La formule blanche au cours des infections

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Transcription:

La formule blanche au cours des infections Gerd Laifer Klinik für Innere Medizin, Stadtspital Triemli, Zürich Quintessence P 90% des leucocytes se trouvent dans la moelle osseuse, alors que seulement 2 5% circulent dans le sang et peuvent migrer de là dans les tissus (pool tissulaire de 5 à 8%). P Les leucocytes sont, grâce à leurs effets bactéricides et phagocytaires, une composante essentielle de la première ligne de défense contre les infections bactériennes et fongiques. P Une leucocytose n est ni sensible, ni spécifique d une atteinte infectieuse; une numération leucocytaire normale n exclut pas une septicémie. P On parle de déviation gauche en cas d augmentation du nombre de précurseurs des neutrophiles (bâtonnets, métamyélocytes, myélocytes). P La présence de granulations toxiques et de vacuoles indique une infection avec une sensibilité de l ordre de 80%, tandis qu une déviation gauche >20% a une spécificité d environ 80%. P La formule sanguine automatisée différencie en général les souspopulations de leucocytes de manière fiable, rapide et économique. L examen microscopique reste néanmoins le gold standard pour la détermination des précurseurs granulocytaires (par ex. degré de la déviation gauche) et la détection des cellules atypiques ou immatures. Il est également incontournable pour obtenir une différentiation précise des souspopulations de leucocytes. L auteur n a pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l article soumis. Introduction La formule sanguine sur prélèvement de sang périphérique est un examen souvent demandé en pratique quotidienne, car elle donne des informations précieuses sur la formation et l utilisation des cellules sanguines. Elle constitue avec les autres données cliniques un élément très important pour le diagnostic et peut même, dans de rares cas, permettre à elle seule de poser le diagnostic. Depuis l introduction de formules sanguines automatisées, le nombre d examens microscopiques effectués n a cessé de diminuer et ne représente aujourd hui plus guère que 15% [1]. Par rapport à une différentiation des cellules sanguines réalisée sur microscope, la formule déterminée automatiquement par compteur de globules est plus économique (15,6 versus 27 points tarifaires), nécessite nettement moins de travail et est disponible beaucoup plus rapidement (résultat disponible en pratique quotidienne en quelques 30 minutes contre env. 2 heures). Dans notre hôpital de 500 lits et 20000 patients hospitalisés et 160000 jours de soins par an, nous effectuons environ 52000 formules sanguines seulement pour les patients hospitalisés (hémogrammes II et V), dont 15000 par compteur de globules et 2500 par microscopie. Compte tenu de la fréquence de cet examen, il est étonnant de constater qu il n existe pas de données prospectives de qualité permettant d évaluer la valeur de la formule blanche dans le diagnostic différentiel des maladies infectieuses versus les états inflammatoires d origine non-infectieuse. Développement, régulation et fonction des leucocytes Trois quarts des cellules nucléées de la moelle osseuse sont impliqués dans la formation des leucocytes. Elles se développent à partir de cellules souches pluripotentielles en passant par des cellules progénitrices pluripotentielles, puis se différencient en granulocytes (neutrophiles, éosinophiles et basophiles), monocytes et lymphocytes. La granulopoïèse et la lymphopoïèse sont fonctionnellement distinctes à un stade relativement précoce. L organisme produit environ 1,6 milliards de granulocytes, dont près de 75% de neutrophiles, par kg de poids corporel et par jour [2]. Les neutrophiles murissent en 6 à 10 jours dans la moelle osseuse (partie mitotique) et y restent ensuite encore quelques temps en formant un pool de réserve, avant de passer dans la circulation sanguine. Ce «pool de réserve» est 10 à 15 fois plus élevé que la quantité de leucocytes circulant dans le sang. Globalement, 90% des neutrophiles se trouvent dans la moelle. Le pool circulant (2 5%), qui représente leur phase de transit dans le sang, ne dure que 3 à 6 heures. C est le seul compartiment accessible aux mesures. En cas d infection, ce pool peut doubler en l espace de 5 heures par libération accrue du pool de réserve médullaire. Plus de la moitié des neutrophiles circulants est plaquée contre l endothélium vasculaire et forme ce que nous appelons le «pool marginal». Les neutrophiles peuvent être libérés de ce pool en quelques minutes sous l effet de l adrénaline, dans le cadre d une réaction immédiate à un stress [3]. Les neutrophiles adhérents migrent activement, par chimiotactisme, dans les tissus par ex. inflammatoires (pool tissulaire contenant 5 à 8% des leucocytes). Ils y capturent les micro-organismes, qu ils incorporent dans des phagosomes et auxquels ils administrent des enzymes protéolytiques bactéricides. Ils survivent durant 1 à 4 jours, puis sont détruits dans le cadre du processus de défense ou éliminés par apoptose. La production et la migration des granulocytes sont régulées par des interactions complexes entre de nom- Forum Med Suisse 2011;11(38):649 653 649

Tableau 1. Critères SIRS. Température >38 C ou <36 C Tachycardie >90/min Tachypnée avec fréquence respiratoire >20/min ou hyperventilation avec pco 2 <4,25 kpa Leucocytose >12 x 10 9 /l ou leucopénie <4 x 10 9 /l ou numération leucocytaire normale avec >10% de granulocytes immatures à la répartition Figure 1 Formule sanguine obtenue par comptage automatique dans un cas de septicémie à pneumocoque avec leucocytose neutrophile (14 x 10 9 /l avec 92% de neutrophiles), ainsi qu éosinopénie et lymphopénie. A gauche: «Leucogramme» avec cluster des souspopulations de leucocytes en fonction de la taille (axe Y) et de l activité péroxydasique (axe X). A droite: «Nucléogramme» avec répartition des sous populations de leucocytes selon les propriétés de diffusion de la lumière des noyaux cellulaires. Absence du goulet existant normalement entre les populations de cellules mononucléaires et polynucléaires indiquant une déviation gauche pathologique (flèche verte). 1 = thrombocytes et érythrocytes lysés; 2 = éosinophiles; 3 = lymphocytes et basophiles; 4 = monocytes; 5 = LUC («large unstained cells»: cellules de grande taille, péroxydase négatives, signes d alarme pour des cellules pathologiques [par ex. formes irritées de gros lymphocytes; plasmocytes, blastes]); 6 = neutrophiles matures et immatures; 7 = mononucléaires; 8 = polynucléaires; 9 = basophiles. breux facteurs. La prolifération de la cellule progénitrice commune est stimulée par l interleukine-3 et des facteurs stimulant des colonies de granulocytes-macrophages (GM-CSF), la maturation et la différentiation ultérieures principalement par le G-CSF. Chez les sujets sains, la concentration de G-CSF est faible, mais peut augmenter considérablement en réponse à une infection, induisant une augmentation du nombre de neutrophiles et un allongement de leur durée de vie. Avec leurs propriétés bactéricides et leur pouvoir de phagocytose, les neutrophiles forment une composante essentielle de la première ligne de défense de l immunité non spécifique dirigée contre les agressions par les micro-organismes. Lors d une septicémie, ils peuvent cependant causer, par un phénomène de séquestration et d agrégation dans la microcirculation, des dommages collatéraux considérables pouvant aller jusqu à des insuffisances multi-organiques [4]. Ce n est alors pas le nombre absolu de neutrophiles qui est déterminant, mais certaines sous-populations spécifiques p rovoquant les dommages par la libération d enzymes protéolytiques (défensines) [5]. Formule sanguine automatisée ou examen microscopique du frottis sanguin La formule sanguine automatisée s est imposée comme une technique fiable, rapide et économique en pratique quotidienne pour la différentiation des leucocytes et la détermination de l indice érythrocytaire. Il reste un besoin d optimisation dans la détermination des précurseurs des granulocytes (degré de déviation gauche), dans le dépistage des cellules atypiques et des formes immatures et dans la quantification des formes dysplasiques. La sensibilité pour la détection des cellules anormales est essentiellement fiable (>90%) lorsque la population de ces dernières dépasse 5%. Lorsque la formule automatisée présente des signes d alarme (par ex. lymphocytes atypiques, cellules lymphomateuses, blastes ou indices suggérant la présence d une déviation gauche réactionnelle), il faut impérativement faire un frottis sanguin et procéder à une différentiation sous microscope. Bien que la formule sanguine automatisée livre de plus en plus d informations précises, l examen microscopique du frottis par un examinateur expérimenté reste la seule méthode permettant de préciser parfaitement la morphologie des leucocytes, des érythrocytes et des thrombocytes. Le degré de déviation gauche qui fait notamment partie des critères SIRS (tab. 1 p) ne peut pas être quantifié de manière satisfaisante avec les compteurs de globules. L ISLH (International Society for Laboratory Hematology) a publié des critères de laboratoire qui fixent les conditions posant l indication à un examen microscopique de frottis en complément à la formule automatisée. Ces critères sont fonctions de l âge et du sexe et tiennent compte des examens antérieurs. Ils figurent sur la homepage de la société (www.islh.org), à la rubrique «consensus rules». Les indications cliniques pour procéder d emblée à un examen microscopique sur frottis sont principalement les problèmes hématologiques posés dans le cadre de certaines anémies, thrombopénies ou affections myélo- ou lymphoprolifératives. Les indications liées à des maladies infectieuses sont hormis la quantification de la déviation gauche l existence d une maladie systémique avec état fébrile et baisse de l état général (constellation suggestive d une infection virale), la suspicion d une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) ou d une infection bactérienne ou parasitaire accessible à un diagnostic direct sur le frottis (par ex. malaria) [1]. La figure 1 x donne un exemple de formule automatisée lors d une septicémie à pneumocoque; la figure 2 x illustre la mise en évidence (rare) de bactéries phagocytées lors d une septicémie à méningocoque. La formule blanche La formule sanguine normale contient tout un spectre de leucocytes, lymphocytes et monocytes matures. Le tableau 2 p donne un aperçu des définitions et des causes de diverses anomalies. Granulocytes neutrophiles Les granulocytes neutrophiles suivent un processus de maturation partant d un myéloblaste, passant par les Forum Med Suisse 2011;11(38):649 653 650

et de cellules cytotoxiques dépendant des anticorps. Les cellules T et NK possèdent une action cytotoxique directe dirigée contre les cellules infectées par un virus et les cellules tumorales. Des lymphocytes atypiques, caractérisés par leur cytoplasme déformable, s observent surtout lors d infections virales (par ex. mononucléose). Eosinophiles Les éosinophiles ne sont présents dans le sang périphérique qu en petit nombre (<4%). A l instar des neutrophiles, ils disposent du pouvoir de phagocytose. Ils p articipent à différents processus immunologiques et allergiques et interviennent dans les infections parasitaires. Ils sont également impliqués dans les mécanismes de réparation (y compris la guérison des plaies). Figure 2 Mise en évidence d agents pathogènes à l examen direct, sous forme de diplocoques phagocytés dans un cas de septicémie à méningocoque. stades de promyélocyte, myélocyte, métamyélocyte, parvenant à la forme de bâtonnet et aboutissant au neutrophile segmenté mature. Dans le sang périphérique normal, on ne doit voir que les deux dernières formes. La présence de formes immatures en nombre dans le sang périphérique (métamyélocytes, myélocytes et bâtonnets) est décrite comme une «déviation gauche». L existence de formes encore moins matures au niveau du sang périphérique ne s observe pratiquement que dans les maladies hématologiques malignes, en cas d envahissement de la moelle osseuse par une tumeur solide ou en cas de septicémie grave. Les granulocytes neutrophiles mûrs contiennent un noyau divisé en 3 à 4 segments et possèdent un cytoplasme granulé. Si on trouve plus de 5 segments, on parle d hypersegmentation. Celle-ci parle en faveur d un processus mégaloblastique ou, plus rarement, d une anémie ferriprive. Cette image peut aussi se trouver physiologiquement chez des sujets de grand âge. Les corpuscules de Döhle sont des inclusions basophiles situées en périphérie et représentent des ribosomes dénaturés. Ils sont présents en petit nombre dans le frottis sanguin normal. Lorsqu ils sont présents en plus grand nombre, ils sont un signe non spécifique d inflammation avec augmentation de la granulopoïèse et sont appelés granulations toxiques. Les vacuoles cytoplasmiques se forment dans le cadre de l autolyse des neutrophiles et constituent également des signes non spécifiques de métabolisme cellulaire stimulé, par ex. dans le cas d une septicémie. Lymphocytes 20 à 40% des globules blancs circulants sont des lymphocytes. Ils apportent un soutien aux granulocytes neutrophiles et parfois aussi aux monocytes et sont responsables du caractère spécifique de la réponse immunitaire. Les populations de lymphocytes circulants sont constituées par 65 à 80% de lymphocytes T matures (immunité cellulaire avec cellules suppressives, helper et cytotoxiques). 5 à 15% sont des cellules B formant des anticorps (immunité humorale). 10% sont appelés «grands lymphocytes granuleux» (LGL) en raison de leur morphologie particulière. Fonctionnellement, ils sont surtout constitués de cellules tueuses naturelles (killer cells [NK]) Basophiles Les basophiles forment <1% des leucocytes et servent de médiateurs de l inflammation par la libération de différentes substances, en particulier l histamine. Ils portent à leur surface, comme leurs cousins mastocytes au niveau des tissus, des récepteurs à IgE et sont impliqués dans les réactions allergiques. Une leucocytose à basophiles est très inhabituelle et peut suggérer l existence d une forme de leucémie à basophiles ou à mastocytes. Le nombre de granulocytes basophiles ou éosinophiles est augmenté dans la leucémie myéloïde chronique (rare elle aussi). Monocytes Les monocytes sont des précurseurs sanguins des macrophages tissulaires et constituent les plus grandes cellules du sang périphérique normal. Leur principale tâche est la phagocytose. Leurs lysosomes contiennent des enzymes protéolytiques bactéricides. Ils synthétisent différentes cytokines, ainsi que des facteurs de croissance hématopoïétiques, par ex. les facteurs de stimulation des colonies (CSF). Leucocytose Une leucocytose n est que rarement l expression d une maladie primaire de la moelle, telle qu une leucémie ou un syndrome myéloprolifératif. Elle constitue beaucoup plus souvent une réponse appropriée de la moelle normale à un stimulus extérieur. Elle n est ni spécifique, ni sensible pour les maladies infectieuses. Les principales causes sont les infections (50%), les réactions de stress (38%), les médicaments (11%) et les processus inflammatoires stériles, tels que nécroses tissulaires ou infarctus (6%) [6] (tab. 2). Les causes spécifiques ne peuvent pas être différenciées par la répartition des globules blancs, mais cette dernière permet tout de même de tirer quelques conclusions quant à l étiologie: les modifications morphologiques réactionnelles des neutrophiles (granulations toxiques, corpuscules de Döhle, vacuoles) ont une sensibilité >80% pour les infections, tandis qu une déviation gauche supérieure à 20% a une spécificité de 80% [7]. une leucocytose secondaire à un stress physique ou émotionnel est induite par des stéroïdes endogènes, Forum Med Suisse 2011;11(38):649 653 651

Tableau 2. Les sous-populations de leucocytes dans le sang périphérique et leur signification en cas de surnombre. Numération leucocytaire normale Numération en 10 9 /l Commentaire 4,4 11,0 Principales cellules de l immunité non spécifique, surtout contre les bactéries et les levures (phagocytose, chimiotactisme); formation et libération des cellules inflammatoires. Leucocytose Leucocytes >11,0 «Réaction leucémoïde» si >50 10 9 /l (contrairement à la leucémie, en général avec présence de tous les stades de précurseurs). Déviation gauche Bâtonnets >16% Non spécifique pour les infections bactériennes, mais comprise dans les critères SIRS. Une déviation gauche supérieure à 20% indique une infection avec une spécificité de l ordre de 80% [8]. Neutrophilie* Neutrophiles >7,7 (granulocytes segmentés et bâtonnets) Causes: infections (50%); stress physique ou émotionnel (38%); médicaments (stéroïdes, lithium, b agonistes) (11%); inflammation (infarctus, nécroses, embolie pulmonaire, brûlure, arthrite, hépatite éthylique) (6%); maladies hématologiques (6%); traumatismes, etc. Lymphocytose* Lymphocytes >4,8 Causes: infections virales (virus Epstein Barr, cytomégalovirus, hépatite, etc.); infections chroniques (tuberculose, brucellose); leucémies lymphatiques; collagénoses; thyréotoxicose; maladie d Addison. Monocytose* Monocytes >0,8 Causes: infections bactériennes; tuberculose; leucémies monocytaires. Eosionophilie* Eosinophiles >0,45 Causes: infections (parasites, helminthes, scarlatine, lèpre); allergies; maladies immuno logiques (polyarthrite rhumatoïde, lupus, sarcoïdose, CSS); tumeurs malignes (lymphome non hodgkinien, maladie de Hodgkin, MPS, leucémie myéloïde chronique); insuffisance corticosurrénalienne; syndrome de Löffler; infiltrat pulmonaire éosinophile; syndrome hyperéosinophilique, etc. Basophilie* Basophiles >0,2 Causes: infections (varicelle, tuberculose, sinusite chronique); syndromes myéloprolifératifs; maladie de Hodgkin; affections chroniques (IBD, arthrite rhumatoïde); étiologie endocrinologique (hypothyroïdie, ovulation, œstrogènes), dermatoses chroniques, etc. Signification clinique particulière dans la leucémie myéloïde chronique (on observe souvent une basophilie lors du diagnostic initial, une augmentation de plus de 20% dans le sang étant considérée comme un critère pour une accélération). * Qualifie une leucocytose lorsque le nombre total de leucocytes est supérieur à 11 x 10 9 /l (par ex. «leucocytose neutrophile»); CSS = syndrome de Churg Strauss; IBD = Inflammatory Bowel Disease; MPS = syndrome myéloprolifératif. est la conséquence d une démargination des leucocytes et ne s accompagne pas au contraire des infections d une stimulation de la moelle avec déviation gauche. L administration de stéroïdes exogènes donne à peu de choses près la même image, bien que l hydrocortisone soit en mesure de provoquer une certaine libération de neutrophiles, y compris des précurseurs, par la moelle. Une déviation gauche nette ne saurait toutefois être attribuée à une corticothérapie [6, 8]. S il n est pas possible de faire la distinction entre une infection, une inflammation et un traumatisme sur la base d une leucocytose marquée (>20 x 10 9 /l), une lymphopénie ou une éosinopénie préexistante parle plutôt en faveur d une infection [9]. Une leucocytose prononcée à >30 x 10 9 /l se retrouve souvent lors d infections à Clostridium difficile, même en l absence de diarrhées, un symptôme cardinal de cette affection. Dans une étude chez des patients sans maladie hématologique, la proportion était de 25% [6]. La présence concomitante d une anémie et d une thrombopénie avec splénomégalie ou hépatomégalie, lymphadénopathies, saignements ou perte de poids parle en faveur d une maladie de la moelle [10]. Leucopénie On parle de neutropénie en cas de numération des neutrophiles inférieure à 1,5 x 10 9 /l (segmentés et bâtonnets). Le risque infectieux progresse en cas de valeurs inférieures à 1,0 x 10 9 /l et il augmente d autant plus que la numération est plus basse. C est surtout le cas lorsque la production au niveau des cellules souches ou des myéloblastes diminue ou en cas de moelle hypocellulaire. Dans les neutropénies survenant dans le cadre des thérapies anticancéreuses, la mucosite induite par la chimiothérapie est souvent la porte d entrée pour des infections bactériennes. Lorsqu une neutropénie sévère dure plus de 10 jours, le risque d infections fongiques invasives potentiellement fatales augmente. La notion d agranulocytose se rapporte à une absence de granulocytes, mais est souvent utilisée à tort pour décrire des neutropénies sévères (<0,5 x 10 9 /l). Une neutropénie survient à la suite d une production ou à une maturation insuffisante, d une adhésion endothéliale plus importante des neutrophiles circulants ou d une utilisation périphérique accrue dans le cadre d une septicémie ou d une coagulation intravasculaire disséminée. Des neutropénies postinfectieuses s observent souvent après les infections virales, mais ne constituent que rarement un danger d infection grave. Les neutropénies médicamenteuses surviennent par une augmentation de la destruction due à des anticorps. On n en connaît pas l incidence précise, mais on estime la fréquence des agranulocytoses à <10/1000000/an. Le principal risque réside dans les traitements à base de clozapine, thyréostatiques de type thionamide, métamizole et sulfonamides. Une splénomégalie conduit à une augmen- Forum Med Suisse 2011;11(38):649 653 652

tation de la dégradation proportionnelle à la taille de la rate, mais n occasionne que rarement des neutropénies sévères avec danger d infections graves. «Red flags» indiquant des infections dans la formule sanguine Certaines anomalies ne s observent pas dans la formule sanguine normale et constituent des «red flags», autrement dit des signaux d alarme indiquant un processus pathologique significatif: une déviation gauche sans neutrophilie signifie qu une utilisation élevée ne peut plus être compensée par la néoformation et la libération par la moelle et représente, en cas de persistance, un signe d infection ou d inflammation grave. la mise en évidence directe d un agent déclenchant sous forme de bactéries phagocytées s observe rarement dans le cadre d une septicémie à méningocoque (fig. 2) et encore plus rarement en cas de candidémie. Pour découvrir une candidémie dans le sang périphérique, il faut une concentration fongique exceptionnellement élevée de >10 5 cfu/ml [11]. Les bactéries Borrelia (fièvre récurrente) et Bartonella, ainsi que les helminthes (filarioses, Loa Loa) sont d autres micro-organismes potentiellement décelables par l examen direct du sang. Des inclusions dans les neutrophiles (appelées «Morulae») suggèrent une Ehrlichiose granulocytaire humaine. Certaines maladies parasitaires comme la malaria ou la babésiose peuvent aussi être diagnostiquées à l examen direct. Il est à noter que la sensibilité des examens est meilleure lorsque le diagnostic de suspicion a été communiqué au laboratoire. On désigne du terme d «érythrocytes fantômes» (red cell ghosts) des membranes érythrocytaires vides après lyse intravasculaire avec libération de l hémoglobine dans le plasma. On ne les voit jamais sur un frottis normal, mais ils peuvent apparaître lors de certaines infections bactériennes fulminantes (par ex. à Clostridium perfringens). L association d une thrombopénie et d érythrocytes fragmentés (fragmentocytes) doit faire penser à un processus microangiopathique potentiellement fatal (par ex. une coagulation intravasculaire disséminée dans le cadre d une septicémie sévère ou d un syndrome hémolytique-urémique). Remerciements L auteur tient à remercier le Prof. Dr Mathias Schmid (médecin-chef du service d oncologie) et Mme Antoinette Monn (directrice du laboratoire d hématologie; tous deux à l Hôpital du Triemli, Zurich) pour leurs remarques constructives lors de la relecture du manuscrit et pour la mise à disposition de la figure 1. Correspondance: Dr Gerd Laifer Klinik für Innere Medizin Stadtspital Triemli Birmensdorferstrasse 497 CH-8063 Zürich gerd.laifer@triemli.stzh.ch Références recommandées Bain BJ. Diagnosis from the blood smear. N Engl J Med. 2005;353: 498 507. Wanahita A, Goldsmith EA, Musher DM. Conditions associated with leukocytosis in a tertiary care hospital, with particular attention to the role of infection caused by Clostridium difficile. Clin Infect Dis. 2002; 34:1585 92. Deibener-Kaminsky J, Lesesve JF, Grosset S, Pruna L, Schmall-Laurin MC, Benetos A, et al. Clinical relevance of leukocyte differential in patients with marked leukocytosis in the emergency room. Rev Med Interne. 2011; epub ahead of print. Abramson N, Melton B. Leukocytosis: Basics of clinical assesment. Am Fam Physician. 2000;62:2053 60. La liste complète des références numérotées se trouve sous www.medicalforum.ch. CME www.smf-cme.ch 1. Un homme de 67 ans se plaint depuis 12 heures d une toux, d une dyspnée, d une asthénie et de nausées. Il présente une BPCO connue, traitée par stéroïdes topiques et b-agonistes. Il se présente au cabinet avec une température à 39 C, une fréquence respiratoire à 32/min, une tension a rtérielle de 90/60 mm Hg et une fréquence cardiaque de 115/min. La radiographie du thorax ne montre pas d infiltrat certain, mais vous auscultez par intermittence quelques râles fins à la base droite. La saturation d oxygène est à 94%, les leucocytes sont à 2800/mm 3, les thrombocytes à 84000/mm 3 et la CRP à 18 mg/dl. Quelles mesures prenez-vous? A La leucopénie et la thrombopénie, ainsi que la valeur relativement basse de la CRP parlent en faveur d une infection virale des voies aériennes supérieures. Je préconise un traitement symptomatique. B Je suspecte une septicémie probablement dans le cadre d une infection des voies aériennes inférieures et j adresse le patient immédiatement au service des urgences. C Je détermine la procalcitonine, qui se situe à 0,12 µg/l. Avec la leucopénie, ce résultat parle contre une infection bactérienne. Je préconise un traitement symptomatique et je convoque le patient pour un rendez-vous de contrôle le lendemain. D Je laisse le patient rentrer chez lui en lui donnant rendez-vous le lendemain pour une nouvelle formule sanguine et en lui recommandant de reprendre contact à tout moment s il se sent plus mal. E Je prescris au patient un antibiotique par mesure de sécurité, au cas où il y aurait tout de même une infection bactérienne, et je le laisse rentrer à la maison. 2. Laquelle des affirmations suivantes au sujet de la formule automatisée et de la répartition des blancs par examen microscopique est fausse? A La formule sanguine automatisée requiert moins de travail et est plus économique que l examen au microscope. B La formule sanguine automatisée reconnaît de manière fiable les précurseurs des granulocytes et donc l importance de la déviation gauche. C La formule sanguine automatisée différencie de manière fiable les sous-populations de leucocytes. D La formule sanguine automatisée est capable de donner les signaux d alarme concernant la présence de cellules atypiques, telles que des lymphocytes atypiques ou des formes blastiques. E La formule sanguine par examen au microscope est la méthode de choix pour déterminer avec précision la morphologie des leucocytes, des érythrocytes et des thrombocytes. Forum Med Suisse 2011;11(38):649 653 653

Weisses Blutbild bei Infektionen / La formule blanche au cours des infections Weiterführende Literatur (Online-Version) / Références complémentaires (online version) 1 Bain BJ. Diagnosis from the blood smear. N Engl J Med. 2005;353:498 507. 2 Jandl JH. Blood: textbook of hematology. 2d ed. Boston: Little Brown; 1996. p. 615. 3 Boxer LA, Allen JM, Baehner RL. Diminished polymorphonuclear leukocyte adherence. Function dependent upon release of cyclic AMP by endothelial cells alter stimulation of beta receptors by epinephrine. J Clin Invest. 1980;66:268 74. 4 Brown KA, Brain SD, Pearson JD, Edgeworth JD, Lewis SM, Treacher DF. Neutrophils in the development of multiple organ failure in sepsis. Lancet. 2006;368:157 69. 5 Zhang H, Porro G, OrzechN, Mullen B, Liu M, Slutsky AS. Neutrophil defensins mediate acute inflammatory response and lung dysfunction in dose-related fashion. Am J Physiol Lung Cell Mol Physiol. 2001;80:L947 54. 6 Wanahita A, Goldsmith EA, Musher DM. Conditions associated with leukocytosis in a tertiary care hospital, with particular attention to the role of infection caused by Clostridium difficile. Clin Infect Dis. 2002;34:1585 92. 7 Seebach J, Morant R, Ruegg R, Seifert B, Fehr J. The diagnostic value of the neutrophil left shift in predicting inflammatory and infectious disease. Am J Clin Pathol. 1997;107:582 91. 8 Schoenfeld Y, Gurewich YGLA, Pinkhas J. Prednisone-induced leukocytosis: influence of dosage, method and administration on the degree of leukocytosis. Am J Med. 1981;71:773 8. 9 Deibener-Kaminsky J, Lesesve JF, Grosset S, Pruna L, Schmall-Laurin MC, Benetos A, et al. Clinical relevance of leukocyte differential in patients with marked leukocytosis in the emergency room. Rev Med Interne. 2011; epub ahead of print. 10 Abramson N, Melton B. Leukocytosis: Basics of clinical assesment. Am Fam Physician. 2000;62:2053 60. 11 Branda JA, Ferraro MJ, Kratz A. Sensitivity of peripheral blood smear review for the diagnosis of Candida fungemia. Arch Pathol Lab Med. 2007;131:97 101.