Mots clés : cobalamine, vitamine B12, carence en vitamine B12, malabsorption des cobalamines alimentaires, maladie de Biermer, traitement

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La vitamine B12 par voie orale à l ère de l evidence based-medicine Emmanuel Andrès, Mustapha Mecili, Ecaterina Ciobanu Service de médecine interne, de diabète et de maladies métaboliques, clinique médicale B, hôpital civil, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 1, rue de la Porte-de-l Hôpital, 67091 Strasbourg cedex, France <emmanuel.andres@chru-strasbourg.fr> Cette revue a pour objectif de faire le point sur la place du traitement par vitamine B12 administrée par voie orale en s appuyant sur les données de l evidence-based medicine. Tous les articles relatifs à ce mode de délivrance de la vitamine B12, publiés sur Pubmed en français ou en anglais, entre janvier 1990 et janvier 2007, ont été sélectionnés. Plusieurs études à la méthodologie rigoureuse ont été identifiées et analysées : trois études prospectives randomisées, une revue systématique Cochrane et cinq études prospectives portant sur des populations de aux caractéristiques bien définies. L efficacité de la voie orale a été démontrée dans toutes ces études, notamment sur les atteintes hématologiques. Toutefois, la forme de vitamine B12 (hydroxycobalamine ou cyanocobalamine), ainsi que le rythme et la durée d administration restent encore non codifiés, tout comme l intérêt dans les formes neurologiques sévères. Cette revue confirme l efficacité et le bénéfice potentiel en termes de coût et de qualité de vie que peut apporter la vitamine B12 orale. Mots clés : cobalamine, vitamine B12, carence en vitamine B12, malabsorption des cobalamines alimentaires, maladie de Biermer, traitement doi: 10.1684/met.2010.0235 mt Tirés à part : E. Andrès Le déficit en vitamine B12 (cobalamine) est fréquent, avec une prévalence pouvant atteindre 15 % dans la population âgée [1]. Il peut être potentiellement grave en raison de ses complications, notamment hématologiques et neurologiques. Sa présentation clinique initiale, souvent peu parlante et atypique, notamment chez ces âgés, peut être source de retard diagnostique et thérapeutique (cf. l article sur les manifestations cliniques des carences en vitamine B12 dans le même numéro de Médecine thérapeutique) [2]. Actuellement, la voie de supplémentation, à la fois validée et aux modalités bien codifiées, reste la voie injectable. Cependant, des études récentes ont ouvert de nouvelles perspectives en suggérant l intérêt de la voie orale, voire de la voie nasale [3]. Cette revue se propose de faire le point sur la voie orale comme mode de traitement d une carence avérée ou suspectée en cobalamine. Rationnel d un traitement par vitamine B12 orale Deux arguments supportent l utilisation de la vitamine B12 administrée par voie orale. Le premier est d ordre métabolique : au moins 1 % de la vitamine B12 libre (ou cristalline) est absorbée passivement le long du tube digestif et ne requiert donc pas la présence du facteur intrinsèque et de son récepteur, la cubuline (figure 1) [4]. Cela explique l efficacité décrite de la voie orale même dans certaines étiologies classiquement 5

Estomac Intestin Sang CBL liée aux protéines alimentaires CBL-HC Hydrolyse (HCI) Protéases CBL Facteur intrinsèque (IF) CBL-IF AMH megalincubn RAP CBL non liée CBL-TCII Absorption passive : tout le tube digestif diffusion mécanisme mineur, permettant l incorporation de 1 % de la vitamine B12 absorbée rationnel de la voie orale Tissu CBL-TCII Lysosome N 5 -methyl- THF CBL MTHFR THF Adénosyl CBL megalin TCI-R CBL-TCII Homocystéine MS Methyl-CBL Méthionine Methylmalonyl-CoA MCM succinyl-coa Absorption active : iléon terminal dépendante du facteur intrinsèque et de son récepteur la cubuline mécanisme physiologique prédominant Figure 1. Métabolisme de la vitamine B12. traitées par la voie injectable, notamment la maladie de Biermer. Le second argument est que la principale cause de déficit en vitamine B12, surtout chez la personne âgée, est représentée par la maldigestion ou la malabsorption des cobalamines alimentaires (ancienne non-dissociation de la vitamine B12 des protéines alimentaires) [5]. Ce syndrome qui représente 40 à 60 % des étiologies carentielles est lié, comme son nom l indique, à un défaut de libération de la vitamine B12 de ses protéines porteuses, notamment l haptocorrine, alors que l absorption de cobalamine sous forme libre demeure intacte (tableau 1) [5, 6]. Le syndrome de maldigestion de la vitamine B12 répondrait donc parfaitement à une supplémentation orale. Ses principales étiologies sont les insuffisances biliopancréatiques, les pullulations microbiennes, l infection à Helicobacter pylori, la gastrite atrophique antrale, l alcoolisme et certaines prises médicamenteuses comme les antiacides et les biguanides [5]. Vitamine B12 orale àl èredel evidence-based medicine Historiquement, c est une équipe suédoise qui a été la première à utiliser dans les années 1960, avec succès, la voie orale pour le traitement des déficits en vitamine B12 et à imposer cette pratique dans certains pays nordiques (Suède, Finlande) [3, 7]. Par la suite, plusieurs groupes de recherche se sont accordés à documenter, au travers de petites études à la méthodologie souvent «fragile», l intérêt de la voie orale, mais aussi de la voie nasale, comme moyens efficaces de correction des déficits en cobala- 6

Tableau 1. Caractéristiques du syndrome de non-dissociation de la vitamine B12 et de ses protéines porteuses (adapté de Andrès et al. [5]) a Éléments diagnostiques du syndrome de non-dissociation de la vitamine B12 et de ses protéines porteuses ou maldigestion des cobalamines alimentaires Concentration sérique de vitamine B12 < 200 pg/ml Test de Schilling «standard» (avec de la cyanocobalamine libre marquée au cobalt-58) normal ou test de Schilling «modifié» (utilisant de la vitamine B12 radioactive liée à des protéines alimentaires) anormal b Pas de carence nutritionnelle en vitamine B12 (apport > 2 μg/j) Existence d un facteur prédisposant à la carence en vitamine B12 Gastrite atrophique, infection chronique à Helicobacter pylori, gastrectomie, by-pass gastrique Insuffisance pancréatique exocrine (éthylisme ) Éthylisme chronique Prise d antiacides (antihistaminiques 2 ou inhibiteurs de la pompe à protons) ou de biguanides (metformine) Pullulation microbienne, sida Sjögren, sclérodermie «Idiopathique» : lié à l âge ou au déficit congénital homozygote en haptocorrine a b La présence des trois premiers items est nécessaire au diagnostic du syndrome de non-dissociation de la vitamine B12 de ses protéines porteuses. Le test de Schilling «modifié» utilise de la vitamine B12 liée à des protéines d œuf, de poulet, de poisson, etc. ; test non disponible en routine clinique. mine [3, 8]. La première synthèse des études publiées sur la vitamine B12 administrée par voie orale a été réalisée, en 2002, par Lane et al. [9]. Elle a notamment permis «d internationaliser» cette voie d administration de la vitamine B12. Ce sont toutefois Kuzminski et al. qui ont permis, à travers une étude prospective randomisée et contrôlée, de confirmer définitivement l efficacité similaire de la voie orale par rapport à la voie intramusculaire en traitement de la carence en vitamine B12 [10]. Ils ont ainsi fait entrer la vitamine B12 administrée par voie orale dans l ère de l evidence-based medicine (ou médecine factuelle). Kuzminski et al. ont obtenu, sur une série de 38, une normalisation tant des paramètres hématologiques que de la concentration sérique de vitamine B12 (concentration moyenne : 907 pg/ml) après quatre mois de supplémentation orale à la dose empirique de 2 000 μg/j [10]. Dans cette étude, les deux groupes (traitement oral et traitement parentéral) avaient des concentrations sanguines respectives d acide méthylmalonique et d homocystéine avant et à quatre mois de traitement tout à fait superposables. Le tableau 2 présente les deux seules études randomisées disponibles à ce jour, celle de Kuzminski et al. et celle de Bolaman et al. [10, 11]. Cette dernière s est faite sur un effectif plus important de 60 et a montré des résultats similaires avec une augmentation moyenne de la concentration sérique de vitamine B12 de 140,9 pg/ml dans le groupe ayant reçu trois mois de traitement oral de cyanocobalamine à la dose de 1 000 μg/j [11]. Cette augmentation était comparable à celle obtenue dans le groupe «traitement classique intramusculaire». En ce qui concerne la dose nécessaire de vitamine B12, Eussen et al. ont mené une étude randomisée en double insu qui a montré que la dose requise devait être supérieure à 200 fois la dose quotidienne alimentaire recommandée (3 μg/j), soit une dose journalière supérieure à 500 μg [12]. Toutes ces études ont été analysées dans une revue systématique du groupe Cochrane, publiée en 2005 par Vidal-Alaball et al. [13]. Cette revue a conclu à l efficacité de la voie orale à visée curative (en dehors des formes neurologiques sévères) avec une augmentation significative de la concentration sanguine de vitamine B12 et une amélioration des troubles hématologiques, de manière comparable à la voie intramusculaire. La cyanocobalamine était la forme de supplémentation utilisée dans toutes ces études (l hydroxocobalamine n est utilisée en France que comme antidote des intoxications au cyanure). Données du groupe de travail strasbourgeois Notre groupe de travail s est intéressé de manière ciblée à la catégorie des âgés, et ce, à travers une méthodologie rigoureuse (études prospectives) et un choix minutieux des critères d inclusion des. La forme de supplémentation utilisée a toujours été de la cyanocobalamine [14-18]. Plusieurs posologies ont été utilisées, allant de 125 à 1 000 μg/j. Nos principales études ouvertes sur la vitamine B12 orale sont regroupées dans le tableau 3 [14-18]. Nos résultats confirment ceux rapportés dans les études précédentes, notamment chez les présentant un syndrome de maldigestion des cobalamines alimentaires de la personne âgée [14-17]. Biologiquement, tous nos 7

Tableau 2. Études prospectives randomisées utilisant de la vitamine B12 administrée par voie orale Caractéristiques des études (nombre de ) Modalités thérapeutiques Résultats Étude prospective randomisée et contrôlée (n =38) administrée par voie orale : 2 000 μg/j, pendant au moins 4mois Les valeurs préthérapeutiques de la vitamine B12, de l acide méthylmalonique et de l homocystéine sont respectivement de : 93 pg/ml, 3850et37,2μmol/L dans le groupe oral et de : 95 pg/ml, 3 630 et 40 μmol/l dans le groupe parentéral. Après 4 mois de traitement, ces valeurs sont respectivement de : 1 005 pg/ml, 169 et 10,6 μmol/l dans le groupe oral et de : 325 pg/ml, 265 et 12,2 μmol/l dans le groupe parentéral. Les valeurs les plus hautes pour la vitamine B12 et les plus basses pour l acide méthylmalonique sont significativement différentes entre les deux groupes (p <0,0005etp <0,05) La correction des manifestations hématologiques et neurologiques est rapide et indistinguable entre les deux groupes [10] Étude prospective randomisée ouverte (n =60) administrée par voie orale : 1 000 μg p.o. par jour pendant dix jours (groupe p.o.) ou cobalamine i.m. : 1 000 μg/j pendant dix jours (groupe i.m.). Après dix jours, les deux traitements ont été administrés une fois par semaine pendant un mois puis une fois par mois La valeur moyenne de vitamine B12 augmente significativement entre le j0 et le j90 (p <0,001) Dans le groupe p.o., à j30 et j90, tous les paramètres hématologiques (Hb, VGM, réticulocytes, nombre de GB et de plaquettes) changent significativement par rapport à j0 (p < 0,01 pour tous). Ces anomalies se corrigent de façon similaire entre les deux bras Une amélioration des paramètres est observée dans 78 % dans le groupe p.o. et 75 % dans le groupe i.m. à j30 [11] Hb : hémoglobine ; VGM : volume globulaire moyen des érythrocytes. ont normalisé leurs concentrations sériques de vitamine B12 et leurs taux d homocystéinémie sous traitement oral, et plus de 65 % ont eu, entre trois et quatre mois, une correction de leurs paramètres hématologiques perturbés. Il faut noter que dans tous les cas, l amélioration, voire la normalisation des paramètres hématologiques est obtenue en moins d un mois [17]. Comme pour la forme injectable, la vitamine B12 administrée par voie orale entraîne une crise réticulocytaire durant les dix premiers jours [16]. L amélioration clinique a été obtenue dans un tiers des cas. Ces résultats ont été observés également chez les avec maladie de Biermer [18]. Un de nos travaux récents avait pour objectif d évaluer l efficacité à long terme (2,5 ans) du traitement oral [19]. Cette efficacité a été constatée sur les résultats préliminaires dans cette étude de 22 cas, ce qui rejoint les données de Roth et al. (seule étude sur le long terme) qui ont démontré l efficacité persistante de la voie orale sur une durée de plus de quatre ans [20]. Vitamine B12 orale en pratique clinique Le traitement des carences en vitamines B12 repose, dans la majorité des pays, sur la vitamine B12 administrée en intramusculaire sous forme de cyanocobalamine, d hydroxycobalamine ou de méthylcobalamine [21]. En France, seule la première est utilisée dans cette indication. Une certaine supériorité de l hydroxycobalamine est toutefois reconnue et est relative à sa captation tissulaire et à son stockage meilleurs que les autres formes [22, 23]. Les attitudes concernant la posologie et le rythme d administration de la vitamine B12 administrée en intramusculaire sont très différentes d une équipe à l autre [1, 22, 23]. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les doses sont de 100 à 1 000 μg par mois à vie [1, 22]. En France, il s agit d un traitement d attaque à la dose de 1 000 μg/j pendant une semaine puis une dose mensuelle de 1 000 μg à vie [1, 3]. En ce qui concerne le traitement curatif par la vitamine B12 administrée par voie orale, aucun schéma n a été encore validé de manière définitive, en l état actuel des connaissances [3, 21]. Les doses habituellement utilisées doivent, en tous cas, dépasser largement celles requises physiologiquement (de 125 à 2 000 μg/j). Les différentes présentations de vitamine B12 orale, disponibles en France, sont regroupées dans le tableau 4 (monographie du Vidal ). Le tableau 5 résume nos propositions concernant le schéma thérapeutique à adopter en cas d utilisation de vitamine B12 administrée par voie orale [3, 21]. En pratique, l attitude qui peut être proposée repose sur une supplémentation maintenue jusqu à l obtention d une correction complète de l affection causale si celle-ci est curable (par arrêt d un médicament responsable du défi- 8

Tableau 3. Études de cohorte strasbourgeoises sur l efficacité de la vitamine B12 administrée par voie orale Caractéristiques des études (nombre de ) Modalités thérapeutiques Résultats Étude prospective ouverte sur l efficacité de la vitamine B12 orale dans le syndrome de maldigestion des cobalamines alimentaires (n =10) administrée par voie orale : 650 μg/j, pendant 3 mois Normalisation de la vitamine B12 sérique chez 80 % des Augmentation significative du taux d Hb (moyenne : +1,9 g/ dl) et baisse du VGM (moyenne : 7,8 fl) Amélioration clinique chez 20 % des [15] avec un déficit en vitamine B12, non lié à la maladie de Biermer (n =20) administrée par voie orale : 1000μg/j pendant au moins 1semaine Normalisation de la vitamine B12 sérique chez 85 % des [16] avec un déficit en vitamine B12 en rapport avec le syndrome de maldigestion des cobalamines alimentaires (n =30) administrée par voie orale : 250à1000μg/j pendant 1mois Normalisation de la vitamine B12 sérique chez 87 % des Augmentation significative de l Hb (moyenne : + 0,6 g/dl) et baisse du VGM (moyenne : 3 fl) ; normalisation de l Hb et du VGM dans 54 et 100 % des cas respectivement Efficacité dose-dépendante à partie de 500 μg/j [14] avec un déficit en vitamine B12, non lié à la maladie de Biermer (n =30) avec maladie de Biermer (n =10) administrée par orale : 125 à 1000μg/j pendant au moins 1semaine administrée par voie orale : à 1000μg/j pendant au moins 3mois Normalisation de la vitamine B12 sérique chez tous les ayant reçu une dose 250 μg/j Efficacité dose-dépendante à partie de 500 μg/j Augmentation significative de la vitamine B12 sérique chez 90 % des (moyenne : + 117,4 pg/ml) Augmentation significative de l Hb (moyenne : +2,45 g/dl) et baisse du VGM (moyenne : 10,4 fl) Amélioration clinique chez 30 % des [17] [18] Étude de cohorte de avec déficit en vitamine B12 lié principalement une maldigestion (n =22) administrée par voie orale : à 650 μg/j en moyenne pendant une médiane de 2,5 ans Normalisation de la vitamine B12 sérique chez 95 % des Augmentation significative de l Hb (moyenne : +1,1 g/dl) Amélioration clinique chez 20 % des [19] Hb : hémoglobine ; VGM : volume globulaire moyen des érythrocytes. cit, par traitement d une infection à H. pylori ou d une insuffisance pancréatique, etc.). La supplémentation peut être continue ou séquentielle sous réserve d une bonne compliance et observance du patient [3, 21]. Dans notre expérience, cette attitude est à réserver aux conséquences avant tout hématologiques des carences en vitamine B12 ; les données relatives aux formes neurologiques étant nettement plus parcellaires [3, 21-23]. Il est donc toujours recommandé, si l on se réfère aux données de l evidence-based medicine, d avoir recours à la voie parentérale dans les formes neurologiques «sévères» [3]. Par rapport à la voie injectable, la voie orale pourrait permettre d épargner ou d éviter les inconvénients liés à l inconfort des injections et du coût probablement plus élevé (soins infirmiers) [24]. Elle peut également se révéler particulièrement utile chez les sous anticoagulants ou antiagrégants chez qui les injections intramusculaires sont contre-indiquées. Conclusion Cette revue de la littérature confirme l efficacité de la vitamine B12 orale comme traitement des carences en vitamine B12, modalité d administration méconnue en France («to date, oral cobalamin therapy remains the best medical secret»). Toutefois, les modalités thérapeutiques exactes, en termes de forme biochimique de vitamine B12 (hydroxy- ou cyanocobalamine), de fréquence de prises et de durée de traitement, restent encore à préciser et à affiner dans le futur. Remerciements et autres mentions. Financement : aucun ; conflit d intérêts : aucun. Le Pr Emmanuel Andrès est membre de la Commission nationale de pharmacovigilance, mais les données présentées dans ce travail ne relèvent en rien de cette commission. Remerciements. Aux Prs Marc Imler et Jean-Louis Schlienger qui ont initié les premiers travaux. 9

Tableau 4. Présentations de vitamine B12 disponibles dans la pharmacopée française en 2009 (adaptée de Andrès et al. [21]) Nom de spécialité (composition) Vitamine B12 Aguettant 1 000 μg/2 ml sol buv/inj Vitamine B12 Aguettant 100 μg/ml sol buv et inj IM Vitamine B12 Bayer 1 mg cp pellic Vitamine B12 Delagrange 1 000 μg/2 ml sol buv et inj IM Vitamine B12 Gerda 1 000 μg sol buv/inj Vitamine B12 Gerda 250 μg cpséc Vitamine B12 Lavoisier 1 000 μg/ml sol inj IM Renaudin 500 μg/ml sol inj IM Indications Voie injectable intramusculaire : déficits prouvés en vitamine B12, dus à un défaut d absorption : maladie de Biermer, gastrectomie totale, résection de l iléon terminal, maladie d Imerslund Voie injectable : déficits prouvés en vitamine B12, dus à un défaut d absorption : maladie de Biermer, gastrectomie totale, résection de l iléon terminal, maladie d Imerslund Voie injectable : déficits prouvés en vitamine B12, dus à un défaut d absorption : maladie de Biermer, gastrectomie totale, résection de l iléon terminal, maladie d Imerslund Voie intramusculaire : déficits prouvés en vitamine B12, dus à un défaut d absorption : maladie de Biermer, gastrectomie totale, résection de l iléon terminal, maladie d Imerslund Voie intramusculaire : déficits prouvés en vitamine B12 dus à un défaut d absorption : maladie de Biermer gastrectomie totale résection de l iléon terminal maladie d Imerslund Dodécavit 0,5 mg/ml (hydroxocobalamine) Voie intramusculaire : déficits prouvés en vitamine B12, dus à un défaut d absorption : maladie de Biermer, gastrectomie totale, résection de l iléon terminal, maladie d Imerslund Sol : solution ; buv : buvable ; inj : injection ; IM : intramusculaire ; cp : comprimé : séc : sécable ; pellic : pelliculé. Tableau 5. Recommandations pratiques concernant le traitement par vitamine B12 Maladie de Biermer Déficit nutritionnel et maldigestion des cobalamines alimentaires Administration parentérale (intramusculaire) : 1000μg/j pendant 1 semaine puis 1 000 μg/s pendant 1 mois puis 1 000 μg tous les mois, le restant de la vie (au moins 1 000 à 2 000 μg/j pendant au moins 1 à 3 mois dans les formes neurologiques sévères) a : 1000μg/j pendant 1 semaine puis 1 000 μg par semaine pendant 1 mois puis 1 000 μg tousles1à3mois,jusqu à cequelacause potentielle de carence soit supprimée ou le restant de la vie (1 000 μg/j pendant au moins 1 à 3 mois dans les formes neurologiques sévères) a Administration orale : 1000μg/j pendant le restant de la vie : 1000μg/j pendant 1 mois puis 125 à 1 000 μg/j, jusqu à cequelacausepotentiellede carence soit supprimée ou le restant de la vie a L efficacité de la vitamine B12 administrée par voie orale dans les formes neurologiques sévères n est pas très bien documentée à ce jour. Références 1. Andrès E, Loukili NH, Noel E, et al. Vitamin B12 (cobalamin) deficiency in elderly. CAMJ 2004 ; 171 : 251-60. 2. Serraj K, Mecili M, Andrès E. Signes et symptômes de la carence en vitamine B12 : revue critique de la littérature. Med Ther 2010 ; 16 (in press). 3. Andrès E, Fothergill H, Mecili M. Efficacy of oral cobalamin (vitamin B12) therapy. Expert Opin Pharmacother 2009 (in press). 4. Dali-Youcef N, Andrès E. An update on cobalamin deficiency in adults. QJM 2009 ; 102 : 17-28. 5. Andrès E, Affenberger S, Vinzio S, et al. Food-cobalamin malabsorption in elderly : clinical manifestations and treatment. Am J Med 2005 ; 118 : 1154-9. 10

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