2003-37/IL Direction Juridique Paris, le 5 mai 2003 Audition du 29 avril sur la Révision de la Directive Crédit à la Consommation, Parlement Européen, Comité Juridique et Marché Intérieur. Participant : Groupement Européen des Caisses d Epargne ; Isabelle Loup, Conseilleur Juridique à la Caisse Nationale des Caisses d Epargne et de Prévoyance (CNCE) 1. Quelle importance le risque de remboursement représente-t-il au regard du bénéfice à retirer des crédits à la consommation? Le risque de (non-)remboursement représente une perte pour l établissement de crédit (perte du capital restant dû et perte des intérêts y afférents). C est pourquoi l établissement vérifie, avant l octroi de tout crédit, la situation du consommateur, en particulier financière, à la fois sur la base des informations fournies par ce dernier et, le cas échéant, au regard du fichier des incidents de paiement. En d autres termes, il accorde des crédits de manière responsable, mais ce point sera développé plus avant sous la question 4 ci-après. Chiffres : le crédit à la consommation «classique» représente environ 85% des crédits à la consommation accordés par les Caisses d Epargne françaises, le crédit revolving représentant quant à lui 10% du total, et les découverts les 5% restants. Afin de mieux illustrer nos propos, voici une brève description de la procédure suivie au sein des Caisses d Epargne françaises en cas de non-remboursement des crédits revolvings. L exemple du crédit revolving Dans ce domaine, les Caisses d Epargne françaises connaissent un taux de 2% de non-remboursement des crédits renouvelables sur les encours mensuels sachant qu un incident de paiement est qualifié comme tel à compter de deux échéances impayées. Dans un tel cas, les Caisses d Epargne s efforcent, au cours des mois qui suivent la notification de non-remboursement, de trouver un accord avec le client défaillant.
Par ailleurs, depuis le 1 er janvier 2003, les clients en difficulté peuvent, après avoir épuisé les voies de recours internes aux Caisses d Epargne (services de gestion des réclamations), saisir le Médiateur institué auprès de la Caisse Nationale des Caisses d Epargne. Le taux raisonnable de non-remboursement constaté dans ce domaine peut s expliquer notamment par le fait que la loi française sur le crédit à la consommation (aujourd hui reprise dans le code de la consommation) ne couvre que les crédits d un montant inférieur à 21 500, et que la durée moyenne des crédits s étend de douze à trente-six mois. S agissant plus précisément du plafond, le législateur français l a fixé à 21 500 1 car il estime que les emprunteurs qui souscrivent des crédits d un montant important ne requièrent pas une protection équivalente puisqu ils le font généralement à des fins spéculatives ; ils présentent d ailleurs de ce fait un faible risque de nonremboursement et/ou de surendettement. Les établissements de crédit français bénéficient ainsi d une limitation de leurs risques financiers liés au crédit à la consommation. Précisons qu en France, les crédits immobiliers sont régis par une loi spécifique, à l exception des dépenses de construction, de réparation d amélioration ou d entretien d un immeuble lorsque le montant des travaux n excède pas 21 500 (un tel emprunt étant alors régi par les dispositions relatives au crédit à la consommation). En outre, les procédures requises en cas de remboursement défaillant, telles que décrites ci-dessus, sont si contraignantes pour les banques qu il est dans leur intérêt de prendre un minimum de risques lorsqu elles octroient du crédit (idée de prêt responsable) ce qui protège ainsi les consommateurs les plus «fragiles». Enfin, les Caisses d Epargne, banques de réseau et de proximité, ont établi des liens étroits avec leurs clients, essentiellement des particuliers et de très petites entreprises/des professionnels individuels. Cela leur permet de dessiner un profil personnalisé de la situation financière de leurs clients et, ainsi, d adapter le crédit aux besoins du candidat à l emprunt, ce qui réduit les risques de non-remboursement. Conclusion Nous pensons qu en matière de crédit à la consommation, les législations nationales actuellement en vigueur, ainsi que l analyse du risque opérée par les établissements de crédit, suffisent à limiter les risques de non-remboursement, et le cas échéant de surendettement si l on se place du point de vue des consommateurs. A cet égard, il ne nous semble donc pas nécessaire d adopter une Directive dont les dispositions iraient bien au-delà de ce qui est prévu au niveau national, car aucun texte, aussi «protecteur» soit-il, ne permettra d éliminer tout risque en matière de crédit, un tel risque étant inhérent au marché. 1 Le plafond fixé pour les crédits à la consommation pourrait d ailleurs être augmenté, en passant par exemple à 40 000, afin de couvrir un nombre plus important de consommateurs. 2
2. Les garanties/sûretés devraient-elles être incluses dans le champ d application de la Directive? Nous pensons que la Directive devrait couvrir les seules garanties couvrant des crédits offerts à des personnes physiques, et non celles liées à des prêts professionnels (cf. les articles 2-e et 3.1). En effet, les professionnels n ont pas besoin du même niveau de protection que les consommateurs (définis comme étant des personnes physiques agissant en dehors de toute activité professionnelle). En outre, les garanties fournies par des membres du cercle familial ou par un particulier pour sa propre société sont des moyens souvent utilisés pour garantir un crédit en particulier dans le secteur des (très) petites et moyennes entreprises (T-PME). Aussi l extension de la Directive à de telles garanties pourrait-elle avoir des conséquences néfastes sur un plan économique, les risques pesant sur les prêteurs étant difficilement acceptables. L application des mêmes règles aux garanties accordées dans le cadre d un prêt personnel et d un prêt professionnel conduira les établissements de crédit à limiter les offres de crédit aux (T)PME. Nous pensons également que les crédits garantis par une hypothèque ne devraient pas être soumis à la même réglementation que les crédits à la consommation car ils font déjà l objet d une protection suffisante (enregistrement par un notaire, tout au moins en France), et sont soumis à d autres techniques de refinancement. Nous demandons par conséquent l exclusion du champ d application de la Directive de tous les crédits garantis par une hypothèque. 3. Une harmonisation maximale est-elle souhaitable? Selon les Caisses d Epargne françaises, la question doit être abordée sous deux angles : celui de la clause d harmonisation maximale (art. 30 1 de la proposition de Directive) et celui du niveau d harmonisation préconisé dans le cadre de la proposition de Directive. a) La clause d harmonisation maximale Les Caisses d Epargne françaises sont favorables à l insertion de la clause d harmonisation maximale, laquelle signifie l interdiction pour les Etats membres d adopter des dispositions autres que celles contenues dans la Directive. En effet, les clauses minimales traditionnellement inscrites dans les Directives ont conduit à l application divergente de celles-ci dans les différents ordres juridiques nationaux et, ainsi, à une forte fragmentation du marché européen. Cette fragmentation du marché n a pas, jusqu à présent, incité les consommateurs à effectuer des opérations transfrontières, en particulier dans le domaine des services financiers de détail. Du point de vue des établissements de crédit français, cette 3
fragmentation a créé des distorsions de concurrence au détriment de ceux qui sont situés dans des Etats membres dont la législation est plus stricte. Cependant, un autre aspect doit également être envisagé, celui du niveau d harmonisation de la Directive. b) Le degré d harmonisation proposé Nous estimons que les dispositions de la Directive sont excessives au regard du but recherché. Cette approche, que l on pourrait qualifier de «maximaliste», risque en effet de restreindre l accès au crédit et de donner lieu à un renchérissement du coût du crédit, ce au détriment de toute une frange de la population. Par conséquent, la Directive n atteindra pas son objectif, bien au contraire, puisqu elle ira à l encontre des intérêts des consommateurs. Ainsi donc, nous pensons que la proposition de Directive doit être revue au regard des réalités du marché, et dans le sens d un rééquilibrage entre les obligations du prêteur et de l emprunteur. Pour conclure : Nous sommes donc favorables à l introduction d une clause d harmonisation maximale dans la Directive, mais préconisons une révision à la baisse du niveau d harmonisation proposé. 4. Quelle incidence l introduction du principe de «prêt responsable» aurait-elle? Nous approuvons et appliquons quotidiennement le principe de «prêt responsable», puisqu il est de l intérêt même des banques d éviter tout crédit impayé. Cependant, nous ne sommes pas favorables à l introduction d une obligation vague et imprécise dans la Directive, car cela risque d avoir pour effet une augmentation importante du nombre de litiges mettant en jeu la responsabilité des banques, et de donner lieu à une interprétation divergente de cette notion devant les juridictions nationales. En effet, l évaluation précise du risque de non-remboursement est au cœur de l activité des établissements de crédit. En outre, il semble irréaliste de penser qu il soit possible de parvenir à une élimination totale du risque, à moins d exclure du crédit de nombreux consommateurs en raison des risques qu ils présentent. L insertion du principe de prêt responsable dans la Directive pourrait également entraîner un renchérissement du coût du crédit, les banques cherchant à mutualiser leurs risques et à se prémunir contre toute condamnation pour prêt irresponsable. De surcroît, le droit commun des différents Etats membres offre déjà une protection des consommateurs contre d éventuels abus des prestataires de services/des banques. Ces dispositions, cumulées à celles de la future 4
Directive communautaire, devraient suffire à permettre aux consommateurs de prendre leur décision finale de manière responsable, sans qu il soit nécessaire pour autant d introduire le principe de prêt responsable. L introduction de ce principe dans la Directive créera une véritable présomption de responsabilité à la charge de l établissement de crédit (cf. l article 9 : «Lorsque le prêteur conclut un contrat de crédit, il est sensé avoir estimé préalablement, par tout moyen à sa disposition, que le consommateur (sera) raisonnablement à même de respecter (ses) obligations découlant du contrat»), l article ne prévoyant aucune obligation à la charge de l emprunteur (voir dans le même sens les dispositions de l article 6 sur l information réciproque et préalable et l obligation de conseil). Or, cette approche vient en contradiction avec celle de la Cour de Justice des Communautés Européennes, qui définit le consommateur comme «quelqu un de raisonnablement bien informé et raisonnablement prudent et circonspect, qui se renseigne de manière attentive sur les informations relatives au produit vendu et, ainsi, sur les caractéristiques générales du produit». Il nous semble en effet que le consommateur devrait tout au moins être soumis à une obligation minimale, celle d avoir correctement évalué sa situation financière avant de souscrire un contrat de crédit. Mais la Commission européenne semble avoir renoncé à ce principe de partage des responsabilités dans la proposition de Directive actuelle. Autre conséquence liée à l introduction d un tel principe : cela signifierait que la Directive part du postulat selon lequel le consommateur fournit au prêteur l ensemble des renseignements liés à sa situation financière, et que ces informations sont toutes exactes. Or, ce n est pas toujours le cas en pratique. Pour finir, les termes vagues et imprécis employés à l article 9 («évalué par tout moyen à la disposition du prêteur», «raisonnablement à même») risquent de donner lieu à une augmentation importante des litiges à l encontre des banques en cas de défaillance du consommateur. L une des principales conséquences serait la restriction de l accès au crédit à des consommateurs privilégiés, les établissements de crédit cherchant à éviter des procédures onéreuses. Conclusion Les Caisses d Epargne françaises sont favorables à la suppression de l article 9 sur le prêt responsable ou, à défaut, à un rééquilibrage entre les obligations du prêteur et du consommateur. * * * 5