Les enjeux et les défis de l aide pour le commerce pour les PMAs dans l après-istanbul JEAN-MARIE PAUGAM DIRECTEUR EXECUTIF ADJOINT
Monsieur le Président, M. le Secrétaire Général, Excellences, chers délégués, Je voudrais dire un mot des enjeux et des défis de l aide pour le commerce pour les PMAs dans l après-istanbul Le système commercial international a mis près de 40 ans à forger un compromis pacifique entre les mots «aide» et «commerce» sans que l un n essaie d exclure l autre. Nous avons connu des phases ou la clé du développement reposait sur la protection commerciale des industries naissantes, jointe à une politique d investissement public Nous avons connu des phases ou la clé du développement reposait au contraire sur la libéralisation commerciale, qui, seule, allait engendrer la croissance. Depuis la fin des années 1990 nous avons une vision plus nuancée : la libéralisation commerciale ne produit pas d effet automatique sur le développement si elle n est pas accompagnée par une aide au commerce adéquate. L aide au commerce est donc une notion récente mais désormais l une des composantes établies du financement du développement. On l estime globalement à près de 40 Md USD de flux annuel. L assistance technique au commerce au sens où la pratique le centre du commerce international (ITC) n est qu une toute petite fenêtre, environ 1% au sein de cet ensemble de l aide au commerce. Cette aide a trois caractéristiques qui la rendent attractive : elle est efficace, elle peut apporter des solutions innovantes au problème du partage des fruits la croissance et elle contribue à la cohérence des politiques de développement. I- L aide au commerce est efficace, pour ne pas dire rentable en ce qu elle permet d exercer un effet de levier dans la mobilisation de recettes d exportations au profit du développement des PMAs. On met donc un peu d argent public sous forme d aide au commerce et on espère que cela va engendrer un bon retour d argent privé, direct sous forme de flux commerciaux, indirect sous forme d amélioration générale du climat d investissement. L objectif direct et principal de l aide au commerce est donc de renforcer les capacités du secteur privé exportateur pour créer une dynamique auto-entretenue de croissance par les exportations. Comment y parvient-on? En agissant à deux niveaux : Le premier niveau est celui des entreprises, en particulier les PME : vis-à-vis de ces acteurs l enjeu de l aide au commerce est d appuyer ces entreprises sur l ensemble de la chaîne qui va du produit au marché : information sur les marchés, information sur les conditions d accès au marché, mise à niveau sur la qualité, gestion des normes, transport, logistique, financement export, distribution. Le deuxième niveau d action est celui des institutions de soutien au commerce, c'est-à-dire les associations professionnelles, les chambres de commerce et d industrie, les agences de promotion du commerce extérieur. L objectif est ici de créer l infrastructure institutionnelle locale qui permettra de dupliquer et d entretenir l effort de mise à niveau des entreprises, sans avoir besoin à terme de l aide extérieur. En d autres termes, on transfère le savoir-faire même de l aide au commerce à des institutions locales. Ce qui veut dire que le critère suprême de réussite du Centre du commerce
international sera d être devenu totalement inutile car toutes les institutions nationales sauront produire les mêmes services sans son appui. Quels sont les résultats de cet effort? Nous n avons pas de certitude générale mais de nombreux indicateurs partiels qui nous montrent que ça marche et ça marche plutôt bien pour les PMAs. 1 er ex : l agence USAID estime que l effet de levier de ses programmes de renforcement des capacités commerciales est de 42 USD de chiffre d affaire export pour 1 dollar investi (au bout de 2 ans). 2è exemple : La commission économique des Nations Unies pour l Afrique estime qu une augmentation de l aide au commerce de 10% a engendré une baisse de 1,1% du cout moyen d exportation d un container de 20 pieds parti de l Afrique. II- En second lieu, l aide au commerce peut apporter des solutions innovantes pour promouvoir une croissance plus inclusive Nous savons que des exportations dynamiques ont un effet favorable sur la croissance mais qu il n y a pas de lien automatique entre croissance et réduction de la pauvreté. Nous avons donc entrepris de penser l aide au commerce à travers des approches qui ne soient pas exclusivement centrées sur la croissance quantitative des exportations mais contribuent également à acheminer vers les populations les plus vulnérables les bénéfices de la participation au système économique international. Deux exemples : Premier exemple : la promotion des productions des communautés les plus pauvres auprès des grands donneurs d ordres et acheteurs internationaux. Nous faisons cela dans le domaine du tourisme, en connectant des communautés pauvres productrices d artisanat à la demande internationale représentée par les touristes fréquentant les grandes chaines d hôtellerie. Deuxième exemple : la promotion du rôle des femmes dans l appareil exportateur et institutionnel : les femmes sont souvent présentes dans les secteurs d exportations mais majoritairement aux plus bas niveaux des chaînes de production. Notre action s efforce d une part de renforcer leur accès aux systèmes de décision institutionnels qui leur permettront de mieux se former pour progresser dans la chaine de valeur, d autre part de renforcer leur accès aux programmes d approvisionnement des multinationales privilégiant les entreprises animées par des femmes. Ces approches de l aide au commerce à partir du statut et des attentes des populations les plus vulnérables engagées dans les opérations du commerce international ont potentiellement un effet très important sur le revenu des populations considérées. III- L aide au commerce contribue à la cohérence globale de la stratégie de développement des PMAs. Pourquoi et comment? Premièrement parce que l aide au commerce est aujourd hui conçue de manière englobante comme couvrant : les capacités productives, les infrastructures, la gestion des chocs d ajustement des comptes extérieurs et des recettes financières extérieures. En soi, la coordination de ces différents aspects suppose un important travail interministériel, ainsi qu un dialogue global avec les différentes agences source d aide
Deuxièmement parce que l aide au commerce est prioritairement centrée sur le secteur privé : ici encore, les enjeux de compétitivité à l exportation qui intéressent le secteur privé dépassent généralement les frontières d un seul ministère puisqu elles englobent les questions de normes et régulation, de tarifs et procédure douanières, de financement, de transport et de logistique, voire de politique de visas. Donc en organisant le dialogue entre gouvernements et secteur privé sur ces enjeux transversaux, la politique d aide au commerce aide à la formulation d une stratégie cohérente de développement. Deux exemples sur lesquels l ITC a une expérience désormais établie : Premier exemple : la formulation de stratégies nationales d exportations, qui représente d abord un long processus de consultation auquel lequel le secteur privé, les milieux académiques et les différents ministères participent. Deuxième exemple : la préparation des processus d accession à l OMC ; il s agit également d une démarche globale dans laquelle l organisation du dialogue publicprivé permet d une part de créer les conditions de confiance dans la négociation, d autre part d identifier précisément les opportunités commerciales associées au processus d accession. L accession à l OMC incarne aussi des effets de l aide au commerce qui peuvent apparaitre de manière plus indirecte en contribuant à l amélioration générale de l environnement des affaires et donc au climat de mobilisation de l investissement privé. IV- Quels sont les défis de l aide au commerce dans l après-istanbul? J en vois deux principaux. Premier défi : consolider le rôle de l aide au commerce dans la stratégie internationale d appui aux PMAs. Message important dans une enceinte telle que l ECOSOC Je disais en introduction que l aide au commerce était une notion relativement récente sur l agenda international. Consolider son rôle dans l appui au PMAs veut dire à mon sens trois choses. Mieux comprendre et mesurer l impact de l aide au commerce : notre connaissance des résultats est encore parcellaire. C est l enjeu de la 3è revue globale de l aide au commerce qui aura lieu à l OMC la semaine prochaine. C est aussi l enjeu de l ensemble de la stratégie que nous mettons en œuvre à l ITC pour un pilotage par les résultats. Améliorer les procédures pour rendre plus efficace la mobilisation de la communauté internationale : c est un enjeu notamment pour le Cadre Intégré Renforcé pour les PMAs qui doit accélérer sa capacité de déboursement sur des projets dont la formulation doit rester enracinée dans le principe d appropriation de l aide par les bénéficiaires. C est aussi le sens de l adoption récente de la nouvelle stratégie commerciale 2011-2021 de la Banque Mondiale, qui représente un signe prometteur pour la consolidation des acquis de l aide au commerce. Renforcer encore le volume d aide au commerce qui bénéficie directement aux PMAs : de bons résultats ont été enregistrés avec une croissance de 133% entre 2002 et 2009 et un montant de l ordre de 12 milliards. La part de cette aide
affectée aux PMAs s élève désormais à 30 à 33 % environ. On peut progresser encore : à titre d exemple l ITC consacre aujourd hui plus de 55% de ses interventions aux pays les plus vulnérables. Deuxième défi : Innover pour adapter l aide au commerce aux défis de l évolution économique des PMAs Le premier enjeu est ici celui de la diversification : l aide au commerce des PMAs est une aide très dominée par l approche en termes de produits de bases et de progression le long de la chaine de valeur. Cette approche conserve toute sa pertinence mais doit également évoluer pour tenir compte du potentiel économique détecté dans les PMAs pour les secteurs des services, en particulier le tourisme. Cet enjeu est devenu une priorité pour plusieurs agences des Nations-Unies réunies au sein du Comité de pilotage pour le tourisme et le développement durable. Le domaine des industries créatrices pourrait également se révéler source d innovation. Le second enjeu est celui du dialogue avec le secteur privé. Dans une large mesure, le secteur privé est déjà en train de façonner lui-même la nouvelle carte des échanges commerciaux, en intégrant progressivement à sa manière d opérer les notions : de genre (programmes d approvisionnements des multinationales fondés sur le genre), de responsabilité sociale et d éthique, de valeur partagée.etc. L une des missions des agences d aide est de réduire les coûts pour les producteurs pauvres de la rencontre avec les grands acheteurs internationaux désireux de mettre en œuvre ces politiques, tout en s assurant que l élément d aide va bien au bénéfice des populations pauvres. L une des directions de travail est donc celle des partenariats publics-privés sains. Le troisième enjeu est bien sur celui de la croissance inclusive : s assurer que les revenus du commerce peuvent être captés par les populations les plus vulnérables.