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Transcription:

Décision n 2010-28 QPC du 16 septembre 2010 Association sportive Football Club de Metz Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 24 juin 2010, par le Conseil d État d une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par l Association sportive Football Club de Metz (ASFC Metz) et portant sur la conformité à la Constitution de l article 231 du code général des impôts (CGI) relatif à la taxe sur les salaires, dans sa rédaction en vigueur au 20 décembre 2002. Dans sa décision n 2010-28 QPC du 16 septembre 2010, le Conseil constitutionnel a jugé que l article 231 du CGI est conforme à la Constitution. Il a relevé, en outre, à la suite de sa décision n 2010-5 QPC 1, que, «si la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence peut être invoquée à l appui d une question prioritaire de constitutionnalité dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit, elle ne saurait l être à l encontre d une disposition législative antérieure à la Constitution du 4 octobre 1958». I. La disposition contestée La taxe sur les salaires est issue du versement forfaitaire institué en 1948 2 à titre temporaire, codifié en 1950 à l article 231 du CGI 3 et pérennisé en 1952 4. Le versement forfaitaire prend la dénomination de taxe sur les salaires à partir de 1968. Cette même année, le législateur décide de réformer en profondeur cette taxe. Une première loi réduit les trois taux de la taxe sur les salaires de 15 % pour les porter à 4,25 %, 8,50 % et 13,60 % selon le montant de la rémunération 5. En outre, afin de faciliter les exportations, une deuxième loi 1 Décision n 2010-5 QPC du 18 juin 2010, SNC Kimberly Clark (Incompétence négative en matière fiscale). 2 Décret n 48-1986 du 9 décembre 1948 portant réforme fiscale. 3 Décret n 50-478 du 6 avril 1950 portant règlement d administration publique pour la refonte des codes fiscaux et la mise en harmonie de leurs dispositions avec celles du décret du 9 décembre 1948 et des lois subséquentes. 4 Article 39 de la loi n 52-401 du 14 avril 1952 de finances pour l exercice 1952. 5 Loi n 68-878 du 9 octobre 1968 sur l allégement de certaines taxes fiscales des entreprises. 1

procède notamment à la suppression de la taxe sur les salaires des employeurs soumis à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur 90 % au moins de leur chiffre d affaires et fait bénéficier les assujettis partiels à la TVA d une réduction proportionnelle de leurs bases d imposition à la taxe sur les salaires 6. Elle supprime également la taxe sur les salaires des collectivités locales et de leurs groupements. Pour compenser ces mesures, elle augmente le taux de TVA. Par la suite, le régime mis en place en 1968 ne va pas connaître de bouleversement fondamental et ne sera modifié que par quelques ajustements relatifs au champ d application de cette taxe (réduction progressive du nombre d assujettis à la taxe sur les salaires, institution d une franchise annuelle et d une décote, modernisation de l assiette ). II. La conformité à la Constitution A. L examen des griefs soulevés par l association requérante Deux griefs étaient soulevés dans le cadre de la QPC. Selon l association requérante, l article 231 du CGI méconnaissait les principes d égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 7 et 13 8 de Déclaration des droits et de l homme et du citoyen de 1789. La requérante soutenait : d une part, qu en mettant la taxe sur les salaires à la charge des seuls personnes ou organismes qui ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d affaires, l article 231 du CGI créait une distorsion entre des entreprises qui ont la même masse salariale ; d autre part, que le mode de détermination de l assiette ressortissait d un «choix purement arbitraire» du législateur qui ne permettait pas de prendre en compte la capacité contributive réelle des assujettis. 6 Loi n 68-1043 du 29 novembre 1968 relative à diverses dispositions d ordre économique et financier. 7 Cet article prévoit que la loi «doit être la même pour tous, soit qu elle protège, soit qu elle punisse». 8 Cet article dispose : «Pour l entretien de la force publique, et pour les dépenses d administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.» 2

Le Conseil constitutionnel a écarté ces deux griefs conformément à la jurisprudence qu il a dégagée en la matière. Il a ainsi rappelé que : le principe d égalité devant l impôt, qui découle de l article 6 de la Déclaration de 1789, «ne s oppose ni à ce que législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu il déroge à l égalité pour des raisons d intérêt général, pourvu que dans l un et l autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l objet de la loi qui l établit» ; et que s agissant du principe d égalité devant les charges publiques, qui résulte, quant à lui, de l article 13 de la Déclaration de 1789, il appartient au législateur, en vertu de l article 34 de la Constitution, «de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives ; qu en particulier, pour assurer le respect du principe d égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu il se propose ; que cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l égalité devant les charges publiques». Le Conseil constitutionnel a ensuite souligné que l examen du respect du principe d égalité devant l impôt devait s opérer imposition par imposition, en jugeant, comme il l avait déjà fait par le passé à plusieurs reprises 9 que, «pour l application du principe d égalité devant l impôt, la situation des personnes redevables s apprécie au regard de chaque imposition prise isolément ; que, dans chaque cas, le législateur doit, pour se conformer au principe d égalité devant l impôt, fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels». En l espèce, le Conseil constitutionnel a jugé que la taxe sur les salaires constitue un impôt à part entière, distinct de la TVA. Certes l assiette de la taxe sur les salaires est constituée par une partie des rémunérations versées par l employeur, déterminée en appliquant à l ensemble de ces rémunérations le rapport existant, au titre de la même année, entre le chiffre d affaires qui n a pas été passible de la TVA et le chiffre d affaires total. 9 Décisions n os 90-285 DC du 28 décembre 1990, Loi de finances pour 1991, cons. 28 ; 97-390 DC du 19 novembre 1997, Loi organique relative à la fiscalité applicable en Polynésie française ; 97-393 DC du 18 décembre 1997, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998. 3

Cependant, la règle selon laquelle la taxe sur les salaires ne frappe que les entreprises exonérées de TVA ou non soumises à cette taxe sur au moins 90 % de leur chiffre d affaires n a pas pour effet de lui conférer le caractère d une taxe sur le chiffre d affaires. Cette décision du Conseil constitutionnel s inscrit dans la continuité des critères dégagés par la jurisprudence communautaire pour caractériser la TVA 10, critères repris par la Cour de cassation 11 et le Conseil d État 12. Faisant application de cette jurisprudence communautaire dans une affaire relative à la taxe sur les salaires, le Conseil d État a ainsi jugé que cet impôt «ne présente pas les caractéristiques essentielles de la taxe sur la valeur ajoutée» 13. Le Conseil constitutionnel a donc jugé que la taxe sur les salaires et la TVA, qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques, constituent deux impositions distinctes, ce qui l a conduit à se prononcer sur le grief de l atteinte portée au principe d égalité devant l impôt au seul regard de la taxe sur les salaires. Il a relevé que «la différence d assujettissement à la taxe sur les salaires correspond elle-même à une différence de situation entre les contribuables qui relèvent de secteurs d activité différents». Les règles d imposition prévues à l article 231 du CGI sont les mêmes pour l ensemble des entreprises relevant d un même secteur d activité. Le législateur pouvait donc assujettir de manière différente à la taxe sur les salaires des entreprises qui sont dans une situation différente, nonobstant une masse salariale identique. Le grief de l absence de prise en compte de la capacité contributive réelle des assujettis n a pas non plus été retenu. Le montant de la taxe sur les salaires est calculé à partir d un barème progressif, appliqué à la masse salariale imposable. Plus l entreprise verse de rémunération, plus elle est assujettie à la taxe sur les salaires. 10 Cour de justice des Communautés européennes, 17 septembre 1997, Fazenda Pública c/ Solisnor-E staleiros Navais SA, C-130/96 ; CJCE, 9 mars 2000, Evangelischer Krankenhausverein Wien (EKW) et autres, C-437/97 ; CJCE, grande chambre, 3 octobre 2006, Banca popolare di Cremona c/ Agenzia Entrate Ufficio Cremona, C- 475/03. 11 Cour de cassation, chambre commerciale, 11 mars 2003, Mutuelles du Mans Assurances IARD, n 00-21.882. 12 Conseil d État, 9 e et 10 e sous-sections, 21 décembre 2007, SASP Football-Club de Metz, n 295646. 13 Ibidem. 4

L association requérante contestait la pertinence de ce mode de détermination de l assiette qui, selon elle, «ressort d un choix purement arbitraire» du législateur et ne permet pas de prendre en considération la capacité contributive des assujettis. Or, le Conseil constitutionnel a rappelé qu en la matière, il «n a pas un pouvoir général d appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu il ne saurait rechercher si les objectifs que s est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l objectif visé ; qu ainsi, en retenant la masse salariale des entreprises comme critère de capacité contributive, le législateur n a commis aucune erreur manifeste d'appréciation». B. L examen d un grief soulevé d office Ayant écarté les deux griefs soulevés par l association requérante, le Conseil constitutionnel a ensuite, pour la première fois dans le cadre de l article 61-1 de la Constitution, examiné d office un grief qui n avait pas été soulevé par un requérant et portant sur le premier alinéa du a du 3 de l article 231 du CGI 14. À cette occasion, le Conseil constitutionnel a précisé sa jurisprudence en matière d incompétence négative «dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit» 15. Dans un premier temps, le Conseil a vérifié la forme législative de cet alinéa, aux termes duquel «les conditions et modalités d application du 1 sont fixées par décret. Il peut être prévu par ce décret des règles spéciales pour le calcul de la taxe sur les salaires en ce qui concerne certaines professions, notamment celles qui relèvent du régime agricole au regard des lois sur la sécurité sociale». Cette disposition résulte de l article 70 du décret n 48-1986 du 9 décembre 1948 16. Elle a été codifiée par le décret n 50-478 du 6 avril 1950. Mais elle a reçu valeur législative par l article 15 de la loi n 48-1974 du 31 décembre 1948 fixant l évaluation des voies et moyens du budget de l exercice 14 Le Conseil constitutionnel a notifié, par lettre du 27 juillet 2010, ce grief susceptible d être soulevé d office par lui à l ensemble des parties. Le Premier ministre y a répondu par des observations enregistrées le 5 août 2010. 15 Décision n 2010-5 QPC du 18 juin 2010, Kimberly Clark, cons. 4. 16 Décret n 48-1986 du 9 décembre 1948 préc. 5

1949 et relative à diverses dispositions d ordre financier 17. Plusieurs articles, qui ont été codifiés à l annexe 3 au CGI, ont été pris sur ce fondement 18. Dans un second temps, il a examiné la question de fond que posait cette disposition. Dans la décision rendue dans l affaire SNC Kimberly Clark, la question de l existence d une incompétence négative avait été écartée au motif que la question du respect de l article 14 de la Déclaration de 1789 ne saurait être invoquée dans le cadre de l article 61-1 de la Constitution. Dans l espèce jugée le 16 septembre 2010, se posait, en revanche, la question de l atteinte qu une éventuelle incompétence négative pouvait porter au principe d égalité devant la loi qui figure à l article 6 de la Déclaration de 1789 et dont le Conseil constitutionnel a déjà jugé plusieurs fois qu il était invocable dans le cadre de l article 61-1 de la Constitution 19. Dès lors, se posait la question de savoir si le législateur avait méconnu sa compétence en adoptant le premier alinéa du a du 3 de l article 231 du CGI. Cependant, l examen de cette question ne pouvait omettre le fait que la rédaction de cet alinéa est antérieure à la Constitution du 4 octobre 1958. Au regard de ces éléments, le Conseil constitutionnel a donc jugé que, «si la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence peut être invoquée à l appui d une question prioritaire de constitutionnalité dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit, elle ne saurait l être à l encontre d une disposition législative antérieure à la Constitution du 4 octobre 1958». Dès lors, il a écarté le grief tiré de ce que le législateur, en adoptant les dispositions du premier alinéa du a du 3 de l article 231 du CGI, aurait méconnu sa propre compétence. 17 Conseil d État, 10 juin 1977, M. Bourdon, n 97965 ; auparavant : section, 12 novembre 1954, Commune de Saint-Yorre, n 9161 ; section, 6 décembre 1957, Union des industries métallurgiques et minières et autres, n 9231 et 9232 ; assemblée, 27 juin 1958, Sieur X, n 40803. 18 Articles 53 et suivants de l annexe 3 au CGI. 19 Par exemple, décision n 2010-1 QPC du 28 mai 2010, Consorts L. (Cristallisation des pensions), cons. 6. 6

Après avoir considéré que la disposition contestée n est contraire à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel a déclaré l article 231 du CGI conforme à la Constitution, dans sa rédaction en vigueur au 20 décembre 2000. 7