Projet sur la violence psychologique au travail Protocole d enquête épidémiologique en région PACA Rapport intermédiaire novembre 2002 Isabelle Niedhammer INSERM U88 Le contexte de la recherche en France La violence psychologique au travail n a pas jusqu à présent fait l objet d aucune enquête épidémiologique d ampleur en France. D une manière générale, les sujets relatifs aux risques psychosociaux au travail sont relativement sous-étudiés en France par la recherche épidémiologique. On peut cependant noter que quelques rares larges enquêtes ont abordé le thème de la violence psychologique au travail récemment : l enquête ENVEFF sur les violences faites aux femmes menée en 2000 sur un large échantillon de femmes a permis de renseigner sur la prévalence de certaines formes de violence au travail. Les limites de cette enquête sont qu elle portait exclusivement sur les femmes et que tous les types de violences (au travail et hors travail) étaient examinés, et que par conséquent l aspect professionnel et psychologique de la violence était relativement réduit. Autre limite, cette enquête ne permet pas d examiner les facteurs de risque de l environnement psychosocial de travail susceptibles de générer ces situations de violence psychologique. L enquête SUMER qui inclut un volet sur les contraintes organisationnelles et relationnelles, comporte également dans sa nouvelle version une liste de quelques items sur la violence psychologique au travail. L enquête SUMER centrée sur l évaluation des risques professionnels dans un très large échantillon de salariés permettra de donner une estimation de la prévalence de salariés exposés à ces situations de violence, mais de par sa nature et ses objectifs, elle n a pas été conçue pour examiner les conséquences sur la santé des salariés. Enfin, dans ces deux enquêtes, les instruments utilisés pour évaluer la violence psychologique au travail ne sont pas des instruments validés au niveau international et ne permettent donc pas de faire des comparaisons aisées avec les études étrangères déjà existantes.
Le contexte au niveau international La revue de la littérature internationale a permis de recenser une centaine d articles portant sur la violence au travail. Parmi ces travaux, on compte environ une trentaine d articles qui se centrent sur les formes psychologiques de la violence au travail. Ces travaux ont pour l essentiel étaient réalisés dans les pays d Europe du Nord, Finlande, Norvège, Danemark, Pays-Bas, Allemagne, Royaume-Uni, et aux Etats-Unis au cours de la dernière décennie. Ces études fournissent des estimations de la prévalence de personnes ayant été confrontées à des situations de violence psychologique. Ces estimations varient largement d une étude à l autre, de 3% à 25%, les comparaisons entre les enquêtes étant difficiles à réaliser de par les différences dans les populations étudiées (secteurs d activité, professions) et le type de questionnaire utilisé. Les facteurs de risque mis en évidence dans ces études sont également très variés, puisque à la fois des facteurs liés à l entreprise et à l environnement de travail (secteurs, catégories professionnelles, nombre de salariés ), des facteurs organisationnels, relationnels et psychosociaux pourraient contribuer au développement de situations de violence psychologique. Du côté des conséquences sur la santé des salariés, les études soulignent les effets sur la santé psychique et mentale, en termes de dépression, anxiété, et de consommations de psychotropes. Des effets sur la santé physique ont également été décelés, la violence psychologique au travail étant associée à des troubles somatiques divers. Les objectifs de l enquête en région PACA Les objectifs de l enquête épidémiologique qui sera réalisée en région PACA sont : - d estimer la prévalence de sujets confrontés à des formes de violence psychologique au travail - d étudier les facteurs de l environnement psychosocial de travail susceptibles d influencer cette prévalence, et par conséquent d identifier les facteurs de risque potentiels - d examiner les effets de la violence sur la santé psychique des salariés Le protocole de l enquête Deux principales contraintes doivent être prises en considération pour la réalisation d une enquête de ce type : la première est relative à la puissance statistique d une telle étude. En effet, la prévalence attendue des formes les plus sévères de violence psychologique au travail
peut être faible, voir même très faible (moins de 2-3 %), il est donc souhaitable de constituer un échantillon d étude de large taille de manière à avoir des effectifs suffisants pour étudier les facteurs de risque et les conséquences de la violence. La seconde contrainte porte elle sur le sujet même (la violence) de l enquête, qui peut encore être considéré comme sensible par les salariés. Il semble donc souhaitable dans ces conditions de donner le maximum de garanties en termes de confidentialité et d anonymat aux salariés, pour maximiser la participation et éviter un biais dans la participation (par exemple que les participants soient surtout ceux n ayant pas fait l objet de violences). Pour tenir compte de ces deux principales contraintes, il semble souhaitable de réaliser une enquête transversale sur un très large échantillon de salariés. Ces salariés seront recrutés par le biais du réseau de médecins du travail de la région. Les médecins du travail volontaires solliciteront pour l enquête un nombre déterminé de salariés vus en visite médicale systématique durant une période donnée (3 mois par exemple). Une lettre d introduction à l enquête, un questionnaire auto-administré et une enveloppe pré-affranchie seront remises aux salariés. Le questionnaire une fois rempli sera envoyé grâce à l enveloppe pré-affranchie directement à l INSERM. Le nombre de salariés à solliciter par médecin sera déterminé en fonction du nombre de médecins volontaires. Si on attend une participation de moins de 50% pour le remplissage de l auto-questionnaire par les salariés, et si on estime la prévalence de violence à 5%, il semble nécessaire de solliciter au moins 20 000 salariés pour avoir la certitude d avoir au minimum 8 000 questionnaires remplis. Un échantillon de cette taille permettrait d obtenir un sous-groupe d environ 400 salariés ayant été victimes de violence psychologique au travail, effectif qui paraît suffisant pour permettre une étude descriptive de la violence psychologique au travail dans la population salariée de la région PACA et une recherche sur les facteurs de risque potentiels de l environnement psychosocial de travail et sur les répercussions de la violence sur la santé mentale des salariés. Une enquête transversale de ce type présente deux principaux avantages : le premier est de permettre à l enquête d être totalement anonyme et donc plus facilement acceptable par les salariés, le second par la grande facilité de mise en place sur le terrain elle ne générera ni perturbation, ni surcharge de travail dans les services de médecine du travail. Ce dernier aspect semble très important puisque de la participation et de la motivation des médecins et des services dépendent étroitement la faisabilité de l enquête. Enfin, un autre avantage notable
de ce type de protocole est que le recueil des données ne sera pas trop long et permettra un retour assez rapide des résultats. Le questionnaire Le questionnaire ne sera pas trop long pour ne pas décourager les salariés, par conséquent l accent sera mis sur le recueil des données indispensable sur la violence psychologique au travail, les facteurs de risque potentiels liés aux conditions organisationnelles et psychosociales de travail, les caractéristiques du salarié et de son entreprise, et l état de santé psychique du salarié. Ce questionnaire s appuiera sur des échelles et des instruments validés et largement utilisés. Au début du questionnaire, des informations pratiques pourront être données aux salariés potentiellement en difficulté afin de les orienter vers le médecin du travail ou d autres professionnels de santé, ou encore vers des associations d aide. La partie du questionnaire portant sur la violence psychologique La revue de la littérature menée au niveau international a permis de recenser les différents questionnaires utilisés par les auteurs pour évaluer l exposition à la violence psychologique au travail. Trois principaux questionnaires ont été identifiés, qui présentaient un large recoupement, les différences portant sur des détails au niveau de la forme du questionnaire et des adaptations en fonction de la population étudiée. Le questionnaire qui a été retenu est le questionnaire de Leymann développé en 1989. Les deux autres questionnaires étant des versions légèrement modifiées de ce questionnaire. Le questionnaire de Leymann se présente sous la forme d une liste contenant 45 situations de violence psychologique au travail, classées par chapitres. Les salariés y répondant doivent indiquer si ils ont été confrontés à ces situations et préciser la fréquence et la durée d exposition. Selon Leymann, une personne est considérée comme ayant fait l objet de violence psychologique au travail, si elle a été exposée à au moins une de ces situations tous les jours pendant au moins 6 mois. Les données qui seront recueillies dans le questionnaire sont : - caractéristiques de l entreprise : secteur d activité, nombre de salariés, ancienneté dans l entreprise - facteurs professionnels : profession, ancienneté dans la profession, nombre de salariés dans le service, type d emploi, temps de travail, durée de travail hebdomadaire, horaires
de travail, événements professionnels majeurs au cours des 12 derniers mois, description du travail (lieu de travail, contraintes professionnelles diverses), satisfaction au travail - facteurs psychosociaux et organisation du travail : - questionnaire de Karasek : demande psychologique, latitude décisionnelle, soutien social au travail, et charge physique - questionnaire de Siegrist : efforts, récompenses, surinvestissement - questionnaire de Leymann : 45 items, et déclaration d exposition à la violence psychologique au cours des 12 derniers mois, raisons données par la victime sur les comportements hostiles, et déclaration de violence psychologique au travail envers un tiers sur le lieu de travail - santé : échelle de symptomatologie dépressive (CES-D), santé perçue, troubles du sommeil, consommation de psychotropes, arrêt de travail de plus d un mois et hospitalisation, et raisons médicales, au cours des 12 derniers mois - caractéristiques socio-démographiques : sexe, âge, situation de famille, enfants à charge, diplôme L étude de faisabilité ou pré-enquête Pour la réalisation de cette enquête, une étude de faisabilité, appelée aussi pré-enquête, est nécessaire pour tester le protocole de l enquête, les conditions pratiques de sa réalisation, l acceptabilité de l enquête et du questionnaire par les salariés. L étude de faisabilité aura lieu au cours du premier trimestre 2003, sur une courte période de temps, une ou deux semaines. Quelques médecins du travail volontaires auront la mission de présenter l enquête à un petit nombre de salariés vus en visite systématique, et de leur remettre le matériel utile pour pouvoir participer, à savoir la lettre d invitation à participer, le questionnaire et l enveloppe pré-affranchie. Au total, environ 200 salariés devront être sollicités. Une dizaine de médecins pourraient par exemple solliciter chacun 20 salariés. Avec un taux escompté de participation de 50%, cet effectif permettra d avoir environ 100 questionnaires remplis. Il s agira ensuite d étudier les problèmes rencontrés potentiellement par les médecins du travail pour la réalisation de l enquête, d évaluer l acceptabilité de l enquête par les salariés, et d examiner les questionnaires recueillis afin d identifier les difficultés rencontrés pour le remplissage. L étude permettra de conclure à la faisabilité de l enquête et contribuera, si besoin, à améliorer le protocole et le questionnaire pour l enquête définitive.