Histoires d'outil au Paléolithique moyen : pourquoi fracturer?

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Histoires d'outil au Paléolithique moyen : pourquoi fracturer? Les exemples des industries de Chez Pourré-Chez Comte (Corrèze) et de Champlost (Yonne).

Histoires d'outil au Paléolithique moyen : pourquoi fracturer? Les exemples des industries de Chez Pourré-Chez Comte (Corrèze) et de Champlost (Yonne). Vincent LHOMME Travaux Universitaires

Couverture P. Binant pour @rchéo-éditions.com @rchéo-éditions.com 2014 Tous droits réservés ISSN 2270-9916 ISBN 978-2-36461-002-6

AVANT-PROPOS 9 INTRODUCTION 11 CHAPITRE 1 LA FRACTURE DANS LES INDUSTRIES DU PALEOLITHIQUE MOYEN, HISTORIQUE DES TRAVAUX ET OBJECTIFS DE NOTRE ETUDE 14 1-1 La fracture dans l industrie lithique au Paléolithique moyen: le débat de l intention de fracture 14 1-2 Objectifs de l'étude 19 CHAPITRE 2 METHODOLOGIE, TERMINOLOGIE, APPORTS DES DONNEES PHYSIQUES ET ISSUES D EXPERIENCES 21 2-1 Méthodologie et terminologie appliquées à l ensemble des restes lithiques des deux séries étudiées 21 2-2 Données physiques et observations issues d expériences sur les fractures 22 2-3 Terminologie et méthodologie mises en œuvre dans l analyse des restes lithiques fracturés 30 CHAPITRE 3 L INDUSTRIE LITHIQUE DU NIVEAU INFERIEUR DU GISEMENT DE «CHEZ-POURRE CHEZ-COMTE» (CORREZE) 33 3-1 Localisation et présentation du gisement 33 3-2 L industrie lithique du niveau inférieur de Chez-Pourré - Chez-Comte 42 CHAPITRE 4 L INDUSTRIE LITHIQUE DU SECTEUR SUD DU GISEMENT DE CHAMPLOST (YONNE) 133 4-1 Localisation et présentation du gisement 133 4-2 L industrie lithique de Champlost secteur sud 143 CHAPITRE 5 LE ROLE DE LA FRACTURE DU MATERIEL LITHIQUE AU PALEOLITHIQUE MOYEN, SYNTHESE ET MISE EN PERSPECTIVES DES INFORMATIONS ISSUES DES SERIES ETUDIEES 215 CONCLUSION 225 «DIX ANS APRES» 228 BIBLIOGRAPHIE 229

AVANT PROPOS Pourquoi choisir d étudier conjointement deux industries lithiques si distantes géographiquement et sans aucun lien apparent sinon leur appartenance commune au Paléolithique moyen? Une seule raison a motivé ce choix : les industries lithiques de Champlost et de la couche inférieure de Chez-Pourré-Chez-Comte présentent un taux inhabituel de pièces cassées. On peut nous objecter qu il s agit d une raison ténue qui encourage une vision des industries lithiques par le petit bout de la lorgnette. Cette objection serait valable s il s agissait seulement de rapprocher des industries selon des critères marginaux dans le domaine des études préhistoriques. Notre propos est d un autre ordre. Il vise à évaluer la signification des nombreuses pièces cassées présentes dans deux industries lithiques du Paléolithique moyen ; il n engage pas une comparaison de ces industries en dehors du domaine particulier du rôle des cassures. Ce travail est donc constitué de deux études de site distinctes, précédées d un chapitre précisant l historique et la problématique développée. Réalisées dans un premier temps selon les champs classiques (lithologique, technologique, morpho-typologique) ces études de collections sont complétées, dans un second temps, par l analyse des corpus de pièces cassées. Ces deux études servent de base à une synthèse qui tente d exploiter les données obtenues sur les cassures par l étude complète des deux industries.

Introduction Dans le domaine des études paléolithiques, une série de silex taillés constitue un ensemble de faits techniques que le préhistorien doit lire, trier et hiérarchiser, mais également tenter d interpréter avec prudence en terme de faits économiques, sociaux ou culturels. Pour ce faire le préhistorien dispose de plusieurs outils : l analyse technologique, l analyse lithologique lorsqu elle est réalisable, l analyse morphologique, la reconnaissance de types et leur présentation statistique, et, si la fouille fut méthodique, avec l aide des contributions des autres disciplines, l analyse spatiale. Il convient de noter que la plupart de ces méthodes d études sont issues d approches propres aux différentes écoles françaises d archéologie préhistorique. Il serait d ailleurs, à l heure actuelle, impossible de tenter de les opposer, toutes contribuant à l édification d une grille générale de lecture des sociétés préhistoriques. Si depuis plus d une dizaine d années, l approche technologique systématique des témoins préhistoriques, et notamment des restes lithiques, est devenue un domaine classique de la recherche paléolithique, cette vision technique de l homme n est venue que récemment compléter la vision typologique des industries, laquelle renvoie toujours à la notion de culture en Préhistoire. Élaborée pendant près d un siècle, cette approche typologique des industries demeure le fondement des découpages chrono-culturels du Paléolithique. Ces derniers sont encore globalement admis actuellement et rarement remis en cause, malgré les progrès apparus dans le domaine des méthodes physiques de datation. Ainsi, pour ce qui concerne l immense période du Paléolithique moyen, bien que des travaux récents dans le domaine de la technologie permettent de saisir avec une certaine précision la gestion du débitage et des ressources lithiques par les préhistoriques, aucun amendement majeur n est venu modifier le découpage du Moustérien occidental en différents faciès tel qu il a été établi par François Bordes (Bordes 1953c, 1967, 1984). Revenons à l image plutôt prosaïque du préhistorien à son étude. Ce dernier à la fin de son travail pourra replacer son industrie lithique dans plusieurs contextes. Pour prendre un exemple volontairement simpliste, l industrie lithique étudiée pourra être sommairement résumée en Moustérien Charentien de type Ferrassie ( culturel ), de débitage principalement Levallois récurrent unipolaire (technologique), réalisée sur des silex locaux (lithologique). Cet exemple n est là qu afin de préciser que pour les deux séries que nous nous proposons d étudier un tel résumé ne serait pas suffisant. Il faudrait y ajouter et présentant un taux de restes lithiques cassés important. Cette particularité affectant l étude de ces industries dans toutes les étapes des différentes analyses, il nous a semblé utile de nous interroger sur l origine et la signification des pièces cassées, considérant que leur présence et leur abondance pouvaient relever de faits techniques, économiques, et de fait, culturels.

Notre travail ne propose donc aucun renouvellement des méthodes de recherche en préhistoire, il tente plutôt d exploiter deux industries lithiques du Paléolithique moyen à travers une approche double, d une part, l étude classique menée sous les aspects technologiques et morpho-typologiques, d autre part, l étude d un fait particulier : la fracturation du matériel lithique. La fracture : un fait observé Notre objectif premier étant d'appréhender la signification de la fracture des restes lithiques au sein de deux industries différentes, nous avons donc manifesté à l égard de ces industries un a priori de départ : les fractures ou cassures sont des faits observables résultant en grande partie des activités préhistoriques. Toutefois, ce n est qu en confrontant les données obtenues par l étude classique des industries aux informations issues de l analyse du corpus de restes fracturés, que nous pouvons envisager d évaluer les significations anthropologiques des nombreux éléments cassés dans ces deux industries : est-ce un fait mineur ou marginal sans réelles implications? est-ce un phénomène complexe induisant des activités ou comportements particuliers? Même si ce terrain d étude n est pas réellement thématique, il en comporte tous les risques. Car si la fracture ou cassure est un fait, elle n est pas un type et ne crée pas un type, elle affecte un éclat ou un outil ; de plus, la cassure peut intervenir à chacune des étapes d une chaîne opératoire sans pour autant en changer forcément la lecture. Le piège principal serait d accorder d emblée trop d importance aux pièces cassées, et d étudier seulement les fractures dans des industries plutôt que d étudier des industries à nombreuses pièces fracturées. Le second écueil vient de la nature même du matériau étudié. Le silex comme d autres roches à cassures conchoïdales ne se travaille qu en provoquant des éclatements successifs (qui sont des cassures) à l aide de divers matériaux selon les techniques usitées (percussions diverses, pressions). Nous devons donc avant tout définir les différents éléments cassés, sachant pertinemment qu entre une portion d outil cassé et un éclat de ravivage ayant emporté une extrémité d outil il n y aura parfois pas de frontière visible. De ce fait, il est nécessaire de définir et d avoir recours à un langage particulier pour ce qui est du domaine des pièces cassées. Nous utilisons donc, dans le cadre de ce travail, un ensemble de termes, plus ou moins bien choisis mais présentant le moins d'ambiguïtés possibles. Un fragment d outil ne fait pas un nouveau type, mais comme les outils à morphologie partielle sont rares dans le moustérien, il faut pouvoir décrire ce morceau d outil sans nécessairement l attribuer à un type d outil entier.