L'Eau, patrimoine commun de la nation et son État gardien Forum EDS & colloque étudiant 19 mars 2014 Université Laval Paule Halley Professeure titulaire Chaire de recherche du Canada en droit de l environnement Faculté de droit
Paule Halley Des droits de l eau au Québec: Un droit structuré en fonction des usages de l eau Depuis la fin des années 1960, les pressions se sont accentuées sur le législateur de réformer le droit de l eau au Québec Des raisons juridiques : La gestion sectorielle est propice aux conflits d usages et peu adaptée à la prise en compte des impacts cumulatifs et de la capacité de support des milieux récepteurs. Des raisons factuelles : La crise environnementale et le changement du climat affectent les ressources en eau.
Un droit aux origines anciennes Déjà à l époque de la Nouvelle France et du Code civile du Bas Canada (1866), l eau est qualifiée de chose commune. Le statut juridique de chose commune de l eau fut confirmé de nouveau en 1992 dans le Code civil du Québec, article 913 : «Certaines choses ne sont pas susceptibles d'appropriation; leur usage, commun à tous, est régi par des lois d'intérêt général et, à certains égards, par le présent code. L'air et l'eau qui ne sont pas destinés à l'utilité publique sont toutefois susceptibles d'appropriation s'ils sont recueillis et mis en récipient.» Par conséquent, au Canada, l État n est pas propriétaire de l eau. L eau n est pas une composante du domaine public. Paule Halley Des droits de l eau au Québec: Un droit structuré en fonction des usages de l eau
Le partage des compétences constitutionnelles en 1867 i) Compétences provinciales : - la propriété et les droits civils et toutes les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province. - les ressources naturelles non renouvelables, les ressources forestières et la production d énergie électrique. ii) Compétences fédérales : la navigation, les bâtiments et les navires, les pêcheries, le trafic et le commerce interprovinciaux et internationaux, le droit criminel, les travaux et les entreprises interprovinciaux, le pouvoir d urgence et la théorie de l intérêt national. Loi constitutionnelle de 1867, art. 91, 92 et 92A. Paule Halley Des droits de l eau au Québec: Un droit structuré en fonction des usages de l eau
Paule Halley Des droits de l eau au Québec: Un droit structuré en fonction des usages de l eau Avant 1970 : Un droit sectoriel, structuré en fonction des usages de l eau Acte pour autoriser l exploitation des cours d eau (1856) : «Vu que l exploitation des cours d eau serait un grand moyen de prospérité pour le pays» Dans les années 1970 : la protection de l environnement devient un nouveau secteur du droit Adoption des premières lois protectrices de l environnement. Les lois adoptées antérieurement et autorisant de multiple usages de l eau vont continueront à s appliquer. L application du droit de l eau demeure orientée vers la sécurisation des usages et le développement économique. Rôle des municipalités : cours d eau municipaux, approvisionnement en eau potable, aqueducs et égouts, assainissement des eaux usées, bandes riveraines.
Les droits de l eau au Québec : Un droit structuré en fonction des usages de l eau L approche sectorielle est critiquée «Notre système juridique de l eau est constitué de règles émanant de sources variées, pour la plupart très anciennes et qui n ont jamais été systématisées. Cet ensemble historique a été élaboré par des apports successifs de normes législatives ou jurisprudentielles qui ont juxtaposé, dans le temps, des droits et des obligations sans modifier la plupart du temps les situations juridiques acquises.» QUÉBEC, COMMISSION D ÉTUDE DES PROBLÈMES JURIDIQUES DE L EAU, Histoire du droit québécois de l eau (1663-1969), par Henri BRUN, Québec, Gouvernement du Québec,1969, p. 7 Paule Halley
Risques hydriques : déluge de 1996 60 barrages H-Q; 105 autres barrages; plusieurs centaines de barrages de retenue
Les risques hydriques : crise du verglas 1998 Roger Nicolet, Pour affronter l'imprévisible : les enseignements du verglas de 98 : rapport de la Commission scientifique et technique chargée d'analyser les évènements relatifs à la tempête de verglas survenue du 5 au 9 janvier 1998 (1999)
Paule Halley Des raisons factuelles et juridiques de réformer le droit de l eau Roger NICOLET, Rapport - Commission scientifique et technique sur la gestion des barrages, Sainte-Foy (Québec), Publications du Québec, 1997, p. 5-36 et p. 6-4 : «La loi devrait être revue dans la perspective d y introduire comme principe directeur la volonté d une gestion intégrée et sécuritaire de la richesse patrimoniale qu est l eau, au service du plus grand nombre.» Plus tard, les travaux du GIEC soulignent : «Il est largement prouvé que les sources d eau douce sont vulnérables et auront à souffrir gravement du changement climatique, avec de grandes répercussions sur les sociétés humaines et sur les écosystèmes.»
Les réformes entreprises au Québec Le législateur affiche une plus grande préoccupation à l égard de la gestion des ressources en eau, des incertitudes et du changement du climat 1997 : Symposium sur la gestion de l eau 1999 : Loi visant la préservation des ressources en eau 2000 : Loi sur la sécurité des barrages et Consultation publique sur l eau (BAPE) 2001 : Loi sur la sécurité civile 2002 : Politique nationale de l eau 2005 : Entente sur les ressources en eaux durables du bassin des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent 2006 : Loi sur le développement durable et Loi sur les compétences municipales 2009 : Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection Paule Halley
Paule Halley Les réformes en cours du droit de l eau La Politique nationale de l eau (2002) «la Politique nationale de l eau modifiera les façons de faire sectorielles actuelles en une véritable gestion intégrée et concertée sur la base du bassin versant. Une approche de gestion plus globale dans une perspective de développement durable apparaît nécessaire pour permettre d établir la priorité des actions ou des projets en tenant compte du cumul des impacts sur le milieu.»
Paule Halley Les réformes en cours du droit de l eau Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection de 2009 Art. 1 : «Étant d intérêt vital, l eau de surface et l eau souterraine, dans leur état naturel, sont des ressources qui font partie du patrimoine commun de la nation québécoise. Ainsi que l énonce l article 913 du Code civil, leur usage est commun à tous et elles ne peuvent faire l objet d appropriation, sauf dans les conditions définies par cet article.» L État est nommé gardien des intérêts de la nation Préambule, art. 8 Loi sur l eau et Entente sur les ressources en eaux durables du bassin des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent
Paule Halley Les réformes en cours du droit de l eau Patrimoine commun de la nation québécoise : héritage reçu des générations précédentes doit être préservé pour être transmis aux générations futures Une représentation unifiée de l eau : appréhende l universalité des eaux présentent sur le territoire N implique pas de transfert de propriété, de nationalisation ou de propriété publique Se juxtapose aux domaines privé et public Un «patrimoine commun» distinct du «domaine public» de l État et soumis à des règles différentes, composées de droits et obligations pour les bénéficiaires, usagers et administrateurs de l eau Unifie l application des droits de l eau sous un objectif commun : «La protection, la restauration, la mise en valeur et la gestion des ressources sont d intérêt général et concourent à l objectif de développement durable.» ( art. 3)
Paule Halley Les réformes en cours du droit de l eau L État gardien des intérêts de la nation : Version anglaise : custodian (Préambule et art. 8 Loi sur l eau) steward (Entente sur les ressources en eaux durables du bassin des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent) Rôle de l État gardien : pas titulaire, ni propriétaire du patrimoine, mais responsable de son administration à titre de gardien de sa préservation en vue de sa transmission aux générations suivantes. Les titulaires du patrimoine commun : la nation québécoise; les particuliers qui ont des droits d usages sur l eau et dont le statut de titulaire du patrimoine commun est porteur de devoirs et de droits Le devoir de garde implique la protection et la conservation du patrimoine, l exercice de la diligence dans la garde et un devoir de loyauté et d impartialité à l égard des titulaires
Paule Halley Les réformes en cours du droit de l eau Art. 2 : «Dans les conditions et les limites définies par la loi, chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable.» Principes communs de gestion : Principe utilisateur-payeur, art. 4 Principe de prévention, art. 5 Principe de réparation, art. 6 Principes de transparence et de participation, art. 7 Principe de gestion intégrée et concertée dans les unités hydrographiques, art. 13 Principe de protection des ressources : gestion durable, équitable et efficace, art.19 Principe interdisant les transferts d eau hors bassin du fleuve St-Laurent et hors Québec
Les réformes en cours du droit de l eau Le principe de gestion intégrée et concertée Art. 13 : «La gestion des ressources en eau doit être réalisée de manière intégrée et concertée dans les unités hydrographiques» [ ] «Cette gestion intégrée et concertée doit en outre être effectuée en tenant compte des principes du développement durable, notamment ceux énoncés à l'article 6 de la Loi sur le développement durable» Les municipalités régionales de comté, les communautés métropolitaines et les municipalités locales, dont le territoire est compris dans l'unité hydrographique visée par un plan directeur, le prennent en considération dans l'exercice des attributions qui leur sont conférées par la loi dans le domaine de l'eau ou dans tout autre domaine ayant une incidence sur l'eau. Paule Halley
Paule Halley Les réformes en cours du droit de l eau Un nouveau régime d autorisation des prélèvements en eau: art. 31.76 et 31.77 LQE pour les prélèvement de 75 000 litres/jr La décision doit assurer la protection des ressources en eau : En priorisant les besoins humains : En conciliant les besoins de la nature avec les autres usages humains : par une gestion durable, équitable et efficace des ressources qui tient compte du principe de précaution et du changement climatique santé salubrité sécurité civile alimentation en eau potable protection des écosystèmes aquatiques agriculture, aquaculture, industrie, production d énergie et autres activités humaines, loisirs, tourisme En tenant compte des conséquences sociales et économiques du prélèvement en eau à court, moyen et long terme
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