L électromyogramme fini le mystère!



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Les neuropathies L électromyogramme fini le mystère! Sandrine Larue 3 Bonne nouvelle! Vous venez enfin de recevoir les électromyogrammes que vous attendiez! Mauvaise nouvelle! Les conclusions du neurologue vous apportent plus de questions que de réponses. O M. Perron, 58 ans, atteint de diabète de type 2, est sujet aux chutes et présente des paresthésies. Souffret-il de neuropathie diabétique? Rapport du neurologue : «Polyneuropathie démyélinisante avec blocs, dispersion et dénervation aiguë.» O M me Lafond, 46 ans, vient d être hospitalisée aux soins intensifs en raison d une pancréatite multicompliquée et d une faiblesse des quatre membres. Est-elle atteinte d une neuropathie des soins? Rapport du neurologue : «Neuropathie axonale sensitive des membres inférieurs. Dénervation chronique distale légère. Unités motrices myogènes et fibrillations dans les muscles proximaux compatibles avec processus mixte.» O M. Champagne, 69 ans, souffre d éthylisme, de douleurs chroniques aux pieds et a une main tombante depuis cinq jours. Rapport du neurologue : «Examen fait trop tôt pour qu il soit possible de détecter une dénervation dans le territoire du nerf radial. Pas d éléments électrophysiologiques compatibles avec neuropathie des membres inférieurs.» AU II E SIÈCLE AVANT Jésus-Christ, Galien prétendait que nos nerfs contenaient une sorte de fluide qui permettait la contraction musculaire 1. Il n avait pas tout à fait tort, puisque nos nerfs et nos muscles fonctionnent à l aide d impulsions électriques. En fait, nous sommes de véritables machines électriques. Pas étonnant que le travail du technicien en électromyographie (EMG) s apparente à celui d un inspecteur électricien! Le technicien va même jusqu à utiliser l électricité comme outil d évaluation clinique du fonctionnement électrique de notre système nerveux périphérique. Ainsi, le terme électromyogramme fait-il référence aux techniques neurophysiologiques appliquées à l étude de l activité électrique des muscles et des nerfs, soit l électromyographie à l aiguille et les études de conduction nerveuse 2. La D re Sandrine Larue, neurologue, exerce à l Hôpital Charles LeMoyne et à la Clinique Neuro Rive-Sud. Elle participe à la clinique neuromusculaire du CHUM et est aussi professeure d enseignement clinique au Dépar te - ment de neurologie de l Université de Sherbrooke. L étude des réactions électriques des nerfs et des mus - cles fait partie intégrante de la démarche diagnostique du neurologue, car elle poursuit les buts suivants 3 : O expliquer les symptômes du patient et les signes découverts à l examen clinique en les rattachant à des anomalies fonctionnelles des nerfs et des muscles ; O chercher des signes électrophysiologiques qui complètent et précisent les signes cliniques ; O décrire la topographie des territoires atteints et l emplacement des anomalies primitives, déterminer la nature et la gravité des lésions. Les indications cliniques de l électromyographie sont aussi nombreuses que variées : neuropathies, myopathies ainsi que troubles de la jonction neuromusculaire et de l excitabilité musculaire. Quand il s agit de faire une électromyographie, certaines étapes (ex. : études de conduction nerveuse et examen à l aiguille) sont effectuées de façon systématique alors que d autres (ex. : stimulations répétitives à la recherche d un trouble de la jonction neuromus - culaire) ne le sont qu en fonction de la question clinique Le Médecin du Québec, volume 47, numéro 1, janvier 2012 47

48 ou de l examen physique du patient. Ainsi, la durée et la difficulté technique d une électromyographie varient d un patient à l autre. Par ailleurs, la difficulté technique d une électromyographie dépend aussi de la physionomie du patient (œdème, obésité, etc.) de même que de son degré de collaboration et de tolérance à l égard d un examen qui, malheureusement, n est pas sans douleur. Comment et pourquoi faire la distinction entre une neuropathie axonale et démyélinisante? Pour mesurer la conduction nerveuse, on stimule un tronc nerveux à l aide d une décharge électrique en même temps que l on enregistre la réponse d un muscle distal innervé par ce même nerf. «Et parce que l on stimule le nerf moteur en deux endroits sur son trajet, le point de la stimulation proximale produit une réponse plus tardive que celui de la stimulation distale : le temps de latence entre ces deux réponses correspond au temps de conduction sur le tronc nerveux entre les deux points de stimulation. La longueur du nerf entre les deux points de stimulation est mesurée directement sur la peau 4.» Le rapport de cette distance sur le temps de conduction est alors égal à la vitesse de conduction le long de ce segment de nerf et varie en fonction de l épaisseur de la couche de myéline du nerf. En permettant la conduction saltatoire d un nœud de Ranvier à l autre, la myéline procure une plus grande vitesse à l influx nerveux. Ainsi, quand un nerf perd de sa myéline, les vitesses motrices et sensitives sont considérablement ralenties et les latences distales sont allongées. Toute vitesse, motrice ou sensitive, inférieure à 35 mè tres par seconde dans les membres supérieurs et à 30 mè tres par seconde dans les membres inférieurs, révèle une démyélinisation importante 5. Les vitesses de conduction de M. Perron sont très ralenties, ce qui témoigne d une atteinte de la myéline périphérique. Contrairement aux vitesses ralenties, une chute des amplitudes n indique pas une perte de myéline, mais plutôt une perte d axones. C est que l amplitude ou le voltage de la réponse nous renseigne sur le nombre de fibres dans le nerf stimulé. L onde enregistrée provient ainsi de la sommation des potentiels d action moteurs ou sensitifs. Par conséquent, à chacune des fi bres nerveuses stimulées dans le nerf correspond un potentiel d action. Dans le cas précis d une neuropathie axonale, les amplitudes sont abaissées. M me Lafond a de petites amplitudes aux membres inférieurs. Son passage aux soins intensifs ayant été des plus difficiles, il a provoqué L électromyogramme : fini le mystère! chez elle la perte irréversible de nombreux axones. La distinction entre neuropathie démyélinisante et axonale n est pas toujours évidente. Si les plus grosses fibres d un nerf (soit les plus rapides) sont lésées, on note un ralentissement des vitesses sans qu un processus de démyélinisation ne soit pour autant en cause. Heureu - sement, le diagnostic d une neuropathie ne repose pas que sur l évaluation comparative des vitesses et des amplitudes. La morphologie des réponses enregistrées contribue aussi à l interprétation des conductions. Dans un nerf normal, l amplitude et la morphologie de la réponse enregistrée ne devraient pas changer, que la stimulation soit distale ou proximale. Toutefois, si le nerf présente une zone de démyélinisation focale et qu on le stimule de façon proximale à cette lésion, l amplitude de la réponse chutera par rapport à celle qui est enregistrée distalement à cette lésion. L onde aura aussi une morphologie étalée appelée «dispersion» (figure 1). En fait, une augmentation de la durée de la réponse motrice de plus de 15 % indique une dispersion temporale 6. La mise en évidence d un tel bloc de conduction permet non seulement de localiser avec précision un point de compression, mais l importance de ce bloc (c est-à-dire de la chute d amplitude entre la stimulation distale et la stimulation proximale) nous révèle aussi jusqu à quel point les déficits sensitif et moteur observés peuvent être attribués à une lésion démyélinisante plutôt qu à une lésion axonale 7. Parce que la myéline peut se régénérer contrairement à l axone, cette information aura une bonne valeur pronostique. Le fait que M. Perron présente des blocs est encourageant, car ses déficits pourraient en grande partie être réversibles. Le diagnostic d une simple neuropathie diabétique n aurait permis aucune avenue de traitement, si ce n est un suivi plus étroit de ses glycémies. Lorsque des blocs de conduction sont découverts en dehors des points de compression anatomiques, l hypothèse d une neuropathie inflammatoire est alors avancée pour expliquer une démyélinisation multifocale et aléatoire. En cas de tableau aigu, on pensera à un syndrome de Guillain-Barré tandis qu un tableau chronique évoquera plutôt une polyradiculopathie inflammatoire. Contrairement aux neuropathies démyélinisantes inflammatoires, les neuropathies démyélinisantes génétiques (ex. : maladie de Charcot-Marie-Tooth) sont responsables d une perte diffuse et continue de myéline. Les neuropathies héréditaires ne donnent habituellement pas lieu à des blocs de conduction. L onde F est un potentiel musculaire enregistré à

Figure 1 Démyélinisation focale et bloc de conduction A. Proximale Distale Onde motrice distale normale Onde motrice proximale normale Formation continue B. Onde motrice distale normale Proximale Distale Dispersion de l onde motrice proximale A. Dans un nerf moteur normal, la morphologie de l onde enregistrée demeure la même que la stimulation soit proximale ou distale. B. Si un bloc de conduction est présent entre les points de stimulation distale et proximale, l onde motrice enregistrée distalement est normale alors que celle qui est obtenue proximalement est moins ample et de morphologie étalée (dispersion). Source : Preston DC, Shapiro BE. Electromyography and neuromuscular disorders. Clinical electrophysiologic correlations. 2 e éd. Phila - delphie : Elsevier ; 2005. p. 41-2. Reproductions autorisée. la suite de la stimulation d un nerf moteur à contrecourant, soit en direction du neurone moteur dans la moelle. Elle provient de la réponse électrique du neurone moteur à cette stimulation par le même nerf que celui qui est stimulé au départ. L onde F permet ainsi d évaluer la conduction nerveuse à proximité de la moelle, ce qui est impossible avec les vitesses enregistrées plus distalement. À titre d exemple, si un patient atteint du syndrome de Guillain-Barré subit une électromyographie trop tôt, les conductions peuvent être encore normales alors que les ondes F seront déjà allongées. L inflam ma tion étant dirigée contre les racines nerveuses, c est donc à proximité de la moelle, par l entremise des ondes F, qu il sera possible de détecter la démyélinisation de façon précoce. En conclusion, l association de vitesses ralenties, de latences d ondes F allongées, de dispersions et de blocs de conduction permet le diagnostic d une neuropathie démyélinisante alors que des amplitudes réduites avec vitesses normales évoquent plutôt une cause axonale. Cette distinction entre une atteinte des axones ou de la myéline est primordiale. La mise en évidence d une démyélinisation chez un patient atteint de polyneuropathie a d importantes répercussions cliniques, car peu de neuropathies sont essentiellement démyélinisantes 7. Aussi, la façon d évaluer une neuropathie démyélinisante diffère-t-elle complètement de celle d une neuropathie axonale. Pourquoi piquer le patient? L unité motrice est l unité fonctionnelle du muscle. Elle est composée d un neurone alpha et de l ensemble L association de vitesses ralenties, de latences d ondes F allongées, de dispersions et de blocs de conduction permet le diagnostic d une neuropathie démyélinisante alors que des amplitudes réduites avec vitesses normales évoquent plutôt une cause axonale. Repère Le Médecin du Québec, volume 47, numéro 1, janvier 2012 49

Figure 2 Réinnervation collatérale : le pourquoi des unités motrices géantes A. UM1 UM2 B. Potentiel d unité motrice géante Dégénérescence axonale Réinnervation collatérale Potentiel d unité motrice polyphasique Groupement A. Effet de groupement des fibres musculaires d une unité motrice (UM2) après dégénérescence de l axone d une autre unité motrice (UM1). L unité UM2 récupère, par réinnervation collatérale (flèches), les fibres de l UM1 qui se trouvent dans son voisinage. B. Interprétation schématique des potentiels d unité motrice géante et polyphasique : les dessins en pointillés indiquent les valeurs normales. Source : Fournier E. Examen électromyographique et étude de la conduction nerveuse. Sémiologie électrophysiologique. Collection Explorations fonctionnelles humaines. Cachan : Éditions Médicales Internationales ; 1998. Reproduction autorisée. des fibres motrices innervées par ce même neurone. Pour l étudier, on utilise une aiguille-électrode concentrique comportant un filament central d un diamètre de 150 microns placé à l intérieur d une canule affûtée en biseau. La surface ovalaire exposée de l électrode active constitue le filament central. Les signaux connectés à l amplificateur central différentiel sont recueillis par le filament central, d une part, et par la canule, d autre part. C est cette dernière qui sert d électrode de référence 8. L aiguille-électrode permet ainsi d enregistrer des ondes visuelles et sonores à même le muscle. Le volume conducteur de l aiguille-électrode est toutefois plus petit que la taille d une unité motrice. Le potentiel d unité motrice enregistré provient de la sommation de l activité des fibres de l unité motrice à proximité de l aiguille et non de celles à distance. Ce potentiel ne fournit donc qu une estimation de l activité électrique d une unité motrice. Le muscle doit idéalement pouvoir être étudié au repos, pendant une contraction minimale et pendant une contraction musculaire maximale, car chacune de ces trois phases est essentielle à l interprétation de l ensemble. Aucune activité musculaire n est normalement visible ni audible au repos complet. Cependant, quand le muscle est dénervé ou enflammé, les fibres malsaines peuvent émettre des décharges anormales très informatives que l on appelle fibrillations ou ondes positives. Les fasciculations s observent également au repos, mais ne sont pas produites par des fibres isolées. Elles sont plutôt attribuables à la contraction spontanée de toute une unité motrice. Des fasciculations peuvent être physiologiques, mais seront obligatoirement pathologiques lorsqu elles sont associées à une atrophie ou à un déficit musculaires. La phase dite de «contraction minimale» sert à étudier la taille (durée et amplitude) des unités motrices et leur configuration (nombre de phases) 9. Dans un syndrome neurogène, il y a perte d axones. Un nombre 50 Le muscle doit idéalement pouvoir être étudié au repos, pendant une contraction minimale et pendant une contraction musculaire maximale, car chacune de ces trois phases est essentielle à l interprétation de l ensemble. L électromyogramme : fini le mystère! Repère

réduit d axones devra alors innerver le muscle. Grâce à la réinnervation collatérale, chaque axone résiduel pourra innerver un nombre grandissant de fibres musculaires, d où la formation d unités motrices géantes (figure 2). Dans les myopathies, on observe le phénomène inverse (figure 3). Des fibres musculaires sont lésées alors que les axones sont toujours intacts. Les unités motrices deviennent ainsi plus petites. Elles seront donc plus courtes et moins amples. M me Lafond présente à la fois des unités motrices géantes dans les muscles de ses jambes et de toutes petites unités dans les muscles de ses épaules, ce qui nous oblige à parler d anomalies mixtes, neurogènes et myogènes. La polyphasie est une mesure de synchronie qui évalue à quel point les fibres motrices à l intérieur d une unité motrice déchargent l influx nerveux en même temps ou non 10. Les unités motrices polyphasiques ne sont pas propres au processus neurogène ou myogène. Dans les deux cas, les unités motrices seront polyphasiques parce que les fibres ne déchargent plus l influx nerveux de façon synchrone. La polyphasie devra donc être considérée à la lumière de l amplitude et de la durée des unités motrices. La phase de contraction maximale permet d évaluer le tracé dit «de recrutement». On obtient alors un tracé riche où les unités motrices se chevauchent et ne peuvent être distinguées les unes des autres. Dans le muscle myopathique, le tracé s enrichit beaucoup plus tôt lors d une contraction musculaire d intensité progressive. Parce que toutes les unités motrices sont plus petites, elles sont nécessairement recrutées en plus grand nombre et plus tôt. Dans un muscle neurogène, le phénomène inverse se produit et le recrutement est tardif. Même lors d une contraction maximale, le tracé demeure appauvri et les unités motrices géantes ne se superposent pas complètement. On parle alors d un tracé interférentiel incomplet. Quelles sont les questions auxquelles l électromyographie ne peut répondre? Pour des raisons anatomiques, l étude de la conduction sensitive est limitée aux principaux troncs nerveux. Autre limite technique : les vitesses de conduction enregistrées ne reflètent que la vitesse de conduction des fibres les plus grosses et les plus rapides au sein du nerf stimulé. C est que les petites fibres myélinisées (qui sont aussi plus lentes) ont un seuil d excitation beaucoup plus élevé. Quant aux toutes petites fibres amyélinisées destinées à la perception de la douleur et de la Figure 3 Morphologie des potentiels d unité motrice Axone normal Neuropathie Myopathie Dans les neuropathies, le nombre de fi bres motrices par unité motrice augmente. Les potentiels d unité motrice sont alors géants, plus longs, et polyphasiques. Dans les myopathies, le nombre de fibres musculaires fonctionnelles par unité motrice diminue. Par conséquent, les potentiels d unité motrice sont petits, courts et polyphasiques. Source : Preston DC, Shapiro BE. Electromyography and neuromuscular dis - or ders. Clinical electrophysiologic correlations. 2 e éd. Phila delphie : Elsevier ; 2005. p. 226. Reproductions autorisée. température, elles ont un seuil d excitation si haut qu elles ne peuvent tout simplement pas être évaluées par électromyographie. Ainsi, un patient présentant des dysesthésies distales pourrait obtenir un électromyogramme tout à fait normal, même s il souffre d une neuropathie des petites fibres. Aucune anomalie ne pourra être détectée si les fibres de gros calibre, destinées à la perception vibratoire ou au tact fin, sont épargnées. Les grosses fibres de M. Champagne sont parfaitement intactes, ce qui explique ses vitesses de conduction normales. L électromyogramme sera aussi normal lorsque les dysesthésies douloureuses proviennent de l irritation sélective d une ou de plusieurs racines sensitives. Il n existe Le Médecin du Québec, volume 47, numéro 1, janvier 2012 Formation continue 51

Figure 4 Radiculopathie sensitive ou motrice A. B. Neurone de la corne antérieure Ganglion de la racine dorsale A. Le nerf sensitif provient du ganglion de la racine dorsale. Les ganglions de la racine dorsale sont des cellules bipolaires dont le prolongement proximal forme la racine sensitive alors que l axone distal donne lieu au nerf sensitif périphérique. La lésion d une racine sensitive ne nuira pas à la conduction le long du nerf sensitif, car la lésion est proximale au ganglion de la racine dorsale. B. Le nerf moteur provient d un neurone de la corne antérieure. La lésion d une racine séparera le nerf moteur de ce neurone. Source : Preston DC, Shapiro BE. Electromyography and neuromuscular dis - or ders. Clinical electrophysiologic correlations. 2 e éd. Phila delphie : Elsevier ; 2005. p. 32. Reproductions autorisée. aucune façon d évaluer la branche sensitive proximale d une racine si la branche motrice est épargnée. La conduction sensitive est évaluée le long d axones prenant naissance dans les ganglions sensitifs alors que les racines sensitives sont plus proximales et font synapse avec le ganglion sensitif (figure 4). La racine motrice provient pour sa part du neurone dans la corne antérieure de la moelle. Une lésion de la racine motrice sépare ainsi le nerf moteur de son neurone, d où la dénervation musculaire vue à l électromyographie. Il faut cependant garder en tête que ces activités spontanées de dénervation (fibrillations, fasciculations) n apparaissent habituellement que de deux à trois semaines après une lésion nerveuse 11. Si l électromyographie est faite de façon trop hâtive, elle pourrait ne pas révéler de dénervation même en cas de radiculopathie motrice aiguë grave (ex. : hernie discale compressive) ou de section traumatique d un nerf. Ainsi, l électromyographie de M. Champagne aurait dû être reportée. En résumé, l électromyographie ne permet pas d évaluer la conduction sélective des petites fibres sensitives distales ni celle des racines sensitives, pas plus qu elle ne permet d éliminer une dénervation active si la lésion d un nerf ou d une racine motrice remonte à moins de deux semaines. L électromyogramme de M. Perron nous a pris par surprise. Il aurait été tentant d attribuer ses déficits sensitifs à son diabète, mais le diabète atteint sélectivement les petites fibres sensitives peu ou non myélinisées. L im por tant déficit vibratoire de M. Perron aurait, par contre, dû susciter un doute, car la conduction des grosses fibres sensitives myélinisées dépend de l intégrité de la couche de myéline. Toutefois, le ralentissement de ses fibres myélinisées motrices est encore plus parlant : les blocs de conduction moteurs confirment une atteinte démyélinisante multifocale alors que l allongement de la latence des ondes F révèle un ralentissement de la conduction motrice proximale. Une polyneuroradiculopathie chronique inflammatoire est donc soupçonnée. La prochaine étape n est pas le dosage de l hémoglobine glyquée, mais plutôt une ponction lombaire à la recherche d une hyperprotéinorachie. M me Lafond présente incontestablement une neuropathie des soins, mais qui n explique pas sa nouvelle faiblesse motrice. Sa neuropathie est surtout sensitive et n occasionne qu une dénervation chronique révélée par les unités motrices géantes et un tracé de recrutement pauvre sans dénervation aiguë (aucune fibrillation, ni ondes positives ni fasciculations). L électromyogramme a cependant permis de démasquer des unités motrices myopathiques et des fibrillations dans les muscles proximaux, ce qui indique une importante myopathie des soins. Chez M. Champagne, vous aviez soupçonné une neuropathie éthylique des petites fibres comme cause de la sensation de brûlure sous les pieds. L électromyogramme normal demeure compatible avec votre hypothèse diagnostique. Il est cependant trop tôt pour constater des signes de dénervation dans le territoire de son nerf radial. De deux à trois semaines de plus auraient été nécessaires entre l apparition du déficit moteur et l électromyographie. Ainsi, une électromyographie effectuée trop tôt après la lésion d un nerf ne permet pas d en évaluer la gravité. 9 52 L électromyographie ne permet pas d évaluer la conduction sélective des petites fibres sensitives distales ni celle des racines sensitives, pas plus qu elle ne permet d éliminer une dénervation active si la lésion d un nerf ou d une racine motrice remonte à moins de deux semaines. L électromyogramme : fini le mystère! Repère

Date de réception : le 20 juin 2011 Date d acceptation : le 23 août 2011 La D re Sandrine Larue n a déclaré aucun intérêt conflictuel. Bibliographie 1. Fournier E. Examen électromyographique et étude de la conduction nerveuse. Sémiologie électrophysiologique. Collection Explorations fonctionnelles humaines. Cachan : Éditions Médicales Interna - tionales ; 1998. p. 10. 2. Léger JM. Interprétation des examens complémentaires en neurologie. Collection Traité de neurologie. Paris : Doin ; 2000. p. 77. 3. Fournier E. Examen électromyographique et étude de la conduction nerveuse. Sémiologie électrophysiologique. Collection Explorations fonctionnelles humaines. Cachan : Éditions Médicales Interna - tionales ; 1998. p. 2. 4. Wikipédia. Électromyogramme. Site Internet : http://fr.wikipedia.org/wiki/ %C3%89lectromyogramme (Date de consultation : le 13 juin 2011). 5. Preston DC, Shapiro BE. Electromyography and neuromuscular dis - or ders. Clinical electrophysiologic correlations. 2 e éd. Philadelphie : Else vier ; 2005. p. 40. 6. Ibid., p. 41. 7. Ibid., p. 43. Summary Shedding some light on electromyography (EMG). EMG enables the evaluation of electrical activity produced by muscles and nerves via nerve conduction study and needle EMG. It is necessary to know the nerve conduction velocity to confirm demyelination or axonal loss. A combination of reduced velocity, F-waves latency, blocks and dispersion help establish a diagnosis of demyelinating neuropathy. Significantly reduced sensory amplitudes and normal nerve conduction velocities will lead toward an axonal etiology. Needle EMG informs as to whether condition is myogenic or neurogenic. Clinical indications for EMG are numerous: neuropathies, myopathies, myasthenia, etc. When interpreting an EMG, its limits must be kept in mind: it cannot evaluate selective conduction of small sensitive distal fibers nor that of sensory roots, and it does not enable detection of an active denervation if motor nerve lesion is less than two weeks old. 8. Léger JM. Interprétation des examens complémentaires en neurologie. Collection Traité de neurologie. Paris : Doin ; 2000. p. 88. 9. Ibid., p. 89-90. 10. Preston DC, Shapiro BE. Electromyography and neuromuscular dis - or ders. Clinical electrophysiologic correlations. 2 e éd. Philadelphie : Else vier ; 2005. p. 218. 11. Katirji B. Electromyography in clinical practice. A case study approach. Saint-Louis : Mosby ; 1998. p. 21. Le Médecin du Québec, volume 47, numéro 1, janvier 2012 53