Les facteurs d environnement au cours des maladies inflammatoires chroniques de l intestin

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Mini-revue Les facteurs d environnement au cours des maladies inflammatoires chroniques de l intestin doi: 10.1684/hpg.2013.0850 Environmental risk factors in inflammatory bowel disease: an update Antoine Racine, Marie-Christine Boutron, Franck Carbonnel H^opitaux Universitaires Paris Sud, site de Bic^etre, service de gastroenterologie, 78 rue du General Leclerc 94270, Le Kremlin Bic^etre ; Unite INSERM 1018 Equipe 9-E3N, Centre de Recherche en Epidemiologie et Sante des Populations, Institut Gustave Roussy, Espace Maurice Tubiana, 39, Rue Camille Desmoulins, 94805 Villejuif CEDEX e-mail : <fcarbonnel7@gmail.com> HEPATO GASTRO et Oncologie digestive y Tires a part : F. Carbonnel Resume L augmentation recente de l incidence des maladies inflammatoires chroniques de l intestin (MICI), leur repartition geographique, les etudes effectuees chez les migrants et la concordance incomplete entre jumeaux monozygotes montrent que les facteurs lies a l environnement ont un r^ole important dans la cause des MICI. Pendant longtemps, le tabac (protecteur dans la rectocolite hemorragique (RCH), deletere dans la maladie de Crohn (MC)) et l appendicectomie (protecteur dans la RCH) ont ete les seuls facteurs reconnus. Recemment, d autres facteurs associes aux MICI ont ete identifies : la faible exposition solaire et la carence en vitamine D, les infections intestinales, certains medicaments (AINS, antibiotiques, œstroprogestatifs), une alimentation riche en proteines animales et en acides gras n-6. Ces facteurs pourraient ^etre a l origine d une dysbiose et favoriser l eclosion d une MICI chez des individus genetiquement predisposes. La recherche des facteurs d environnement des MICI est utile pour ameliorer la comprehension et la prise en charge de ces maladies : prevention chez les individus genetiquement predisposes et contr^ole du cours evolutif chez les individus malades. n Mots cles : maladie inflammatoire chronique intestinale, epidemiologie, facteur de risque, environnement Abstract The rapid increase in the incidence of inflammatory bowel disease (IBD), their geographic distribution, studies of migrant populations and the lack of complete concordance in monozygotic twins show that environmental factors play an important role in IBD. For a long time, smoking (protective in ulcerative colitis (UC) and deleterious in Crohn disease (CD)) and appendectomy (protective in UC) were the only known factors. Recently, other factors involved in IBD were identified: low sun exposure, vitamin D deficiency, gastrointestinal infections, some drugs (non steroidal anti-inflammatory, antibiotics, estrogens hormonal treatment), high dietary intakes of animal protein and n-6 fatty acids. These factors might generate an intestinal dysbiosis and then promote IBD onset in patients with genetic susceptibility. Research identifying environmental factors involved in IBD is useful to improve knowledge and management of these diseases: prevention in genetically predisposed individuals, and disease improvement in patient. n Key words: inflammatory bowel disease, epidemiology, risk factor, environment Pour citer cet article : Racine A, Boutron MC, Carbonnel F. Les facteurs d environnement au cours des maladies inflammatoires chroniques de l intestin. Hepato Gastro 2013 ; 20 : 175-179. doi : 10.1684/hpg.2013.0850 175

L a maladie de Crohn (MC) et la rectocolite hemorragique (RCH) sont caracterisees par une grande disparite de repartition dans le monde et une forte augmentation d incidence depuis cinquante ans (surtout la MC) [1]. En France, leur prevalence est estimee a 100 000 cas (60 000 MC et 40 000 RCH) et leur incidence annuelle est de 6/100 000 pour la MC et de 3 a 4/100 000 pour la RCH. La physiopathologie de ces maladies fait intervenir une composition anormale du microbiote intestinal (appelee dysbiose), une dysfonction de la barriere epitheliale, et une dysregulation de la reponse immunitaire innee et adaptative. 163 genes de predisposition aux MICI ont ete recemment identifies [2]. Ils interviennent principalement dans la regulation de la production de cytokines (interferon g, IL12, TNFa, IL10), l activation des lymphocytes B, T et NK, la reponse aux molecules d origine bacterienne et la voie JAK-STAT. Les odds ratio de la plupart de ces genes ont des valeurs comprises en 1,02 et 1,2. Les facteurs d environnement jouent aussi un r^ole important comme le suggerent les constatations suivantes [3] (tableau 1). Tout d abord, la forte augmentation de l incidence des MICI depuis 50 ans ne peut s expliquer par une modification du patrimoine genetique sur une si courte periode. Ensuite, l agregation spatio-temporelle des cas de MICI au sein de collectivites (clusters) voire d un couple suggere l exposition a des facteurs d environnement communs. De plus, il a ete montre que l incidence des MICI chez les migrants originaires d une zone de faible incidence vers une zone de forte incidence atteint celle du pays d accueil apres une generation [3]. Enfin, la concordance phenotypique entre les jumeaux monozygotes est seulement de 30 % dans la MC et de 15 % dans la RCH [3]. Le tabac et l appendicectomie Le tabac favorise la survenue de la MC, ses poussees et ses complications. A l inverse, l arr^et du tabac favorise la Tableau 1. Arguments en faveur du rôle des facteurs environnementaux. Forte augmentation de l incidence des MICI depuis 50 ans Disparité de la répartition géographique des MICI avec gradient Nord-Sud en Europe occidentale et aux USA Agrégation de cas de MICI au sein de collectivités ou de couples partageant les m^emes expositions environnementales Équilibration de l incidence des MICI chez les migrants avec l incidence de la population d accueil dès la 2 e génération Concordance phénotypique incomplète chez les jumeaux monozygotes survenue de RCH (dans les 2 a 3 ans suivant l arr^et) et les non-fumeurs ont une evolution plus grave que les fumeurs. Les substituts nicotiniques ameliorent le cours evolutif de la RCH (au prix d effets indesirables invalidant au long cours). L appendicectomie a un effet protecteur vis-a-vis de la RCH, si elle est pratiquee avant l ^age de 20 ans, et pour une appendicite aigu e. Les patients atteints de RCH qui ont subi une appendicectomie dans ces conditions ont une maladie moins severe. En revanche, il n existe pas d association entre l appendicectomie et la MC. Le tabagisme est délétère dans la maladie de Crohn et bénéfique dans la rectocolite hémorragique L appendicectomie est associée à une diminution du risque et de l évolutivité dans la rectocolite hémorragique La piste infectieuse Il existe une association entre les infections intestinales communautaires virales ou bacteriennes (Salmonella, Campylobacter) et la survenue de MICI. Cette association est plus forte pour la MC que pour la RCH et dans la premiere annee qui suit l infection [4]. Certains agents infectieux pourraient avoir un r^ole specifique. Les 3 plus importants sont Yersinia pseudotuberculosis, les mycobacteries atypiques et Escherichia Coli adherent-invasif (AIEC). Selon la theorie de la chaîne du froid, elaboree par Jean-Pierre Hugot, Yersinia survit au refrigerateur et jouerait un r^ole central en stimulant la production de NFKB, favorisant ainsi l eclosion de MICI chez les individus ayant un variant de NOD2 [5]. Des donnees experimentales montrent une interaction moleculaire entre une proteine de Yersinia nommee YopJ et NOD2 [6]. De plus, sous la stimulation de TLR-2, les monocytes infectes par Yersinia pseudotuberculosis favorisent la production de NFKB et l augmentation de la permeabilite intestinale au niveau des plaques de Peyer [6]. Le r^ole des mycobacteries atypiques est controverse mais vient d ^etre relance par la decouverte recente de genes communs a la MC et au contr^ole de l immunite antimycobacterie [2]. Un groupe d E. Coli ayant des proprietes d adhesion et d invasion de l epithelium (nomme AIEC pour «adherent-invasive E. coli») a ete decrit dans la muqueuse ileale de patients atteints de MC en 1998 par le groupe d Arlette Darfeuille-Michaud. La presence d AIEC a ete trouvee chez 36 % des malades ayant une MC de l ileon et 6 % des temoins [7]. Des interactions entre les AIEC et differentes molecules et cellules de l h^ote ont ete decrites. L adhesion 176

Environnement et MICI d AIEC a la muqueuse ileale des patients atteints de MC est favorisee par le deficit de synthese des defensines, les anomalies de l autophagie, l expression anormale de CEACAM6 et de la proteine du stress du reticulum endoplasmique gp96 ainsi que par l augmentation des cellules M associee aux mutations de NOD2. Mais les AIEC declenchent aussi la production de cytokines par les macrophages infectes, ce qui entraîne une augmentation de la colonisation et de l inflammation de l ileon. De ce fait, les AIEC pourraient jouer un r^ole important dans la chaîne causale qui est a l origine de la MC et constituent une cible therapeutique potentielle. Les infections intestinales communautaires favorisent la survenue de MICI Yersinia pseudotuberculosis, les mycobactéries atypiques et Escherichia Coli adhérent-invasif pourraient jouer un rôle spécifique au cours des MICI L exposition solaire et la vitamine D Le gradient Nord-Sud decroissant de repartition des MICI, observe en Europe occidentale et aux USA, suggere que l exposition solaire a un r^ole dans la physiopathologie des MICI. Une carence en vitamine D est associee a la survenue de plusieurs maladies auto-immunes proches de la MC par l implication des lymphocytes TH1 (polyarthrite rhumatoïde et sclerose en plaques). De plus, plusieurs etudes observationnelles ont retrouve une association entre un faible niveau d exposition solaire et donc de vitamine D et la survenue et la severite de la MC[8-10]. Enfin, dans un essai randomise contr^ole, les patients atteints de MC supplementes par 1 200 UI de vitamine D3 par voie orale avaient tendance a moins rechuter a 1 an que les patients du groupe placebo (p = 0,06) [11]. L association entre la RCH et la carence en vitamine D ou la faible exposition solaire est moins nette qu avec la MC. Des essais randomises sont actuellement en cours pour evaluer l effet de la supplementation en vitamine D des patients atteints de MC et de RCH. L exposition solaire semble avoir un effet protecteur vis-à-vis de la maladie de Crohn L intér^et d une supplémentation orale en vitamine D3 est suggéré au cours de la maladie de Crohn L alimentation Dans le passe, de nombreuses etudes cas-temoin ont cherche une association entre la composition de l alimentation et la survenue de MICI. Une revue generale de ces travaux a montre qu un apport eleve en graisses, acides gras polyinsatures de la serie n-6 et en viandes etait associe avec un risque majore de MC. En revanche, un apport eleve en fibres et en fruits etait associe avec une diminution du risque de MC, tandis qu un apport eleve en legumes etait associe a un risque moindre de RCH [12]. Les etudes retrospectives qui interrogent les malades sur leur alimentation avant le diagnostic de leur pathologie sont soumises a un biais de rememoration et de causalite inverse. Recemment, plusieurs etudes de cohortes prospectives ont apporte un eclairage nouveau sur les liens entre alimentation et MICI. Une alimentation riche en acides gras polyinsatures n-6 est associee a la survenue de RCH, tandis que les acides gras polyinsatures n-3 ont un effet oppose [12]. Une etude prospective menee en France et recemment confirmee a l echelle europeenne a trouve une association significative entre l apport en proteines animales et la survenue de MC chez les femmes d ^age moyen [13]. Des travaux recents montrent que l alimentation modifie la composition du microbiote intestinal y compris chez les adultes. Un regime riche en proteines et en graisse est associe a l enterotype Bacteroides alors qu un regime riche en hydrates de carbone est associe avec l enterotype Prevotella [14]. De plus, dans un modele murin [15], un regime riche en graisses saturees augmente le contenu intestinal en acide taurocholique et favorise l expansion d une bacterie reductrice de sulfites appelee Bilophilia wadworthia. Cette bacterie favorise la survenue d une colite chez les souris genetiquement predisposees (IL10 -/- ). L alimentation modifie la composition du microbiote intestinal Un régime riche en protéines animales et en acides gras n-6 est associé à un risque augmenté de MICI Les médicaments Six etudes de cohortes prospectives ont trouve une association entre l exposition aux antibiotiques et la survenue de MICI. Cet effet est important dans l enfance, ^age clef de l acquisition de la flore intestinale, et pour les antibiotiques anti-anaerobies [16]. Chez la femme, les traitements œstroprogestatifs contraceptifs [17], ou substitutifs lors de menopause sont associes 177

Tableau 2. Facteurs d environnement ayant un rôle probable (une étude prospective) ou certain (plus d une étude prospective). Facteurs certains : Tabac Appendicectomie Infections intestinales Antibiotiques Facteurs probables : Vitamine D Alimentation riche en protéines animales et en acides gras n-6 AINS Èstroprogestatifs a un risque augmente de MICI [18], en revanche aucun effet n est demontre sur le cours evolutif des MICI prevalentes. Les anti-inflammatoires non steroïdiens augmentent le risque de MICI incidente et egalement celui de poussee evolutive chez les patients ayant une MICI prevalente [19]. L isotretinoïne initialement incriminee dans la RCH ne semble pas ^etre associee a un risque de RCH ni de MC (Racine et al., DDW 2012) (tableau 2). Les antibiotiques, les AINS et les œstroprogestatifs sont associés à une augmentation de risque des MICI T ake home messages & Les facteurs environnementaux jouent un r^ole important dans la physiopathologie et la progression actuelle des MICI. & Le tabac, les infections intestinales, la prise d antibiotiques d AINS, d œstroprogestatifs, une carence en vitamine D, une alimentation riche en acides gras polyinsatures n-6 et en proteines d origine animale sont associes a une augmentation du risque de MICI. & La recherche des facteurs d environnement des MICI est utile a leur comprehension et a leur prise en charge. Elle peut contribuer a prevenir leur survenue chez les personnes a risque et a attenuer leur cours evolutif chez les malades. L hypothèse de la dysbiose Les facteurs d environnement pourraient jouer un r^ole declenchant chez les individus ayant des predispositions genetiques de MICI. Actuellement, la plupart des facteurs d environnement identifies, comme le tabac [20], les infections intestinales, la prise d antibiotiques et l alimentation sont associes a une modification de la composition du microbiote intestinal. La dysbiose pourrait faire le lien entre ces facteurs d environnement et l inflammation intestinale observee au cours de MICI. Toutefois, certains facteurs peuvent agir sur d autres cibles, comme la barriere epitheliale (AINS) ou la reponse immunitaire (vitamine D). La flore intestinale semble ^etre la principale interface entre les facteurs d environnement et l inflammation intestinale Liens d inter^ets : AR declare les liens d inter^ets suivants : interventions ponctuelles AGA 2012 (MSD) et JFHOD 2013 (Abbott). MCB declare n avoir aucun lien d inter^et en rapport avec cet article. FC declare les liens d inter^ets suivants : participation en tant qu investigateur principal aux essais METEOR (PHRC) et CREOLE (GETAID), interventions ponctuelles : AGA 2012 (Ferring) et AGA 2013 (MSD). & Références Les references importantes apparaissent en gras 1. Cosnes J, Gower-Rousseau C, Seksik P, et al. Epidemiology and natural history of inflammatory bowel diseases. Gastroenterology 2011 ; 140 : 1785-94. 2. Jostins L, Ripke S, Weersma RK, et al. Host-microbe interactions have shaped the genetic architecture of inflammatory bowel disease. Nature 2012 ; 491 : 119-24. 3. Jantchou P, Monnet E, Carbonnel F. Environmental risk factors in Crohn s disease and ulcerative colitis (excluding tobacco and appendicectomy). Gastroenterol Clin Biol 2006 ; 30 : 859-67. 4. Mann EA, Saeed SA. Gastrointestinal infection as a trigger for inflammatory bowel disease. Curr Opin Gastroenterol 2012 ; 28 : 24-9. 5. Hugot JP, Alberti C, Berrebi D, et al. Crohn s disease: the cold chain hypothesis. Lancet 2003 ; 362 : 2012-5. 6. Meinzer U, Barreau F, Esmiol-Welterlin S, et al. Yersinia pseudotuberculosis effector YopJ subverts the Nod2/RICK/TAK1 pathway and activates caspase-1 to induce intestinal barrier dysfunction. Cell Host Microbe 2012 ; 11 : 337-51. 7. Darfeuille-Michaud A, Boudeau J, Bulois P, et al. High prevalence of adherent-invasive Escherichia coli associated with ileal mucosa in Crohn s disease. Gastroenterology 2004 ; 127 : 412-21. 8. Nerich V, Monnet E, Weill A, et al. Fine-scale geographic variations of inflammatory bowel disease in France: correlation with socioeconomic and house equipment variables. Inflamm Bowel Dis 2010 ; 16 : 813-21. 9. Jantchou P, Clavel-Chapelon F, Carbonnel F, et al. High Sun Exposure is Associated With a Decreased Risk of Incident Crohn s Disease in the E3N Cohort Study. Gastroenterology 2011 ; 140 (5 Suppl. 1) : S113. 10. Ananthakrishnan AN, Khalili H, Higuchi LM, et al. Higher predicted vitamin D status is associated with reduced risk of Crohn s disease. Gastroenterology 2012 ; 142 : 482-9. 178

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