Le dilemme de la frontière canado-américaine : entre sécurité nationale et sécurité économique



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George W. Bush, Vicente Fox et Stephen Harper soulignent les progrès concernant le Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité en mars 2006. Source : Cabinet du premier ministre. Le dilemme de la frontière canado-américaine : entre sécurité nationale et sécurité économique Par Lionel Gallet, auxiliaire de recherche au Programme Paix et sécurité internationales Les questions de frontière entre le Canada et les États-Unis s inscrivent traditionnellement dans le registre économique. Au printemps 2001, l ambassadeur du Canada aux États-Unis expliquait que la frontière commune était le centre de la plus importante relation commerciale au monde (Kergin, 2001). Au printemps 2002, Dennis Murphy, haut fonctionnaire au service des douanes américaines, affirmait toutefois qu un second attentat terroriste en provenance du Canada aurait entraîné la fermeture de la frontière pour une durée indéterminée (Taillefer, 2002). Ainsi, la position américaine a fortement évolué depuis l automne 2001 en accordant une importance inédite à la sécurité nationale à la frontière. Le Canada, dans son discours aux États-Unis, tente depuis longtemps de concilier sécurité et réalité économique : être volontaire en matière de sécurisation frontalière et réaliste en matière de libre-échange économique. La frontière, qui était jusqu à maintenant un enjeu essentiellement économique, est devenue, par la force des choses, un enjeu politique. La crise financière américaine de 2008 et ses conséquences économiques risquent d inverser la tendance en redonnant à la frontière une dimension stratégique pour les deux économies. En effet, elle pourrait, au-delà de sa fonction sécuritaire, devenir un outil de protectionnisme majeur du marché américain en pénalisant dès lors les exportations canadiennes. Page 1

Le 11 septembre 2001 : tournant majeur de la relation frontalière À partir de décembre 2001, face à la menace d Oussama Ben Laden et de son organisation, Washington et Ottawa émirent une déclaration commune sur la sécurité de la frontière terrestre séparant les deux pays. La rhétorique de l époque était empreinte de solennité et d universalisme, rappelant les valeurs fondamentales du continent nord-américain, soit la démocratie politique, la primauté du droit et l économie libérale. Les deux partenaires affirmèrent que la sécurité publique et la sécurité économique étaient en danger. Ils prirent l engagement de lutter ensemble contre l offensive dirigée en direction des peuples nord-américains, de leurs institutions et de leur prospérité respective (Gouvernement du Canada, 2001). Cette démarche politique conjointe visait à mettre en place une surveillance de la frontière. Par conséquent, elle devait assurer la sécurité des personnes, des biens ainsi que des infrastructures et opérer une «Coordination [sic] et mise en commun de l'information dans l'atteinte de ces objectifs» (Gouvernement du Canada, 2001). En 2005, le Canada, les États-Unis et le Mexique développèrent leur collaboration à travers un nouveau document, soit le Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité (PSP). Les engagements canadoaméricains de 2001 et le partenariat de 2005 cherchent à optimiser la sécurité des frontières communes. Ils représentent jusqu en 2009 la clé de voûte du dispositif américain de sécurisation frontalière en réponse directe aux attentats d Al- Qaeda. En outre, ces accords politiques incarnent sur le terrain et symbolisent aux yeux des opinions publiques l extrême détermination du premier défenseur du «monde libre» 1 à prévenir l avènement d un autre «11 septembre» (Vaïsse, 2005). Une coopération bilatérale et une sécurisation frontalière difficiles En matière de sécurité nationale, la perception d une menace compte probablement autant que sa 1 Expression du président américain Harry Truman lors d une déclaration au Congrès le 12 mars 1947. réalité objective. Au lendemain des attentats du World Trade Center, les craintes des deux côtés de la frontière pouvaient être similaires. Cependant, au-delà des convergences idéologiques de l ancien président Bush et du premier ministre Harper ainsi que des prescriptions des experts en sécurité, le Canada n a jamais été directement la cible du terrorisme islamiste (Duguay, 2006). En revanche, les États-Unis, se sentant menacés, estiment que l ensemble du continent nord-américain est aussi concerné. L ancien numéro deux du Homeland Security 2, Stewart Baker, constatait que le Canada est à la fois une cible potentielle pour les terroristes islamistes, mais que, par-dessus tout, il participe à l insécurité du continent. Selon lui, la politique d immigration canadienne constitue une épée de Damoclès sur la sécurité nord-américaine. Les Canadiens sont jugés trop permissifs quant à l entrée d immigrants et de réfugiés provenant de pays où les terroristes islamistes disposeraient de sanctuaires (Gillepsie, 2009). Stewart Baker pointait du doigt en particulier le Québec qui, dans la préservation de son identité, de sa culture et de sa langue, accepte l entrée d immigrants francophones en provenance du Maghreb. Malgré tout, les capacités canadiennes de contrôle du territoire demeurent limitées. Les rapports population espace 3 et économie puissance militaire 4 pénalisent les efforts canadiens dans la sécurisation de leur frontière terrestre. De plus, le Canada doit investir considérablement pour sécuriser les frontières maritimes et aériennes du Grand Nord canadien. Pour le Canada, le contrôle total de son territoire, de ses frontières externes et internes, techniquement efficace et économiquement efficient, demeure quelque peu 2 Le Homeland Security est le département de la Sécurité intérieure des États-Unis. Il a été créé en 2002 et a un budget de 52 milliards de dollars US en 2009. 3 Canada : 33 millions d habitants et 9.9 millions de km², États-Unis : 307 millions d habitants et 9.8 millions de km². 4 En 2005, les dépenses militaires en % du PIB plaçaient le Canada au 132 ème rang mondial et les États-Unis au 28 ème rang. En 2008, les PIB (PPA) du Canada et des États-Unis s élevaient respectivement à 1 307 milliards de dollars US et 14 290 milliards de dollars US. Page 2

aléatoire. Le vice-président du Syndicat des douanes et de l'immigration reconnaît que deux cents routes ou chemins reliant les deux États ne sont pas surveillés (Duschene, 2009a). Dans ce contexte particulier des relations bilatérales canado-américaines, l antagonisme des positions et la divergence des analyses politiques ont créé des tensions. Washington adopta un ton sévère et rigoureux à l égard de son partenaire canadien en matière de sécurité. Plus tard, de façon récurrente, les Américains manifesteront des signes d exaspération face au «laxisme» présumé canadien en ce qui concerne les efforts réels de sécurisation de la frontière. Par contre, du côté canadien, certains commencèrent à être excédés par la «paranoïa» américaine et les externalités socioéconomiques afférentes à la sécurisation de la frontière (Taillefer, 2002). Le commerce international Canada États-Unis 2008 2009 Importations / PIB 35% 10% 8% Exportations / PIB 34% Partenaires commerciaux 7% États-Unis Union Européenne Principales importations Pétrole brut Véhicules à moteur Pièces de véhicules à moteur 75% Marchés émergents Autres Principales exportations Pétrole brut Gaz naturel Véhicules à moteur Source : Exportation et Développement Canada (2009) Les deux nations, évoluant entre deux visions politiques concurrentes, entretiennent ainsi un consensus fragile. De plus, le changement d administration à Washington en 2008 ne semble pas avoir eu d effets significatifs sur les positions américaines dans ce dossier (Weinberg, 2009). Le gouvernement canadien conçoit, quant à lui, le partenariat comme un principe fondamental de nonconcurrence entre la sécurité nationale et la sécurité économique (Sécurité Publique Canada, 2008). Pourtant, entre 2004 et 2007, les exportations canadiennes ont été réduites de 15 à 20% à cause du durcissement du passage à la frontière. L augmentation des coûts d exportation a entraîné une hausse des prix des produits canadiens, devenus moins compétitifs (Weinberg, 2008). En 2008, les chambres de commerce des États-Unis et du Canada se plaignaient de la hausse des coûts reliée à la sécurisation de la frontière (La Presse canadienne, 2008). Le Canada, fortement dépendant de l économie américaine, appréhende la frontière entre les deux États comme un élément vital de son économie. A contrario, entre l'économie et la sécurité, la sécurité est d'abord la condition sine qua non d une bonne relation transfrontalière à Washington. Du côté canadien, le leitmotiv sécuritaire américain inquiète à plusieurs titres. En premier lieu, les Canadiens reprochent aux Américains de vouloir militariser la frontière et l emploi de drones militaires de surveillance sur certaines portions de la frontière en 2009 n est pas fait pour les rassurer (Duschene, 2009b). Ensuite, nombreux sont ceux qui estiment que le Canada s inscrit de plus en plus dans un système de «double forteresse». Une première, formée par les accords conjoints de défense, a protégé le continent des attaques possibles du bloc soviétique durant la guerre froide. Une seconde forteresse est en train de s ériger et est censée protéger les Américains des infiltrations terroristes via le Canada. Enfin, les Canadiens reprochent, à leur voisin et ami, une démarche trop unilatérale qui tend à entamer la fibre multilatéraliste du Canada en politique étrangère (Weinberg, 2009). Néanmoins, nonobstant les difficultés et les complexités inhérentes à la sécurisation de la frontière, les partenaires canadien Page 3

et américain ont développé un plan de coopération progressif et évolutif, et ce, par le biais de la «frontière intelligente». millions de dollars dans l avancement technologique, notamment dans les domaines de la biométrie, de l analyse chimique et biologique ainsi que dans la détection d explosifs (Agence des services frontaliers du Canada, 2005). Drone américain de surveillance à la frontière du Canada Source : U.S. Customs And Border Protection La «frontière intelligente» : une solution politique et économique? Le renforcement des Équipes intégrées de la police des frontières 5 et la création d une frontière dite «intelligente» ne suffiront probablement pas à garantir la sécurité absolue des Américains sur leur sol. Cependant, elle constitue un premier pas vers l apaisement des craintes sécuritaires américaines et des craintes économiques canadiennes. Fin 2001, John Manley, ministre canadien des Affaires étrangères, et Tom Ridge, premier secrétaire à la sécurité nationale des États-Unis, signèrent la déclaration sur la frontière intelligente. Cette déclaration, plan d action en 32 points, consacre l amélioration de la communication interétatique, le développement des équipes intégrées de la police des frontières et l investissement majeur dans les nouvelles technologies. Au printemps 2003, les douanes canadiennes ont financé plus de 130 5 Les Équipes intégrées de la police des frontières font partie du Programme de coordination des efforts de surveillance frontalière regroupant l'agence des services frontaliers du Canada (ASFC), la Gendarmerie royale du Canada (GRC), la Patrouille frontalière américaine, la Garde côtière américaine et l'immigration et douanes américaines. En 2005, le Canada et les États-Unis signent, dans le cadre de la frontière intelligente, une entente sur les tiers pays sûrs, créant dès lors le Centre national d évaluation des risques. Le centre permet, à travers son travail d analyse, de faciliter l échange de renseignements avec son voisin américain concernant les personnes et les marchandises qui représentent un risque élevé pour la sécurité intérieure des deux pays (Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, 2005). Le 1 er juin 2009, l Agence des services frontaliers du Canada poursuit l application des accords du Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité. Désormais, les citoyens canadiens doivent présenter l'un des documents valides conformément à l Initiative relative aux voyages dans l'hémisphère occidental (IVHO) afin d entrer aux États-Unis par voie terrestre ou maritime. Lors de leur passage en territoire américain, les Canadiens ont l obligation de se munir d un passeport, d un permis de conduire Plus ou d une carte d'identité Plus émise par les provinces (Agence des Services Frontaliers du Canada, 2009). De plus, le programme NEXUS permet aux usagers qui répondent aux exigences minimales de sécurité d être classés dans la catégorie des «voyageurs préautorisés à faible risque». Le statut est conçu pour accélérer le passage aux frontières des simples voyageurs. Pour les transporteurs et les marchandises, la carte EXPRES a été instaurée. Elle permet, grâce à une initiative conjointe de l'agence des services frontaliers du Canada et du Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis, la sécurisation des échanges commerciaux et de la frontière (Agence des services frontaliers du Canada, 2009). Là aussi, les intervenants professionnels et les marchandises sont examinés pour être déclarés «à faible risque» (Agence des services frontaliers du Canada, 2009a). Page 4

Tous ces investissements humains, matériels et financiers, toute cette gestion «intelligente» de la frontière, devraient être à terme la solution politique et économique au dilemme sécurité économie, au différend canado-américain. Dans les décennies à venir, la frontière intelligente aura toutefois à relever un certain nombre de défis de taille. En effet, en 2007, le trafic passager entre le Canada et les États-Unis comptait environ 68 millions d usagers, dont 62% de Canadiens et environ 38% d Américains. Le type de transport privilégié s effectue par voie terrestre (routes et chemins de fer), totalisant à lui seul 85% des voyageurs transfrontaliers alors que l avion représente 14% du trafic passager (Statistiques des transports en Amérique du Nord, 2008a). En 2007, l ensemble du commerce canadien avec les États- Unis représentait plus de 536 milliards de dollars. La majeure partie de ces échanges a transité par voie terrestre pour 58.9% de l ensemble (Statistiques des transports en Amérique du Nord, 2008b). Ces proportions indiquent que le transport aérien sera plus facile à contrôler et les frontières terrestres resteront l obstacle le plus sérieux dans la sécurisation frontalière. Vers une négociation permanente complexe Après les événements de 2001 et la crise économique de 2008, les deux nations vont devoir poursuivre des négociations complexes sur le long terme. Le Canada devrait axer ses positions sur la préservation et le développement des échanges économiques. De leur côté, les États-Unis devraient privilégier le renforcement de la sécurité aux frontières, relié à leur propre perception des menaces à la sécurité nationale. Le consensus, entre sécurité économique et sécurité nationale, dépendra en bonne partie de la volonté et de la capacité d évoluer des protagonistes. D après le chercheur Pierre Martin, 6 «les démocrates veulent donner l'image d'une 6 Pierre Martin est professeur titulaire de science politique et directeur de la Chaire d'études politiques et économiques américaines de l'université de Montréal. administration qui se préoccupe de sécurité. Ils ne veulent pas laisser tout l'espace aux républicains dans ce domaine.» (Duschene, 2009b). Les récentes déclarations du président américain Barack Obama tentent de rassurer son partenaire économique vis-à-vis du protectionnisme américain (Radio-canada, 2009a). Mais, en tout état de cause, les règlements sur le protectionnisme économique de l ALENA et de l OMC ne concernent pas les villes et les États américains qui restent libres d utiliser la clause du buy american (Radio Canada, 2009a). Le premier ministre du Canada, Stephen Harper, devant l accroissement des difficultés à la frontière, déclara au printemps 2009 : «Nous voyons une protection accrue à la frontière pour des raisons de sécurité, ou justifiée par des critères de sécurité, parfois, pas tout le temps, qui masque un sentiment protectionniste que nous jugeons inquiétant» (Radio-canada, 2009b). Stephen Harper affirmait dans un même temps qu'il attendait l'occasion «d'un nouveau départ avec une nouvelle administration» américaine. Toutefois, après l entrée en vigueur des dispositions de l'initiative relative aux voyages dans l'hémisphère occidental (IVHO), le Canada reconnaît que ses efforts de coopération achoppent sur des obstacles ayant pour origine des initiatives américaines unilatérales. Et, la question des externalités économiques de la sécurisation frontalière demeure cruciale pour le Canada. Le gouvernement canadien continue de se préoccuper des coûts économiques de la frontière et entrevoit que ceuxci pourraient menacer la reprise économique nordaméricaine (Ministère des Affaires étrangères et Commerce international, 2009). Depuis l an 2000, les dépenses canadiennes dans le but de sécuriser la frontière s élèvent à plus de dix milliards de dollars. Parallèlement, aux États-Unis, le Homeland Security a reçu plus de 50 milliards de dollars américains. Par ailleurs, dans l analyse du rapport coût bénéfice de la sécurisation, la crise économique mondiale et les coûts économiques des engagements américain et canadien en Afghanistan pourraient faire évoluer les positions et les choix de chacun. À ceux-ci s ajouteront les externalités économiques de la frontière et l accroissement des Page 5

coûts inhérent à l évolution technologique. Au cours des prochaines années, les Canadiens et les Américains vont rester attentifs à l efficacité de la sécurisation de leur frontière et aux coûts humains, matériels et financiers engendrés par celle-ci. La «plus longue frontière commune du monde» sera encore pour longtemps le lieu de débats entre la sécurité économique du Canada et la sécurité nationale des États-Unis (Gouvernement du Canada, 2009). Références Agence des services frontaliers du Canada, 2005, ASCF, [En ligne], http://www.cbsa-asfc.gc.ca/media/facts-faits/024-fra.html, (Page consultée le 8 juillet 2009). Agence des services frontaliers du Canada, 2009a, ASCF, [En ligne], http://www.cbsa-asfc.gc.ca/whti-ivho/ls-tm-fra.html, http://www.cbsa-asfc.gc.ca/prog/fast-expres/menu-fra.html, http://www.cbsa-asfc.gc.ca/prog/nexus/elig-admis-fra.html, (Pages consultées le 8 juillet 2009). 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