COLLECTIF LOCAL FRONT DE GAUCHE DE VELIZY - VIROFLAY - JOUY



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Transcription:

COLLECTIF LOCAL FRONT DE GAUCHE DE VELIZY - VIROFLAY - JOUY LA DETTE Sources: Les dettes illégitimes, François Chesnais, Raisons d agir, Paris, 2011, 156 p. Les autres sources utilisées sont citées en cours d article. Voir aussi, rubriques Conférences-Débats: La dette, avec C. Ramaux, 4 décembre 2012. La dette publique française se monte à 1832,6 milliards, à la fin du 2 ème trimestre de 2012. Ci-dessous: définitions, source: www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/finances-publiques/ressources)depenses-etat/budget De ces définitions, les injonctions à payer la dette, et à diminuer les dépenses, ressortent bien. L austérité s imposerait naturellement. L examen de la réalité nécessite, nous allons le voir, d autres moyens. La dette met en jeu des mécanismes financiers (1 ère partie). Qui plus est, la dette et la Crise sont indissolublement liées (2 ème partie). C est pourquoi la dette peut être «odieuse», illégitime, et dans ce cas, doit être renégociée, sinon annulée (3 ème partie). 1

1. Le pouvoir de la finance 1.1. Vision classique des banques (s accorde avec le sens commun) Les banques de dépôt sont de simples intermédiaires entre déposants et emprunteurs. Elles collectent l épargne et financent l investissement. L épargne est préalable à l investissement. Le taux d intérêt rémunère les épargnants et les banques, par une ponction des richesses créées par le travail. Les banques d affaires (ou «d investissement», mauvaise traduction de l anglais), s occupent d affaires plus troubles: les placements financiers; en clair: la spéculation (acheter en sachant que, plus tard, on pourra revendre la même chose plus cher). La séparation des activités de dépôt, et purement financières, a été rendue obligatoire, aux Etats- Unis, par Roosevelt, suite à la Crise de 1929 (Glass Steagall Act). En France, durant la croissance d après-guerre, les banques (en grande partie nationalisées) finançaient «classiquement» l économie, comme dit plus haut. La Banque de France aussi; par ailleurs elle prêtait à l Etat, à un taux voisin de 1%. L économie fonctionnait «sans finance»: pas de spéculation, pas d enrichissement sur la dette publique. Ceci étant mal supporté par certains, ils oeuvrèrent à renverser le rapport de forces issu de la crise des années 30, et de la deuxième guerre mondiale. 1.2. Le retour de la finance...... est préparé, en France, par le banquier devenu Premier ministre, Georges Pompidou, et le Ministre des Finances, Michel Debré, qui en 1967, réduisent la séparation banques de dépôt / banques d affaires. Puis, en 1973, la Banque de France ne peut plus financer l Etat, qui devra s adresser aux «marchés financiers». En 1986, l encadrement du crédit est supprimé: les banques ont le champ libre. La City de Londres, de 1965 à 1973, acquiert un statut spécial, qui lui permet d accueillir des capitaux cherchant à contourner les règlements de leur pays d origine, et de coordonner un réseau mondial de paradis fiscaux. La déréglementation sévit aux Etats-Unis; il y a quelques années, on a même osé abroger le Glass Steagall Act. On voit le rôle moteur des Etats dans ce grand retour de la Finance, confirmé dans les années 1980. La finance accueille des bénéfices qui ne seront pas réinvestis dans l industrie, dont la rentabilité diminue depuis même la fin des années 1960 (c est la «baisse tendancielle du taux de profit»). Il reste assez de capitaux pour aller s investir dans le Tiers-Monde, et y créer la «crise de la dette» dans les années 1980. L aide de la Banque mondiale sera assortie de conditions d ouverture des marchés des pays concernés, qui réduisent à zéro toute velléité de développement autocentré. La finance s est attribué les banques, les assurances, et les copieux dividendes versés par les industries dont elle est propriétaire. Elle transforme aussi l immobilier (logements, bureaux) en actifs financiers; l endettement des particuliers compris (ainsi aux Etats-Unis, en Irlande, Espagne). Même les industriels, et l Etat, deviennent locataires. Sans que cela résolve la crise du logement. Le résultat est qu en 1980, les actifs financiers dépassent le double du PIB mondial; aujourd hui, ce PIB représente de 1% à 2% du volume des transactions totales. Il est évident que la finance ne reflète plus l économie réelle. Des entreprises spécialisées, les Hedge Funds, concurrencent les banques, qui ne vivent plus vraiment de l intermédiation, et deviennent des conglomérats financiers. L économie a changé de modèle bancaire. 1.3. Les nouveaux outils de la finance 2

- La spéculation et l effet de levier Les prêts accordés excèdent largement les capitaux propres des banques. Celles-ci empruntent alors l argent qu elles engagent dans leurs nouvelles spéculations, emprunts qu elles rembourseront plus tard, ne versant au départ qu un acompte. Si les affaires rapportent plus que le prêt ne coûte, l «effet de levier» est un succès. L effet de levier permet de faire des profits élevés, avec peu de capitaux propres (donc forte rentabilité du capital), d où son nom. La spéculation se conjugue à l effet de levier: en effet, il faut que la tendance expansionniste et haussière soit bien prévue, sinon... tout s écroule. (ndlr: où se situe la limite entre la spéculation et l escroquerie?). - La titrisation...... permet de vendre et de revendre, donc de spéculer, sur une dette dont on est, pour le temps que l on désire, propriétaire. Cette dette est par exemple celle de l Etat, ou de candidats à la propriété de leur logement (ayant contracté des «prêts hypothécaires»). Pour se financer, l Etat émet des «titres financiers» que les investisseurs achètent, et qui représentent une unité de dette, avec son taux d intérêt et ses échéances. Cette opération s appelle une adjudication, car les titres sont mis aux enchères. La dette publique est «titrisée», en France, depuis 1980. Les financiers qui achètent ces titres de dette «prêtent» aux Etats de l argent qui, après moult changements de propriétaires, et «recompactages» dans divers paniers de valeurs formant de nouveaux «produits financiers» (par ex. les célèbres subprimes), peut bien être qualifié d «argent fictif». Pour ce paragraphe, outre l ouvrage de F. Chesnais, on a consulté: < www.bastamag.net/article2041.html >. 2. Crise de la dette et crise mondiale 2.1. Causes de l endettement (et du surendettement) L endettement est la source du profit. En période de croissance (1945-1975, les Trente glorieuses), les industriels financent ainsi les investissements qui leur apportent les profits, et, à la société, des emplois, et des salaires augmentant avec la productivité du travail. Ces mécanismes sont dits «keynésiens»; ils jouent à l époque dans une société de consommation de masse. La dette est «productive». Puis le capitalisme entre en crise. Dans les années 1980, la dette fait alors les profits des financiers: elle est spéculative, et parasitaire (depuis la crise de 2008: épargnants, retraités floués; débiteurs à la rue, et maisons vides). L endettement des particuliers est dû aux conditions alléchantes qui leur ont été proposées. Dans les années 2000, les taux d intérêt, en effet, ont diminué, aux Etats-Unis. En Europe, ils sont plus élevés: un prêt rapporte donc plus! L Euro, très demandé, est donc surévalué: c est le choix des libéraux (financiers) de rendre le capital cher (et désavantager l industrie). Mais cet euro cher avantage les grandes entreprises, qui en rachètent d autres à l étranger, pour s internationaliser. En France (en en Europe du Sud), le problème actuel est l endettement de l Etat. Or, on peut le dire, les dépenses de l Etat français sont relativement stables, en pourcentage du PIB. L endettement a des causes bien identifiables. L argent cher en est une. Le choix politique de la baisse des impôts, et de leur rendement, en est une autre (comme aux Etats-Unis). Enfin, l évasion et la fraude fiscales en sont une autre. Les ressources de l Etat en sont diminuées d autant. Pire: face à la crise de 2008, les Etats ont volé au secours des banques, et leur endettement a augmenté. Crise et endettement vont de pair. 3

2.2. Crise et endettement Deux temporalités de crise s enchevêtrent. Premièrement, la Crise longue, qui dure depuis les années 1970. C est la baisse du taux de profit, due à des rendements décroissants, qui en est la cause initiale. Deuxièmement: les crises brutales courtes (crise asiatique de 1997, bulle Internet de 2001, crise financière de 2008). La crise de 2008 est dite «systémique», car elle atteint toute l économie, et le monde entier. Pour sortir des crises, courtes ou longues, deux solutions sont mises en oeuvre, depuis les années 1980: la mondialisation (investir sur des marchés en croissance des pays émergents), et la financiarisation (inventer des sources nouvelles de profit, par le développement des services, financiers en particulier). La financiarisation consiste particulièrement en l invention d un «modèle de croissance par l endettement», sur lequel le secteur financier prospère, à partir des années 1990, ceci pour lutter contre la tendance dépressive longue. L endettement (prêts hypothécaires, prêts à la consommation à taux attractifs) permet de soutenir la demande des ménages, qui est bridée par les salaires trop bas. Les Etats-Unis s endettent pour acheter en Chine. Ils ont précisément choisi l immobilier (prêts hypothécaires, et produits financiers de titrisation) comme secteur moteur de sortie de crise, suite à la «bulle Internet» de 2001. En Europe, quelques pays «néo-mercantilistes» qui ont comprimé le coût du travail (dont l Allemagne est le principal), ont dû leur croissance, dans les années 2000, aux achats des pays voisins qui s endettaient. Leur appareil productif en a été d autant modernisé, et, après la crise de 2008, l Allemagne, lancée sur de bons rails, peut miser sur la demande des pays émergents. Quant aux entreprises, précisément, elles se financent en émettant des obligations, ce qui leur coûte cher (voir plus haut). De plus, les actionnaires demandent toujours plus, et investissent dans les entreprises qui les paient le mieux, car la déréglementation permet aux capitaux financiers la mobilité totale. Les entreprises sacrifient leurs investissements pour satisfaire leurs actionnaires, donc la demande (déjà déprimée par les bas salaires) s en ressent, donc la crise s installe... De plus, la mondialisation exerce une pression à la baisse des salaires, ce qui déprime encore plus la demande dans les pays industriels. Dans cette situation en équilibre instable: financiers endettés pour spéculer, entre autres sur les «marchés» de l endettement des ménages, et Etats qui n ont plus les moyens de surveiller la «pyramide des dettes», et la formation des «bulles», le krach arrive en 2008. 2.3. Politiques aggravant la crise Ce krach dévoile une crise «systémique», touchant la finance, l industrie qui licencie, et les Etats. Ces derniers font le choix de sauver les banques, ce qui les affaiblit financièrement encore plus. Pour le peuple, cette politique signifie l austérité, qui doit rétablir le budget de l Etat, ou la «compétitivité» des entreprises; c est-à-dire: la hausse des impôts, la compression des salaires pour ceux qui en ont encore un, et les «économies sur les dépenses», qui entraînent la dégradation des services publics. On peut identifier deux «spirales infernales». Tout d abord, l austérité diminue les rentrées fiscales, et la demande des ménages. Le pays s enfonce encore plus dans la crise, et ainsi de suite. On dit de l austérité qu elle est «procyclique»: censée lutter contre la crise (le point bas d un cycle économique), elle y ajoute ses effets. Pour les Etats, la dégradations des «notations» (AAA...) des «agences» accroît la «méfiance des investisseurs», qui demandent des taux d intérêt plus élevés. Pour faire encore des économies, et calmer les critiques, les Etats renforcent les mesures d austérité, qui accroissent le déficit, qui entraînera une nouvelle dégradation de la «note»... 4

La responsabilité de la dette est donc très lourde, dans le déclenchement et l approfondissement des crises. Et si on pouvait se passer de la dette? 3. Dette odieuse, dette illégitime La dette odieuse coûte cher et approfondit la crise, la dette illégitime est imposée aux débiteurs. 3.1. Critique d une mécanique parasitaire Ne confondons pas le financement de l économie, intermédiation bancaire, d une part (qu il faut bien assurer; et le travail pourra alors créer la richesse), et, d autre part, la finance, activité s efforçant de capter des revenus issus du travail, en dictant ses conditions. Et l on s aperçoit que la finance finance mal l économie, quand survient le krach. Karl Marx remarque que le capital financier, qui rapporte de l intérêt, est extérieur à la production qui, elle, rapporte du profit d entreprise. Et l intérêt, de même que les dividendes, «viennent en partage du profit». L extériorité à la production du capital financier laisse croire au commun des mortels que «l argent pourrait produire de l argent aussi régulièrement que le poirier porte des poires» (K. Marx, Le Capital, cité par F. Chesnais, p. 29). Page 30, au tour de Keynes (Théorie générale de l emploi, de l intérêt et de la monnaie, 1936): «L intérêt ne rémunère aucun sacrifice véritable, pas plus que la rente du sol». Le même auteur (après l expérience de 1929) dénonce la situation qui fait «que l investissement [comprendre: productif, ndlr] devient le sous-produit de l activité d un casino». C est pourquoi (plus que jamais d actualité), Keynes proposait «l euthanasie des rentiers». Plus récemment, Frédéric Lordon reprend Le Père Ubu, d Alfred Jarry, pour dénoncer le transfert de la richesse créée par le travail, vers la classe des rentiers, qui actionne la «Pompe à Phynance» qu est le service de la dette. 3.2. La dette publique en France, et les critères d illégitimité Définition de la charge de la dette, d après: < http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/finances-publiques/ressources-depenses-etat/ depenses/qu-est-ce-que-service-dette.html > La montée de la dette suit le mouvement de libéralisation financière. En 1980, la dette représente 20% du PIB, et, en 2007, 64%. La libéralisation a fortement augmenté les taux d intérêt (qui étaient symboliques, quand ils étaient émis par la Banque de France). En 2012, la crise qui a éclaté en 2008 porte la dette à 91% du PIB, du fait (entre autres), du secours aux pays européens en difficulté. 5

Rappelons que la part des dépenses publiques dans le PIB se stabilise depuis les années 1980, autour de 50 à 55%, alors qu en même temps, la charge de la dette augmente fortement (source: Alternatives économiques, n 270, 2008). On a vu plus haut que le recours obligé aux marchés financiers, depuis 1973, alourdit la dette de l Etat. L origine (nature des sommes prêtées), et les causes de la dette, sont les deux grands critères d illégitimité. L opacité et le secret entravent les investigations sur le premier point. Voir < http:// www.bastamag.net/article2041.html >, cité plus haut. Depuis 2006, les étrangers sont majoritaires dans la dette; en 2010, leur part se monte à 70%. Pour P. Artus, de la banque Natixis, les principaux créanciers de la France sont à la City de Londres, au Luxembourg, et aux Iles Caïmans (!), soit trois grands paradis fiscaux de la planète. Les causes originelles de la dette illégitime, quant à elles, sont de trois ordres. - Des dépenses élevées, qui sont des cadeaux au capital: armement, «Grands Travaux Inutiles» qui pèsent sur la dette publique (aéroport de Notre-Dame-des-Landes, TGV Lyon-Turin, et «Partenariats Public-Privé», ndlr). - Le niveau bas de la fiscalité directe, la faible taxation des revenus financiers. Selon le Rapport Carrez (2009), sans la baisse des impôts, le déficit public n aurait atteint que 1,8% du PIB (pour 7,5% en réalité (Insee). - Une évasion et une fraude fiscale importantes. Selon Antoine Peillon (Ces 600 milliards qui manquent à la France, Seuil, 2012), la perte annuelle pour les finances publiques, s élève au moins à 30 milliards, ce qui concorde à une estimation de la Cour des comptes de 2007. Derrière ces faits, se placent des stratégies d expansion de la dette et de la rente qu elle procure. 3.3. Les politiques qui accentuent l illégitimité de la dette Les politiques de hauts taux d intérêt intensifient ces transferts. Mais les taux bas sont aussi une façon d attirer les particulier. Des clauses de certains contrat prévoient des taux d intérêt mobiles, ce qui est le fin du fin. Notons aussi les politiques procycliques d austérité, citées plus haut. La crise a révélé la dette; à présent, il faudrait endosser celle-ci, tout en l accroissant! La politique européenne est particulièrement perverse. Voir: C.Debons, J. Généreux, J. Habel, J-M. Harribey, P. Khalfa, M-C. Vergiat, F. Wurtz: < http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/01/le-mes-n-est-pas-un-mecanisme-de-solidariteeuropeen_1649890_3232.html >. En résumé, le MES (Mécanisme européen de stabilité) doit prêter des fonds aux Etats en difficulté. Voici le circuit. En amont, la BCE prête aux banques à 1%, celles-ci prêtent au MES à un taux supérieur, ce dernier prête aux Etats à un taux encore supérieur; enfin les Etats remboursent les banques, via le MES. C est la solidarité des banques avec elles-mêmes. Par-dessus le marché, ces prêts ne sont accordés aux Etats que sous condition d appliquer des mesures d austérité. Dans la crise, les profits de la finance restent garantis. Par contre, les Etats en difficulté sont ponctionnés. Les services publics, dont le coût est montré du doigt, se dégradent. Il se produit bien un transfert de richesse du bas vers le haut, masqué par la propagande contre l Etat (et donc les populations) qui vivent «au-dessus de leurs moyens». Les gouvernements sont doublement complices de la finance: ils empruntent à ceux qu ils ne veulent pas taxer, et les peuples paient. La solution commence par l audit citoyen de la dette: que finance la dette, quel est l argent prêté, par qui, à quel coût, combien a été payé aujourd hui? Et des «pôles financiers» socialisés nationaux s imposent, coiffés par une BCE à leur service. 6