CAS CLINIQUES Progrès en Urologie (1996), 6, 93-97 Syndrome d arrêt des antiandrogènes dans le traitement hormonal du cancer de la prostate métastatique en échappement hormonal Yvan BARTHELEMY, Marc COLOMBEL, Daniel GASMAN, Jean-Jacques PATARD, Dominique CHOPIN, Clément-Claude ABBOU Service d Urologie, Hôpital Henri Mondor, Créteil RESUME Pendant la phase d échappement hormonal d un cancer de la prostate traité par blocage androgènique complet une chute du taux de PSA après arrêt des antiandrogènes a été décrite. Nous rapportons un nouveau cas : Patient traité initialement par pulpectomie et Nitulamide pour un adénocarcinome N+. (PSA à 165 ng/ml). A la phase d échappement hormonal, l arrêt du nitulamide a entraîné une diminution du PSA. Le remplacement du nitulamide par l acétate de cyprotérone a entraîné une réaugmentation du PSA qui a de nouveau diminué après arrêt de celui-ci. Trois ans après arrêt le taux de PSA est à 3,5 ng/ml. Ce syndrome est problablement du à la mutation du récepteur aux androgènes. En échappement hormonal, l arrêt de tout antiandrogène hormis les analogues de la LH-RH est recommandé et peut être suivi d une baisse temporaire du PSA. Aucun autre antiandrogène ne doit être administré en remplacement du précédent. Mots clés : Adénocarcinome prostatique, prostate specific anti - gen, traitement hormonal, antiandrogène. Progrès en Urologie (1996), 6, 93-97. Le traitement palliatif actuel du cancer de la prostate métastatique est le blocage androgènique complet par association d une castration médicale ou chirurgicale associée à un antiandrogène. La diminution du taux de PSA à l introduction du traitement reflète l efficacité de celui-ci. Lors de l échappement hormonal qui survient en moyenne 18 mois après l introduction du traitement hormonal il existe une réascension progressive du taux de PSA et il n existe alors pas de thérapeutique efficace à ce stade. Récemment ont été décrites des diminutions du taux de PSA après arrêt des antiandrogènes non stéroïdiens lors de la phase d échappement hormonal. Ce sont KELLY et SCHER en mars 1993 [6] qui ont les premiers décrit ce phénomène à l arrêt du Flutamide et qui l ont appelé The Flutamide Withdrawal Syndrome. D autres publications ont depuis décrit ce syndrome avec le Flutamide ou le Casodex [2, 7, 8, 9]. Plus récemment, deux études ont décrit ce syndrome avec des antiandrogènes stéroïdiens [1,3]. Nous rapportons une observation de syndrome d arrêt des antiandrogènes successivement au Nitulamide et à l Acétate de Cyprotérone, ce qui correspond au remplacement d un antiandrogène par un autre. CAS CLINIQUE Il s agit d un patient de 71 ans, diabétique et hypertendu, opéré d un anévrysme de l aorte en 1986, chez qui a été fait le diagnostic d adénocarcinome prostatique en 1988 devant une hypertrophie nodulaire de la prostate associée à des adénopathies rétropéritonéales découvertes sur le scanner abdomino-pelvien. Le taux de PSA initial était à 165 ng/ml et le taux de PAP à 51,7. Les biopsies prostatiques faites en décembre 1988 ont montré un adénocarcinome bien différencié de score de Gleason 4 (2+2). La scintigraphie osseuse ne montrait pas de localisations secondaires. Le patient a été traité initialement par pulpectomie associée à un traitement par Nitulamide (Anandron ) 300 mg par jour pendant 1 mois puis 150 mg par jour les mois suivants. Le taux de PSA est passé de 165 ng/ml initialement à 2,06 ng/ml en février 1989 puis à 0,50 ng/ml en août 1989 (taux normal inférieur à 2,5 ng/ml) (Figure 1). En août 1990, (18 mois après l instauration du traitement) apparaît un échappement hormonal avec ascension du taux de PSA à 1,15 ng/ml allant jusqu à 11,20ng/ml en février 1992. (taux normal inférieur à 4 ng/ml) (Figure 2). A l examen clinique la loge prostatique est plate et souple. Le scanner abdominopelvien montre une dispa- Manuscrit reçu le 2 octobre 1995, accepté : novembre 1995. Adresse pour correspondance : Dr. Y. Barthélémy, Service d Urologie, Hôpital Henri Mondor, 51, avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 94010 Créteil Cedex. 93
rition des adénopathies rétropéritonéales et la scintigraphie osseuse montre l absence de lésions secondaires. Le traitement par Nitulamide est alors interrompu et le taux de PSA passe alors de 11,2 à 5,20 ng/ml en 1 mois. Le traitement par Nitulamide 150 mg/jour est alors repris et le taux de PSA s élève de nouveau progressivement jusqu à 24,70 ng/ml (taux normal inférieur à 4 ng/ml) en juin 1992. Le traitement par Nitulamide est alors définitivement interrompu et le taux de PSA s abaisse alors en 1 mois à 13,20 ng/ml (Figure 2). Un traitement par acétate de cyprotérone (Androcur ) est débuté en juillet 1992 à la dose de 150 mg/jour. Le taux de PSA s élève de nouveau jusqu à 31 ng/ml en septembre 1992 date à laquelle est arrêté tout traitement chimique antiandrogène. Le taux de PSA va alors décroître progressivement jusqu à un taux de 3,5 ng/ml en mars 1995 (taux normal inférieur à 2,5 ng/ml). Le scanner abdominopelvien et la scintigraphie osseuse ne montrent ni adénopathies ni localisations secondaires (Figure 2). DISCUSSION Il a été observé dans cette observation une diminution de 53,5% et de 46,5% du taux de PSA après les deux arrêts successifs du Nitulamide et une réascencion du taux de PSA après chaque réintroduction d un antiandrogène. De plus, le taux de PSA a diminué progressivement de plus de 90% en 32 mois après arrêt définitif de l acétate de cyprotérone. KELLY et SCHER [6] ont décrit les 3 premiers cas en 1993 après arrêt du Flutamide chez 3 patients ayant eu soit une pulpectomie ou ayant un traitement par analogues de la LH-RH. La durée de la diminution du taux de PSA était comprise entre 2 et 3 mois et l importance de la diminution était entre 36 et 89%. CUSAN [2] a décrit un cas semblable après arrêt du Flutamide chez un patient traité par ailleurs par analogues de la LH-RH. Deux ans après l arrêt le taux de PSA est à 0,5 ng/ml. DUPONT et al. [4] a confirmé ce syndrome d arrêt du Flutamide en évaluant la réponse clinique, scintigraphique et biologique chez 40 patients en échappement hormonal. 75% des patients étaient «répondeurs» avec diminution des lésions scintigraphiques. La durée moyenne de la réponse était de 14,5 mois. Le PSA était diminué chez 85 % des patients et l importance de cette diminution était corrélée à la durée de réponse. C est SMALL [9] en 1994 qui décrit le premier ce syndrome après arrêt du Casodex chez un patient traité par analogue de la LH-RH chez qui le taux de PSA a diminué de 53% en 1 mois. NIEH [7] a confirmé le syndrome d arrêt des antiandrogènes au Casodex chez 3 patients traités par analogues de la LH-RH. Plus récemment, une diminution du PSA a été décrite chez les patients en échappement hormonal et traités par castration chirurgicale associée à un antiandrogène stéroïdien. AKAKURA et al. [1] décrit 2 patients chez qui le taux de PSA a diminué après arrêt de l acétate de chlormadinone. La durée de diminution du taux de PSA était comprise entre 10 et 14 mois. DAWSON et al. [3] a décrit ce syndrome chez un patient traité par pulpectomie et acétate de megestrol. La durée de diminution du taux de PSA était de 5 mois. Aucun auteur ne mentionne le syndrome d arrêt des antiandrogènes au Nitulamide et à l acétate de cyprotérone (Androcur ) ce qui est le cas dans notre observation. SH E R et KE L LY [8] ont étudié plus en détail la chronologie du traitement des patients répondeurs à l arrêt des antiandrogènes. Sur 36 patients traités par castration médicale ou chirurgicale associée à un traitement par Flutamide seuls 16 patients (44%) étaient répondeurs. (10 patients avec une diminution du taux de PSA supérieur à 50% et 6 avec une diminution inférieure à 50%). Les 10 patients ayant le mieux répondus à l arrêt du Flutamide avaient tous eu un traitement combiné initial. Parmi les 9 ayant eu un traitement initial par orchidectomie et Flutamide, 6 (66%) étaient répondeurs et parmi les 16 patients ayant eu un traitement initial par analogues de la LH-RH associé au Flutamide, 4 (25%) étaient répondeurs. D après cette étude les meilleurs «répondeurs» seraient les patients traités initialement par blocage androgènique complet par l association orchidectomie - Flutamide. Ces résultats n ont pas été confirmés par les autres auteurs ou certains patients avaient eu un traitement initial par Casodex seul [7, 9] ou par orchidectomie seule [3, 6]. En revanche le patient décrit dans notre observation avait eu un traitement initial associant d emblée orchidectomie et Nitulamide. Ni le taux de PSA initial, ni le score de Gleason, ni le nombre et la localisation des métastases ne semblent être des facteurs prédictifs de réponse à l arrêt des antiandrogènes. Seule l importance de la durée du traitement par antiandrogène serait un facteur prédictif d une réponse. Le mécanisme responsable de la diminution du taux de PSA après arrêt des antiandrogènes serait une mutation du récepteur aux androgènes des cellules adénocarcinomateuses prostatiques [2, 6, 11]. Il en résulterait un effet paradoxal des antiandrogènes qui stimuleraient les cellules carcinomateuses prostatiques au lieu de les inhiber. 94
Taux de PSA (ng/ml) 150 100 Taux de PSA Normale 50 0 Oct-88 Déc-88 Jan-89 Fév-89 Aoû-89 Nov-89 Mai-90 Aoû-90 Déc-90 Mar-91 Mai-91 Sep-91 Déc-91 Fév-92 Avr-92 Mai-92 Jun-92 Jul-92 Aoû-92 Sep-92 Oct-92 Jan-93 Fév-93 Mar-93 Avr-93 Mai-93 Jun-93 Jul-93 Aoû-93 Sep-93 Oct-93 Déc-93 Fév-94 Mai-94 Jun-94 Aoû-94 Nov-94 Mar-95 Date Figure 1. Courbe globale du PSA en fonction du temps. TAUX de PSA Arrêt Acétate de Cyprotérone 30 Arrêt NITULAMIDE TAUX de PSA Taux normal 20 Arrêt NITULAMIDE 10 Acétate de Cyprotérone 0 NITULAMIDE DATE Jan-89 Fév-89 Aoû-89 Nov-89 Mai-90 Aoû-90 Déc-90 Mar-91 Mai-91 Sep-91 Déc-91 Fév-92 Avr-92 Mai-92 Jun-92 Jul-92 Aoû-92 Sep-92 Oct-92 Jan-93 Fév-93 Mar-93 Avr-93 Mai-93 Jun-93 Jul-93 Aoû-93 Sep-93 Oct-93 Déc-93 Fév-94 Mai-94 Jun-94 Aoû-94 Nov-94 Mar-95 Figure 2. Courbe du taux de PSA en fonction du temps à partir de janvier 1989. 95
ANTIANDROGENES CELLULES CARCINOMATEUSES PROSTATIQUES AUGMENTATION DE marn AUGMENTATION DU PSA + R AUGMENTATION DE LA DHT R : RECEPTEUR AUX ANDROGENES MUTE STIMULATION DE LA CROISSANCE CELLULAIRE Figure 3. Mécanisme de stimulation du récepteur muet aux androgènes. Le récepteur muté stimulé par les antiandrogènes entraînerait une augmentation de la synthèse de l ARN messager codant pour le PSA expliquant la chute de celui-ci après arrêt de la stimulation [6]. De plus la mutation du récepteur entraînerait des altérations intracellulaires prostatiques de la biosynthèse et/ ou du métabolisme des androgènes entraînant une augmentation du taux de DHT stimulant ainsi la croissance cellulaire [2]. Cette mutation serait favorisée par la stimulation du récepteur aux androgènes par les antiandrogènes. La durée de traitement par antiandrogène serait un facteur de risque de mutation [9]. VELDSHOLTE [11, 12] a étudié le récepteur muté des cellules LNCaP. Les cellules LNCaP sont des cellules humaines dérivant d un ganglion métastatique d un adénocarcinome prostatique. Cette lignée cellulaire est la seule ayant une hormonosensibilité sans être hormonodépendante (croissance in vitro sans stimulation androgènique) [5]. La mutation est en position 868 sur la chaîne des acides aminés où une thréonine est remplacé par une alanine. L affinité des antiandrogènes pour le gène muté est augmenté ce qui favoriserait la stimulation du récepteur et augmenterait la croissance cellulaire (Figure 3). Ceci a été confirmé par TA P L I N et al. [10] qui a montré la mutation du récepteur dans les cellules carcinomateuses prostati ques chez l homme. Parmi 10 patients en échappement hormonal, 5 avaient une mutation du récepteur aux antiandrogènes. La mutation était différente chez chaque patient et chez l un d eux la mutation était situé sur le même codon que la mutation décrite pour les cellules LNCaP. Chez un patient il existait 4 mutations du récepteur aux antiand r o g è n e s. Ce syndrome d arrêt des antiandrogènes a donc été décrit pour tous les antiandrogènes qu ils soient stéroïdiens ou non stéroïdiens. Certains [6, 9] conseillent l arrêt des antiandrogènes pendant au moins 30 jours en cas d échappement hormonal afin de savoir si le patient est répondeur avant d envisager un traitement complémentaire d autant que le patient a été d emblée traité par un blocage androgènique complet. Faut-il remplacer un antiandrogène par un autre? Notre observation semble pouvoir répondre par la négative même si le second antiandrogène est de nature différente. CONCLUSION Le syndrome d arrêt des antiandrogènes est la diminution du taux de PSA après arrêt des antiandrogènes chez les patients en échappement hormonal ayant par ailleurs eu une castration chirurgicale ou ayant un traitement par analogues de la LH-RH. Ce syndrome a été décrit avec tous les antiandrogènes et est du à la mutation du récepteur aux androgènes des cellules carcinomateuses prostatiques. Il est donc conseillé chez un patient en échappement hormonal traité par blocage androgènique complet (orchidectomie ou analogues plus antiandrogènes) d arrêter les antiandrogènes pendant au minimum 30 jours afin de savoir si cet arrêt entraîne une diminution du taux de PSA. Dans ce cas aucun antiandrogène ne 96
doit être administré au patient en remplacement du précédent. Les analogues de la LH-RH s ils sont associés doivent par contre être poursuivis. REFERENCES 1. AKAKURA K., AKIMOTO S., OHKI T. Antiandrogen withdrawal syndrome in prostate cancer after treatment with steroidal antiandrogen chloramidone acetate. Urology, 1995, 45, 4, 700-705. 2. CUSAN L., GOMEZ J.L., DUPONT A. et al. Metastatic prostate cancer pulmonary nodules : beneficial effects of combination therapy and subsequent withdrawal of flutamide. The Prostate, 1994, 24, 257-261. 3. DAWSON N.A., Mc LEOD D.G. Dramatic prostate specific antigen decrease in response to discontinuation of megestrol acetate in advanced prostate cancer : expansion of the antiandrogen withdrawal syndrome. J. Urol., 1995, 153, 1946-1947. 4. DUPONT A., GOMEZ J.L., CUSAN L. Response to flutamide withdrawal in advanced prostate cancer in progression under combination therapy. J. Urol., 1993, 150, 908-913. 5. HOROSZEWICZ J.S., LEONG S.S., KAWINSKI E. et al. LNCaP model of human prostatic carcinoma. Cancer Res., 1983, 43, 1809-1818. 6. KELLY K., SCHER H.I. Prostate specific antigen decline after antiandrogen withdrawal : the flutamide withdrawal syndrome. J. Urol., 1993, 149, 607-609. a reduction of the PSA. Replacement of nitulamide by cytoprote - rone acetate was followed by a renewed increase of PSA, which again decreased after stomming cypro t e rone acetate. T h re e years later, the PSDA level was 3.5 ng/ml. This syndrome is pro - bably due to mutation of the androgen receptor. In hormonal escape, suspension of all antiandrogens apart from LHRH ana - logues is recommended and can be followed by a temporary fall of PSA. No other antiandrogen must be administered in the place of the previous drug.. Key words : Prostatic adenocarcinoma, prostatic specific anti - gen, hormonal treatment, antiandrogens. 7. NIEH P.T. Withdrawal phenomen with the antiandrogen casodex. J. Urol., 1995, 153, 1070-1073. 8. SCHER H.I., KELLY W.K. Flutamide withdrawal syndrome : its impact on clinical trials in hormone-refractory prostate cancer. J. Clin. Oncol., 1993, 11, 1566-1572. 9. SMALL E.J., CARROLL P.R. Prostate specific antigen decline after casodex withdrawal : evidence for an antiandrogen withdrawal syndrome. Urology, 1994, 43, 408-410. 10. TAPLIN M.E., BUBLEY G.J., SHUSTER T.D. et al. Mutation of the androgen-receptor gene in metastatic androgen-independent prostate cancer. N. Eng. J. Med., 1995, 332, 1393-1398. 11. VELDSCHOLTE J., BERREVOETS C.A., BRINKMANN A.O. Anti-androgens and the mutated androgen receptof of LNCaP cells : differential effects on binding affinity, heat-shock protein interaction and transcription activation. Biochemistry, 1992, 31, 2393-2399. 12. VELDSCHOLTE J., RIS-STALPERS C., KUIPER G.G.J.M. et al. A Mutation in the ligand binding domain of the androgen receptor of human LNCaP cells affects steroid binding characteristices and response to anti-androgens. Biochem. Biophys. Res. Commun., 1990, 173, 534-540. SUMMARY Antiandrogen withdrawal syndrome in the endocrine treatment of metastatic prostatic cancer at the stage of hormonal escape. A fall in the PSA level after stopping antiandrogens has been described at the stage of hormonal escape of prostatic cancer treated by complete androgen inhibition. The authors report a new case. The patient was initially treated by pulpectomy and nitulamide for N+ prostatic carcinoma (PSA : 165 ng/ml). At the stage of hormonal escape, discontinuation of nitulamide induced 97