CEMI. Centre d Études des Modes d Industrialisation. Le coût de l Euro et l économie française Une tentative d estimation.



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École des Hautes Études en Sciences Sociales CEMI Centre d Études des Modes d Industrialisation Le coût de l Euro et l économie française Une tentative d estimation Jacques Sapir Note de synthèse 26 septembre 2012

Le coût de l Euro et l économie française Une tentative d estimation Jacques SAPIR Directeur d études à l École des Hautes Études en Sciences Sociales Alors que le chômage augmente rapidement désormais en France, et que le débat autour du Traité européen (le TSCG ou traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) commence à se focaliser sur le maintien ou non de la zone Euro, il convient de tenter d évaluer ce qu ont pu être les coûts de l Euro pour l économie française. Les effets de la surévaluation de l Euro sur l économie française, on le sait, ont été dévastateurs. Ils mettent en avant le problème de la compétitivité externe (par rapport aux pays ayant des monnaies différentes). Mais, ce problème n est pas le seul. Il y a aussi un problème de compétitivité interne (essentiellement avec l Allemagne). L impossibilité de dévaluer par rapport à ce dernier pays a conduit à une dégradation importante de notre compétitivité, ce qui s est traduit par un déficit de la balance commerciale (qui était positive jusqu en 2002-2003). Ces effets se sont combinés, jusqu en 2008, avec les effets des taux d intérêts imposés par la poursuite de l inflation «la plus basse possible» par la BCE Dans le présent texte on discutera l impact sur la croissance induit par la surévaluation de l Euro qui devient évidente à partir de 2003, l impact sur le chômage et enfin l impact sur les finances publiques. I. Les effets sur la croissance. L Euro s est régulièrement réévalué face au dollar US depuis 2003, ce qui a entraîné une pression nette sur la croissance française 1. Si nous prenons un taux de change moyen de 1 Euro pour 1,05 Dollars comme correspondant à une parité économique, on constate que l Euro, après une période de sous-évaluation qui va de 1999 à 2002, s est très fortement apprécié par la suite. Le dollar servant de point de référence à de nombreuses monnaies (en particulier en Asie) ceci est représentatif d une surévaluation globale de la monnaie européenne. La France faisant une part non négligeable de son commerce en dollars ou en monnaies indexées sur le dollar (environ 40% des importations comme des exportations) cette surévaluation a bien un impact important sur notre économie. Nous notons un taux de change de 1,05 Dollars qui est propre à la France et peut servir de taux d équilibre. Pour l Espagne il faudrait probablement un taux de 0,90 0,95 Dollars, pour la Grèce probablement 0,70 dollars, et pour l Italie de 0,95-1,00 Dollars. 1 F. Cachia, Les effets de l appréciation de l Euro sur l économie française, in Note de Synthèse de l INSEE, INSEE, Paris, 20 juin 2008 (URL : http://www.insee.fr/fr/indicateurs/analys_conj/archives/juin2008_d2.pdf ). Voir aussi l article prémonitoire de S. Federbusch, "La surévaluation de la monnaie unique coûte cher à la croissance" in Libération, rubrique "Rebonds", 26 avril 2006.

La surévaluation de l Euro a coûté environ 1% de croissance par tranche de 10% de surévaluation selon une étude de 2008 2. Il est donc en théorie possible de calculer l effet de freinage induit par cette surévaluation, à partir du niveau considéré comme le taux de change d équilibre. Graphique 1 Surévaluation de l Euro par rapport au Dollar Source : Banque Centrale Européenne Bien entendu, c est par simplification que l on suppose que l effet de la surévaluation sur la croissance est linéaire. En fait, il semble que cet effet soit bien plus faible (avec une pente inférieure) quand l Euro est proche de sa parité théorique, et beaucoup plus fort quand il s en éloigne de manière importante. Ceci est en réalité très logique. Les agents économiques, qu ils soient acheteurs de produits français dans la zone dollar ou acheteur en France de produits fabriqués dans la zone dollar, sont en réalité d autant plus sensibles au prix du produit que les modifications de ce prix sont élevées. Ces phénomènes ont été décrits d un point de vue expérimental il y a de cela près de 20 ans dans des travaux fondateurs 3. Ces travaux reprennent et systématisent des intuitions datant des années 1950 et 1960 de Maurice Allais 4. 2 F. Cachia, Les effets de l appréciation de l Euro sur l économie française, op.cit. 3 D. Kahneman, "New Challenges to the Rationality Assumption" in K.J. Arrow, E. Colombatto, M. Perlman et C. Schmidt (edits.), The Rational Foundations of Economic Behaviour, St. Martin's Press, New York, 1996, pp. 203-219. Ces travaux ont été lancés par l article précurseur de P. Slovic et A. Tversky, "Who Accept's Savage Axioms?" in Behavioural Science, vol. 19/1974, pp. 368-373. 4 M. Allais, "Le comportement de l'homme rationnel devant le risque. Critique des postulats de l'école américaine" in Econométrica, vol. 21, 1953, pp. 503-546. Voir aussi M. Allais et O. Hagen (edits.) Expected Utility Hypotheses and the Allais Paradox, Reidel, Dordrecht, 1979.

On peut ainsi calculer ce qu aurait été le PIB de la France si le taux de change avait été maintenu à cette valeur de 1 Euro pour 1,05 Dollars. Ce calcul est fait sous la clause «ceteris paribus» 5. Il suppose maintenue constante la politique des taux d intérêts, dont on peut penser qu elle a dû nous coûter entre 0,5% et 1,5% de croissance par an suivant les périodes, dans la mesure où le taux d inflation français a été maintenu en dessous du taux structurel, avec les conséquences négatives que ceci entraîne sur la croissance 6. Graphique 2 Calcul de la croissance notionnelle française et comparaison avec la croissance réelle Hypothèse linéaire : calculs réalisés sur la base de l étude de F. Cachia. Hypothèse non-linéaire : calculs réalisés avec une effet d accélération important dès que la surévaluation atteint les 25%. Source : Agence France-Trésor, Ministère des l Économie et des Finances et CEMI-EHESS. On constate, en tenant compte des délais d ajustements habituels pour ce genre de calcul que le PIB notionnel est inférieur au PIB réel du 4 ème trimestre 2001 au 1 er trimestre 2005, mais qu il devient ensuite très rapidement supérieur, pour aboutir au 3 ème trimestre 2010 à un écart instantané de 11,6%. Aux prix de 2003, l écart cumulé entre le PIB notionnel et le PIB réel équivaut au 2 ème trimestre 2012 à 395 milliards d euros (environ un trimestre) dans le cas de l hypothèse linéaire et de 605 milliards d Euros dans le cas de l hypothèse non linéaire. 5 Où «toutes choses étant égales par ailleurs». 6 J. Sapir, Inflation monétaire ou inflation structurelle? Un modèle hétérodoxe bi-sectoriel, FMSH- WP-2012-14, juin 2012. URL : http://halshs.archives-ouvertes.fr/fmsh-wp/halshs-00712645

En d autres termes, la simple surévaluation de l Euro aura coûté à la France, en juin 2012 entre 3 mois et 4,5 mois de sa richesse produite (le PIB). Les français seraient donc plus «riches» (à condition que les règles de répartition soient inchangées) de 25% à 37,5% qu ils ne le sont actuellement. II. Les effets sur le chômage. Le chômage a atteint au mois de juin 2012 le chiffre de 2 945 800 chômeurs. Il convient de replacer ceci dans une logique de montée, dans le long terme, du nombre des demandeurs d emplois. Une croissance plus forte aurait certainement eu des effets positifs, entraînant une baisse du taux de chômage. Mais le calcul est ici plus ardu car le marché du travail français est loin de fonctionner de manière complètement satisfaisante. Il est cependant possible d estimer qu avec un taux de croissance de 1,5% à 1,8% l économie française ne créé pas d emplois, qu elle en détruit pour les taux de croissance inférieurs et qu elle en crée pour les taux de croissance supérieurs. La comparaison entre le taux de croissance estimé (dans l hypothèse linéaire) et le taux de croissance observé montre bien la divergence entre les deux trajectoires. Graphique 3 Source : INSEE et calculs du CEMI-EHESS. Néanmoins, la relation entre le taux de croissance et le taux de chômage n est pas linéaire dans la réalité, et l on sait qu au delà d une certaine limite la relation entre le taux de croissance et le taux de chômage se dégrade fortement.

D autres facteurs jouent un rôle important comme les dépenses budgétaires, qui dans certains secteurs ont un effet important sur le chômage, et la politique monétaire. La simulation à laquelle nous nous sommes livrés n en tient pas compte, et applique uniquement les taux de croissance alternatifs (linéaire et non-linéaire) au taux de chômage. Graphique 4 Méthodologie : relation linéaire entre le taux de croissance et le taux de chômage pour les taux estimés. Taux de croissance pivot : 1,8% par an. Source : taux de chômage métropolitain, INSEE et calculs du CEMI-EHESS. En fin de période (juin 2012) la différence calculée est donc comprise entre 720 000 et 830 000 chômeurs. Ces chiffres doivent être considérés comme des minima, uniquement attribuables aux effets de perte de compétitivité externe du fait de la surévaluation de l Euro de 2003 à 2012. Une trajectoire régulière de retour à l emploi entraîne des phénomènes cumulatifs (tout comme l inverse est vrai en période de chômage important et de longue durée. Le développement d un sous-emploi structurel (1,3 millions de personnes en 2011) en est l un des symptômes 7. Il est donc probable que, sous les hypothèses de croissance qui ont été faite dans ce texte, nous serions revenus autour de 2 millions de chômeurs (et certainement en dessous dans l hypothèse non-linéaire) en juin 2012. Le bénéfice pour la société aurait été double, avec d une part une situation sociale moins dramatique mais d autre part un gain de 10 milliards d euros environ pour les caisses des ASSEDIC. 7 Joëlle Vidalenc et Loup Wolff, Une photographie du marché du travail en 2011, INSEE Première, N 1415 - SEPTEMBRE 2012, URL : http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1415/ip1415.pdf

Inversement, on peut considérer que la responsabilité de l Euro dans le chômage en France est au minimum du quart et plus probablement du tiers du total des chômeurs. Ceci, il faut le rappeler est établi sans tenir compte des phénomènes de compétitivité interne à la zone Euro, qui ne sont pas affectés par la surévaluation de l Euro. Si l on cherche à corréler la montée du chômage et le déficit commercial avec l Allemagne, en faisant abstraction des autres causes, on peut estimer entre 250 000 et 350 000 chômeurs les effets de la perte de compétitivité interne. Mais, ceci n épuise pas la question de la compétitivité interne. En effet, pour maintenir la compétitivité avec l Allemagne, les industriels français ont de plus en plus tendance à délocaliser des activités à fort contenu de main d œuvre. Ainsi, la destruction d emplois est très certainement supérieure à ce que l on peut directement mesurer sur la base des statistiques du commerce entre les deux pays. Si l on compte les effets induits, ce sont de 100 000 à 150 000 emplois de plus qu il nous faut ajouter sur la période considérée. Ce serait donc un chiffre de 1070 000 à 1330 000 chômeurs, soit de 36% à 45% du total de juin 2012, qui seraient ainsi attribuables à l Euro en pratiquement 9 ans. III. Les effets sur les finances publiques. La détérioration de la croissance et la montée du chômage dégradent bien entendu les comptes publics. Ceci se calcule à la fois en pertes de recettes (à taux de prélèvement équivalent) et en augmentation des dépenses. On peut calculer ce qu auraient été des recettes publiques plus importantes avec un PIB plus important sous l hypothèse d un taux de prélèvement identique. On constate ainsi que l Euro porte une part non négligeable de la détérioration des finances publiques, par le frein qu il a mis à la croissance. Tableau 1 Comparaisons des recettes de l État et du déficit cumulé en fonction des hypothèses Revenus de l'état à taux d'imposition Solde primaire d'exécution de la loi de constant (en milliards d'euros) finance (milliards d Euros) Hypothèse Hypothèse Hypothèse Hypothèse Constaté linéaire non-linéaire Constaté linéaire non-linéaire 2003 737,814 739,818 739,010-61,822-59,817-60,626 2004 760,655 776,052 774,444-55,663-40,267-41,875 2005 785,516 817,011 814,970-46,147-14,652-16,693 2006 804,258 852,168 850,123-37,007 10,904 8,859 2007 807,518 881,331 893,789-44,499 29,313 41,772 2008 811,732 920,899 972,466-54,744 54,423 105,990 2009 769,756 902,605 974,407-121,331 11,519 83,320 2010 778,734 930,099 1009,622-125,790 25,575 105,098 Source : INSEE et Ministère des Finances pour les données constatées ; calculs du CEMI-EHESS pour les autres.

Bien sûr, ceci reste en partie théorique. Si la France n avait pas fait partie de la zone Euro, les taux d intérêts de cette même zone ne se seraient pas appliqués à l économie française. Si nous étions restés ouverts aux mouvements spéculatifs des capitaux, nous aurions été certainement obligés de nous imposer des taux d intérêts plus élevés. Mais, si nous avions adopté un système de contrôle de ces mêmes flux (en particulier sur les marché à court et très court terme), nous aurions pu retrouver notre liberté d action en matière de taux d intérêts et avoir alors des taux inférieurs à ceux que nous avons connus dans la zone Euro De plus, une partie du déficit est liée en réalité à des déductions fiscales (les «niches»), directes et indirectes, et des subventions du coût du travail au profit des entreprises, déductions dont le but est justement de restaurer la compétitivité de ces entreprises en dépit d un taux de change trop élevé. Ces «non-recettes» et dépenses peuvent être estimées entre 50 et 65 milliards d euros par an. On constate que cela correspond au déficit jusqu en 2008. Or, dans le cas d une plus forte croissance et d une meilleure compétitivité, on peut raisonnablement penser qu une grosse partie de ces «non-recettes» et de ces dépenses n auraient pas été nécessaires. Graphique 4 Source : Idem Tableau 1 Par ailleurs, dans les dépenses pures, il faut tenir compte de l équilibre des comptes sociaux. Ici aussi entre les rentrées supplémentaires liées à un surcroît d activité (que l on peut estimer à 4 milliards d euros) et des dépenses en moins du fait du moindre chômage (environ 10 milliards d euros) les comptes sociaux auraient été «naturellement» à l équilibre.

Ceci conduit à penser que le taux de prélèvement sur l économie française aurait pu être diminué progressivement, descendant à 40% du PIB, voire en dessous, en fin de période. Le surcroît de revenu pour les ménages venant accélérer la croissance, et pour les entreprises l investissement, qui trouve par ailleurs ses débouchés avec la forte croissance. Dès lors, c est à un cercle vertueux que l on assiste. Voilà qui indique bien la logique non pas mécanique mais organique de l économie, avec des boucles importantes de rétroaction qui vont de la croissance à la croissance. Les hypothèses faites au départ de ce texte sont donc à reprendre de ce pont de vue. La croissance estimée hors du cadre de l Euro aurait été en réalité nettement plus forte (de 0,5% à 1% du PIB) que ce que nous avons calculé à partir de 2006/2007, et le phénomène serait allé en s accélérant avec le temps. Un taux de croissance annuel moyen sur la période 2003-2012 de 3,5% à 4% apparaît alors comme parfaitement atteignable. Cela revient à dire que l Euro nous a coûté la moitié du taux de croissance que nous pouvions espérer, et ceci même avant de connaître les politiques de récession qui sont à l œuvre depuis 2011. IV. Perspectives. Ces effets négatifs de l Euro s entendent sans les politiques d austérité qui se sont mises progressivement en place en Europe, de la Grèce (printemps 2010) à la France (fin 2011 et début 2012). L effet cumulé de ces politiques sera très négatif sur la demande des ménages et va faire entrer la zone Euro dans une longue période de récession, qui est susceptible de se transformer en véritable dépression. Dans cette perspective, la forte montée du nombre des chômeurs au mois de juillet constitue un signal très inquiétant. Elle annonce une hausse du chômage d environ 500 000 nouveau chômeurs d ici à juin 2013. Ce chiffre pourrait d ailleurs être dépassé car les perspectives de croissance sont aujourd hui constamment révisées à la baisse. La fin de l année 2013 devrait s accompagner d une poursuite du mouvement avec sans doute 200 000 chômeurs de plus de juin à décembre 2013. C est donc vers un total de 3,7 millions de chômeurs que l on va tendre en décembre 2013, et il faut le rappeler, ceci constitue une estimation à minima. L état de l économie mondiale ne laisse présager aucune amélioration d ici le début de 2014 au moins. Une dérive vers les 4 millions de chômeurs est ainsi parfaitement concevable. Dès lors, ce serait entre 1,8 millions et 2,3 millions «d euro-chomeurs», soit de chômeurs directement dus à l existence de l Euro, que la France compterait en décembre 2013. Ces chiffres invitent à réfléchir sur la trajectoire engagée, non seulement celle récente de l austérité, mais plus profondément sue celle datant de la fin des années quatre-vingt dix avec la mise en place de l Euro. En fait la zone Euro telle qu elle fonctionne aujourd hui est cohérente avec une certaine politique, qu il s agisse de la sphère financière ou de l économie réelle. Cette politique a eu des effets négatifs absolument indubitables, que ce soit pour la croissance, pour l emploi ou pour les finances publiques. Soit nous pouvons changer le fonctionnement de la zone Euro, soit nous devrons la quitter. Mais, il est clair que dans sa forme actuelle la zone Euro n a pour nous que des inconvénients.