Commentaire. Décision n QPC du 13 juillet M. Saïd K.

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Transcription:

Commentaire Décision n 2012-264 QPC du 13 juillet 2012 M. Saïd K. (Conditions de contestation par le procureur de la République de l acquisition de la nationalité par mariage II) Le Conseil constitutionnel a été saisi le 23 mai 2012 par la Cour de cassation (première chambre civile, arrêt n 648 du 23 mai 2012) d une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Saïd K, relative à : - l article 21-2 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité ; - l article 26-4 du code civil, dans sa rédaction résultant de la loi n 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l immigration et à l intégration. Dans sa décision n 2012-264 QPC du 13 juillet 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution en rappelant, s agissant de l article 26-4 du code civil, une réserve d interprétation qu il avait déjà formulée sur cet article. I. Dispositions contestées Dans sa décision n 2012-227 QPC du 30 mars 2012 (M. Omar S.), le Conseil constitutionnel a examiné les articles 21-2 et 26-4 du code civil, le premier dans sa rédaction résultant de la loi n 98-170 du 16 mars 1998 relative à la nationalité et le second dans sa rédaction résultant de la loi n 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l immigration et à l intégration. Pour motiver une nouvelle saisine du Conseil constitutionnel des deux mêmes articles alors qu un seul a été modifié, la Cour de cassation a jugé, le 23 mai 2012 : «Attendu que si l article 26-4 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n 2006-911 du 24 juillet 2006 applicable au litige, a, sous une réserve d interprétation, été déclaré conforme à la Constitution par décision n 2012-227 QPC du 30 mars 2012, en revanche, l article 21-2 du même code, qui, dans sa rédaction résultant de la loi n 98-170 du 16 mars 1998, a

2 également été déclaré conforme à la Constitution par cette même décision, a été modifié par la loi n 2003-1119 du 26 novembre 2003, applicable au litige, en sorte que cette modification rédactionnelle s analyse en un changement de circonstances au sens de l article 23-2, 2, de l ordonnance n 58-1067 du 7 novembre 1958, justifiant, comme tel, le renvoi de la question au Conseil constitutionnel». Si le recours à la notion de «changement des circonstances» était inutile s agissant de l article 21-2 du code civil qui, dans sa rédaction issue de la loi du 26 novembre 2003, n a pas déjà été examiné par le Conseil constitutionnel, il n en va pas de même de l article 26-4 qui était contesté dans la même rédaction que celle examinée le 30 mars 2012. Toutefois, le raisonnement de la Cour de cassation est implicitement fondé sur le fait que ces deux articles, l un relatif aux conditions de fond de l acquisition de la nationalité par mariage et l autre, qui fait référence au premier, relatif aux conditions de contestation de cette acquisition, se lisent ensemble. La question qui se posait au Conseil constitutionnel était de savoir si les modifications apportées par la loi du 26 novembre 2003 à l article 21-2 du code civil justifiaient une solution différente de celle retenue le 30 mars 2012 tant pour l article 21-2 que pour l article 26-4. II. La décision du 30 mars 2012 Dans sa décision du 30 mars 2012, le Conseil constitutionnel a examiné les articles 21-2 et 26-4 du code civil au regard du droit au respect de la vie privée et des droits de la défense. S agissant du droit au respect de la vie privée, le Conseil a jugé : «7. Considérant que l article 21-1 du code civil dispose : "Le mariage n exerce de plein droit aucun effet sur la nationalité" ; que, toutefois, l article 21-2 permet au conjoint d une personne de nationalité française d acquérir la nationalité par une déclaration qui ne peut en principe être faite moins d un an après le mariage et à la condition qu à la date de cette déclaration, la communauté de vie n ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité ; qu il résulte des articles 26-1 et 26-3 que la déclaration de nationalité doit être enregistrée ; que l article 26-4 dispose que, même en l absence de refus d enregistrement, la déclaration peut encore être contestée par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte et prévoit que constitue

3 une présomption de fraude la cessation de la communauté de vie entre époux dans les douze mois suivant l enregistrement de la déclaration ; «8. Considérant, en premier lieu, que ni le respect de la vie privée ni aucune autre exigence constitutionnelle n impose que le conjoint d une personne de nationalité française puisse acquérir la nationalité française à ce titre ; qu en subordonnant l acquisition de la nationalité par le conjoint d un ressortissant français à une durée d une année de mariage sans cessation de la communauté de vie, l article 21-2 du code civil n a pas porté atteinte au droit au respect de la vie privée ; qu en permettant que la déclaration aux fins d acquisition de la nationalité française puisse être contestée par le ministère public si les conditions légales ne sont pas satisfaites ou en cas de mensonge ou de fraude, les dispositions de l article 26-4 n ont pas davantage porté atteinte à ce droit ; «9. Considérant, en second lieu, que la présomption instituée par l article 26-4 en cas de cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l enregistrement de la déclaration est destinée à faire obstacle à l acquisition de la nationalité par des moyens frauduleux tout en protégeant le mariage contre un détournement des fins de l union matrimoniale ; que, compte tenu des objectifs d intérêt général qu il s est assignés, le législateur, en instituant cette présomption, n a pas opéré une conciliation qui soit déséquilibrée entre les exigences de la sauvegarde de l ordre public et le droit au respect de la vie privée». S agissant du respect des droits de la défense, le Conseil a jugé : «11. Considérant, en premier lieu, que la première phrase du troisième alinéa de l article 26-4 prévoit qu en cas de mensonge ou de fraude, le délai dans lequel le ministère public peut contester l enregistrement court à compter du jour de la découverte de ce mensonge ou de cette fraude ; que ces dispositions ne méconnaissent pas en elles-mêmes le respect des droits de la défense ; «12. Considérant, en deuxième lieu, que la présomption de fraude instituée par la seconde phrase du troisième alinéa de ce même article a pour seul objet de faire présumer, lorsqu est établie la cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l enregistrement de la déclaration prévue à l article 21-2, que cette communauté de vie avait cessé à la date de cette déclaration ; que cette présomption simple peut être combattue par tous moyens par le déclarant en rapportant la preuve contraire ; que, dans ces conditions, ces dispositions ne méconnaissent pas, en elles-mêmes, le respect des droits de la défense ;

4 «13. Considérant, en troisième lieu que, toutefois, l application combinée des dispositions de la première et de la seconde phrases du troisième alinéa de l article 26-4 conduirait, du seul fait que la communauté de vie a cessé dans l année suivant l enregistrement de la déclaration de nationalité, à établir des règles de preuve ayant pour effet d imposer à une personne qui a acquis la nationalité française en raison de son mariage d être en mesure de prouver, sa vie durant, qu à la date de la déclaration aux fins d acquisition de la nationalité, la communauté de vie entre les époux, tant matérielle qu affective, n avait pas cessé ; que l avantage ainsi conféré sans limite de temps au ministère public, partie demanderesse, dans l administration de la preuve, porterait une atteinte excessive aux droits de la défense ; «14. Considérant que, par suite, la présomption prévue par la seconde phrase du troisième alinéa de l article 26-4 ne saurait s appliquer que dans les instances engagées dans les deux années de la date de l enregistrement de la déclaration ; que, dans les instances engagées postérieurement, il appartient au ministère public de rapporter la preuve du mensonge ou de la fraude invoqué ; que, sous cette réserve, l article 26-4 du code civil ne méconnaît pas le respect des droits de la défense». III. Les modifications apportées à l article 21-2 du code civil par la loi du 26 novembre 2003 L article 65 de la loi du 26 novembre 2003 a donné une nouvelle rédaction de l article 21-2 du code civil : «L étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de deux ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n ait pas cessé entre les époux et que le conjoint français ait conservé sa nationalité. Le conjoint étranger doit en outre justifier d une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française.» «Le délai de communauté de vie est porté à trois ans lorsque l étranger, au moment de sa déclaration, ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue pendant au moins un an en France à compter du mariage. «La déclaration est faite dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants. Par dérogation aux dispositions de l article 26-1, elle est enregistrée par le ministre chargé des naturalisations.»

5 Ainsi, trois types de modifications furent apportés par rapport à la rédaction de l article 21-2 issue de la loi du 16 mars 1998 : un durcissement des conditions relatives au délai de vie commune dans le mariage qui conditionne l acquisition de la nationalité française : le délai de droit commun est porté d un à deux ans ; un délai de trois ans est institué lorsque l étranger ne justifie pas, au moment de sa déclaration, avoir résidé de manière ininterrompue pendant au moins un an en France à compter du mariage ; la dispense de délai en cas de naissance d un enfant est supprimée ; l ajout d une condition de connaissance suffisante de la langue française ; la suppression de l exigence de continuité de la communauté de vie «à compter du mariage». Enfin la réforme a précisé que la communauté de vie doit être «tant affective que matérielle». Les travaux parlementaires soulignent que cette précision n avait pas pour objet de modifier la règle de droit telle que résultant de la jurisprudence de la Cour de cassation mais qu elle tendait à contredire la tendance de certaines juridictions du fond de se contenter du constat de la cohabitation matérielle et non de la communauté de vie réelle au sens de l article 215 du code civil 1. IV. Examen de la constitutionnalité 1. Dans sa décision du 13 juillet 2012, le Conseil constitutionnel a jugé que les modifications de l article 21-2 du code civil ne sont, en elles-mêmes, pas contraires à la Constitution. En effet, dès lors que le Conseil constitutionnel a jugé que «ni le respect de la vie privée ni aucune autre exigence constitutionnelle n impose que le conjoint d une personne de nationalité française puisse acquérir la nationalité française à ce titre» 2, les conditions posées par le législateur, aussi rigoureuses soientelles, ne peuvent être contraires à la Constitution à moins de porter atteinte par ailleurs à un principe constitutionnel. En l espèce, ni la durée de communauté de vie dans le mariage, ni la précision quant à la qualité de cette communauté de vie, ni l exigence d une condition de connaissance de la langue française ne sont contraires à la Constitution. 1 Sénat, compte-rendu intégral des débats, séance du 16 octobre 2003, article 35 A, pp 14-15. 2 Décision n 2012-227 QPC du 30 mars 2012, précitée, cons. 8.

6 L article 21-2 du code civil n empêche pas l étranger de vivre dans les liens du mariage avec un ressortissant français et de constituer avec lui une famille. Il ne porte donc atteinte ni au droit au respect de la vie privée ni au droit de mener une vie familiale normale. 2. Différente est la question de l effet de l allongement du délai sur l application de l article 26-4 du code civil. Était en cause la présomption de mensonge ou de fraude résultant de la cessation de la vie commune dans l année qui suit l enregistrement de la déclaration aux fins d acquisition de la nationalité française. Dans sa décision du 30 mars 2012, le Conseil constitutionnel a, au nom du respect des droits de la défense, limité la portée dans le temps de cette présomption. Il a jugé que le report dans le temps, sans limitation, de la possibilité, pour le parquet, de renverser la charge de la preuve de l existence de la communauté de vie à la date de la déclaration, en démontrant que la communauté de vie a cessé dans l année qui suit l enregistrement de cette déclaration, aurait «pour effet d imposer à une personne qui a acquis la nationalité française en raison de son mariage d être en mesure de prouver, sa vie durant, qu à la date de la déclaration aux fins d acquisition de la nationalité, la communauté de vie entre les époux, tant matérielle qu affective, n avait pas cessé ; que l avantage ainsi conféré sans limite de temps au ministère public, partie demanderesse, dans l administration de la preuve, porterait une atteinte excessive aux droits de la défense» 3. Par suite, la réserve formulée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 mars 2012 interdit que la présomption de fraude s applique dans les instances engagées par le ministère public plus de deux ans après la date d enregistrement de la déclaration. Le Conseil constitutionnel a ainsi exigé, en formulant cette réserve, que celui qui a fait enregistrer sa déclaration d acquisition de la nationalité française ne soit pas exposé à la rigueur de l inversion de la charge de la preuve pendant un délai excessivement long après l enregistrement de la déclaration. Ainsi, selon la décision du 30 mars 2012, le délai que le législateur ne saurait étendre sans conférer à la présomption de fraude une portée contraire au respect des droits de la défense est le délai entre l enregistrement de la déclaration et sa contestation par le ministère public. Par suite, l allongement du délai de vie commune avant de pouvoir former la déclaration d acquisition de la nationalité 3 Ibid. cons. 13.

7 française par le mariage n est pas en cause. Cet allongement ne méconnaît pas, en soi, la portée de la réserve formulée par le Conseil le 30 mars 2012. L argumentation du requérant reposait sur le présupposé selon lequel plus la durée de communauté de vie nécessaire à l acquisition de la nationalité française est longue, plus la preuve de la communauté de vie est difficile à rapporter et plus la présomption de fraude est rigoureuse. Dans cette logique, l allongement de la durée de la communauté de vie finit par rendre la présomption tellement rigoureuse qu elle porte atteinte aux droits de la défense. Cette logique repose toutefois sur une erreur d interprétation des dispositions en cause : lorsque la présomption de fraude joue (cessation de la vie commune dans l année qui suit la déclaration et contestation par le ministère public au plus tard deux ans après l enregistrement de cette déclaration), celui qui a acquis la nationalité ne se trouve pas placé en situation de devoir rapporter la preuve que la communauté de vie n a pas cessé pendant toute la durée de la période correspondant à la durée de communauté de vie nécessaire à l acquisition de la nationalité française. Ce que le requérant doit prouver, pour renverser la présomption, c est l existence de la communauté de vie à la date de la déclaration. En effet, la preuve de l existence de la communauté de vie à la date de la déclaration fait présumer de la continuité de cette communauté de vie depuis le mariage. Il n est évidemment pas exigé que l époux rapporte la preuve, jour par jour, de l absence de cessation de la communauté de vie. Le parquet peut certes toujours rapporter la preuve d une interruption de la communauté de vie entre le mariage et la déclaration mais il ne bénéficie pas, pour ce faire, de l avantage d une présomption. C est d ailleurs ainsi que le Conseil constitutionnel a interprété les dispositions contestées lorsqu il a jugé dans sa décision du 30 mars 2012 : «que la présomption de fraude instituée par la seconde phrase du troisième alinéa de ce même article a pour seul objet de faire présumer, lorsqu est établie la cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l enregistrement de la déclaration prévue à l article 21-2, que cette communauté de vie avait cessé à la date de cette déclaration ; que cette présomption simple peut être combattue par tous moyens par le déclarant en rapportant la preuve contraire ; que, dans ces conditions, ces dispositions ne méconnaissent pas, en elles-mêmes, le respect des droits de la défense» 4. 4 Ibid. cons ; 12.

8 Par conséquent, la modification de la durée de la communauté de vie nécessaire pour pouvoir acquérir la nationalité française, apportée à l article 21-2 du code civil par la loi du 26 novembre 2003 est sans incidence ni sur l obligation faite à l administration, à défaut de refus d enregistrement dans les délais légaux, de constater l acquisition de la nationalité, ni sur le délai dans lequel le ministère public peut contester la légalité de cet enregistrement, ni enfin sur la période de douze mois suivant la déclaration pendant laquelle la cessation de la vie commune constitue une présomption de fraude affectant la validité de la déclaration. Par suite, elle est sans conséquence sur la constitutionnalité des dispositions prévoyant une présomption de fraude en cas de rupture de la vie commune dans l année suivant l enregistrement de la déclaration. Le Conseil a donc jugé que le fait que l article 21-2 du code civil a été modifié est sans conséquence sur la constitutionnalité de l article 26-4. Il a déclaré les articles 21-2 et 26-4 du code civil conformes à la Constitution tout en rappelant la réserve d interprétation dont il avait assorti, dans la décision du 30 mars 2012, la déclaration de conformité à la Constitution de l article 26-4.