevés devraient avoir un impact positif sur les taux de change, dans la mesure où ils peuvent engendrer des flux d investissement étrangers accrus. Cependant, il ressort de l analyse d AllianzGI que cette corrélation positive n est statistiquement signifiante que pour les devises du G-10. 1 AllianzGI utilise le niveau de dette souveraine dans son analyse, dans la mesure où il n existe pas de preuve empirique qui justifie le recours à des données alternatives (par ex., la position nette en investissement étranger). 24
Update III/2014 01 ÉCART ENTRE LES VALORISATIONS RÉELLES DES DEVISES ET LEUR JUSTE VALEUR ESTIMÉE EN 2020 100 % 80 % 60 % 40 % 20 % Colombie Hong Kong Mexique Vietnam Hongrie Philippines Pologne République Tchèque Pérou Chili Russie Malaisie Roumanie Thaïlande Indonésie Chine Turquie Taïwan Inde Afrique du Sud Ukraine Argentine 0 % 20 % Israël Arabie saoudite Brésil Corée Singapour Source : Allianz Global Investors, juillet 2014 des devises asiatiques. Le dollar de Hong Kong et le dollar de Singapour se rapprochent de leur juste valeur. Le real brésilien est actuellement surévalué d environ 5%. Nous n anticipons de dépréciation que sur deux devises : le shekel israélien et le riyal d Arabie saoudite, qui nous semblent surévaluées. Toutefois, dans l ensemble, les devises émergentes affichent des valorisations largement supérieures à celles d il y a deux ans (cf. graphique n 1). Une approche dynamique Notre deuxième approche est plus dynamique que l analyse Balassa-Samuelson. Elle compare les taux de change actuels à une valeur d équilibre future. Dans le cadre de cette approche, nous cherchons à identifier les facteurs de long terme qui ont une importance statistique dans l évolution des taux de change réels. Enfin, nous déterminons des taux de changes réels d équilibre par le biais d un modèle BEER 2 (Behavioural Equilibrium Exchange Rate). À partir d une analyse de régression à paramètres multiples fondée sur des échantillons de données, nous développons deux modèles d effets fixes. Le premier inclut 31 devises, tandis que l autre ne regroupe que les devises du G-10. Tous les calculs sont réalisés à partir des taux de change bilatéraux, employant le dollar américain comme devise de référence. Notre modèle le plus complet, qui regroupe 31 taux de change par rapport au dollar américain et sept taux de change par rapport à l euro, produit les résultats suivants (à la fin du premier trimestre 2014) : La grande majorité des devises émergentes sont actuellement sous-évaluées en termes réels par rapport au dollar américain. D après notre modèle, les taux de change de 16 des 21 devises de pays ne relevant pas du G-10 ayant fait l objet d une analyse sont en-deçà de leur valeur fondamentale de long terme. C est le cas notamment du renminbi chinois, des roupies indonésienne et indienne, ainsi que de la livre turque, du rand sud-africain et du rouble russe. Leur sous-évaluation est comprise entre 5% et 15%, et peut même aller jusqu à 20% dans le cas du nouveau sol péruvien. D autre part, les taux de change du real brésilien, du forint hongrois et de la couronne tchèque sont quelque peu supérieurs aux niveaux justifiés par leurs fondamentaux. 2 La recherche opère une distinction entre le modèle FEER (Fundamental Equilibrium Exchange Rate) et le modèle BEER (Behavioural Equilibrium Exchange Rate). Les modèles FEER plus exhaustifs visent à calculer le taux de change réel effectif qui correspond à l équilibre macroéconomique. En revanche, le BEER vise à modéliser la connexion entre les taux de change réels et les variables économiques les plus pertinentes en utilisant une sélection limitée de données fondamentales (cf. Clark/MacDonald: Exchange Rates and Economic Fundamentals: A Methodological Comparison of BEERs and FEERs, 1998). Au lieu des taux de change effectifs, AllianzGI se concentre sur les taux de change bilatéraux par rapport au dollar US. 25
DEVISES 02 MODÈLE EXHAUSTIF : SUR / SOUS-ÉVALUATION (EN %) SURÉVALUÉ USD/RON USD/BRL USD/CHF GBP/USD USD/CZK USD/SGD EUR/USD AUD/USD 0 % -5 % 10 % 15 % 20 % EUR/NOK USD/CLP USD/ZAR EUR/PLN USD/IDR USD/TRY SOUS-ÉVALUÉ USD/PEN NZD/USD 15 % USD/HUF 10 % 5 % USD/TWD EUR/SEK USD/CNY USD/NOK USD/INR USD/MXN USD/PLN USD/COP USD/SEK USD/JPY EUR/HUF USD/RUB USD/CAD USD/KRW EUR/CHF USD/PHP EUR/GBP USD/THB EUR/CZK USD/ILS Source : Allianz Global Investors, calculs internes, mars 2014 «Les résultats de notre analyse de juste valeur confortent notre perspective positive à long terme sur les devises émergentes et la dette émergente libellée en devise locale.» 26
Update III/2014 L euro peut actuellement sembler surévalué (même si la devise reste dans ses bornes de fluctuation historiques) mais, d après notre modèle, elle était très fortement sous-évaluée au début de la décennie. Du fait de sa forte dépréciation depuis le milieu de l année 2012, le yen japonais a retracé la totalité de sa précédente surévaluation. Les devises australienne et néozélandaise en particulier comptent parmi les plus surévaluées des devises analysées. Dans l ensemble, et conformément aux attentes, les taux de change ont subi des fluctuations nettement plus importantes que ne le justifiaient leurs fondamentaux. Ce constat confirme le rôle prépondérant des facteurs techniques et spéculatifs sur les marchés durant notre courte période de référence (cf. graphique n 2).. En conclusion, les deux approches produisent des résultats similaires pour les marchés émergents. Par conséquent, la plupart des devises émergentes sont effectivement sous-évaluées en termes réels. Il est particulièrement rassurant de constater que ces deux approches, bien que fondées sur des principes distincts (bien qu elles utilisent toutes les deux le PIB par habitant comme paramètre explicatif), produisent des résultats aussi proches. Les résultats de notre analyse de juste valeur confortent notre perspective positive à long terme sur les devises émergentes et la dette émergente libellée en devise locale. De nombreuses devises émergentes sont actuellement bien plus attrayantes qu elles ne l étaient il y a deux ans. Par conséquent, une exposition aux devises émergentes nous semble pertinente dans l environnement actuel, en particulier pour les investisseurs situés dans la zone euro. Stefan Hofrichter dirige depuis 2011 le département mondial d analyse économique et stratégique d Allianz Global Investors. L économie européenne, l allocation d actifs et les stratégies actions sont au cœur de ses activités de recherche. En 1996, il a rejoint AllianzGI en qualité de gérant d actions européennes. Depuis 1998, il participe à la recherche macroéconomique. Entre 2004 et 2010, il a également géré des fonds européens et internationaux diversifiés, des fonds multi-classes d actifs de performance absolue, ainsi que des fonds de portage d alpha multi-gérants. Depuis 2004, Stefan Hofrichter est membre de l équipe Global Policy d AllianzGI, qui définit les prévisions de marchés à moyen terme de la société. Depuis 2013, il est membre du Comité d investissement dédié à l allocation d actifs tactique, qui coordonne la stratégie d investissement des fonds diversifiés gérés en Europe. Stefan Hofrichter a été diplômé en 1995 d un «Diplom-Volkswirt» (en sciences économiques) de l Université de Konstanz ainsi que d un «Diplom-Betriebswirt» décerné par l académie spécialisée de la Deutsche Bundesbank, à Hachenbourg. Depuis 2000, il est également titulaire de la certification Chartered Financial Analyst. Martin Hochstein est membre de l équipe d analyse économique et stratégique et dispose de plus de 16 ans d expérience de l investissement. Avant de rejoindre Allianz Global Investors/RCM en juin 2009, il a travaillé en qualité de gérant de fonds senior en charge des fonds obligataires internationaux et européens chez Cominvest, ainsi que Deka Investment et a dirigé jusqu en 2004 la gestion de fonds obligataires et monétaires chez SEB Asset Management en Allemagne. Martin Hochstein a étudié les sciences économiques à l Université de Siegen et est titulaire du CFA depuis 2003. 27