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mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2011 ; 13 (4) : 233-9 Nutrition et reproduction : aspects féminins Nutrition and reproduction: female aspects Isabelle Cédrin-Durnerin 1,3 Perrine Massart 1 Oksana Boïko 1 Jean-Noël Hugues 1 Rachel Lévy 2,3 Nathalie Sermondade 2,3 Céline Faure 2,3 Pauline Léveillé 2,3 Sébastien Czernichow 3,4 1 CHU Jean-Verdier (AP-HP), université Paris-XIII, service de médecine de la reproduction, avenue du 14-juillet, 93140 Bondy, <isabelle.cedrin-durnerin@jvr.aphp.fr> 2 CHU Jean-Verdier (AP-HP), université Paris-XIII, service d histo-embryologie, cytogénétique, CECOS, avenue du 14-juillet, 93140 Bondy, 3 Université Paris-XIII, CRNH IdF, unité de recherche en épidémiologie nutritionnelle, UMR U557 Inserm, U1125 Inra, Cnam, 93017 Bobigny, 4 CHU Avicenne (AP-HP), département de santé publique, UP13, 93009 Bobigny, Résumé. Le surpoids et l obésité ont vu leur prévalence augmenter dans la population féminine en âge de procréer et sont de plus en plus fréquents lors des consultations pour infertilité. Ils constituent un facteur non négligeable de baisse de la fertilité naturelle. La graisse abdominale, par le biais de l insulinorésistance, l hyperinsulinisme et l hyperandrogénie, favorise sur un terrain prédisposé la survenue de troubles de l ovulation. Le dépistage et la prise en charge du syndrome métabolique doivent être systématique dans ce cadre. L obtention d une perte de poids même modérée suffit à améliorer l ovulation spontanée ou l efficacité des traitements inducteurs de l ovulation. L alimentation en elle-même affecte également l ovulation. L instauration d un régime de type méditerranéen et d une activité physique régulière sont des mesures simples à mettre en place. Elles doivent impérativement précéder la mise en route des thérapeutiques spécifiques et peuvent parfois suffire à elles seules à l obtention de la grossesse désirée. Chez les patientes ne présentant pas de troubles de l ovulation, surpoids et obésité augmentent le délai nécessaire pour concevoir, diminuent les chances de succès des traitements et augmentent le risque de fausse-couche. Là aussi, une alimentation de type méditerranéenne et la pratique d une activité physique régulière sont associées à de meilleures chances de succès des traitements d assistance médicale à la procréation (AMP). La prise en compte du style de vie et la correction des facteurs défavorables par des conseils appropriés ou une prise en charge spécifique devraient donc être systématiques, tout comme la prescription d acide folique, chez toute femme désirant concevoir un enfant. Mots clés : nutrition, surpoids, obésité, syndrome métabolique, anovulation, syndrome des ovaires polykystiques, fertilité féminine Abstract. Overweight and obesity are increasingly prevalent in women of reproductive age, and are more and more frequent in patients consulting for infertility. Both are linked to a reduction of natural reproductive performance. Abdominal fat through insulin resistance, compensatory hyperinsulineamia and hyperandrogenism is responsible of ovulatory disorders in predisposed patients. Screening and management of metabolic syndrome must be systematically undertaken in anovulatory obese patients. A relatively small weight loss can restore spontaneous ovulation or improve the efficacy of ovulation induction treatment. Diet per se can also affect ovulatory function. A mediterranean dietary regime and increased physical activity should be adopted as first-line therapy. This simple approach has to precede the initiation of specific treatments and can be sufficient to obtain the expected pregnancy. In patients without ovulatory disorders, overweight and obesity lengthen the time to pregnancy, decrease the likelihood of success of infertility treatment and increase the risk of miscarriage. Mediterranean dietary pattern and regular physical activity are linked as well to better chance of pregnancy following assisted reproductive treatment. Assessment of lifestyle and modification of unhealthy behavior by appropriate advice or specific management must be systematic, as is acid folic supplementation, in women willing to conceive. Key words: nutrition, overweight, obesity, metabolic syndrome, anovulation, polycystic ovary syndrome, female fertility doi:10.1684/mte.2011.0371 médecine thérapeutique Médecine de la Reproduction Gynécologie Endocrinologie Tirés à part : I. Cédrin-Durnerin Tout au long de la vie reproductive, les facteurs environnementaux et le mode de vie sont susceptibles d agir sur la fertilité des couples (figure 1). En, un couple sur six est infertile et un couple sur dix a recours à des traitements inducteurs de l ovulation ou des techniques d assistance médicale à la procréation (AMP). Si ces traitements sont efficaces, ils sont néanmoins coûteux et une prise en charge nutritionnelle associée pourrait permettre d améliorer leur efficacité. Au même titre qu une alimentation adaptée est capable de prévenir les maladies cardiovasculaires et certains cancers, celle-ci pourrait constituer un élément Pour citer cet article : Cédrin-Durnerin I, Massart P, Boïko O, Hugues JN, Lévy R, Sermondade N, Faure C, Léveillé P, Czernichow S. Nutrition et reproduction : aspects féminins. mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2011 ; 13 (4) : 233-9 doi:10.1684/mte.2011.0371 233

Nutrition Stress psychologique Tabac Alcool Polluants Exercice physique Figure 1. Facteurs environnementaux et de mode de vie susceptibles d influencer la fertilité des couples. essentiel bien que largement négligé dans la prévention de l infertilité. Des aspects à la fois quantitatifs : maintien d un indice de masse corporelle (IMC) normal (tableaux 1 et 2) mais aussi qualitatifs : rôle des différents nutriments, des vitamines et des minéraux sont à prendre en compte pour optimaliser les résultats des traitements de l infertilité. La conjonction de phénomènes défavorables à la fertilité féminine Le rôle de l obésité sur l infertilité a suscité un intérêt croissant au cours des dernières années dans les pays industrialisés en raison de la conjonction d un désir plus tardif de maternité des femmes et d une véritable épidémie d obésité. Si rien n est fait pour enrayer cette épidémie, on pourrait rapidement atteindre une situation critique comme aux États-Unis où un tiers de la population est obèse et les deux tiers en surpoids ou obèses [1]. En effet, l obésité s est encore accrue en de 10,7 % au cours Tableau 1. Définition de l indice de masse corporelle. - Maigreur : IMC < 18,5 - Normale : 18,5 < IMC < 24,9 - Surpoids : 25 < IMC < 29,9 - Obésité modérée : 30 < IMC < 34,9 - Obésité sévère : 35 < IMC < 39,9 - Obésité morbide ou massive : IMC > 40 IMC : poids (kg)/taille 2 (m). Café des trois dernières années et au total, l augmentation relative moyenne est de 5,9 % par an depuis 12 ans [2]. En 2009, une femme en âge de procréer sur trois est en surpoids (20 à 25 %) ou obèses (10 à 15 %) (figure 2). Chez les femmes en âge de procréer, la prise de poids est de 5 à 7 kg par décennie si bien que le surpoids et l obésité sont 1,7 fois plus fréquents après 30 ans qu avant. Or, l âge moyen des femmes à l accouchement est de presque 30 ans et seule la fécondité après 30 ans continue de progresser (figure 3). Parallèlement, l âge moyen des femmes à la première consultation d infertilité a reculé de 3,5 ans au cours des 20 dernières années et la proportion des femmes de plus de 35 ans a été multipliée par 3,5 [3]. Tableau 2. Définition du syndrome métabolique (Fédération internationale du diabète, 2005). Critère obligatoire - Obésité centrale avec tour de taille > 80 cm pour les femmes européennes (88 cm pour le seuil NCEP ATP III) Présence de 2 au moins des 4 critères suivants -HTA > 130-85 mmhg - Hypertriglycéridémie > 1,5 g/l (1,7 mmol/l) - Hypocholestérolémie HDL < 0,5 g/l (1,29 mmol/l) - Intolérance aux hydrates de carbone : hyperglycémie à jeun entre 1,10 et 1,26 g/l et/ou à deux heures de l HGPO 75 g entre 1,4-1,99 g/l HGPO à réaliser systématiquement si l indice de masse corporelle (IMC) est supérieur à 27 kg/m 2 ou s il existe des antécédents familiaux de DNID ou personnels de diabète gestationnel. 234

% de la population 100 2 3 3 5 5 8,5 9 11,5 9 11,5 80 6 7 9 10 12 8 9 12 15 14,5 13,5 15 18 17 19 18 20 22 20 23,5 60 40 90 88 85,5 86 84 81 77,5 73 73 68,5 74 71,5 66,5 66,5 62 20 0 1997 2000 2003 2006 2009 1997 2000 2003 2006 2009 1997 2000 2003 2006 2009 18-24 ans 25-34 ans 35-44 ans Figure 2. Évolution en du surpoids (en orange) et de l obésité (en rouge) chez les femmes en âge de procréer selon l étude Obépi. % de premières naissances 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 1987 1988 1989 1990 <20 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 Groupe d'âge de la mère 1999 2000 2001 2002 20-24 25-29 30-34 35+ 2003 2004 2005 Figure 3. Évolution en de l âge de la mère à la première naissance. Fertilité et poids aux différentes étapes de la vie De nombreuses études épidémiologiques sur de grandes cohortes de femmes enceintes ont parfaitement démontré le lien entre le poids à la conception et les chances de grossesses. Le risque de mettre plus d un an à concevoir est augmenté de 27 % en cas de surpoids et de 78 % en cas d obésité [4]. Mais, le poids au moment de la conception n est pas le seul à influencer la fertilité. En effet, le poids à l adolescence s est avéré être lié à la fertilité ultérieure, indépendamment du poids à l âge adulte [5]. Il a été suggéré qu il détermine la probabilité d avoir un premier enfant à un âge donné ainsi que le nombre total d enfants conçus au cours de la vie reproductive. Il en est de même pour le poids à la naissance [6] : un petit poids 235

de naissance (inférieur à 2 500 g à terme ou 1 500 g en cas de prématurité) ou un poids de naissance élevé (supérieur à 4 500 g à terme ou 3 500 g en cas de prématurité) sont associés à une augmentation du délai nécessaire à concevoir. Enfin, le surpoids et l obésité pendant la grossesse majorent les risques de complication pour la mère (hypertension artérielle gravidique, diabète gestationnel, accouchement prématuré, césarienne et complications du post-partum) mais aussi pour l enfant (macrosomie, anomalies congénitales, dystocie des épaules, mortalité in utero et néonatale). Ils sont ainsi à l origine d un véritable cercle vicieux qu il faut briser car l environnement nutritionnel pendant la vie fœtale pourrait être lié à l incidence ultérieure du syndrome métabolique. Du syndrome métabolique au syndrome des ovaires polykystiques Ces études épidémiologiques effectuées chez les femmes enceintes sous-estiment l impact du poids sur la fertilité puisqu elles ne prennent pas en compte les couples qui ne conçoivent pas du fait d une infertilité. Or, le poids est un facteur majeur du risque d infertilité par anovulation. Ce risque est multiplié par 1,3 pour un Graisse abdominale Leptine LH élevée HYPOPHYSE OVAIRES Activité cyt P450c17α élevée Insulinorésistance Hyperinsulinémie IMC compris entre 24 et 25,9 kg/m 2 et jusqu à 3,7 pour un IMC supérieur à 32 kg/m 2 [7]. La répartition des graisses au niveau abdominal est directement liée à la prévalence des troubles du cycle et aux chances de conception après traitement [8]. Or, l épidémie d obésité s accompagne d un accroissement de l obésité abdominale : en, en 2009, l étude Obépi recense 40 % de femmes avec un tour de taille supérieur à 88 cm et ce chiffre atteint 65 % pour un tour de taille supérieur à 80 cm. La graisse abdominale, par le biais de l insulinorésistance [9], est un puissant amplificateur de l hyperandrogénie et par conséquent de l anovulation (figure 4) chez les patientes ayant une prédisposition au syndrome des ovaires polykystiques (SOPK). Si le diagnostic biologique de l insulinorésistance reste controversé, le terrain métabolique peut facilement être reconnu cliniquement par l existence d un rapport taille/hanche supérieur à 0,85, l existence d antécédents personnels de diabète gestationnel ou de macrosomie fœtale ou l existence d antécédents familiaux de diabète. Toute ethnie, poids et âge confondus, 50 à 70 % des femmes SOPK sont insulinorésistantes. Le SOPK est donc une véritable maladie métabolique avec 60 % d obésité, 30 à 35 % d intolérance aux hydrates de carbone et 7 à 10 % de diabète patent. Cet aspect métabolique conditionne non seulement les risques de complications SURRÉNALES FOIE SHBG diminuée IGF-BP1 diminuée Androgènes élevés IGF-1 élevée Atrésie folliculaire Anovulation Figure 4. Schéma des mécanismes par lesquels l obésité abdominale conduit à l anovulation. (LH : luteinising hormone ; Cyt : cytochrome ; SHBG : sex hormone binding globulin ; IGF : insulin growth factor ; IGF-BP : insulin growth factor binding protein). 236

pendant la grossesse mais aussi les risques d échecs des traitements inducteurs de l ovulation. En effet, un IMC élevé est un facteur de risque de résistance au citrate de clomiphène (absence d ovulation malgré l augmentation des doses) et est lié à l augmentation des doses de citrate de clomiphène ou de gonadotrophines nécessaires pour induire une croissance folliculaire. Le premier objectif de la prise en charge du SOPK est de réduire l hyperandrogénie et l insulinorésistance par l obtention d une perte de poids. L amélioration des troubles ovulatoires est obtenue rapidement en deux à quatre semaines même pour des pertes de poids faibles de 5à10%du poids initial et même si l IMC reste anormal. Un régime alimentaire favorable à une ovulation normale Si le rôle du poids est bien documenté, le rôle de l alimentation dans la fertilité féminine est bien moins exploré. Pourtant, certains troubles de l ovulation sont liés à des pathologies métaboliques (diabète, galactosémie), suggérant que des facteurs diététiques pourraient jouer un rôle étiologique dans certaines formes d infertilité. Il y a néanmoins assez peu d études disponibles à ce jour sur le rôle des différents nutriments sur la fertilité. La plupart des données sont issues de la cohorte Nurses Health Study et basées sur un sous-échantillon de 18 555 femmes mariées sans antécédent d infertilité et ayant désiré ou obtenu une grossesse sur cette période de suivi prospectif de huit ans. Parmi ces femmes, 438 ont rapporté une infertilité liée à des troubles de l ovulation. L alimentation a été évaluée dans cette population à deux reprises grâce à un questionnaire de fréquence de consommation qui fournit une estimation des apports en différents nutriments, vitamines, minéraux et fibres. Les résultats (tableau 3) montrent qu il existe bien des comportements alimentaires favorables à la fertilité féminine : consommation de glucides à faible charge glycémique, consommation d AG monoinsaturés plutôt que des trans, consommation de protéines d origine végétale plutôt qu animale, supplémentation en fer, en folates et en vitamines à action antioxydante. L adhérence à ce type d alimentation dite «méditerranéenne» est associée à un risque plus faible d infertilité par troubles de l ovulation. La combinaison d au moins cinq facteurs de faible risque incluant ces comportements alimentaires, le Tableau 3. Résultats et recommandations de la Nurses Health Study II pour diminuer le risque d infertilité par troubles de l ovulation. Risque infertilité Recommandations NHS II ovulatoire «régime méditerranéen» Glucides 1,9 Forte consommatrice/faible Diminuer glucides à charge glycémique élevée (pâtisseries industrielles, céréales, pain blanc) Laitages Lipides Pas de rôle pour lactose, Ca, Ph, Vit D 0,73 Consommer 1 portion par jour de produits riches en matières grasses (lait entier, glaces) 1,85 Forte consommatrice laitages allégés à éviter Pas de rôle consommation totale graisse et cholestérol Éviter AG trans (huiles hydrogénées, fast-food, fritures) 1,79 Augmentation 2 % apports trans/ag polyinsaturés (huile maïs, poisson) 2,31 Augmentation 2 % apports trans/ag monoinsaturés (huile olive) Protides 1,41 Forte consommatrice protéines d origine animale Remplacer viande par poisson 0,78 Consommation protéines d origine végétale Favoriser légumineux oléagineux (riz, lentilles, haricots, fèves) Fer Déficit : 20 % des femmes en âge de procréer 0,60 Consommer des suppléments riches en fer Risque diminué pour consommation fer d origine végétale Pas pour fer héminique apporté par viande rouge Folates 0,59 Consommer suppléments vitaminiques Vitamines B: B9(folates), B6 et B12 Important si hyperhomocystéïnémie Alcool/café Pas de modification du risque d infertilité ovulatoire Soda caféiné 1,47 Forte consommatrice/faible soda à éviter 237

contrôle du poids et la pratique d une activité physique régulière diminue de 69 % le risque d infertilité d origine ovulatoire [10]. Un facteur d échec des traitements d infertilité à ne pas négliger En dehors des troubles de l ovulation liés au SOPK où le rôle du poids dans l anovulation et l infertilité qui en découle est prépondérante, de nombreuses femmes obèses n ont aucune difficulté pour devenir enceinte et avoir des enfants. Néanmoins, chez les femmes ovulatoires et hypofertiles, toute augmentation d un point de l IMC au-delà de 39 kg/m 2 diminue les taux de grossesse spontanée à un an de 4 % [11]. Un IMC supérieur à 25 kg/m 2 est aussi associé à une augmentation de 67 % du risque de fausses couches spontanées (FCS) précoces et également de FCS itératives [12]. Chez des femmes traitées en AMP par fécondation in vitro (FIV)/Intra Cytoplasmic Sperm Injection (ICSI) [13], la méta-analyse de 12 études montre qu un IMC supérieur à 25 kg/m 2 diminue les chances de grossesse de 30 %, nécessite de doses plus fortes de gonadotrophines (+ 210 UI) et augmente de 33 % le risque de FCS. L effet de l IMC est cependant plus marqué sur le taux de succès des femmes jeunes que des femmes de plus de 36 ans, chez qui l altération qualité ovocytaire devient le facteur prédominant d échec [14]. Une prise en charge thérapeutique active de l obésité avec régime hypocalorique et hyperprotéiné, associé à une activité physique quotidienne, est efficace pour améliorer les chances de conception même si elle n est mise en place que dans les semaines qui précèdent la tentative [15]. Indépendamment du poids, une alimentation de type méditerranéenne est également associée à une augmentation de 40 % des chances de succès des traitements de FIV/ICSI [16]. De même, l activité physique améliore significativement le taux d implantation et augmente de 80 % les chances de succès des traitements de FIV/ICSI [17]. Il est donc nécessaire de fournir des conseils diététiques et d hygiène de vie à tous les couples consultant pour infertilité [18]. Ces recommandations doivent être systématiques au même titre que la prescription de suppléments vitaminiques, en particulier, en acide folique. Enfin, le don d ovocytes constitue un modèle particulièrement intéressant pour étudier les effets extra-ovariens du poids, c est-à-dire indépendants de la réponse à la stimulation et de la qualité ovocytaire puisque les ovocytes de donneuses sont transférés après fécondation dans l utérus de receveuses. Les études dans ce modèle suggèrent un rôle du poids sur l endomètre et le développement embryonnaire précoce. En effet, le taux de grossesse évolutive des receveuses en surpoids ou obèses est significativement diminué comparé à celui des receveuses de poids normal [19]. Conclusion L effet du poids sur la reproduction féminine est bien documenté avec un effet prépondérant sur l ovulation, en particulier, sur un terrain prédisposé, mais aussi chez les patientes normo-ovulatoires en augmentant le délai de conception et le risque de FCS précoces. Quant aux patientes infertiles, la prise en charge des problèmes de poids et l identification des autres facteurs environnementaux défavorables, comme la sédentarité, le tabagisme, l alcoolisme, la consommation excessive de caféine ou le stress psychologique, doivent faire partie intégrante du bilan du couple infertile au même titre que l identification de la cause de l infertilité. La correction de ces facteurs doit, en outre, intervenir avant la prise en charge thérapeutique spécifique et peut parfois suffire à l obtention d une grossesse spontanée. Dans le cas contraire, elle permettra non seulement d améliorer l efficacité des traitements mais aussi de prévenir les complications de la grossesse. Quant aux femmes de poids normal, même si elles ont une alimentation équilibrée, une supplémentation en fer, acide folique, iode et vitamines à action antioxydante est recommandée. Conflits d intérêts : Références aucun. 1. Flegal KM, Carroll MD, Ogden CL, Curtin LR. Prevalence and trends in obesity among US adults, 1999-2008. JAMA 2010 ; 303 : 235-41. 2. Charles MA, Basdevant A, Eschwège E. Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l obésité. Obepi, 2009. 3. A long term analysis of the HFEA Register data 1991-2006 (http://www.hfea.gov.uk/en/1540.html). 4. Ramlau-Hansen CH, Thulstrup AM, Nohr EA, et al. Subfecundity in overweight and obese couples. Hum Reprod 2007 ; 22 : 1634-7. 5. Jokela M, Elovainio M, Kivinäki M M. Lower fertility associated with obesity and underweight with US National Longitudinal Survey on Youth. 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