Symétries en théorie de la structure électronique : application de la théorie des groupes. Emmanuel Fromager

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ECPM, Strasbourg, France Page 1 Symétries en théorie de la structure électronique : application de la théorie des groupes Emmanuel Fromager Institut de Chimie de Strasbourg - Laboratoire de Chimie Quantique - Université de Strasbourg /CNRS ECPM, Strasbourg, France.

ECPM, Strasbourg, France Page 2 Motivations Les orbitales moléculaires ainsi que leurs énergies sont obtenues dans la méthode de Hückel par diagonalisation de la matrice hamiltonienne [ĥ]. Cette dernière est construite dans la base des orbitales atomiques normées dont on néglige le recouvrement (la métrique est égale à la matrice identité). Rappel : cette approche repose sur l application de la méthode des variations où les fonctions {Φ I (r)} I=1,2,...,M sont les orbitales atomiques. Cas simple : la molécule d hydrogène H A -H B Les deux orbitales atomiques sont les orbitales 1s centrées sur chaque hydrogène (1s A et 1s B ) et [ĥ] = α β β α... simple à diagonaliser...

ECPM, Strasbourg, France Page 3 Motivations Cas plus compliqué : les électrons π dans le benzène (voir TD) 4 5 x 3 y O 6 2 Dans ce cas on considère uniquement les orbitales atomiques 2p z localisées sur chaque carbone. Pour chaque carbone j (j = 1, 2,..., 6), on note p j l orbitale 2p z associée et on pose α = p j ĥ p j. Dans la méthode de Hückel, les termes de couplage p i ĥ p j (i j) valent β si i et j sont voisins, zéro sinon. 1

ECPM, Strasbourg, France Page 4 Motivations La matrice hamiltonienne s écrit donc dans la base {p j } j=1,2,...,6 [ĥ] = α β 0 0 0 β β α β 0 0 0 0 β α β 0 0 0 0 β α β 0 0 0 0 β α β β 0 0 0 β α... diagonalisable à la main :-/...

ECPM, Strasbourg, France Page 5 Opérations de symétrie dans l espace et opérateur associé en mécanique quantique Soit R une opération de symétrie dans R 3 : point M en r (x, y, z) R point M en r = R(r) (x, y, z ) Exemple : inversion i par rapport à l origine O du repère, point M en r (x, y, z) i point M en i(r) = r ( x, y, z) y M (x, y, 0) O x M ( x, y, 0)

ECPM, Strasbourg, France Page 6 Opération de symétrie dans l espace et opérateur associé en mécanique quantique On rappelle qu en théorie de Schrödinger, l état quantique Ψ d un électron se décompose dans la base des états "position" comme suit, Ψ = dr Ψ(r) r, R 3 où Ψ(r) est la fonction d onde spatiale d un électron que l on appellera simplement orbitale dans la suite. On associe à l opération de symétrie R un opérateur quantique ˆR agissant comme suit sur l état "position r" : ˆR r = R(r) Plus généralement, l opérateur ˆR (qui est linéaire) agit sur un état quantique quelconque Ψ comme suit, ˆR Ψ = R 3 dr Ψ(r) ˆR r = R 3 dr Ψ(r) R(r)

ECPM, Strasbourg, France Page 7 Opération de symétrie dans l espace et opérateur associé en mécanique quantique En faisant le changement de variables r = R(r), on obtient soit ) où ˆRΨ(r) = Ψ (R 1 (r) ( ) ˆR Ψ = dr Ψ R 1 (r ) r R 3 ˆR Ψ = dr ˆRΨ(r) r R 3 opération de symétrie appliquée à une orbitale Ψ(r)! Exemple : dans un atome, l inversion par rapport au noyau transforme une orbitale s en elle même et une orbitale p en son opposée.

F ' <{ trl' $ It / tr T.i t{ _\-,/ I.-\ i V) _J s,-s --F o f TI ECPM, Strasbourg, France Page 8 J r

ECPM, Strasbourg, France Page 9 It / tr T.i t{ _\-,/ I.-\ i V) _J s,-s --F o 1l J r TI f ri' <-i t _J( -+ -s o

ECPM, Strasbourg, France Page 10 Diagonalisation par blocs de représentations irréductibles Étape 1 : choix de la base d orbitales atomiques. La représentation obtenue est notée Γ. Étape 2 : Détermination du groupe de symétries ponctuelles de la molécule considérée. Étape 3 : Détermination de la table de caractères pour la représentation Γ. Étape 4 : Réduction de la représentation Γ en représentations irréductibles { Γ i }i=1,.... Étape 5 : détermination d une base (non-orthonormée) de chaque représentation irréductible Γ i par la méthode des projecteurs orbitales de symétrie. Étape 6 : Orthonormalisation (1),(2) de cette base pour chaque représentation irréductible Γ i. Étape 7 : Si la représentation irréductible Γ i a une dimension supérieure à 1 ou si elle apparaît plusieurs fois, diagonalisation de l hamiltonien [ĥ] dans l espace associé à Γ i orbitales moléculaires. (1) Normalisation : Ψ Ψ Ψ Ψ (2) Orthogonalisation de deux états : Ψ, Ψ Ψ, Ψ Ψ Ψ Ψ Ψ Ψ

ECPM, Strasbourg, France Page 11 Orbitales atomiques : Γ = { 1s A, 1s B }. Exemple : H 2 en D 2h On choisit D 2h comme groupe de symétries ponctuelles (l origine du repère est le milieu du segment H A H B et l axe z est l axe de la molécule). Sa table de caractères s écrit : E C 2 (z) C 2 (y) C 2 (x) i σ (xy) σ (xz) σ (yz) A g 1 1 1 1 1 1 1 1 B 1g 1 1-1 -1 1 1-1 -1 B 2g 1-1 1-1 1-1 1-1 B 3g 1-1 -1 1 1-1 -1 1 A u 1 1 1 1-1 -1-1 -1 B 1u 1 1-1 -1-1 -1 1 1 B 2u 1-1 1-1 -1 1-1 1 B 3u 1-1 -1 1-1 1 1-1 2h http://www.webqc.org/symmetrypointgroup-d2h.html

ECPM, Strasbourg, France Page 12 Exemple : H 2 en D 2h Table de caractères : E C 2 (z) C 2 (y) C 2 (x) i σ(xy) σ(xz) σ(yz) Γ 2 2 0 0 0 0 2 2 En effet, par exemple, Ĉ 2 (z)1s A = 1s A, Ĉ 2 (z)1s B = 1s B [Ĉ2(z)] = ˆσ(xy)1s A = 1s B, ˆσ(xy)1s B = 1s A [ˆσ(xy)] = 1 0 0 1 0 1 1 0 χ ( C 2 (z) ) = 1 + 1 = 2 χ ( σ(xy) ) = 0 + 0 = 0

ECPM, Strasbourg, France Page 13 Exemple : H 2 en D 2h Décomposition en représentations irréductibles ("irrep" en anglais) : où a i = 1 h Γ = χ Γi (R) χ Γ (R) irrep i a i Γ i = a 1 Γ 1 a 2 Γ 2... R h : ordre du groupe (nombre total d opérations de symétrie dans le groupe) χ Γi (R) : caractère de l opération de symétrie R pour l irrep Γ i, χ Γ (R) : caractère de l opération de symétrie R pour la représentation Γ. Ici h = 8, a Ag = a B1u = 1 2 + 1 2 + 1 2 + 1 2 8 irreps. = 1, a i est nul pour les autres D où Γ = A g B 1u.

ECPM, Strasbourg, France Page 14 Exemple : H 2 en D 2h Méthode des projecteurs : pour générer une base de chaque irrep Γ i on prend une orbitale atomique Ψ de la représentation Γ et on la projette sur Γ i comme suit : Ψ Γi = ˆP Γi Ψ, ˆPΓi = R χ Γi (R) ˆR L orbitale ainsi obtenue s appelle "orbitale de symétrie". Remarque 1 : le choix de Ψ est arbitraire. Il peut arriver que la projection soit nulle (!). Il faut alors considérer une autre orbitale atomique de Γ ou éventuellement une combinaison linéaire des orbitales atomiques. Remarque 2 : Si la dimension de Γ i (qui vaut χ Γi (E)) est supérieure à 1, ou si Γ i apparaît plusieurs fois, il faudra appliquer la méthode des projecteurs à plusieurs orbitales atomiques afin de générer une base complète de l espace associé à Γ i. Remarque 3 : les orbitales de symétrie ainsi obtenues ne sont a priori pas orthonormées. L orthogonalité n est garantie qu entre orbitales de symétrie appartenant à deux irreps différentes.

ECPM, Strasbourg, France Page 15 Ici : A g et B 1u sont de dimension 1. On choisit Ψ = 1s A. Ainsi Exemple : H 2 en D 2h Ψ Ag = ˆP Ag (1s A ) = 1 Ê(1s A) + 1 Ĉ2(z)(1s A ) + 1 Ĉ2(y)(1s A ) + 1 Ĉ2(x)(1s A ) D où +1 î(1s A ) + 1 ˆσ(xy)(1s A ) + 1 ˆσ(xz)(1s A ) + 1 ˆσ(yz)(1s A ) Ψ Ag = 1 1s A + 1 1s A + 1 1s B + 1 1s B + 1 1s B + 1 1s B + 1 1s A + 1 1s A soit Ψ Ag = 4 ( 1s A + 1s B ) Normalisation : comme 1s A 1s A = 1s B 1s B = 1 et 1s A 1s B 0 (approximation de Hückel), il vient 1σ g = Ψ Ag ΨAg Ψ Ag = 1 2 ( 1sA + 1s B ) orbitale liante!

ECPM, Strasbourg, France Page 16 Exemple : H 2 en D 2h De même Ψ B1u = ˆP B1u (1s A ) = 4 ( 1s A 1s B ) d où 1σ u = Ψ B1u ΨB1u Ψ B1u = 1 2 ( 1sA 1s B ) orbitale anti-liante! A g et B 1u étant de dimension 1, les orbitales de symétries sont, dans ce cas particulier, les orbitales moléculaires. Calcul des énergies orbitalaires : comme 1s A ĥ 1s A = 1s B ĥ 1s B = α et 1s A ĥ 1s B = β, il vient ε 1σg = 1σ g ĥ 1σ g = α + β et ε 1σu = 1σ u ĥ 1σ u = α β