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«L Université Paris II Panthéon-Assas n entend donner aucune approbation aux opinions émises dans le mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.» - 2 -

PRINCIPALES ABRÉVIATIONS BEPS BDCF CAA CE CFC CGI Chron. CJCE CJUE Comm. Concl. Dr. fisc. EFL Base Erosion and Profit Shifting Erosion de la base d imposition et transfert des bénéfices Bulletin des conclusions fiscales Cour Administrative d Appel Conseil d Etat Controlled Foreign Companies Sociétés Etrangères Contrôlées Code Général des Impôts Chronique Cour de Justice des Communautés Européennes Cour de Justice de l Union Européenne Commentaire Conclusions Revue de Droit Fiscal Editions Francis Lefebvre G20 Groupe des 20 GAAR Gaz. Pal. HMRC IFA General Anti-Abuse Rules / General Anti-Avoidance Rules Mesures anti-abus générales Gazette du Palais Her Majesty s Revenue and Customs Administration fiscale du Royaume-Uni International Fiscal Association - 3 -

IRC IRS IS JCP JO JOUE LGDJ LOB LPF OCDE PPT RDC RJF SAAR SEC TFUE TVA UE USC Internal Revenue Code Code fiscal américain Internal Revenue Service Administration fiscale des Etats-Unis Impôt sur les Sociétés JurisClasseur Périodique Journal Officiel Journal Officiel de l Union Européenne Librairie Générale de Droit et Jurisprudence Limitation on Benefits Limitation des avantages conventionnels Livre des Procédures Fiscales Organisation de Coopération et de Développement Economiques Principal Purpose Test Règle des avantages principaux Revue de Droit Comparé Revue de Jurisprudence Fiscale Specific Anti-Abuse Rules / Specific Anti-Avoidance Rules Mesures anti-abus spéciales Sociétés Etrangères Contrôlées Traité sur le Fonctionnement de l UE Taxe sur la Valeur Ajoutée Union Européenne United States Code - 4 -

TABLE DES MATIERES PRINCIPALES ABREVIATIONS... 3 INTRODUCTION... 9 CHAPITRE 1 ETAT DES LIEUX DE LA NOTION DE SUBSTANCE EN FISCALITE INTERNATIONALE, PILIER DE LA LUTTE CONTRE LES MONTAGES ABUSIFS... 12 SECTION 1 LA PLACE CENTRALE DE LA SUBSTANCE DANS LES PAYS DE COMMON LAW : LES EXEMPLES EMBLEMATIQUES DES ETATS-UNIS ET DU ROYAUME-UNI... 13 1. La doctrine américaine de la substance économique, une réponse efficace aux planifications fiscales agressives... 13 A. Une doctrine ancienne née de la pratique des juges... 14 1. L objectif de la doctrine : écarter le bénéfice d avantages fiscaux en cas d abus... 14 2. La naissance de la doctrine, érigée de toutes pièces par la Cour Suprême... 15 B. Une libre-appréciation de la substance par les juges, source d imprévisibilité... 16 1. Les critères d appréciation de la substance économique... 16 1.1. Le volet objectif : l impact sur la situation économique du contribuable... 17 1.2. Le volet subjectif : la poursuite d un objectif non fiscal... 17 2. L application hétérogène des critères de la substance économique... 18 2.1. Rappel préliminaire sur la charge de la preuve... 18 2.2. L application divergente des volets objectif et subjectif par les juges... 18 C. Une codification attendue de la doctrine de la substance économique : vers un renforcement de la sécurité juridique des contribuables?... 19 1. Une codification de l approche conjonctive de la substance économique... 20 2. Un dispositif anti-abus au champ d application toujours incertain... 20 2. La prévalence de la substance juridique au Royaume-Uni, une doctrine d'efficacité limitée à l'origine de la codification d'un nouvel abus de droit... 22 A. Le rejet initial de la primauté de la substance sur la forme en droit anglais... 23 1. L interprétation littérale de la législation fiscale... 23 2. La primauté de la forme sur le fond ( Form over substance )... 23 B. La reconnaissance d une doctrine de la substance économique, au champ d application limité... 25 1. La doctrine de la simulation (doctrine Ramsay )... 25 2. La doctrine de la série préconçue de transactions (doctrine Dawson )... 26 C. L introduction d une mesure générale anti-abus, réponse nécessaire face à la multiplication des schémas d évasion fiscale... 27 1. Les strictes conditions d application de la nouvelle théorie de l abus de droit... 27 2. Les garanties procédurales accordées au contribuable... 29-5 -

SECTION II. LA NOTION DE SUBSTANCE, CONCEPT-CLE DANS L APPLICATION DES DISPOSITIFS ANTI-ABUS GENERAUX ET SPECIAUX EN FRANCE... 30 1. Abus de droit, défaut de substance et montage artificiel... 31 A. La construction française de l abus de droit, arme de répression fiscale... 31 1. Une arme de répression fiscale aux contours flous... 32 1.1. Rappel préliminaire : le droit de choisir la voie la moins imposée... 32 1.2. La frontière ténue entre l optimisation fiscale et l abus de droit... 32 2. Une théorie résultant d une construction jurisprudentielle aboutie... 33 2.1. Rappel historique... 33 2.2. La réforme de l abus de droit... 34 3. Un abus de droit subdivisé en deux branches... 34 3.1. L abus de droit par fictivité... 34 3.2. L abus de droit par fraude à la loi... 35 B. L unicité d approche reflétée par les notions de défaut de substance, de montage artificiel et d effets multiples... 37 1. Le défaut de substance en droit français... 37 2. Le montage artificiel érigé par la CJUE... 38 3. Les critères d appréciation convergents du défaut de substance et de l artificialité... 40 3.1. Les indices récurrents... 40 3.2. La prise de risques économiques... 41 2. L appréciation nécessairement différenciée de la substance selon la structure dans la mise en œuvre des mesures anti-abus générales et spéciales... 43 A. Le degré de substance renforcé exigé des sociétés opérationnelles dans le cadre de la législation CFC. 44 1. Les garanties des contribuables inhérentes aux libertés européennes... 44 2. Le contenu du dispositif de l article 209 B du CGI... 45 3. L appréciation exigeante de la substance des sociétés étrangères contrôlées... 46 B. Le degré de substance réduit exigé des holdings, à l appréciation délicate... 48 1. Les multiples intérêts de la constitution d une holding... 48 1.1. Définition et types de holdings... 48 1.2. Intérêts de la constitution d une holding... 49 2. L appréciation délicate de la substance des holdings dans le cadre de l abus de droit... 49 2.1. L analyse factuelle traditionnelle de la substance des holdings... 50 2.2. La prise en compte de la rationalité économique des holdings... 52 3. Le choix du lieu de localisation des holdings : l exemple des Pays-Bas... 54 3.1. Les critères déterminant le lieu d implantation d une holding... 54 3.2. Un lieu privilégié de localisation des holdings : les Pays-Bas... 55-6 -

CHAPITRE 2 LA MISE EN ŒUVRE DE LA NOTION DE SUBSTANCE DANS LE CADRE DE LA LUTTE CONTRE LE TREATY SHOPPING... 59 SECTION 1 SUBSTANCE, TREATY SHOPPING ET DIRECTIVE SHOPPING EN DROITS FRANÇAIS ET EUROPEEN : QUELLE ARTICULATION DES DISPOSITIONS DE DROITS INTERNE, EUROPEEN ET CONVENTIONNEL?... 61 1. La lutte française contre le treaty shopping : le recours à l abus de droit... 62 A. La reconnaissance de la fraude aux conventions fiscales internationales... 62 1. L abus de droit, outil de sanction de l utilisation abusive des conventions... 63 2. L articulation de l abus de droit avec les clauses anti-abus conventionnelles... 65 B. La recherche délicate de l intention des Etats signataires des conventions fiscales... 66 1. Les méthodes d interprétation des conventions fiscales... 67 2. Le risque de dérives jurisprudentielles : un critère bientôt annihilé?... 68 2. La lutte française et européenne contre le Directive shopping : vers un abus de droit à deux vitesses?... 71 A. La répression traditionnelle de l abus du régime des sociétés mères, fondée sur la notion de montage artificiel... 71 1. Abus du régime des sociétés mères et appréciation de la substance de la filiale... 72 2. Abus du régime des sociétés mères et appréciation du caractère frauduleux de la participation au capital de la filiale... 72 B. La codification d une clause anti-abus générale, fondée sur la notion de montage non authentique... 74 1. Une clause anti-abus à la portée contraignante... 75 2. Une clause anti-abus à la définition porteuse d incertitudes... 75 2.1. Du montage artificiel au montage non authentique... 76 2.2. Une réitération du but principalement fiscal... 77 3. Une clause anti-abus déclarée conforme à la Constitution... 78 SECTION 2 SUBSTANCE ET TREATY SHOPPING A L AUNE DU PROJET BEPS : QUELLE EFFICACITE DES CLAUSES ANTI-ABUS?... 80 1. Les dispositifs traditionnels de lutte contre le treaty shopping... 81 A. La qualité de résident au sens conventionnel, une notion remodelée par la jurisprudence française... 81 1. Le siège de direction effective, critère classique de résidence... 82 1.1. La position de l OCDE... 82 1.2. La position française... 83 2. L assujettissement à l impôt, vers une nouvelle exigence d assujettissement «effectif»... 85 2.1. La nouvelle exigence française d assujettissement effectif à l impôt... 85 2.2. Une exigence aux fondements contestables et aux lourdes conséquences... 86 B. La clause de bénéficiaire effectif, un dispositif à l efficacité limitée... 88-7 -

1. La notion de bénéficiaire effectif, un concept autonome difficile à appréhender... 88 1.1. Une notion inscrite dans la lutte contre l interposition artificielle de sociétés... 88 1.2. Une notion conventionnelle d interprétation autonome... 89 2. Le champ d application longtemps incertain de la clause de bénéficiaire effectif... 91 2.1. Les divergences d approches de la notion de bénéficiaire effectif... 91 2.2. L interprétation extensive retenue par la jurisprudence française... 92 3. Un standard de lutte contre le treaty shopping à l efficacité limitée... 93 3.1. Une invocabilité de la clause réservée à l Etat de la source... 93 3.2. Le choix d une approche juridique et restrictive de la clause... 94 2. Les nouvelles mesures de lutte contre le treaty shopping introduites par l'action 6 du projet BEPS... 96 A. La généralisation de la clause de Limitation-on-Benefits, sujette à débat au regard de sa conformité au droit européen... 99 1. Une clause complexe, à la recherche d un équilibre entre objectivité et subjectivité... 99 1.1. La genèse de la clause... 99 1.2. Le contenu de la clause : entre objectivité et subjectivité... 100 2. Une clause non conforme au droit européen?... 102 2.1. Une entrave éventuelle à la liberté d établissement... 102 2.2. Une justification éventuelle fondée sur la lutte contre les abus... 102 3. Une volonté exprimée par l OCDE de généralisation de la clause LOB... 103 3.1. Un renforcement toujours croissant de la lutte contre le treaty shopping... 103 3.2. Une clause générale et restrictive... 104 B. L'introduction d'une clause anti-abus générale (Principal purpose test) : la création d un abus de droit conventionnel... 105 1. Une règle des objets principaux permettant d écarter les avantages conventionnels... 105 1.1. L origine du test : de principe directeur à disposition conventionnelle... 106 1.2. Une clause anti-abus au champ d application extrêmement vaste... 106 2. Une lourde charge de la preuve pesant sur le contribuable... 107 3. Un abus facilement caractérisable : le critère évasif du but «principal»... 108 CONCLUSION... 110 BIBLIOGRAPHIE... 111-8 -

INTRODUCTION La fiscalité internationale des entreprises a été mise en place à l origine pour répondre aux activités économiques transfrontalières, et notamment au développement des multinationales, en prévoyant une attribution des droits d imposer entre les Etats qui soit économiquement fondée. Elle doit ainsi permettre d assurer une sécurité juridique aux opérations conduites par les contribuables, et d éviter les conflits entre administrations fiscales, conduisant à des doubles impositions persistantes. Au cours des dernières décennies, l internationalisation des économies a progressé de manière très rapide. La complexité des opérations et des organisations des multinationales s est renforcée au fil du temps, pour des raisons liées avant tout à la conduite de leurs activités transfrontalières. La structuration financière des entreprises s est également sophistiquée, avec des leviers pouvant influencer de manière décisive leur imposition. Enfin, la digitalisation de l économie, qui a modifié la répartition des chaînes de valeur mondiales, soulève de nouveaux défis en matière fiscale 1 : la dématérialisation, qui ignore les espaces, rend par exemple les actifs incorporels de plus en plus difficiles à localiser. Cette internationalisation entraîne une confrontation inévitable des acteurs économiques à une grande diversité de systèmes fiscaux, à laquelle les Etats ont du faire face. A ce titre, la capacité des Etats à imposer les transactions internationales, en particulier celles conduites au sein des groupes, est cruciale pour le maintien de leurs recettes fiscales, alors même qu ils rencontrent par ailleurs des difficultés au regard de leurs finances publiques. La conduite des Etats s inscrit également dans l objectif d éviter les distorsions de concurrence liées à des régimes d imposition différents entre les opérateurs économiques locaux, notamment des petites et moyennes entreprises qu il est essentiel de valoriser, et les grands acteurs intervenant à l échelle internationale, en évitant que les seconds parviennent à bénéficier d une charge fiscale faible, voire nulle. Enfin, la confiance des citoyens dans le système politique semble aujourd hui dépendre de la capacité de ce dernier à assurer l application régulière et équitable des règles fiscales 2. Les révélations retentissantes de la presse et des organisations non gouvernementales sur les montages transfrontaliers mis en place par certaines entreprises, leur permettant de bénéficier d un taux effectif d impôt réduit, voire extrêmement faible, ou encore la publication de dossiers de 1 OECD, Addressing the Tax Challenges of the Digital Economy, Action 1-2015 Final Report, OECD/G20 Base Erosion and Profit Shifting Project, OECD Publishing (2015), Paris. 2 E. Marcus, Le projet de l OCDE de lutte contre l optimisation fiscale des multinationales BEPS, Revue française de finances publiques, 1 er novembre 2015, n 132, p.233. - 9 -

rescrits fiscaux (tax rulings) accordés à titre confidentiel par les autorités luxembourgeoises à certaines firmes, telles qu Apple ou Amazon («LuxLeaks» en 2014) ont encore davantage montré l ampleur de ces problématiques, renforçant la pression pesant sur les grands groupes. Le grand public ne fait aujourd hui plus de distinction entre l optimisation fiscale et la fraude fiscale. Dès lors, les Etats et organisations internationales cherchent à rétablir la cohérence du système fiscal, notamment en réalignant les règles d imposition sur la substance des opérations. En principe, lorsqu une entreprise décide de s implanter à l étranger, elle le fait avant tout pour des raisons d ordre économique ou financier, parce qu il y a un marché qui l intéresse et qu elle entend s y développer 3. Ce faisant, elle ne peut mettre de côté, dans son business plan, les aspects fiscaux découlant des transactions économiques et des opérations structurées, qualifiables de «montages». En effet, il est aujourd hui absolument impossible de concevoir un montage sans en maîtriser les principales implications fiscales. A chaque étape de la constitution et de la mise en œuvre d une structure, «l impôt se tient là, prêt à frapper» 4. Les conséquences fiscales en découlant sont tantôt favorables, tantôt défavorables aux intérêts du contribuable, mais elles ne sont jamais négligeables. Il faut les connaitre si l on veut mesurer l ampleur des risques de ces opérations. Le terme même de «montage» évoque toutefois la mise en œuvre d une construction plus ou moins artificielle, d un schéma élaboré «dans le but de gagner un avantage, le plus souvent fiscal, le plus souvent indu» 5. Proche de la notion de tax planning, l optimisation fiscale est une pratique légale consistant à utiliser la norme à des fins de minimisation du coût fiscal afférent à une opération ou à une série d opérations. Une telle ingéniosité ne serait alors reconnue comme légitime, donc acceptée par les autorités fiscales, que si le mécanisme ou montage mis en place correspond à des transactions commerciales normales 6. Tant et si bien que la mise en œuvre des mesures de réaction des Etats aux diverses stratégies d optimisation fiscale des contribuables repose sur une distinction, subjective et assez trouble au demeurant, entre le normal et l anormal, l acceptable et l inacceptable. Maurice Cozian affirmait ainsi qu il convient de distinguer trois comportements : un comportement légal, un comportement illégal et un comportement extra-légal 7. Le comportement légal correspond à l attitude du contribuable qui ne fait que choisir entre plusieurs voies fiscales différentes mais 3 B. Bacci, Stratégie d implantation géographique des entreprises, Petites affiches, 15 mai 2015, n 97, p.17. 4 G. Blanluet, Montages financiers et fiscalité : à propos de l arrêt du Conseil d Etat du 29 décembre 2006 (Bank of Scotland), Revue des contrats, 1 er juillet 2007, n 3, p.993. 5 Ibid. 6 N. Jacquot, La réaction des Etats face à l optimisation fiscale, Petites affiches, 15 mai 2002, n 97, p.20. 7 M. Cozian, préface de Ch. Robbez-Masson, La notion d évasion fiscale en droit interne français, thèse : LGDJ, coll. Bibliothèque de science financière, t. 29, 1990. - 10 -

toutes prévues par le législateur. Le comportement illégal est celui du fraudeur qui prend «le sens interdit fiscal» en réalisant ce que la loi proscrit clairement. Enfin, le troisième comportement correspond à une «zone grise» qui est celle où se meut le contribuable très avisé ou bien conseillé dans le silence de la loi fiscale. Pour reprendre les termes du Professeur Cozian, «pour que l on puisse parler d évasion proprement dit, il faut pénétrer dans la zone extra-légale, là où la loi n a tracé aucun interdit, ni davantage indiqué les voies que les contribuables sont autorisés à emprunter. C est le domaine du non légiféré. Le contribuable se prend en charge lui-même» 8. Dès lors, où tracer la limite entre l acceptable et l inacceptable au sein même de cette zone grise? C est là qu intervient la notion-clé de substance. Bien qu elle soit absente du corpus législatif et conventionnel français, la substance occupe une place de choix au palmarès des concepts les plus maniés et les plus débattus par les fiscalistes. Le projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) lui a d ailleurs définitivement donné ses titres de noblesse en en faisant l un des trois piliers phares de ses chantiers 9, dans l objectif affiché de «faire en sorte que les bénéfices soient imposés là où les activités économiques sont réalisées et là où la valeur est créée». Mais la problématique soulevée ici est de taille : personne ne s est aventuré à définir la substance. Et pour cause! La substance est tellement protéiforme qu il serait vain de tenter d en fournir une définition unique. Elle irrigue aussi bien les mécanismes anti-abus généraux et spéciaux de droit interne, que les dispositifs européens et conventionnels. Son caractère abstrait a laissé une grande marge de manœuvre aux autorités fiscales, qui ont pu s appuyer sur le défaut de substance afin de remettre en cause bon nombre de transactions ou d opérations mises en place par des contribuables avisés. La substance s illustre aussi bien dans la lutte contre les abus de droit que dans la lutte contre l utilisation abusive des conventions fiscales, communément dénommée treaty shopping. Après avoir dressé un état des lieux comparatif de la notion de substance en fiscalité internationale, indéniable pilier de la lutte contre les montages abusifs (Chapitre 1), nous nous consacrerons à l étude de la mise en œuvre de ce concept phare dans la lutte contre le treaty shopping (Chapitre 2). 8 M. Cozian, préface de Ch. Robbez-Masson, La notion d évasion fiscale en droit interne français, thèse : LGDJ, préc. 9 OECD, Preventing the Granting of Treaty Benefits in Inappropriate Circumstances, Action 6-2015 Final Report, OECD/G20 Base Erosion and Profit Shifting Project, OECD Publishing (2015), Paris. - 11 -

CHAPITRE 1 ETAT DES LIEUX DE LA NOTION DE SUBSTANCE EN FISCALITE INTERNATIONALE, PILIER DE LA LUTTE CONTRE LES MONTAGES ABUSIFS Dans le cadre d une gestion fiscale efficace, les contribuables, et plus particulièrement les groupes, sont amenés à structurer leurs opérations transfrontalières, notamment par le biais de la création de sociétés à l étranger. Se pose toutefois la question de l acceptabilité, par les autorités fiscales, de telles structures, qui sont de plus en plus sous les feux de la rampe. Cette problématique est classique, mais présente des variantes illimitées. En effet, la substance est un concept à géométrie variable, dont les contours restent nébuleux. L utilisation qui en a été faite par les juges et le législateur, dans le cadre de la lutte contre les montages abusifs ou artificiels, diffère grandement selon le pays dans lequel on se trouve. Dans la perspective d une approche comparative, il est traditionnel d opérer une distinction entre les deux grandes traditions juridiques que sont le droit civil et la common law. En effet, les systèmes fondés sur la common law sont habituellement moins normatifs que les systèmes civilistes, et accordent à ce titre une grande liberté d appréciation aux juges, qui ont pu ériger de toutes pièces des dispositifs anti-abus pour faire face aux montages de contribuables à l ingéniosité croissante. La substance occupe une place centrale dans la lutte contre les abus dans les pays de common law, dans lesquels les juges se sont arrogés les pleins-pouvoirs face à un vide législatif faisant planer de nombreuses incertitudes (Section 1). La France, quant à elle, pays de tradition civiliste, s appuie sur la notion de substance dans la mise en œuvre de ses dispositions anti-abus générales et spéciales (Section 2). Une telle analyse comparative démontre des approches divergentes de la substance ; l analyse développée pouvant être axée sur la substance juridique, économique, ou sur les deux. - 12 -

SECTION 1 LA PLACE CENTRALE DE LA SUBSTANCE DANS LES PAYS DE COMMON LAW : LES EXEMPLES EMBLEMATIQUES DES ETATS-UNIS ET DU ROYAUME-UNI Deux exemples emblématiques sont ceux des Etats-Unis et du Royaume-Uni, auxquels il convient de consacrer une étude plus approfondie. Le recours à la notion de substance en droit fiscal y découle d une création purement jurisprudentielle, résultant de la Cour Suprême dans le premier cas, de la Chambre des Lords dans le second. L intervention des juges a été rendue nécessaire face à un vide législatif laissant planer l incertitude, et a mis en exergue des approches divergentes de la substance. Il est intéressant de noter que ces deux Etats, malgré leur réticence initiale, se font récemment résolus à procéder à la codification de mesures anti-abus générales, rendue nécessaire face aux instabilités jurisprudentielles et au constat de l insuffisance des règles anti-abus spéciales. La doctrine de la substance économique, telle qu elle a été développée aux Etats-Unis et codifiée depuis peu, a constitué une réponse efficace aux planifications fiscales agressives des contribuables ( 1). En revanche, l approche développée au Royaume-Uni, faisant prévaloir cette fois-ci la notion de substance juridique, s est révélée insuffisante dans la lutte contre les abus, ce qui a finalement abouti à la codification attendue d une véritable théorie de l abus de droit en droit anglais ( 2). 1. La doctrine américaine de la substance économique, une réponse efficace aux planifications fiscales agressives Aux Etats-Unis, pays de common law, l interprétation de la législation fiscale fédérale est confiée aux juges qui, compte-tenu du principe de séparation des pouvoirs, ne doivent ni s ériger en législateur, ni usurper les prérogatives de l exécutif, dans l appréciation des schémas fiscaux 10. Les contribuables, quant à eux, assument, dans le cadre du régime d autocotisation, la responsabilité de déterminer correctement le montant de leur impôt à payer. Ils peuvent de ce fait être tentés d organiser leurs affaires de façon à tirer avantage des disparités et incohérences de la loi fiscale. Face à la prolifération des planifications audacieuses des contribuables, l Administration fiscale américaine ( I.R.S., i.e. Internal Revenue Service) cherche à protéger l intégrité du régime fiscal en prescrivant des règles spécifiques de lutte contre l évasion fiscale ( SAAR, i.e. Specific Anti- Avoidance Rules). En revanche, la codification d une règle générale de lutte contre l évasion fiscale 10 US Constitution, Art.1, s.8, cl.1 and Art.3, s.2, cl.1. - 13 -

( GAAR, i.e. General Anti-Avoidance Rules), au vaste champ d application, se rapprochant de la théorie de l abus de droit français, n est intervenue aux Etats-Unis que tardivement 11. C est dans ce contexte de «vide juridique» que les tribunaux américains se sont souvent rabattus sur des principes d interprétation fondés notamment sur la réalité économique des opérations des contribuables. Plusieurs doctrines d interprétation ont ainsi été dégagées et utilisées conjointement afin d annuler les avantages fiscaux découlant d opérations jugées abusives, formant un prisme d appréciation du caractère réel ou artificiel des montages mis en place par les contribuables. Parmi ces doctrines indissociables figurent celles de l objet commercial (business purpose), du trompe-l œil (sham transaction), de la primauté de la substance sur la forme (substance over form) et des opérations en série (step transaction doctrine). Mais les tribunaux se sont surtout appuyés sur la doctrine de la substance économique (economic substance doctrine), qui a joué un rôle essentiel dans l offensive de l I.R.S. contre les planifications fiscales audacieuses 12. Née de la pratique des juges (A), son appréciation a manqué indubitablement d uniformité, ce qui a entraîné une certaine insécurité juridique (B), et ce jusqu à sa codification attendue par une Loi du 30 mars 2010 (C). A. Une doctrine ancienne née de la pratique des juges La doctrine de la substance économique, permettant de refuser aux contribuables le bénéfice d avantages fiscaux résultant de schémas abusifs, dépourvus de substance (1), a été érigée de toutes pièces et alimentée progressivement par les juges de la Cour Suprême des Etats-Unis (2). 1. L objectif de la doctrine : écarter le bénéfice d avantages fiscaux en cas d abus La doctrine de la substance économique peut être décrite comme une méthode d interprétation législative en vertu de laquelle un contribuable peut se voir refuser les avantages fiscaux qu il réclame si ceux-ci découlent d une ou de plusieurs opérations qui, bien que réalisées dans le respect des règles fiscales, n ont pas eu pour effet de modifier substantiellement sa situation économique autrement que par une diminution de sa charge fiscale 13. Le fait de suivre à la lettre le texte d une disposition législative ou réglementaire n en garantit pas le bénéfice lorsque la transaction est 11 G. Larin, M. Jacques, R. Duong, Etats-Unis Projet de codification de la doctrine de la réalité économique, Fasc. 6, Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, Université de Sherbrooke, Juillet 2009, p.3. 12 Ibid. 13 Yoram Keinan, The Economic Substance Doctrine Past, Present and Future, Tax Management Memorandum 259 (2005), p. 263-264. - 14 -

dénuée de substance économique, donc de toute réalité économique 14. En pratique, cela reprend expressément ou implicitement les principes qui sous-tendent les doctrines de la primauté de la substance sur la forme et de l objet commercial : aux termes de cette dernière, la réalité d une opération est intrinsèquement liée à la poursuite d un véritable objectif économique, commercial. 2. La naissance de la doctrine, érigée de toutes pièces par la Cour Suprême La première référence explicite à la notion de substance remonte à un avis Weiss v. Stearn (1924) 15 de la Cour Suprême des Etats-Unis, qui affirme qu il faut tenir compte de la substance et non de la simple forme [ When applying income tax laws, we must regard matters of substance and not mere form ]. Depuis, toutes les étapes-clés du développement et de l expansion de cette doctrine résultent de la jurisprudence de la Cour Suprême 16. La décision Gregory v. Helvering (1934) 17, qui est indéniablement l une des plus célèbres affaires en fiscalité américaine, est considérée comme la décision pionnière des doctrines de l objet commercial et de la substance (ou réalité) économique. En l espèce, les juges ont refusé de valider une opération en vertu de laquelle un contribuable tentait d éviter les conséquences fiscales désavantageuses qui auraient découlées du versement d un dividende en sa faveur par une société dont il était l unique actionnaire. La Cour Suprême reconnaît ici le droit irréfutable d un contribuable de minimiser sa charge fiscale, avant de préciser que les règles fiscales applicables ne peuvent lui permettre de bénéficier d avantages fiscaux découlant d opérations dénuées de toute motivation commerciale, donc de toute substance économique 18. Dans le même sens, la Cour Suprême a de nouveau reconnu les principes sous-jacents à la doctrine de la substance dans l affaire Knetsch v. United States (1960) 19, dans laquelle les juges ont ignoré les avantages fiscaux réclamés par le contribuable, qui avait déduit des intérêts qu il alléguait avoir versés pour rembourser un emprunt contracté à des fins d investissement 20 : l obtention d une telle 14 William P. Streng and Lowell D. Yoder, Form and substance in tax law United States, Cahiers de droit fiscal international, Vol. 87a, International Fiscal Association, 2002 Oslo Congress, p.620. 15 Weiss v. Stearn, 265 U.S. 242 (1924) 16 J. Bruce Donaldson, When Substance-over-form Argument is available to the taxpayer, 48 Marquette Law Review (1964), p.42. 17 Gregory v. Helvering, 69 F. 2d 809 (Cir. Ct. App. 1934) [Gregory (Cir. Ct. App.)], décision confirmée par la Cour Suprême des Etats-Unis, 293 U.S. 465 (1935) [Gregory (Supreme Ct.)] 18 G. Larin, M. Jacques, R. Duong, Etats-Unis Projet de codification de la doctrine de la réalité économique, Fasc. 6, Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, Université de Sherbrooke, Juillet 2009, p.12. 19 Knetsch v. United States, 364 U.S. 361 (1960) [Knetsch], décision de la Cour suprême des Etats-Unis. 20 Knetsch, supra : Dans cette affaire, les juges dissidents avaient accordé aux contribuables le bénéfice des avantages fiscaux malgré que la planification soit dénuée de réalité économique, car les parties l avaient véritablement réalisée selon les pratiques commerciales du secteur de l assurance réglementé par les lois des Etats américains. - 15 -

déduction fiscale a été considérée comme la seule et unique essence véritable de l opération. Par la suite, les autorités fiscales américaines ont continué à attaquer les opérations jugées abusives en invoquant systématiquement le défaut de substance économique. En 1978, le juge Blackmun de la Cour Suprême précise l appréciation de la substance dans l affaire Frank Lyon v. United States 21 : les opérations du contribuable doivent avoir une substance économique distincte du bénéfice engendré par les économies d impôt qu elles ont pu permettre de réaliser. Suite à ces jurisprudences fondatrices, les tribunaux ont poursuivi leur examen des buts poursuivis par le contribuable et de la réalité des opérations en cause à la lueur de la doctrine de la substance économique (et de ses quatre corollaires). La substance, reposant sur une analyse au cas par cas, est ainsi devenue un outil incontournable dans la lutte contre les planifications fiscales agressives 22. B. Une libre-appréciation de la substance par les juges, source d imprévisibilité Deux volets d appréciation de la substance économique ont été dégagés par les juges (1), qui en ont fait au fil du temps une application manquant cruellement d harmonisation, entraînant davantage d insécurité juridique et d imprévisibilité pour les contribuables (2) 23. 1. Les critères d appréciation de la substance économique La théorie de la substance économique, telle qu érigée par les juges, fait essentiellement référence à deux doctrines judiciaires distinctes : l objet commercial et la primauté de la substance sur la forme. En effet, elle se compose de deux volets, qui ont été formulés dans l affaire Rice s Toyota (1985) 24 dans les termes suivants : To treat a transaction as a sham, the court must find that the taxpayer was motivated by no business purposes other than obtaining tax benefits in entering the transaction, and that the transaction has no economic substance because no reasonable possibility of a profit exists. Whether under this test a particular transaction is a sham is an issue of fact. Ainsi, la caractérisation d une substance économique suffisante découle d une part d un volet objectif, consistant à évaluer l impact de l opération sur la situation économique du contribuable (1.1.), et d autre part, d un volet subjectif, résidant dans la poursuite d un objectif non fiscal (1.2.). 21 Frank Lyon v. United States, 435 U.S. 561 (1978) [Frank Lyon], décision de la Cour suprême des Etats-Unis. 22 J. Bruce Donaldson, When Substance-over-form Argument is available to the taxpayer, 48 Marquette Law Review (1964), p.44. 23 G. Larin, M. Jacques, R. Duong, Etats-Unis Projet de codification de la doctrine de la réalité économique, Fasc. 6, Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, Université de Sherbrooke, Juillet 2009, p.6. 24 Rice s Toyota World v. Commissioner, 752 F. 2d. 89 (4 e Cir. 1985) [Rice s Toyota (4 e Cir.)]. - 16 -

1.1. Le volet objectif : l impact sur la situation économique du contribuable Le volet objectif de la substance économique réside dans l évaluation de la réalité économique d une opération sans égard aux motivations fiscales du contribuable : il s agit alors d apprécier, par le biais d indicateurs objectifs, uniquement les changements intervenus dans la situation économique du contribuable, qui ne sont pas attribuables à des économies d impôt. Cette approche objective incorpore dans une certaine mesure deux doctrines corollaires à la substance (sham transaction et substance over form), montrant bien leur imbrication et leur complémentarité 25. La première branche de la substance économique requiert ainsi que l opération en cause ait un effet non exclusivement fiscal sur la situation du contribuable. Les tribunaux ont régulièrement refusé de reconnaître une opération aux fins fiscales lorsque celle-ci n avait pas entrainé de changement substantiel dans la situation économique nette du contribuable. Etait ainsi souvent pris en compte l impact sur sa situation financière. Cependant, certains juges ont appliqué ce volet de façon extensive, et ont décidé que des modifications dans les obligations juridiques et/ou commerciales du contribuable découlant de l opération étaient suffisantes pour satisfaire ce critère 26. 1.2. Le volet subjectif : la poursuite d un objectif non fiscal Le volet subjectif de la substance économique incorpore quant à lui en réalité de façon explicite une doctrine judiciaire corollaire, celle de l objet commercial (business purpose doctrine) : il requiert en effet, pour pouvoir prouver la substance de l opération, l identification d un objectif commercial, de nature à prouver sa réalité économique 27. Dans cette analyse, les tribunaux évaluent si les opérations réalisées par le contribuable ont un lien rationnel avec un objet légitime autre que fiscal, à la lumière de son comportement et de sa situation économique. Ils sont particulièrement attentifs aux intentions du contribuable au moment où il a pris la décision de réaliser l opération en cause 28. Bien entendu, il est impossible de connaître la véritable intention du contribuable. C est pourquoi l appréciation de ce critère subjectif repose en réalité sur un faisceau d indices objectifs. Au fil des années, les tribunaux ont tenu compte notamment de la possibilité pour le contribuable de générer 25 Joseph Bankman, The Economic Substance Doctrine, Southern California Law Review, Vol. 74:5 (2000), p. 12. 26 ACM Partnership v. Commissioner (T.C. 1997), décision confirmée en appel par 157 F.3d 231, 247 (3 e Cir. 1988) [ACM Partnership (3 e Cir.)], certiorari refusé par la Cour suprême des Etats-Unis, 526 U.S. 1017 (1999). 27 Joseph Bankman, The Economic Substance Doctrine, Southern California Law Review, Vol. 74:5 (2000), p. 27. 28 Ibid., p. 12. - 17 -

un profit de la planification mise en place, des motivations commerciales, de la réalisation d une analyse préalable de l opération, de ses caractéristiques et risques économiques, de l investissement véritable en capital du contribuable, des liens éventuels de dépendance entre les parties impliquées au sein de l opération, ou encore de la nature de l opération et de son contexte de mise en œuvre 29. La caractérisation de la substance économique d une opération découlait ainsi de l appréciation de ces deux volets, qui n ont guère été appliqués de façon uniforme par les juges, notamment au regard de l articulation qu il fallait leur donner. Imprévisibilité et iniquité en ont été les conséquences. 2. L application hétérogène des critères de la substance économique La substance économique est devenue une arme redoutable des autorités fiscales dans la lutte contre les montages artificiels mis en place dans un but exclusivement fiscal. Le contribuable, qui supporte la charge de la preuve (2.1.), devait s adapter continuellement à une pratique évolutive des tribunaux dans l appréciation de la substance (2.2.), à l origine d une insécurité juridique manifeste. 2.1. Rappel préliminaire sur la charge de la preuve En droit fiscal américain, les contribuables supportent en principe la charge de la preuve : ils doivent établir les faits pertinents pour prouver que leurs planifications et opérations sont conformes aux règles fiscales et à la doctrine de la substance économique. Le Code fiscal impose en effet aux contribuables la charge d établir une preuve crédible quant aux faits à l appui des avantages fiscaux qu ils réclament 30. Toutefois, lorsque les contribuables sont en mesure d apporter une preuve crédible quant à l interprétation de ces règles et de ces faits, l Administration fiscale doit à son tour justifier l annulation des avantages fiscaux qu elle invoque. Nonobstant ce partage de la charge de la preuve, les tribunaux doivent trancher les litiges quant à l application de la loi et de la doctrine de la substance économique selon la règle de la prépondérance des probabilités. 2.2. L application divergente des volets objectif et subjectif par les juges L application par les juges des deux critères de la substance économique, utilisée pour apprécier la réalité d une opération, a permis d identifier trois courants jurisprudentiels distincts. 29 Donald L. Korb, The Economic Substance Doctrine in the Current Tax Shelter Environment, University of Southern California Tax Institute, January 25 2005. 30 26 U.S.C. 7491. - 18 -

Certains tribunaux ont adopté une approche «conjonctive», consistant à exiger que l opération du contribuable respecte les deux volets cumulativement. D autres ont au contraire opté pour une approche «disjonctive», permettant au contribuable de justifier de l obtention des avantages fiscaux en démontrant l un ou l autre des deux volets, soit la poursuite d un objectif commercial, soit la présence adéquate de substance dans l opération. Enfin, une dernière approche «unitaire», plus souple, a parfois été retenue, fondée sur l idée que la substance d une opération ne peut être déterminée par une analyse compartimentée à l un ou l autre des deux volets. La réalité économique objective ainsi que les motivations commerciales du contribuable seraient, dans cette vision, deux éléments liés, permettant d apprécier la substance économique d une opération dans sa globalité 31. Cette hétérogénéité des positions des tribunaux sur les critères à utiliser pour jauger la substance économique des opérations a généré une imprévisibilité sur la reconnaissance éventuelle de la validité d une planification audacieuse, tout en contribuant à la création d iniquités entre les contribuables, selon la position plus ou moins exigeante du tribunal devant lequel ils se trouvaient 32. De plus, la possibilité que chaque palier de tribunaux diverge d opinion sur l application de la substance a indéniablement eu pour effet de multiplier les risques pour les contribuables. C est dans ce contexte qu ont vus le jour plusieurs projets de codification de cette doctrine, considérée comme fondamentale dans l établissement d une démarcation entre les opérations commerciales courantes et les opérations jugées abusives et dépourvues de substance économique. C. Une codification attendue de la doctrine de la substance économique : vers un renforcement de la sécurité juridique des contribuables? A la fin des années 1990, les Etats-Unis ont connu une vague importante de schémas fiscaux agressifs qui étaient manifestement abusifs. On a assisté à une véritable industrialisation de la vente de ces montages, commercialisés par les banques d affaires et les cabinets d avocats, que l Etat fédéral a souhaité réprimer 33. En 2000, l I.R.S. réagit en instaurant une obligation de déclaration des montages, très générale et dépourvue de sanction, qui n a eu aucun effet. En 2002, un dispositif plus répressif a été mis en place, dans le contexte de la loi Sarbanes-Oxley, qui a fait suite au scandale Enron. Il repose sur une obligation de déclaration de la part de la personne qui commercialise le 31 G. Larin, M. Jacques, R. Duong, Etats-Unis Projet de codification de la doctrine de la réalité économique, Fasc. 6, Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, Université de Sherbrooke, Juillet 2009, p.19. 32 Ibid., p.24. 33 J.-P. Lieb, Débat autour de l abus de droit, Etude par O. Fouquet, J.-F. de Vulpillières, Y. de Givré, J.-P. Lieb, C. Charpentier, B. Gouthière, Dr. fisc. n 47, 22 novembre 2007, 979. - 19 -

montage, avant que celui-ci ne soit utilisé par le contribuable, et une obligation pour ce dernier de le déclarer. Ce n est toutefois que quelques années plus tard que le Gouvernement s est résolu à passer à la vitesse supérieure en procédant à la codification d une véritable mesure anti-abus générale. Le 30 mars 2010, le Président Obama a apposé sa signature sur la loi intitulée Health Care and Education Affordability Reconciliation Act of 2010, dont une disposition codifie la doctrine de la substance économique au nouveau paragraphe 7701(o) du Internal Revenue Code des Etats-Unis. Cette codification confirme l approche conjonctive de la substance économique développée par les juges (1) mais laisse toutefois place à une grande incertitude quant à son champ d application (2). 1. Une codification de l approche conjonctive de la substance économique Ce nouvel article s applique à «toute opération qui satisfait aux critères relatifs à la doctrine de la substance économique», conclue après le 30 mars 2010. L opération est considérée comme ayant une substance économique si elle remplit les deux critères suivants : (i) l opération modifie de manière significative la situation économique (autre que fiscale) du contribuable [volet objectif] et (ii) le contribuable a un motif «substantiel» (autre que fiscal) l amenant à conclure l opération [volet subjectif] 34. La loi indique ainsi clairement que les deux critères doivent être remplis cumulativement [approche conjonctive] pour qu une opération ne soit pas écartée pour défaut de substance, mettant ainsi fin à plusieurs décennies d hésitations jurisprudentielles 35. Par ailleurs, toujours dans un objectif de lutte contre les schémas artificiels, la loi prévoit une majoration de la pénalité applicable aux sous-évaluations importantes d impôt attribuables à une opération dépourvue de substance économique, qui a été fixée à 40% du montant de l impôt. Elle peut toutefois être ramenée à 20% si l opération a été correctement déclarée par le contribuable 36. 2. Un dispositif anti-abus au champ d application toujours incertain Lors de la codification de la doctrine de la substance économique en 2010, aucune précision n a été apportée quant à son champ d application : quelles sont alors les opérations susceptibles de se voir 34 I.R.C. 7701(o), Section 1409 of the Act: In the case of any transaction to which the economic substance doctrine is relevant, such transaction shall be treated as having economic substance only if (A) the transaction changes in a meaningful way (apart from Federal Income tax effects) the taxpayer s economic position, and (B) the taxpayer has a substantial purpose (apart from Federal Income tax effects) for entering into such transaction. 35 S. Semer, Flash : Fiscalité américaine : la codification de la doctrine de la substance économique pourrait avoir des conséquences importantes sur la planification d opérations, 5 avril 2010. 36 I.R.C. Section 6662(b)(6). - 20 -

appliquer ce test? Le 14 septembre 2010, une directive de l I.R.S., dite LB&I Directive 37, a été publiée pour fournir des recommandations aux vérificateurs chargés d examiner les opérations et de déterminer si le test de la substance doit ou non s appliquer. Plusieurs facteurs doivent être pris en compte : ils doivent notamment regarder si l opération est hautement structurée et complexe, si elle contient des étapes intermédiaires inutiles, accélère la création d une perte ou multiplie le droit à des déductions fiscales, s il existe un objet commercial crédible ou encore si l opération relève ou non du champ des opérations réalisées ordinairement par le contribuable 38. Cependant, l I.R.S. a annoncé qu elle ne publierait pas de liste blanche (angel list) listant les transactions considérées comme remplissant d office les critères exigés par le test de la substance économique. Par conséquent, pour certains auteurs, il en ressort que la codification d un tel dispositif anti-abus complique indéniablement l optimisation fiscale en ce que, d une part, de nombreuses opérations commerciales légitimes seraient susceptibles de ne pas satisfaire cumulativement les deux critères du test, et, d autre part, le champ d application de la règle, c est-à-dire la nature des opérations ou transactions concernées, reste encore incertain 39. Il semblerait ainsi que l Administration considère la question de la substance économique comme étant hautement subjective, en ce que son champ d application même demeure soumis à la libre-appréciation des vérificateurs et tribunaux 40. L évolution de la doctrine américaine de la substance économique suite à sa codification doit être suivie attentivement afin de déterminer la façon dont les contribuables doivent structurer (ou ne pas structurer) des opérations, et d éviter que celles-ci soient visées par une doctrine potentiellement imprécise. Il est essentiel d évaluer dès le départ la structure souhaitée à l égard d un investissement ou d une opération commerciale, afin de tenir compte de toutes les éventuelles circonstances et de tous les objectifs de nature fiscale, et de s assurer de l existence d une substance adéquate 41. Contrairement à l approche économique de la substance érigée par les juges de la Cour Suprême des Etats-Unis, le système fiscal au Royaume-Uni est caractérisé quant à lui par une approche bien plus juridique de la substance : les tribunaux y ont été de tout temps peu enclins à rechercher, au delà de sa forme légale, la substance économique d une transaction aux fins fiscales. 37 LB&I (Large Business & International Division) Directive, LMSB-20-0910-024. 38 PwC, The codified economic substance doctrine: Making decisions in an uncertain world, Washington National Tax Services Publication, July 29 2011. 39 Thomas E. Taylor, Codification of the Economic Substance Doctrine by the Health Care and Education Affordability Reconciliation Act of 2010, September 4 2010. 40 Tyler Horton, Substance, Form and Ambiguity: Will the IRS challenge your transaction by asserting the economic substance doctrine? Alvarez & Marsal Law firm, February 10 2014. 41 S. Semer, Flash : Fiscalité américaine : la codification de la doctrine de la substance économique pourrait avoir des conséquences importantes sur la planification d opérations, 5 avril 2010. - 21 -

2. La prévalence de la substance juridique au Royaume-Uni, une doctrine d efficacité limitée à l origine de la codification d un nouvel abus de droit Le Royaume-Uni, pays de common law, a longtemps été caractérisé, en matière de lutte contre les abus de droit, par des dispositifs anti-abus visant des situations spécifiques plutôt que par une approche dogmatique. S attaquant à l exploitation des failles de la loi, les pouvoirs publics britanniques ont légiféré afin de lutter contre les schémas fiscalement abusifs au fur et à mesure de leur découverte. La réponse à ces nouvelles législations a souvent été la mise en place de nouveaux schémas visant à contourner la loi, lesquels ont, à leur tour, fait l objet d une nouvelle action législative, d où un véritable bras de fer entre l administration fiscale et les contribuables 42. Face à l absence d une théorie générale de l abus de droit, de nombreux montages ont été soumis à l appréciation des juges, qui ont développé leur propre approche de l appréciation du caractère réel ou artificiel des opérations, analyse fondée sur la notion de substance. Etant précisé que lorsque les Cours de justice énoncent un nouveau principe, «une nouvelle règle de droit jurisprudentielle destinée à combattre l évasion fiscale», celle-ci s impose à tous 43. Contrairement à l approche développée aux Etats-Unis, le Royaume-Uni s appuie plutôt sur la substance juridique des transactions pour en apprécier la réalité : le traitement fiscal applicable à une opération découle alors généralement de la qualification juridique donnée aux transactions afférentes. L exigence de substance, créée par les Cours, diffère ainsi en plusieurs points de la vision américaine, qui se focalise sur l impact économique et le but commercial de l opération. Aujourd hui, en partant du principe de licéité du choix de la voie la moins imposée par le contribuable, la jurisprudence fiscale anglaise repose toujours sur deux piliers traditionnels fondant le rejet de la primauté de la substance sur la forme (A), en dépit d une lente érosion amorcée dans les années 1980. En effet, au fil des années, des limites ont été apportées par les juges aux planifications fiscales des contribuables, et ce par le biais d une reconnaissance progressive d une doctrine de la substance économique au champ d application toutefois limité (B). Ce n est qu en 2013 que le Gouvernement s est résolu à l introduction d une mesure anti-abus générale (C). 42 B. Briguaud, L abus de droit en droit fiscal anglais, Etudes fiscales internationales, 23 avril 2014. 43 S. Frommel, L abus de droit en droit fiscal britannique, Revue internationale de droit comparé (1991), Vol.43, p.590. - 22 -