Suivi thérapeutique des inhibiteurs de protéase du VIH Therapeutic Drug Monitoring of HIV-protease inhibitors! J.M. Poirier*, J.B. Guiard-Schmid**, J.L. Meynard***, P. Jaillon* RÉSUMÉ. L introduction des trithérapies antirétrovirales incluant un inhibiteur de la protéase (IP) du VIH a permis de diminuer de manière importante la mortalité et la morbidité associées à cette pathologie. Plusieurs études ont montré qu il existait une relation entre l exposition aux IP et la réponse clinique. Le suivi thérapeutique des IP est recommandé par le groupe français d experts, car ces médicaments présentent un faible rapport entre leurs concentrations résiduelles et leurs concentrations inhibitrices in vitro, une importante variabilité inter- et intraindividuelle des concentrations plasmatiques et de nombreuses interactions médicamenteuses pouvant réduire leurs concentrations et diminuer leur efficacité thérapeutique. À l inverse, une augmentation de leurs concentrations peut entraîner la survenue d effets indésirables. Il faut insister sur la nécessité de l interprétation de leurs concentrations, qui est indispensable à la compréhension des résultats des dosages. Mots-clés : Inhibiteurs de protéase - Suivi thérapeutique - Interprétation des concentrations. ABSTRACT. The introduction of protease inhibitors (PIs) as a component of the antiretroviral therapy dramatically decreased mortality and morbidity due to HIV-infection. Several studies demonstrated the relationships between PIs exposure and clinical outcome. Therapeutic drug monitoring of PIs is recommended by the French expert group because these drugs present a low ratio between their trough plasma concentrations and in vitro inhibitory concentrations, a wide intra- and interpatient variability in plasma concentrations and numerous drug-drug interactions which can reduce PI plasma concentrations and will compromise efficacy. At the opposite, elevated concentrations will induce adverse events. It must be noted that interpretation of a concentration is critical for understanding the meaning of the results. Key words : Protease inhibitors - Therapeutic drug monitoring - Interpretation of concentrations. Les traitements antirétroviraux visent à obtenir chez le patient infecté par le VIH une suppression maximale et durable de la réplication virale, ainsi qu une restauration immunitaire (1). Ces stratégies thérapeutiques ont permis, depuis l introduction des multithérapies antirétrovirales incluant un inhibiteur de la protéase, de réduire de manière importante la mortalité et la morbidité associées à cette pathologie (2). Les recommandations actuelles (3) concernant le traitement initial sont des trithérapies incluant soit un inhibiteur de la protéase (IP) et deux inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI), soit un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI) et deux INTI, ou trois INTI. Le groupe français d experts (4) recommande, en cas de charge virale * Service de pharmacologie, unité d aide à la prescription & laboratoire de dosage des médicaments, centre hospitalo-universitaire Saint-Antoine, 75571 Paris Cedex 12. ** Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Rothschild, 75571 Paris Cedex 12. *** Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Saint-Antoine, 75571 Paris Cedex 12. élevée (> 1 copies d ARN VIH/ml) et/ou de déficit immunitaire profond (lymphocytes TCD4+ < 2/mm 3 ), l association d un IP et de deux INTI. Les principaux facteurs prédictifs du succès virologique sont une faible charge virale et un taux de lymphocytes TCD4+ élevé à l instauration du traitement (5), l obtention rapide d une charge virale < 5 copies/ml (6), des concentrations plasmatiques d antirétroviraux suffisantes (6) et une bonne adhésion au traitement (7). La surveillance des concentrations plasmatiques des antirétroviraux peut donc jouer un rôle dans l optimisation de ces traitements. Les INTI sont des prodrogues actives après triphosphorylation intracellulaire et pour lesquelles il n existe pas de bonne corrélation entre leurs concentrations systémiques et celles de leurs dérivés phosphorylés (8). En outre, le dosage de ces métabolites actifs intracellulaires est très complexe, et reste actuellement du domaine de la recherche. Les INTI ne sont donc pas pour l instant de bons candidats pour le suivi thérapeutique. Les INNTI ont des demi-vies d élimination longues et les concentrations plasmatiques résiduelles obtenues à l état d équilibre sont normalement très largement supérieures à leurs La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n 2 - mars-avril 22 47
concentrations inhibitrices in vitro. Leur dosage systématique n est donc pas justifié, mais il peut être néanmoins indiqué en cas de doute sur l observance, de survenue d effets indésirables ou chez les patients présentant une surcharge pondérale importante. Les IP présentent des demi-vies d élimination courtes et un faible rapport entre leurs concentrations plasmatiques résiduelles et leurs concentrations inhibitrices in vitro (CI 5/9 ). Leur biodisponibilité est limitée par l action de la P-glycoprotéine intestinale et des cytochromes P 45 intestinaux et hépatiques (en particulier le CYP 3A). Cela entraîne une importante variabilité interindividuelle de leurs concentrations plasmatiques et de nombreuses interactions pharmacocinétiques cliniquement significatives qui peuvent soit diminuer leurs concentrations et altérer la réponse thérapeutique, soit les augmenter et induire des effets indésirables pouvant retentir sur l adhésion au traitement. Il est donc très difficile de prédire chez un patient donné le niveau de concentration pouvant être atteint après administration d une posologie standard. Pour ces raisons, le suivi thérapeutique des traitements par IP est recommandé dans certaines circonstances (4). ARGUMENTS EN FAVEUR DU SUIVI THÉRAPEUTIQUE DES INHIBITEURS DE PROTÉASE Relations concentration-efficacité Plusieurs études ont démontré l existence d une relation entre les concentrations systémiques des IP et la réponse antirétrovirale (1-13). Il est donc important de pouvoir maintenir des concentrations d IP suffisantes, un niveau d exposition trop faible pouvant induire l apparition de mutations sur la protéase du VIH et entraîner des résistances à l IP administré, mais aussi à d autres médicaments de la même classe thérapeutique (résistances croisées). À l inverse, des concentrations trop importantes peuvent conduire à l apparition d effets indésirables (14), comme des calculs rénaux dans le cas de l indinavir. Variabilité interindividuelle très marquée des concentrations plasmatiques La variabilité interindividuelle des concentrations plasmatiques des IP est particulièrement importante (tableau I) ; elle est moins prononcée pour l amprénavir et le lopinavir. Les principaux déterminants de cette variabilité sont l absorption digestive, qui peut être influencée par la prise alimentaire, et le métabolisme. Les IP sont principalement métabolisés au niveau intestinal et hépatique par le CYP 3A, qui présente une grande hétérogénéité de distribution chez l homme. Le métabolisme hépatique des IP, qui peut être altéré par certaines maladies hépatiques (cirrhoses dans les co-infections VIH-VHC, par exemple), apparaît donc comme la source majeure de cette variabilité. À l exception du nelfinavir (15), le métabolisme des autres PI produit des métabolites inactifs. Complexité des interactions médicamenteuses Tous les IP sont impliqués dans de très nombreuses interactions médicamenteuses d ordre pharmacocinétique de par leur métabolisme CYP 3A-dépendant. La liste de ces interactions peut être consultée sur le site Internet : http://www.hivdruginteractions.org. À l exception de l abacavir et de la zidovudine, l élimination des INTI est essentiellement rénale et, par conséquent, ils ne modifient pas les concentrations circulantes des IP. La plupart des interactions pharmacocinétiques documentées entre antirétroviraux concernent les IP et les INNTI deux à deux (2 IP ou 1 IP +1INNTI), alors que beaucoup de patients, lorsqu ils ont déjà présenté un ou plusieurs échappements virologiques, reçoivent un plus grand nombre d antirétroviraux. Si l association IP-ritonavir, l effet inhibiteur du ritonavir diminuant la clairance métabolique de l IP associé, est largement utilisée en pratique clinique, il est beaucoup plus difficile de prévoir les interactions en cas de triple thérapie, et seuls des dosages plasmatiques peuvent permettre de les dépister. Des essais cliniques sont alors indispensables, afin d étudier la pertinence clinique de ces interactions d ordre pharmacocinétique. Adhésion au traitement Les nombreuses unités de prises réparties en deux ou trois administrations journalières peuvent entraîner des difficultés d observance. De plus, les fortes posologies administrées peuvent induire des effets indésirables, ce qui limite la tolérance et peut aussi diminuer l adhérence au traitement. Les dosages peuvent également, dans certaines circonstances, mettre en évidence une mauvaise observance. Dose IP/RTV n T min (h)* C min IP Extrêmes (mg/x 2/j) médian médiane (ng/ml) (ng/ml) APV 6/1 62 12, 1 552 67-3 359 IDV 8/1 95 12, 1 7 96-5 257 IDV 6/1 117 12, 631 39-5 453 IDV 4/1 64 12,1 45 73-1 114 SQV 8/1 43 12,2 481 25-3 72 LPV 4/1 59 12,3 4 269 1 11-11 937 NFV 1 25/ 84 12,2 1 497 58-5 67 *Seuls les dosages plasmatiques réalisés 12 ± 2 heures après la dernière administration ont été pris en compte. APV : amprénavir ; IDV : indinavir ; SQV : saquinavir ; LPV : lopinavir ; NFV : nelfinavir. Tableau I. Variabilité interindividuelle de la concentration résiduelle (C min ) des différents IP sans INNTI associés. (Données du laboratoire de pharmacologie du CHU Saint-Antoine). 48 La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n 2 - mars-avril 22
LE SUIVI THÉRAPEUTIQUE DES ANTIPROTÉASES EN PRATIQUE Quels paramètres pharmacocinétiques utiliser? La diminution de la charge virale est corrélée avec l aire sous la courbe (ASC) et les concentrations résiduelles (C min ) des IP. Si, d un point de vue pharmacocinétique, la détermination de l ASC est plus rigoureuse, car elle permet de mesurer l exposition globale au médicament entre deux administrations successives, elle est difficilement réalisable en pratique clinique, car elle nécessite de nombreux prélèvements répartis dans un même intervalle de prise. La détermination de la C min (habituellement réalisée avant la prise du matin ; en outre, il peut exister des différences entre les C min mesurées le matin ou le soir) est beaucoup plus simple, ne demande qu un seul prélèvement juste avant la prise suivante et peut être réalisée aisément par tous les centres de pharmacologie. Quant à la détermination de la concentration maximale (C max ) des IP, généralement mesurée 3 heures après la prise, ce qui ne correspond pas forcément à la concentration réellement maximale, elle serait plus le reflet de leur toxicité potentielle. Dosage des IP Ces antirétroviraux sont dosés par chromatographie liquide à haute performance (CLHP) après une ou plusieurs étapes de purification des échantillons plasmatiques. Actuellement, il n existe pas de méthode de dosage standardisée, et la mise au point de ces dosages est relativement complexe en raison de la présence des métabolites de ces médicaments et des nombreux traitements associés. Les dosages doivent être réalisés en accord avec le Guide de bonne exécution des analyses (GBEA), ce qui implique qu ils soient validés (gamme d étalonnage, analyse de contrôles de qualité internes) et que l on participe à une évaluation externe de la qualité (contrôle de qualité Asqualab mis en place en 2). Selon les centres, un ou plusieurs IP sont dosés simultanément. Le dosage individuel de chaque IP est plus facile à réaliser, mais demande autant de méthodes analytiques que d IP à analyser, ce qui implique un temps de rendu des résultats relativement long. Le dosage simultané des différents IP (16), bien que plus difficile à mettre au point en raison de la complexité de la séparation chromatographique, permet de quantifier le ritonavir utilisé comme booster (dont l intérêt sera discuté plus loin) et un rendu beaucoup plus rapide des résultats (en moyenne trois jours dans le laboratoire de pharmacologie du CHU Saint-Antoine). Raccourcir le délai de rendu des résultats est important dans plusieurs situations : patient en échec, effet indésirable important, suspicion de mauvaise observance. Enfin, outre la validation analytique des dosages, il faut insister sur la nécessité de l interprétation pharmacologique des résultats, ce qui est souvent compliqué, mais indispensable au clinicien. Quand prescrire un dosage d IP? Les indications d un dosage plasmatique sont nombreuses : " Lors de l instauration d un traitement contenant un ou plusieurs IP, boosté ou non par le ritonavir, les dosages doivent être réalisés 2-3 semaines après le début du traitement, afin de pouvoir éliminer un sous-dosage et éviter ainsi une situation favorable à l apparition de résistances virales (souvent croisées entre IP). En raison de l auto-inhibition du métabolisme de certains IP (ritonavir, nelfinavir), le temps nécessaire pour atteindre l état d équilibre des concentrations plasmatiques est largement supérieur à ce que l on pourrait attendre compte tenu de leur courte demi-vie d élimination. " Lors de modifications des traitements associés aux antirétroviraux (antiépileptiques, antituberculeux, par exemple) : en raison des très nombreuses interactions médicamenteuses impliquant les IP, il est souhaitable de contrôler leurs concentrations plasmatiques, mais aussi celles des médicaments associés (à cause du risque de surdosage par inhibition de leur métabolisme, notamment en présence de ritonavir). " En cas de réponse incomplète ou d échec précoce : afin d éliminer un dosage suboptimal et de pouvoir selon les cas soit intensifier le traitement (en conservant les mêmes molécules), soit, après réalisation de tests de résistance virologique, mettre en place un nouveau traitement. " En présence d un effet indésirable sévère, bien qu il soit difficile de réaliser un dosage au moment de sa survenue. Pour les effets indésirables concentration-dépendants, des concentrations plasmatiques élevées (C max ) constituent un facteur prédictif d intolérance. " En cas de doute sur l observance, bien que le diagnostic différentiel soit difficile entre une mauvaise adhésion au traitement et une autre cause de sous-dosage : mauvaise absorption digestive (saquinavir), métabolisme très intense, interactions médicamenteuses, ou encore non-respect de l intervalle entre les prises. RENSEIGNEMENTS PRATIQUES NÉCESSAIRES À L INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS Les demandes de dosages doivent être accompagnées d un certain nombre de renseignements pour que les résultats puissent être correctement interprétés (tableau II). En ce qui concerne les IP administrés : posologie unitaire et nombre de prises journalières, date d instauration du traitement (l auto-induction du ritonavir, par exemple, demande 2-3 semaines de traitement répété), date et heure de la dernière administration, date et heure du prélèvement. La connaissance des traitements associés est également primordiale, ainsi que le statut immunovirologique du patient. Dans le service de pharmacologie du CHU Saint- Antoine, l horaire du prélèvement (C min juste avant la prise ou C min +C max 3 heures après la prise) a été individualisé en fonction du motif de la demande : " Surveillance thérapeutique chez un patient en succès virologique (charge virale indétectable) : mesure de la C min ou mesure C min +C max en cas d administration d indinavir (seul ou associé au ritonavir à une posologie supérieure à 4 mg x 2/j). " En cas d inefficacité thérapeutique : Suspicion de mauvaise observance ou de malabsorption : dosage C min et C max. En effet, le rapport C max /C min, comparé à ceux observés dans des bases de données pour les mêmes posologies, peut être indicatif du bon respect ou non des La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n 2 - mars-avril 22 49
IP administré(s) Patient - Posologie unitaire et nombre de prises - Naïf ou non d IP - Date de début de traitement - Co-infection VIH/VHB ou VHC # C min (juste avant la prise suivante) - Charge virale - Date et heure de la dernière administration - Nombre de cellules TCD4+ - Date et heure du prélèvement Traitements associés # C max (généralement 3 heures après la prise) - Inhibiteurs nucléosidiques - Date et heure de la dernière administration - Inhibiteurs non nucléosidiques - Date et heure du prélèvement - Inducteurs du CYP 3A Tableau II. Recommandations pour la réalisation des dosages d antiprotéases. Dosage à réaliser - Surveillance chez sujet indétectable : dosage C min ou C min + C max (IDV ou IDV/RTV) - Effet indésirable majeur : dosage C min + C max - Suspicion de résistance : dosage C min - Risque d interaction médicamenteuse : dosage C min - Doute sur l observance : dosage C min et C min horaires des prises. Si ces deux concentrations sont anormalement basses, un phénomène de malabsorption intestinale peut être évoqué. Suspicion d interaction médicamenteuse ou de résistance : dosage C min. " En cas d effet indésirable majeur : dosage C min et C max, certains effets indésirables des IP étant concentrationdépendants (intolérance digestive et ritonavir, calculs rénaux et indinavir). INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS DES DOSAGES L interprétation des concentrations plasmatiques obtenues chez un patient donné est primordiale et la qualité des commentaires associés aux résultats dépend des renseignements fournis par le service demandeur. Les résultats doivent être interprétés en tenant compte du motif de la demande de dosage et de l évolution du statut immunovirologique du patient. Les concentrations observées sont comparées aux concentrations-cibles, aux résultats précédents (le cas échéant), aux banques de données (bibliographiques ou propres au laboratoire, ce qui est le cas à Saint-Antoine) en tenant compte des posologies des IP administrés et des médicaments associés. Une analyse de la littérature est également souvent nécessaire en raison des multiples traitements associés et des interactions médicamenteuses complexes. PROBLÈMES LIÉS À L INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS Concentrations-cibles (17, 18) Les relations effet-concentration plasmatique in vivo des IP sont établies sur de relativement faibles cohortes de patients naïfs chez lesquels il existe une très importante variabilité intra- et interindividuelle de leurs concentrations plasmatiques. À l heure actuelle, les concentrations-cibles sont encore établies à partir de données obtenues in vitro sur des souches virales sauvages de laboratoire, en présence de 5 % de sérum humain (tableau III), afin de tenir compte de leur fixation aux protéines plasmatiques. Mais ces valeurs (CI 5,CI 9,CE 5 ), qui dépendent entre autres de la souche virale testée, ne sont qu approximatives car les IP, à l exception de l indinavir, présentent un taux de fixation aux protéines plasmatiques > 9 %. En outre, les relations effet-concentration in vitro ne prennent pas en compte les associations d antirétroviraux. Enfin, la sensibilité virale à un traitement donné peut évoluer au cours du temps chez un même patient, mais la dynamique de cette évolution est inconnue. Cela implique un contrôle relativement fréquent de la charge virale, des concentrations plasmatiques d antirétroviraux, et de connaître le statut immunovirologique des patients pour pouvoir interpréter correctement les résultats des dosages. Tableau III. Concentrations inhibitrices in vitro (CE 5 ) et concentrations-cibles (C min ) des antiprotéases. Antiprotéase Concentration Concentration efficace 5 % in vitro minimale + 5 % sérum humain (17) cible in vivo (18) (ng/ml) (ng/ml) IDV 7 ± 3 6-1 NFV 76 ± 16 4-7 RTV 12 ± 21 1 5-2 1 SQV 45 ± 11 1-2 APV 49 ± 12 3-4 LPV/RTV 3 * * Donnée des Laboratoires Abbott. Récemment, le concept de quotient inhibiteur (QI) a été introduit pour les IP. Il correspond au rapport C min /CI 5 et permet d intégrer l exposition au médicament et la sensibilité du virus à un IP donné chez un patient donné. Une valeur de QI > 1 est nécessaire pour observer une efficacité virologique, mais l utilisation de ce concept comme facteur prédictif de la réponse clinique doit être validée par de nombreuses études. De plus, la détermination du QI est influencée par de nombreux paramètres, notamment les conditions de mesure in vitro de la CI 5 et la variabilité intra-individuelle de la C min in vivo. 5 La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n 2 - mars-avril 22
Variabilité intra-individuelle des concentrations plasmatiques des IP La variabilité intra-individuelle des concentrations plasmatiques des IP est plus faible que la variabilité interindividuelle, mais elle est néanmoins relativement marquée, et les données sont beaucoup plus rares. Les résultats présentés (tableau IV) obtenus à l état d équilibre chez des patients présentant a priori une bonne adhésion au traitement montrent que cette variabilité intra-individuelle est la plus faible pour l amprénavir et la plus importante pour le saquinavir, IP présentant la biodisponibilité la plus basse (4 %). Des variations d absorption digestive (pouvant résulter de la prise simultanée ou non d aliments et de leur nature) et/ou de leur métabolisme hépatique peuvent expliquer au moins en partie cette variabilité. Un mauvais respect de l intervalle entre les prises médicamenteuses est une cause majeure de variabilité intra-individuelle, et toute variation très importante des concentrations plasmatiques sans modification de posologie et avec les mêmes traitements associés peut laisser supposer un défaut d observance (ou de malabsorption intestinale). L interprétation des résultats est faite en fonction des dosages réalisés un jour donné, alors qu elle aurait pu être différente si les dosages avaient été effectués la veille ou le lendemain, par exemple. Pour cette raison, tout dosage d IP devrait être recontrôlé (2-4 mois environ après le premier dosage), même si la posologie est maintenue. Le ritonavir comme booster À l exception du nelfinavir, couramment utilisé seul, les autres IP sont administrés en présence de ritonavir (1 mg x 2/j généralement) dont les propriétés inhibitrices du CYP 3A (effet booster) permettent d augmenter leurs concentrations circulantes tout en diminuant les doses administrées. Des exemples de relations entre la C min des antiprotéases et celles du ritonavir sont donnés pour l indinavir, le lopinavir (Kaletra : coformulation de lopinavir et de ritonavir 133 mg/33 mg par gélule) et l amprénavir (figure 1). Pour tous les IP, à l exception de l amprénavir, il existe une bonne relation entre la C min de l IP boostée et celle du ritonavir. L effet booster sur l amprénavir est indépendant de la concentration, et donc de la dose de ritonavir (19), ce qui n est pas le cas pour les autres IP. De ces constatations, il découle que pour augmenter la C min de l amprénavir, il est nécessaire d augmenter sa posologie, alors que pour les autres IP, l augmentation de la concentration peut être obtenue en augmentant leur dose journalière, ou bien celle du ritonavir. En outre, l amprénavir et le lopinavir (19, 2) diminuent dans les mêmes proportions (d un facteur 3 à 4) les concentrations circulantes du ritonavir par rapport à celles observées avec les autres IP boostés par cette antiprotéase. En cas d association de l une de ces deux molécules avec un autre IP, il peut être nécessaire d augmenter la posologie du ritonavir afin de conserver des concentrations efficaces de l IP associé. Pour ces raisons, même si le ritonavir n est utilisé qu à faible dose, afin de diminuer la clairance hépatique des IP associés, il demeure utile dans certaines associations de connaître son niveau de concentration, afin de pouvoir interpréter correctement les concentrations mesurées. C min LPV (ng/ml) C min IDV (ng/ml) Tableau IV. Variabilité intra-individuelle de la C min des IP sans INNTI associé. (Données du laboratoire de pharmacologie du CHU Saint-Antoine). Dose IP/RTV IP * RTV associé * n (mg/x 2/j) CV (%) CV (%) médian (extrêmes) médian (extrêmes) APV 6/1 31,7 (9,3-93,4) 41, (4,2-15,1) 11 IDV 8/1 52,1 (11,8-136,9) 45,1 (,5-128,5) 14 IDV 6/1 44,3 (3,-133,1) 37,6 (6,8-114,7) 31 IDV 4/1 22,9 (1,-78,5) 21,9 (,1-63,3) 2 LPV 4/1 38, (,5-99,8) 36,2 (4,1-84,6) 2 SQV 8/1 61, (6,-9,8) 56,8 (11,5-156,8) 7 NFV 1 25/ 45, (,-125,7) 26 * Seuls les dosages plasmatiques réalisés 12 ± 2 heures après la dernière administration ont été pris en compte. R 2 =,72 ; n = 117 Indinavir 6 mg x 2 + ritonavir 1 mg x 2 Kaletra 3 gélules x 2/j (4/1 mg x 2 lopinavir/ritonavir) R 2 =,51 ; n = 59 C min APV (ng/ml) 6 4 2 15 1 5 4 3 2 1 NS ; n = 62 5 1 1 5 2 2 5 C min RTV (ng/ml) 2 4 6 Amprénavir 6 mg x 2 + ritonavir 1 mg x 2 C min RTV (ng/ml) 2 4 6 C min RTV (ng/ml) Figure 1. Relation entre la C min d IP et la C min du ritonavir associé (en l absence d INNTI). La Lettre du Pharmacologue - Volume 16 - n 2 - mars-avril 22 51
CONCLUSION Si la mesure de la charge virale et celle du taux de lymphocytes TCD4+ restent les meilleurs indicateurs cliniques de l efficacité thérapeutique d un traitement antirétroviral, en cas d échappement virologique, ils représentent un marqueur d inefficacité relativement tardif. Le contrôle des concentrations plasmatiques des IP peut permettre, dans certains cas, de prévenir de façon plus précoce l émergence de souches résistantes. Le suivi thérapeutique des IP est un outil permettant d optimiser le traitement de manière individuelle, en fonction des données disponibles sur leur efficacité et leur tolérance. Cependant, il faut insister sur la nécessité d une interprétation bien documentée (et rapide) des concentrations mesurées, indispensable à la compréhension des résultats. Cette interprétation, bien que souvent difficile, est plus aisée si l on dispose du dosage simultané du ritonavir lorsqu il est associé au traitement et d une base de données informatisée reliant les concentrations mesurées aux posologies administrées, ainsi qu aux principaux médicaments associés. Enfin, notamment en cas de réponse non optimale ou d échec thérapeutique avéré, les résultats des dosages doivent être confrontés aux données immunovirologiques du patient, d où l intérêt d une interprétation pluridisciplinaire associant clinicien, virologue et pharmacologue. # R É F E R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Panel on clinical practices for treatment of HIV infection. Guidelines for the use of antiretroviral agents in HIV-infected adults and adolescents. Washington, DC : US Department of Health and Human Services, 1997. 2. Pallella FJ, Delaney KM, Moorman AC et al. Declining mordibity and mortality among patients with advanced human immunodeficiency virus infection. 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