La conduite d investissements en PME/PMI : regard et perspectives



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ETUDES ET DOCUMENTS La conduite d investissements en PME/PMI : regard et perspectives EDITIONS

MAI 2005 La conduite d investissements en PME/PMI : regard et perspectives Sous la direction de : Marylène Coppi, CESTP-ARACT Romain Chevallet, ANACT Enquête auprès d entreprises industrielles de petite taille en Picardie ORGANISATION ET TECHNOLOGIE

TABLE DES MATIÈRES TABLE DES MATIÈRES Remerciements............................................... p. 3 Préambule : objet et méthode.............................. p. 4 1 - Echantillon : en priorité, des investissements productifs en PMI............................................ p. 7 2 - Les objectifs de l investissement et leur contexte... p. 11 3 - Les incidences organisationnelles et humaines de l investissement dans la PME/PMI..................... p. 15 4 - Regard sur la conduite de l investissement........... p. 23 5 - Evaluation par les chefs de projets des difficultés recontrées et des résultats obtenus....................... p. 40 6 - Perspective pour l amélioration de la conduite de projet d investissement................................. p. 51 Conclusion : les politiques publiques au service des conduites de projet d investissement réussies...... p. 56 Annexes...................................................... p. 59 2

Remerciements Nous souhaitons remercier les divers acteurs qui se sont mobilisés dans cette étude : Tout d abord, les entreprises qui ont accepté d y collaborer, en s exprimant sans faux-semblants sur des questions pointant parfois les limites de leur conduite de projet. Marylène COPPI, chargée de mission du CESTP-ARACT et Romain CHEVALLET, chargé de mission de l ANACT, les auteurs de cette étude, pour la qualité et la pertinence de leur travail. Les membres du comité de pilotage : Anne WYART pour le Conseil Régional de Picardie, Christophe JANKOVSKY, représentant du MEDEF de l Aisne et Jean-Luc VASSAUX représentant de la CFDT- Picardie au Comité d Orientation du CESTP-ARACT, Patrick MACCZAK de la DRIRE, Christine COTTON de la CRCI de Picardie, Romain CHEVALLET de l ANACT, Sophie SAVEREUX et Marylène COPPI du CESTP-ARACT. Nous les remercions pour leur implication tout au long de l étude, leurs apports d experts sur divers points de la conduite d un projet d investissement et leurs connaissances du terrain. Ils nous ont aidés à enrichir la méthodologie, à interpréter les résultats et s impliquent dans le transfert et la valorisation de cette étude. Les chargés de mission du CESTP-ARACT, Laurent CARON et Aurélia LE ROUX pour leur contribution au projet. Et le Conseil Régional de Picardie qui a soutenu cette étude et favorisé sa réalisation. Sophie SAVEREUX CESTP-ARACT Henri ROUILLEAULT ANACT 3

Préambule : objet et méthode Objet de l étude Cette étude associe le Conseil Régional de Picardie (CRP) et le CESTP-ARACT, en partenariat avec l ANACT. Le CRP et le CESTP-ARACT sont deux interlocuteurs des PME/PMI ayant, à l origine de l étude, des attentes spécifiques. Le CRP, qui construit les aides à l investissement et les finance, a très peu de retours sur la pertinence de ces aides. En effet, ses attributions en tant que financeur limitent son contact avec l entreprise : celle-ci se doit simplement, de lui fournir les preuves écrites de l achat de matériel que l aide a financé. Le CRP souhaite donc mieux cerner si les aides financières octroyées aux entreprises dans le cadre de projets d investissements (matériel productif, immobilier, informatique) répondent à leurs besoins et leurs attentes. Le CESTP-ARACT souhaite mieux comprendre pourquoi les entreprises le sollicitent le plus souvent en aval de l investissement : soit lorsqu elles rencontrent des difficultés organisationnelles, sociales ou humaines ayant des répercussions économiques ; soit lorsque après un accident du travail sur la nouvelle machine implantée, des institutions de contrôle -comme la CRAM ou l Inspection du travail- les invitent à faire appel au CESTP-ARACT pour améliorer les conditions de travail. L objectif commun est de mieux répondre aux besoins des entreprises qui investissent, en favorisant une réussite économique et sociale du projet d investissement. Il s agit donc d instruire la question suivante : dans quel contexte est-il possible de fiabiliser la conduite de projet d investissement en PME (sachant qu il existe un taux de mortalité élevé des projets) en s appuyant sur une approche à la fois technique, organisationnelle et sociale? Pour tendre vers cet objectif, il convenait tout d abord de réaliser un état des lieux des pratiques d investissement matériel en PME/PMI, de recueillir auprès des entreprises leurs besoins d accompagnement dans la conduite de l investissement, et de comprendre les processus qui concourent le plus souvent à une orientation essentiellement techno-centrée de ces projets d investissement au détriment d une approche plus intégrée des transformations. Méthodologie de l étude Constitution de l échantillon Notre étude porte sur 95 entreprises picardes ayant obtenu une aide financière publique, de type FDPME/PMI ou procédure ATOUT 1, pour réaliser leurs investissements de matériels sur la période 2000-2002. Pour faciliter le travail de prospection des entreprises, nous avons fait le choix, avec l aide de notre partenaire, le CRP, de solliciter les entreprises ayant obtenu une aide financière à l investissement, après instruction soit par la DRIRE, soit par le CRP. 1 - Nous invitons le lecteur à se reporter à l Annexe 1 pour une présentation de ces aides, de leurs objectifs et de leurs conditions d attribution. 4

Le choix de la période 2000-2002 n est pas arbitraire. Il répond à une double volonté : Obtenir des informations récentes sur la conduite de cet investissement auprès du pilote de projet. Or, le turn-over des cadres dans les entreprises étant fort, étudier des investissements antérieurs à l an 2000 faisait courir le risque de ne plus pouvoir s entretenir avec le pilote du projet et ainsi, de ne plus pouvoir reconstruire l histoire de ce processus d investissement. Avoir un recul suffisant pour observer les effets de l investissement. De fait, retenir des investissements postérieurs à 2002 réduisait la possibilité d appréhender, sinon de mesurer, ses divers effets. Notons d ailleurs, que certains projets de 2002 n étaient pas totalement aboutis au moment des investigations de terrain (fin 2003-début 2004). Méthode d investigation L étude comporte deux phases d investigation : l une quantitative par questionnaire, l autre qualitative par entretiens semi-directifs. Notre interlocuteur unique dans l entreprise : le pilote du projet En fonction de nos objectifs, notre interlocuteur dans l entreprise a été le «pilote du projet d investissement», qui était le plus souvent le dirigeant. C est lui qui a répondu au questionnaire, c est aussi lui que nous avons rencontré pour la phase qualitative (même si quelquefois, il s est entouré de collaborateurs de l entreprise). Ce choix répond à notre volonté de mieux comprendre les mécanismes qui conduisent à une non-prise en compte des dimensions organisationnelles et humaines dans la conduite de projet d investissement. Ces mécanismes renvoient à l histoire du pilote de projet, à ses représentations et pas seulement à la position (plus ou moins fragile) de l entreprise sur le marché. Il va de soi que nos résultats s appuient sur du déclaratif, c est-à-dire sur un point de vue subjectif qui ne peut donc pas être considéré comme une photographie exhaustive et purement objective de la conduite d investissement et de ses effets. Toutefois, le taux de réponses au questionnaire, ainsi que le nombre d entretiens réalisés, nous permettent de dégager des récurrences dans les discours tenus. Ce qui laisse penser que le déclaratif reflète bien une part significative de la réalité des entreprises étudiées. Et il y a tout lieu de penser que les entreprises de notre échantillon vivent une réalité proche de la plupart des PME en France. Phase quantitative : enquête par questionnaire Une première étape de recueil d informations sur la conduite de projet d investissement a été réalisée par questionnaire en octobre-novembre 2003. Sur les 230 entreprises financièrement aidées, correspondant à notre critère principal de période d investissement, 95 d entre elles ont accepté de répondre par téléphone au questionnaire. Le questionnaire (annexe 2) comporte quatre grandes parties : La description de l investissement Les objectifs de l investissement La conduite de projet d investissement Le bilan de l investissement. Ce questionnaire a été administré téléphoniquement par l enquêteur, dans un délais de 15 jours après son envoi préalable -par courrier- à l entreprise. Un temps de préparation pour répondre au questionnaire était nécessaire, compte tenu de sa densité et du travail de remémorisation qu il demandait. Phase qualitative : enquête par entretiens semi-directifs Nous avons ensuite voulu approfondir les résultats quantitatifs en réalisant des entretiens semi-directifs avec les entreprises ayant évoqué des conséquences organisationnelles et humaines de l investissement. Au final, 15 entreprises ont été rencontrées pour cette phase d approfondissement. Plus précisément, nous avons approfondi les points suivants : Quelles étaient la nature et les modes d implication des futurs utilisateurs, lorsque l entreprise les avait associés au projet? Pourquoi dans certains cas, n avaient-ils pas été associés? Qui étaient les ressources externes mobilisées pour le projet? Pourquoi? À quel moment? Quelles étaient les conditions de la réussite d un projet d investissement de ce type? 5

Cette phase qualitative nous a aussi permis de constater que certaines questions n avaient pas été comprises comme nous l entendions par nos interlocuteurs, notamment celles relatives à la conduite de projet. Ce qui nous conforte dans l idée qu il convient toujours de clarifier les références qui président au choix des mots utilisés. Guide de lecture du document au regard d hypothèses Cette étude est présentée en six parties, qui mêlent les résultats de l étude quantitative et ceux de l étude qualitative. Cette dernière nous permet en effet d étayer certains résultats chiffrés. Quels sont les caractéristiques de notre population? Dans la première, nous présentons les caractéristiques de notre population d entreprises et des investissements étudiés. Notre population est spécifique puisque construite à partir du listing d entreprises picardes financièrement aidées par l Etat ou la Région. Nous tentons aussi de mieux comprendre dans quel processus se situe l investissement : innovation ou imitation? Quels étaient les objectifs de l investissement? La deuxième partie s intéresse aux objectifs de l investissement, en répondant pour partie à l hypothèse selon laquelle, l investissement est avant tout pensé dans un objectif économique, et moins dans une perspective d amélioration des conditions de réalisation du travail (améliorer l organisation, développer les compétences, garantir la sécurité des installations...). Quels sont les effets de l investissement sur le travail et son organisation? La troisième partie fait état des effets de l investissement sur l organisation du travail et son contenu, sur les compétences, la formation... Cette partie répond à l hypothèse forte, selon laquelle, tout investissement a des effets sur ces dimensions. Comment la PME conduit-elle son investissement? La quatrième partie s interroge sur la conduite du projet d investissement. Elle interroge les hypothèses d une dérive technique des projets (profils des pilotes de projet, des participants, contenu des cahiers des charges...), notamment dans la phase de conception. Cette partie interroge également le caractère participatif du projet, ainsi que l appel aux ressources externes pour fiabiliser le projet. Quelles difficultés ont été rencontrées dans la conduite de l investissement? La cinquième partie évoque les difficultés rencontrées par les entreprises pour conduire et mettre en œuvre les projets d investissement et questionne le niveau de satisfaction des dirigeants sur les différentes dimensions du projet. Elle permet de répondre à l hypothèse selon laquelle, les difficultés sont -pour partie- les résultantes de la conduite des projets d investissement. Elle relate aussi les points de vue des pilotes sur les conditions de la réussite d un projet d investissement. Des pistes d actions pour intégrer toutes les dimensions de l investissement dans sa conduite. Aussi la dernière partie propose certaines pistes d actions pour enrichir les politiques publiques d aides à l investissement des PME/PMI. Ces propositions sont posées au regard des principaux freins à la prise en compte des dimensions organisationnelles et sociales dans la conduite de projets. 6

1 Echantillon : en priorité, des investissements productifs en PMI Notre étude porte sur 95 entreprises picardes ayant obtenu une aide publique (du type FDPME/PMI ou ATOUT LOGIC) pour financer leurs investissements (de matériels productifs, informatiques ou en bâtiments) sur la période 2000-2002. Ce mode de prospection des entreprises explique fortement les spécificités de notre population. Des entreprises de taille réduite Notre population est composée d entreprises de petite taille : 83 % des entreprises ont moins de 50 salariés (tableau 1). La plus grande entreprise compte 234 salariés. Cette répartition n est pas représentative de la structure par taille du tissu économique régional 2. Mais, elle s explique par les critères d éligibilité des entreprises aux aides accordées : moins de 250 salariés et n appartenant pas à un groupe de plus de 250 salariés. Tableau N 1 : Répartition des entreprises par tranches d effectifs (%) De 100 à 200 (7 %) 200 et plus (1 %) De 49 à 100 (7 %) Moins de 9 (27 %) De 19 à 49 (33 %) De 9 à 19 (24 %) Rq : il s agit des effectifs du site dans lequel a eu lieu l investissement étudié et non l effectif de l entreprise, à supposer que l entreprise soit multisite. Des investissements principalement productifs dans des entreprises industrielles Nous avons établi trois grands types d investissements : Des investissements machines, que nous qualifierons de «productifs» ; Des investissements en Technologies de l Information et de la Communication (TIC) : achats de matériels, de systèmes d information, d outils et logiciels, de type PGI 3 ; Des investissements en bâtiments, de construction et/ou de rénovation. 2 - En effet, en 2003, les entreprises de 1 à 49 salariés représentent 52,9% des entreprises picardes, in INSEE- Picardie. 3 - PGI : Progiciel de Gestion Intégrée. 7

Les investissements ici étudiés (tableau 2) sont essentiellement productifs, ils concernent 82 % des entreprises. Ensuite, 19 % sont des investissements en TIC et 9 % des investissements en bâtiments. Tableau N 2 : La nature des investissements réalisés Investissements en construction réaménagement de locaux (9 %) Investissements en matériel et/ou logiciels informatiques (17 %) Investissements machines (74 %) Rq : 93 réponses, 2 n.r. Les entreprises appartiennent, à 88 %, au secteur industriel (tableau 3). Cette surreprésentation sectorielle s explique là encore par le fichier utilisé pour la prospection des entreprises et les critères d éligibilité associés aux aides : Les aides FDPME/PMI permettent de financer du matériel de production (sont exclus les investissements suivants : flottes de camions ou outils de bureautique). Le service de l état co-instructeur pour ces aides est la DRIRE, laquelle est rattachée au ministère de l industrie et n opère donc que pour ce type d entreprises contrairement au CRP qui a plus de latitude d intervention. Tableau N 3 : Répartition sectorielle des entreprises de l échantillon (en %) Industrie manufacturière 88 % Commerce, réparation automobile 5 % Construction 2 % Immobilier, location et services aux entreprises 3 % Agriculture, chasse et sylviculture 1 % Total 100 % Notre population n est donc pas représentative des caractéristiques du tissu d entreprises picardes où ce secteur ne représente que 12 % des entreprises en 2002 4. Toutefois, en termes d actifs, la Picardie est une région avant tout industrielle (et agricole) avec un fort potentiel de sous-traitance constitué de PME 5. L industrie représente 26,3 % des actifs dans la région. Ce qui met la Picardie, en 3 e position sur ce point, derrière l Alsace et la Franche-Comté (3). Des investissements qui relèvent d un saut technologique Nous avons ensuite tenté de repérer l existence d un «saut technologique» franchi par les entreprises avec cet investissement 6. Nous leur avons demandé si ce dernier relevait : D un simple renouvellement de machine, 4 - INSEE-Picardie, 1 er janvier 2002 et 1 er janvier 2003. 5 - Des données chiffrées concernant la Picardie sont disponibles sur le site e.picardie. net. A consulter notamment l étude «L économie industrielle Picarde», sous la rubrique «l économie de la région». 6 - L échantillon est constitué à partir de la liste des entreprises financées sur des dossiers présentant un véritable saut technologique pour l entreprise. Sont exclus théoriquement, les investissements de simple remplacement de matériel ou d achat de matériel sans grand impact sur le savoir-faire de l entreprise, ne s inscrivant pas dans une stratégie d ouverture à de nouveaux marchés (nouveaux clients), ne permettant pas des gains substantiels de productivité. 8

De l introduction de nouvelles machines présentant une rupture par rapport aux technologies jusqu ici utilisées, Des deux à la fois : renouvellement et rupture. L enquête quantitative fait apparaître des différences par types d investissement que les entretiens nous ont permis d approfondir. Pour les investissements productifs : un saut technologique pour l entreprise inscrite dans un processus d imitation En investissant dans du matériel productif (tableau 4), les entreprises semblent massivement franchir un saut technologique puisque l investissement porte dans 68 % des cas sur de nouvelles machines présentant une rupture par rapport à celles jusqu ici utilisées et dans 16 % sur un mixte de renouvellement et de rupture technologique. Tableau N 4 : Nature de l investissement productif (répartition en %) Simple renouvellement de machines de production (renouvellement partiel du processus de production) 16 % Introduction de nouvelles machines (renouvellement global du processus de production par exemple lors de la fabrication d un nouveau produit) 68 % Renouvellement et introduction de nouvelles technologies productives 16 % Total 100 % La différence avec la répartition de référence est très significative. chi2 = 34, ddl = 3, 1-p = > 99%. Il ne s agit pourtant pas d entreprises innovantes au sens où elles construisent le marché des biens et des services. Ce sont plutôt des entreprises qui modernisent leur outil de production par imitation, pour s aligner sur la concurrence en bénéficiant des retombées des diffusions technologiques. Les propos tenus par l un des pilotes de projet le confirment : «Pour nous, cette technologie est nouvelle, même si elle existe depuis longtemps sur le marché». Un autre pilote dira : «On a renouvelé une partie de notre chaîne de production. Cette partie est techniquement très moderne, très différente de celle qu elle a remplacée. Mais nous n'avons pas choisi cette évolution technologique, c est notre fournisseur qui ne construisait plus l'outillage qu on avait avant Et cette machine ne change pas grand-chose à notre manière de produire, de travailler». De fait, ce saut est un changement incrémental impulsé par le fournisseur dans le cadre d une trajectoire technologique construite autour d un cœur de métier, d un savoir spécifique. Il s agit plutôt d une nouvelle génération de matériel appartenant à un même paradigme technologique. Nous verrons que les caractéristiques d une démarche d imitation/absorption impactent également la manière de conduire et de porter le projet (partie IV). Elles expliquent aussi les difficultés rencontrées dans le processus d implantation d outil (partie V). Pour les investissements TIC : le saut technologique franchi est de plus grande ampleur En ce qui concerne les investissements TIC, bien que la phase d investigation quantitative indique qu ils succèdent à un système d information déjà existant (PGI, une GPAO...), les entretiens montrent que le saut technologique est toutefois bien réel (nouvelles fonctionnalités...) et souvent de grande ampleur. Deux exemples, extraits des entretiens, illustrent ces points : Premier exemple, une entreprise centenaire, de tradition industrielle, fait l objet à la fin des années 1990 d un rachat par un groupe. Ce groupe est créé in extenso avec trois entités distinctes qui vont devoir travailler en intégré : la première (celle qui fait l objet de l étude) est la sous-traitante industrielle (produits semi-finis) de la deuxième (produits finis), la troisième est la structure de commercialisation de la deuxième. Le groupe impose un PGI commun à ses trois sites. Mais ce PGI, qui se construit en dehors du cœur de métier de l établissement investigué, induit une véritable rupture technologique qui ne sera pas maîtrisée. Deuxième exemple, une association qui se transforme en plate-forme logistique et voit ses effectifs passer de 20 à 70 salariés en 6 mois, sous l impulsion d un spécialiste du bâtiment recruté comme pilote de 9

projet. Cet acteur importe dans la structure son expérience antérieure et marque, par là même, sa politique de développement. De fait cet expert fait franchir à l association un saut technologique si fort, que cette dernière en perd son identité. Nous constatons que le pilote du projet mesure rarement l importance du saut technologique franchi par l entreprise et ses incidences. Or, nous savons qu un saut technologique ne se réduit pas à l implantation d un nouvel outil. Dans ce contexte, comment l entreprise a-t-elle pu anticiper les moyens organisationnels et humains nécessaires pour accompagner l implantation de l outil et la possible rupture qu il constitue? Il y a, a priori, un risque de décalage fort entre la faisabilité organisationnelle, humaine, sociale, culturelle du saut technologique voulu et la cible visée par le pilote de projet. 10

2 Les objectifs de l investissement et leur contexte Nous avons demandé, par questionnaire, quels étaient les objectifs de l investissement. L entreprise pouvait ordonner 3 réponses parmi 7 possibles. Notre volonté était de repérer la place des dimensions organisationnelles et humaines dans les objectifs de l investissement, mais aussi de repérer si l investissement physique était défini comme un moyen au service d une stratégie de développement pour améliorer la performance économique (augmentation du CA...) ou bien comme une fin en soi pour améliorer l outil de production. L objectif premier est économique... Les investissements (tableau 5) sont prioritairement orientés vers le marché. Pour 56 % des entreprises, ils s inscrivent dans l objectif d améliorer la performance économique de l entreprise. Pour 23 % des entreprises, l objectif est directement d améliorer l outil productif. Améliorer la performance économique de l entreprise (Augmentation/stabilisation du CA, des marges, de la rentabilité) 56 % Améliorer l outil de production (renouvellement, modernisation, augmentation de capacité) 23 % Améliorer la stratégie marketing et/ou commerciale (mieux répondre à la demande, développer de nouveaux produits, développer l export) 11 % Améliorer les conditions de travail (santé, sécurité, pénibilité, mises aux normes du matériel) 5 % Améliorer l organisation du travail 3 % Améliorer l organisation et le système d information (communication interne, externe) 2 % Total 100 % Rq : 93 réponses,1 nr, 1 «autre». Tableau N 5 : Le premier objectif du projet d investissement (%) Sans grande surprise, l amélioration des conditions de travail et celle de l organisation du travail sont des objectifs secondaires et marginaux pour les entreprises. Seulement 5 % des entreprises ont comme objectif premier d améliorer les conditions de travail et 3 % d améliorer l organisation du travail....avec une potentielle confusion entre la fin et les moyens de l action Les fréquences d apparition de chaque objectif (indépendamment de toute considération hiérarchique) montrent que l objectif d amélioration de l outil de production est aussi souvent citée que celui visant 11

l amélioration de la performance économique de l entreprise : chaque objectif concerne 76 % des entreprises. Tableau N 6 : Fréquence d apparition de chaque objectif poursuivi par l investissement (%) Améliorer la performance économique de l entreprise (Augmentation/stabilisation du CA, des marges, de la rentabilité) 76 % Améliorer l outil de production (renouvellement, modernisation, augmentation de capacité) 76 % Améliorer la stratégie marketing et/ou commerciale (mieux répondre à la demande, développer de nouveaux produits, développer l export) 37 % Améliorer les conditions de travail (santé, sécurité, pénibilité, mises aux normes du matériel) 34 % Améliorer l organisation du travail 18 % Améliorer l organisation et le système d information (communication interne, externe) 10 % Certes, les deux objectifs sont liés : améliorer l outil productif vise généralement à réduire les coûts de fabrication, à augmenter la capacité de production, et ceci en vue d améliorer les prix de revient et, in fine, la marge de l entreprise. Toutefois, ces résultats nous conduisent à faire l hypothèse qu il y a dès le démarrage du projet, une confusion entre la fin et les moyens de l action : l amélioration de l outil de production devient un objectif à part entière 7. Cette confusion se vérifie très fortement dans les entretiens menés avec les porteurs de projet technique. Une approche normative des conditions de travail? Le tableau précédent concernant les divers objectifs du projet d investissement appelle d autres remarques. Tout d abord, notons qu au total, 34 % des entreprises ont aussi un objectif d amélioration des conditions de travail, même s il n est pas prioritaire. C est un objectif qui peut être atteint de manière connexe aux autres. Et ceci parce que les machines incorporent des avancées techniques qui permettent des mises aux normes, en matière de sécurité au travail, imposées par la réglementation en vigueur. Les normes de sécurité sont intégrées dans la conception et les protocoles d utilisation de l outil. C est donc un objectif qui peut être naturellement poursuivi. Les porteurs de projet évoquent l amélioration des conditions de travail, principalement en termes de confort, de convivialité des outils, d hygiène (rénovation des sanitaires, des «locaux sociaux») et de sécurité. Ils ont, dans tous les cas, une vision réductrice (car essentiellement matérielle) et normative des facteurs d amélioration des conditions de travail. Ceci est confirmé par les statistiques nationales : 31 % des investissements sont réalisés pour respecter les normes en vigueur 8. Nous pouvons faire l hypothèse que c est aussi pour cette raison que les entreprises sont généralement satisfaites des effets de l investissement sur les conditions de travail (cf. point 5.2). Les facteurs organisationnels d amélioration des conditions de travail ne sont pas pensés et ceci quelles que soient les spécificités des porteurs de projet et/ou des entreprises. De fait, si certains pilotes disent «Il faut que les salariés travaillent dans de bonnes conditions», les conditions évoquées sont exclusivement matérielles. En revanche, seulement 18 % de notre population attribue à l investissement un objectif d amélioration de l organisation du travail. Cet objectif concerne presque exclusivement des entreprises qui réalisent des investissements productifs. Il est surprenant que l objectif d amélioration de l organisation du travail ne soit pas plus fréquent dans les projets TIC, étant donné le caractère structurant de ces outils et la nécessaire refonte (plus ou moins importante selon le cas) des processus qu ils induisent. 7 - Nous reviendrons sur cette hypothèse partie 4.3.1. 8 - Enquête de conjoncture PME-PMI 2002-2003, BNP PARIBAS Lease Group, édition janvier 2003. 12

Un manque de visibilité sur l avenir dans un univers économique complexe Le déficit de stratégie d anticipation du marché par l investissement se rencontre dans les entreprises industrielles familiales construites sur un mode de production artisanal. Ces entreprises sont le plus souvent en position de sous-traitance. Ces entreprises disent ne pas avoir de visibilité sur leur marché Ceci peut s expliquer de diverses façons : Faible expérience des dirigeants dans la recherche des marchés en univers plus complexe. L histoire de ces dirigeants montre que bien souvent, ils ont pris la succession de leurs parents ou grandsparents créateurs de l entreprise. Très vite, ils ont été immergés dans l entreprise, ont appris le métier «en famille» et «avec l équipe». Mais comme ils le précisent, la connaissance du métier se rapporte à l acte physique productif : le tour de main, le réglage des machines à l oreille, le savoir faire... De fait ces chefs d entreprises ont prioritairement une culture métier (technique, produit...) liée à l histoire familiale de l entreprise. Ce qu ils veulent développer est avant tout le «savoir-faire métier» qui passe par la maîtrise technique des procédés de fabrication. Durant cette phase d apprentissage, ils n ont pas été formés à la recherche des marchés et ce, tout simplement parce que le tissu économique était moins complexe : les entreprises n étaient pas autant reliées à un de sous-traitance. Aujourd hui, dans ces entreprises, les dirigeants ne repèrent pas les marchés-produits dans lesquels leur savoir et savoir-faire pourraient être transférés et réutilisés. L un des dirigeant dira : «Avant, c était plus simple, on connaissait nos clients. On n avait pas à les chercher par des procédures de réponse à des appels d offre. Maintenant c est pas produire qui pose problème, c est chercher nos clients». Absence de veille organisée en interne sur divers points : économique, stratégique, technologique, juridique, humain... Aucune ressource interne n est affectée à une fonction de veille dans ces entreprises où la direction est centralisée et souvent composée du seul dirigeant. Comme beaucoup des porteurs de projet de ces entreprises le disent «On n a pas les moyens humains de cette veille, et on n a pas le temps». Ceci peut aussi expliquer que ces entreprises se trouvent davantage -en investissant- dans un processus d imitation que d innovation. Faible sollicitation des ressources externes : qu elles soient de veille ou de conseil. C est dans ces entreprises que le cabinet comptable joue le rôle de relais et de traducteur entre l entreprise et son environnement (cf. point 4.6.2). Aussi, dans ces entreprises familiales, il n est pas surprenant que les chefs d entreprise aient autant de difficultés à rechercher les marchés en univers complexe qu à organiser le travail. Centrés sur le métier, ils n ont ni la culture projet, ni les compétences internes pour anticiper les évolutions du marché, rechercher les marchés et organiser en conséquence les facteurs de production. Ces entreprises sont fragiles N ayant pas les moyens de l anticipation, elles ne peuvent que «réagir» tout entière aux impulsions données par le marché. Les conséquences sur la conduite d investissement émergent donc en cascade. Comme ces entreprises n anticipent pas les évolutions du marché, elles investissent souvent dans l urgence. Elles se remettent «techniquement à niveau». L une d elles dira : «Il faut au minimum s aligner sur nos concurrents : on n a pas le choix». Mais l investissement dans l urgence, régi par un principe d économie générale, conduit inévitablement à «aller à l essentiel» : l implantation de l outil et son appropriation par le salarié par une brève formation-adaptation au poste de travail offerte par le fournisseur. Quand on demande au porteur de projet ce que pensent les salariés concernés par l investissement, du projet et de sa conduite, l un d eux dit : «Ils savent qu on n a pas le choix. Ça passe ou ça casse. C est dur comme boulot ici, c est pénible et sale. Mais ce sont des bosseurs». On comprend aussi que ce type d entreprise n a pas le temps d expérimenter des solutions organisationnelles qui ont montré leur efficacité d un point de vue économique et humain. De fait ici, on comprend par quels processus les conditions de travail ne sont pas la priorité ni du chef d entreprise, ni du salarié. Un porteur de projet ajoutera à ce sujet «les anciens savent qu elles sont comme ça et les acceptent. Mais les jeunes ne veulent plus venir chez nous. Ils préfèrent aller pousser un caddy dans un supermarché pour trois francs six sous. L industrie, ça n attire plus les foules». 13

Un exemple d entreprise Il est ici intéressant de présenter brièvement le cas d une entreprise familiale de sous-traitance industrielle, d une soixantaine de salariés, construite sur un mode de production artisanal, qui subit les conséquences d un défaut d anticipation du marché. Cette entreprise a été fortement concernée par les contrecoups des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Plus généralement, elle est très dépendante du marché du fait de son positionnement de sous-traitante mono-activité. De même, son outil de production est relativement ancien et fait l objet d amélioration par «bouts». Les salariés d exécution sont peu qualifiés, ils présentent par ailleurs une forte ancienneté dans l entreprise. Lors de l entretien, la dirigeante explique que l entreprise a mis plus de 10 ans pour «dégager de la trésorerie». Suite aux évènements du 11 septembre 2001, elle a utilisé en 15 mois toute la trésorerie accumulée en 3 ans. La dirigeante se trouve face à un défi qui la dépasse : diversifier son activité. Mais «dans quoi?» et «comment?»... Sachant que l entreprise n a plus de trésorerie pour autofinancer ses investissements, que les salariés ne sont pas qualifiés et que beaucoup d entre eux présentent déjà des signes de Troubles Musculo-Squelettiques (TMS). Elle conclura par ces propos : «C est de ma faute... J aurais dû anticiper... Mais pendant trois ans, tout allait tellement bien que je me suis endormie sur mes lauriers... Et de toute façon, on avait tellement de travail que je n avais pas le temps... Personne dans l entreprise n avait le temps...» Ces propos illustrent les processus par lesquels une trajectoire technologique construite dans un jeu d interdépendances entre diverses contraintes et opportunités (techniques, économiques, sociales, culturelles...) peut enfermer l entreprise et la mettre dans l incapacité de s adapter pour survivre aux évolutions et contraintes de son environnement. Des investissements rarement isolés Les entretiens effectués avec des responsables de projet montrent que les investissements s inscrivent souvent dans un ensemble d actions visant des changements dans l entreprise. Plus exactement, dans les 15 entreprises investiguées, plusieurs actions de changement avaient eu lieu durant la période (ou autour de la période) d investissement, telles que : Passage aux 35 heures, refonte de l organisation du travail et des horaires de travail ; Mise en place d une démarche qualité, voire d une certification ; Réponses à des contraintes environnementales ; Réponses à des obligations légales relatives à la sécurité au travail. Pourtant, il est intéressant de noter que les responsables de projet ne parviennent pas à rétablir la chronologie des actions durant l entretien. De fait, le discours sur ce point laisse plus une impression de juxtaposition d actions menées en parallèle ou successivement, qu une impression d articulation entre diverses actions inscrites dans un projet global, où l investissement matériel serait un levier de modernisation et d adaptation de l entreprise à l environnement parmi d autres actions. Dans certains cas, cette situation peut être un facteur de risque supplémentaire dans la conduite de l investissement : lorsque des arbitrages issus des autres projets peuvent interférer et être mal instruits par défaut de cohérence. 14

3 Les incidences organisationnelles et humaines de l investissement dans la PME/PMI Les investissements étudiés ont eu de fortes conséquences sur les dimensions organisationnelles et humaines de l entreprise. Mais ces dimensions sont prioritairement considérées comme des variables d ajustement. Dit autrement, les changements sur ces dimensions sont davantage des conséquences des choix techniques réalisés, prises en considération seulement au moment de leurs émergences, que des conséquences anticipées dans le cadre d une cible organisationnelle et humaine définie en amont du choix et de l implantation de l outil technique. L ampleur des projets d investissement Deux questions nous permettent de repérer l ampleur du projet pour l entreprise et par-là même de faire l hypothèse d une plus ou moins grande incidence des projets d investissement sur les dimensions organisationnelles et humaines : «Comment qualifiez-vous globalement l ampleur du projet pour l entreprise?» «À combien estimez-vous le pourcentage du personnel concerné par le projet?» 9 Tout d abord (tableau 7), le projet est majoritairement qualifié d ampleur importante par 59 % des pilotes de projet. Seulement 14 % des pilotes de projet le considèrent d ampleur localisée. Et 27 % d entre eux estiment qu il concerne globalement l entreprise. Tableau N 7 : Qualification de l ampleur du projet pour l entreprise (répartition en %) Localisée (14 %) Globale (concerne toute l entreprise) (27 %) Importante (59 %) Rq : 94 entreprises ont répondu à la question. C est au final 86 % des entreprises qui s engagent par cet investissement dans un projet présentant des défis pour l entreprise. Les traitements-statistiques ne font pas apparaître de différences selon les types d investissements réalisés. 9 - Une réserve peut ici être émise concernant les objets qui permettent de qualifier l ampleur du projet. En effet, l ampleur du projet peut renvoyer à son incidence économique, au saut technologique franchi, au coût financier, au défi culturel... Toutes ces éventualités sont envisageables a priori. Et la réponse apportée par notre interlocuteur dépendra de sa connaissance sur les divers points et de son niveau d implication dans le projet... Toutefois, ce que nous souhaitions circonscrire ici, c est la perception de l enjeu, son lien avec les dimensions organisationnelles et humaines du projet. 15

Par ailleurs, les investissements concernent un pourcentage élevé de salariés (tableau 8). En effet, si 41 % des investissements concernent moins de 30 % des salariés, il est essentiel de préciser que 31 % d entre eux concernent au moins 60 % de salariés. Tableau N 8 : % de salariés concernés par l investissement selon le type d investissement 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 31 % 27 % 40 % 28 % 28 % 28 % 41 % 45 % 32 % Tout type d investissement Investissement productif Investissement TIC et bâtiment De 5 % à 29 % De 30 % à 59 % De 60 % à + Rq : 81 entreprises ont répondu, 14 n ont pas répondu. Les investissements productifs sont humainement plus localisés (45 % concernent moins de 30 % des salariés) que les autres (40 % des investissements TIC ou bâtiments concernent au moins 60 % des salariés). Cette différence paraît assez cohérente avec ce que nous enseigne la littérature sur les périmètres d incidences des divers types d investissements. Enfin (graphique N 1), nous vérifions l hypothèse que l ampleur du projet correspond au pourcentage de personnel concerné par l investissement, puisque ces deux variables sont corrélées 10. Graphique 1 : % de salariés concernés par le projet selon l ampleur du projet 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 Globale Importante Localisée < 20 % de salariés Des 20 à 50 % de salariés + de 50 % de salariés En effet, 80 % des projets d investissements jugés «d ampleur globale» pour l entreprise concernent plus de la moitié des effectifs. À l inverse, plus l investissement est jugé «d ampleur localisée», et moins il concerne de salariés dans l entreprise. Nous avons ici la confirmation que la perception de l ampleur du projet par le pilote renvoie aussi à des enjeux humains et organisationnels. 10 - Le coefficient de corrélation est utilisé pour mesurer le degré de liaison entre deux variables. Une corrélation forte signifie que les deux variables sont liées, explicatives l une de l autre. 16

Des projets avec des conséquences sur les dimensions sociales et humaines de l entreprise Au titre du bilan de l investissement, nous avons demandé au pilote, si le projet avait eu «globalement des impacts sur les dimensions sociales et humaines de l entreprise?» Il est frappant de constater (tableau 9) que pour 70 % des entreprises, le projet d investissement a eu des impacts sur ces dimensions. À ce niveau de considération globale, il n y a pas de différences significatives entre les divers types d investissement. Tableau N 9 : Les investissements ont-ils eu des impacts sur les dimensions sociales et humaines de l entreprise? Oui 70 % Non 30 % Total 100 % Rq : 91 entreprises ont répondu. Ce résultat exclus les non-réponses. Nous souhaitions également repérer la propension des entreprises à considérer l organisation du travail comme un moyen d atteindre les objectifs qu elles s étaient fixés. Et ceci dans le droit-fil des «technologies-organisationnelles» promues par le Ministère de l industrie 11. Les entretiens montrent que l organisation est rarement perçue comme un levier structurant de la réussite du projet. Les pilotes de projet perçoivent peu l intérêt de travailler cette dimension en amont. L un d eux nous dit : «L organisation, c est de la mise en musique après avoir construit l usine». Un autre nous dit «On ne pouvait pas prévoir des problèmes d organisation du travail puisqu on ne savait pas vers quelle organisation l on allait». Dans une autre entreprise qui met en place un PGI de grande ampleur (initié depuis 2 ans au moment de l étude), le projet, conduit essentiellement autour des besoins techniques et fonctionnels du système d information, ne permet toujours pas de connaître la cible organisationnelle sur laquelle s appuiera le nouveau système d information. Lorsqu on demande au pilote de projet comment va se faire la bascule informatique, il répond : «Pour l instant, je ne sais pas On essaie de finaliser le système informatique et après on verra comment on se répartit les rôles sur le terrain, qui fait quoi Vous savez, on a déjà multiplié par 2,8 notre budget pour le système informatique Et je sens que je vais encore devoir demander à la direction, une rallonge Pour l instant, elle suit, mais bon On n en voit pas le bout Alors, une chose après l autre Mais, c est vrai, je ne vois vraiment pas comment on va faire la bascule!!!». Ce résultat est inquiétant au regard des exigences de la procédure Atout qui finance ce type d investissement. En effet, cette procédure attend que l entreprise redéfinisse ses processus de circulation de l information et les différentes fonctions. Notons maintenant qu il y a un lien entre les objectifs et les incidences socio-organisationnelles du projet (tableau 10). Tableau N 10 : % d entreprises dont le projet a eu des incidences sur les dimensions sociales et humaines de l entreprise selon l objectif poursuivi par le projet d investissement Objectifs % Incidences Améliorer l organisation 88 % Améliorer les conditions de travail 84 % Améliorer la performance économique de l entreprise 72 % Améliorer l outil de production 72 % Améliorer le SI 67 % Améliorer la stratégie marketing et commerciale 55 % 11 - «Technologies organisationnelles pour l entreprise», DIGITIP, juillet 2002. 17

Quand l objectif de l investissement vise l amélioration de l organisation ou celle des conditions de travail, plus de 80 % des entreprises connaissent des évolutions sur les dimensions sociales et humaines, alors que «seulement» 67 % des entreprises dont le projet vise l amélioration du système d information (SI) enregistrent des répercussions humaines et organisationnelles suite à l investissement. On vérifie donc que plus l entreprise a intégré dans ses objectifs des dimensions sociales et organisationnelles, plus elle est en capacité de les constater en tant que nature de changements. Enfin, il y a une corrélation forte entre l ampleur du projet et l émergence d impacts sur les dimensions sociales et humaines de l entreprise (graphique 2). Plus l ampleur du projet est forte et plus les incidences sont importantes. Graphique 2 : % d entreprises où le projet a eu des impacts sur les dimensions sociales et humaines selon l ampleur du projet 80 70 60 50 40 30 20 10 0 79 % 75 % 33 % Ampleur globale Ampleur importante Ampleur localisée Nous avons ensuite demandé aux entreprises sur quelles dimensions, plus précisément, l investissement avait eu des impacts. Tous investissements confondus (tableau 11), l impact le plus fréquent reste organisationnel, dans 75 % des cas. Seulement, 46 % des entreprises ont mis en place des formations pour faire face à l évolution de l organisation du travail et de l activité. Ce pourcentage est faible dans la mesure où la majorité des investissements étudiés relèvent d un saut technologique pour l entreprise. Tableau N 11 : Les dimensions impactées par l investissement (%) Tout type Investissement Investissement Les dimensions d investissement productif TIC et bâtiments L organisation 75 % 73 % 80 % La politique de formation 46 % 52 % 32 % La politique de recrutement et de mobilité 35 % 39 % 24 % Autres 4 % 4 % 4 % La différence avec la répartition de référence est très significative. chi2 = 70, ddl = 5, 1-p = > 99 %. Le % de citations est supérieur au % d observations du fait des réponses multiples. Il y a des différences selon le type d investissement réalisé : Les investissements productifs ont plus d impacts que les autres sur la politique de formation (52 % contre 32 %), sur la politique de recrutement et de mobilité interne (39 % contre 24 %) A contrario, les investissements non directement productifs (TIC et Bâtiments) ont des impacts plus forts que les investissements productifs sur l organisation globale (80 % contre 73 %). Ceci s explique en partie par le périmètre souvent important de ces projets comparé au périmètre impacté par un renouvellement ou l achat d une nouvelle machine de production. 18

Il est ensuite intéressant de noter le lien entre l objectif de l investissement et les impacts socioorganisationnels (tableau 12). Lorsque l entreprise vise une amélioration de l organisation de son SI, cet objectif se traduit souvent (ou s accompagne de) par une modification de l organisation (73 %). De même, l objectif d amélioration des conditions de travail s accompagne aussi plus fortement d une modification (55 %) de l organisation. Remarquons également que les entreprises qui poursuivent un objectif d amélioration de l organisation du travail mettent plus que les autres l accent sur la formation (39 %). Tableau N 12 : Les dimensions impactées- aux objectifs de l investissement (%) Conséquences du projet L organisation La politique de La politique Total recrutement et de de formation Objectifs du projet mobilité interne Améliorer la performance économique de l entreprise 49 23 28 100 % Améliorer les conditions de travail 55 23 22 100 % Améliorer l outil de production 48 22 30 100 % Améliorer l organisation du travail 48 13 39 100 % Améliorer la stratégie Marketing 51 21 28 100 % Améliorer l organisation du SI 73-27 100 % Nous vérifions que les entreprises, conscientes des différentes dimensions de l investissement, sont en mesure, à la fois d afficher comme objectif l amélioration de l organisation et des conditions de travail et de jouer sur les leviers de conduite de changement pour y parvenir (la formation, l évolution des postes...). Des investissements avec de fortes incidences organisationnelles Nous avons demandé aux entreprises dont l investissement avait eu des conséquences sur l organisation, c est-à-dire 75 % de l échantillon, de préciser la nature de ces incidences en leur proposant de choisir de 1 à 4 réponses ordonnées parmi 7 changements possibles. Le changement (tableau 13) le plus souvent rencontré porte à 48 % sur l évolution des procédures et des pratiques de travail. Viennent ensuite les évolutions des compétences des salariés pour 15 % des entreprises concernées. Et en troisième position, à 13 %, c est l organigramme fonctionnel qui est prioritairement impacté par l investissement. Tableau N 13 : Quelle est la dimension organisationnelle prioritairement impactée par l investissement? répartition en % Évolution des procédures et pratiques de travail 48 % Évolution des compétences 15 % Évolution de l organigramme fonctionnel 13 % Polyvalence/spécialisation de personnels 8 % Création/disparition de postes de travail 8 % Évolution des métiers 5 % Évolution des horaires de travail 3 % Total 100 % La différence avec la répartition de référence est très significative. chi2 = 77, ddl = 9, 1-p = > 99 %. 19