Dossier. Formation professionnelle. Le rôle de la jurisprudence dans le droit de la formation



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Paris, le 14 décembre AFF : SMAI / publications concours N/réf. : 2011/071/PR. Madame la Présidente,

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Dossier DROIT SOCIAL 1007 Dossier Formation professionnelle Le rôle de la jurisprudence dans le droit de la formation par Jacques Barthélémy Avocat conseil en droit social Ancien professeur associé à la faculté de droit de Montpellier Fondateur du cabinet éponyme La jurisprudence a joué et continue à jouer un rôle important dans le droit de la formation, spécialement dans la déclinaison de l obligation d adapter les compétences du salarié à l évolution de son poste et de celle de veiller au maintien de sa capacité à occuper un emploi. Elle a justifié la première de ces obligations par l exigence d exécution de bonne foi du contrat de travail et en a tiré des conséquences en ce qui concerne sa nature juridique et donc ses effets. De même se dessinent, du fait d arrêts de la Cour de cassation, les contours d un droit subjectif à l employabilité complétant le droit objectif au travail qui suppose toutefois une plus grande autonomie du travailleur dans la définition et les moments des actions de formation, ce qui pourrait donner vie à l idée d assurance du risque d inemployabilité, conçue comme une nouvelle garantie sociale. On ne peut que s interroger sur l intérêt d un article, dédié à l analyse de la seule jurisprudence, dans ce dossier sur la réforme du droit de la formation. Donc sur la loi du 5 mars 2014 inspirée, c est important à souligner, de l accord national interprofessionnel (ANI) du 14 décembre 2013 conçu en vertu de l article L. 1 du code du travail, mais aussi, pour partie, de l ANI du 11 janvier 2013 ayant comme objet la sécurisation de l emploi. L utilité de cette étude est pourtant certaine si est pris en considération le rôle joué par la Cour suprême dans l édification de ce droit, sa doctrine ayant inspiré le législateur mais aussi les partenaires sociaux. On songe tout particulièrement ici à la justification de l obligation de l employeur par l exigence d exécution de bonne foi du contrat de travail. Une autre raison peut expliquer cette analyse de la jurisprudence. Elle est liée au rôle du tissu conventionnel dans l affirmation et la déclinaison de ce droit, objet, en vertu de l article L. 2221-1 du code du travail, de conventions collectives à côté des conditions de travail. On doit alors rappeler la concomitance de la première loi sur la formation, celle du 16 juillet 1971, inspirée de l ANI de 1969, avec celle du 13 juillet 1971 sur la négociation collective. Mais aussi la loi Fillon du 4 mai 2004 traitant simultanément des deux domaines. Alors que, comme tout contrat, la convention collective a vocation à pacifier les relations de ses parties qui bâtissent ainsi leur loi commune, on assiste à une montée en puissance de la judiciarisation en ce qui concerne aussi bien la négociation que le contenu des accords. Les actes fondateurs des droits conventionnels traitant de la formation sont particulièrement exposés aux risques de contentieux, la créativité des partenaires sociaux étant, en cette matière, plus grande et la mutualisation des contributions alimentant ces actions de formation positionnant ce droit aussi sur le terrain de la protection sociale, dans lequel se posent d intéressantes questions liées au droit de la concurrence, au droit fiscal ou à la liberté contractuelle. C est sous l éclairage de ces considérations préliminaires qu il sera traité des fondements du droit de la formation (I), de la nature des obligations de l employeur (II), des effets de ses manquements (III). I. LES FONDEMENTS THÉORIQUES La formation n est qu un moyen au service d un objectif. Celui-ci peut être l amélioration du «capital humain» de l entreprise, auquel cas l arsenal de formation est un investissement, mais aussi l épanouissement de la personne en liaison avec les droits fondamentaux de l Homme, auquel cas il

1008 DROIT SOCIAL Dossier est une activité sociale. Le choix, délibéré depuis 1971, de positionner le plan de formation dans le cadre des attributions du comité d entreprise dans l ordre économique et professionnel, pour lequel il n a qu une voix consultative, sur une décision unilatérale de l employeur atteste que notre droit se situe prioritairement dans le premier scénario, même si, avec le congé individuel de formation (CIF) dans le passé, plus aujourd hui avec le compte individuel, une place est laissée à l initiative personnelle du travailleur. Si la seconde voie était affinée, se poserait la question de l intervention du comité dans le cadre de ses attributions d ordre social matérialisant ce que le professeur Chalaron a appelé le «pouvoir ouvrier intégré». Alors, l organisme mutualisateur des contributions des entreprises servant ensuite au financement des actions de formation serait une institution à l instar de ce que sont les caisses de retraite complémentaire et serait matérialisée une garantie sociale, celle qu annonçait Joseph Fontanet, ministre de Travail, au moment de la loi de 1971. Ce qui précède permet d éclairer sur l objet des actions de formation, à savoir d un côté l adaptation des compétences du salarié pour tenir compte des évolutions du poste occupé, ce qui évidemment situe entièrement la dépense de formation dans la qualification d investissement au service de l entreprise ; d un autre côté, la participation au développement de la capacité du salarié à occuper un emploi qui peut plus aisément se situer dans l objectif de promotion de la personne sans qu on en tire les conséquences, sur le terrain du dialogue social notamment, ni dans la loi, ni dans les accords collectifs de branche. Il faudrait alors parler d employabilité, mais ce serait ouvrir un débat doctrinal : pour Alain Supiot et Nicole Maggi-Germain 1, ce mot implique la soumission aux impératifs économiques, donc à l intérêt de l entreprise, ce qui les conduit à critiquer certaines interprétations de la jurisprudence. On peut pourtant considérer que le droit à l employabilité est potentiellement un droit fondamental complétant celui du travail, utilement dans la mesure où ce dernier est un droit objectif tandis que, par les obligations incombant à l employeur, notamment par le biais de la formation, le premier est subjectif. Dans cette vision, la mutualisation des contributions destinées au financement des actions de formation peut être considérée comme l assurance du risque d inemployabilité, garantie sociale à mettre en parallèle avec la retraite complémentaire ou l assurance chômage. Cela ne peut que raviver le débat entre organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) et fonds d assurance formation (FAF, ayant seul la qualification d institution sociale). L affirmation d un droit subjectif à l employabilité rend indispensable que soient déclinés, en matière d assurance de ce risque, les trois piliers de la protection sociale, à savoir : le premier, correspondant à l idée (C. trav., art. L. 6111-1) que la formation est une obligation nationale et que l accès à une qualification est ce droit de base. Il justifie l intervention de l État dans le financement ; le deuxième, celui des garanties collectives matérialisées par le plan de formation et les contributions de l employeur, qui gagne à être construit par la négociation collective ; 1 N. Maggi-Germain, La capacité du salarié à occuper un emploi, Dr. soc. 2009. 1234. le troisième, celui de l assurance individuelle, qui suppose que l institution couvrant les contributions puisse gérer de l épargne individuelle. 1. Le calage sur le contrat de travail Avant même que la loi, du 4 mai 2004 en l occurrence, ne vienne créer une obligation à l employeur d assurer l adaptation des salariés à leur poste de travail, la Cour de cassation avait établi une règle prétorienne en la fondant sur l obligation d exécution de bonne foi du contrat de travail. C est cette exigence qui crée le devoir pour l employeur d adapter la compétence des salariés à l évolution de leur emploi 2. Cette exigence d exécution de bonne foi du contrat induit un comportement de veille permanente pour apprécier si, au vu des évolutions du poste, l intéressé est toujours capable de remplir correctement les missions et tâches correspondantes. Mais aussi, elle rend fautive l absence de toute formation pendant une période relativement longue, peu important à cet égard que le salarié n ait rien demandé. L état de subordination juridique du salarié à l origine de l arsenal protecteur spécial qu est le droit du travail dans son ensemble justifie cette responsabilité permanente au nom de l ordre public économique visant à la protection de la partie faible du contrat. Conséquence de cet ancrage sur le contrat de travail et de l obligation de son exécution de bonne foi, l employeur ne peut être tenu de fournir au salarié la formation initiale qu il n a pas acquise 3. Le fait que l emploi soit peu qualifié accroît sans doute l importance de l obligation imposée à l employeur, ce qui semble résulter d un célèbre arrêt 4. C est aussi l exigence de comportement de bonne foi qui impose à l employeur la mise en œuvre de moyens pour adapter les compétences du salarié en cas de mutation à un autre poste de travail 5. La Cour de cassation qualifie même d abus de droit le maintien du salarié à un poste que celui-ci ne peut manifestement pas tenir 6. La limite, tirée de cette référence à l exécution de bonne foi du contrat, de l obligation de l employeur, c est l impossibilité d exiger de lui qu il délivre une qualifica- 2 C est le célébrissime arrêt Expovit, Soc., 25 févr. 1992, n 89-41.634, Bull. civ. V, n 122 ; D. 1992. 390, note M. Défossez ; ibid. 294, obs. A. Lyon-Caen ; RTD civ. 1992. 760, obs. J. Mestre ; v. chron. P. Neau- Leduc, RLDA 2008, n 23, p. 47-48 ; mais aussi N. Maggi-Germain, art. préc. On notera que cette manière de définir l obligation de l employeur est constante, ce dont attestent par ex. Soc., 30 oct. 2000, n 98-44.350, NP, ou Soc., 18 déc. 2000, n 98-41.975, NP ; la loi Aubry II légalisera cette règle d essence jurisprudentielle. 3 V. not. Soc., 17 mai 2006, n 04-43.022 ; RDT 2006. 101, obs. P. Waquet Dans le même sens, Soc., 3 avr. 2001, n 99-42.188, Bull. civ. V, n 114 ; D. 2001. 2170, et les obs., obs. A. Bouilloux ; ibid. 3010, obs. B. Reynès. 4 Soc., 2 mars 2010, n os 09-40.914, 09-40.915, 09-40.916 et 09-40917, S té Tour Lafayette ; Dr. soc. 2010. 714, obs. J. Barthélémy. 5 Soc., 12 mars 1999, n 90-46.029, NP : «Le licenciement est injustifié si le salarié n a pas suivi auparavant un stage de formation ou si la formation est insuffisante». 6 Soc., 29 mai 2002, n 00-40.996 ; D. 2002. 2284, note P. Waquet ; Dr. soc. 2002. 779, obs. F. Duquesne.

Dossier DROIT SOCIAL 1009 tion nouvelle permettant au salarié d accéder à un poste de qualification supérieure 7. La justification de l obligation de formation par l exigence d exécution de bonne foi du contrat de travail induit que, si l employeur est tenu de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour adapter les compétences de son salarié aux évolutions du poste qu il occupe, l obligation de formation s arrête si l intéressé possède les compétences requises. Ainsi l obligation d adaptation, donc de proposer une formation, s impose lors de la mise en place d un nouveau logiciel 8, sauf lorsque le salarié en maîtrise parfaitement son utilisation, ce qui peut apparaître de son curriculum vitæ 9. C est aussi ce qui peut justifier que l obligation d adaptation s impose en cas de mutation à un autre poste de travail, peu important que celui-ci matérialise (ce qui n est pas automatique) une modification du contrat, auquel cas l accord exprès du salarié s impose. Non seulement cela implique l obligation de proposer un stage de formation, mais encore que la formation suivie doit être suffisante pour que l obligation d adaptation soit remplie 10. 2. Justification par le pouvoir de direction Cette dernière remarque justifie l intérêt de positionner le problème sur un autre terrain, celui du pouvoir de direction. Dans la conception institutionnelle de l entreprise, celui-ci n a d autre limite de fond que l intérêt de l entreprise qui se nourrit à la fois de l intérêt catégoriel de la collectivité des détenteurs du capital et de celle du personnel. Cela induit des prérogatives de l employeur dans ses rapports avec les salariés, en particulier celle de sanctionner disciplinairement les manquements, critère devenu déterminant de l état de subordination juridique depuis un célèbre arrêt de principe de 1996. En analysant les obligations de l employeur en matière de formation sous l angle du pouvoir de direction, doit être soulignée la différence entre l obligation d adaptation des salariés à leur poste de travail et celle liée au maintien de leur capacité à occuper un emploi. L employeur doit assurer l adaptation tandis qu il est simplement tenu de veiller au maintien de la capacité à occuper un emploi 11. Dans le cadre de ses prérogatives liées au pouvoir de direction qui s exerce dans l intérêt de l entreprise, l employeur doit s inquiéter (aussi) de l intérêt des salariés. Dans les arrêts précités La Tour Lafayette du 2 mars 2010, la Cour de cassation s appuie, pour conclure à une faute de l employeur, sur son obligation de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi, donc pas nécessairement celui auquel il est affecté. On peut interpréter cette jurisprudence comme consacrant un droit inhérent à la personne. Plus récemment 12, la Cour suprême a cassé l arrêt d appel considérant que l employeur n avait commis aucune faute en ne faisant pas suivre des actions de formation à un salarié, au motif que son poste de travail n avait connu, depuis son embauche, aucune évolution nécessitant une formation d adaptation. La faute de l employeur vient ici de ce que, en ne proposant pas de formation, il compromet la capacité du salarié à occuper un emploi au regard de l évolution des emplois, des technologies et des organisations, par référence aux termes de l article L. 6321-1 du code du travail. C est parce que l employeur dispose, du fait de ses responsabilités inhérentes au pouvoir de direction, de prérogatives se traduisant par la capacité de donner des ordres, d en contrôler l exécution et de sanctionner les manquements qu il n est pas exonéré de son obligation de formation au motif que l intéressé n a fait aucune demande. La cour d appel avait conclu qu il appartenait au salarié de demander un congé individuel de formation ou au titre du droit individuel de formation pour justifier de l absence de manquement de l employeur. La Cour suprême censure au seul constat de l absence de formation pendant un temps relativement long, ce qui ne permet pas en soi de maintenir la capacité du salarié à occuper un emploi. II. NATURE DE L OBLIGATION DE L EMPLOYEUR La nature des contraintes imposées à l employeur n est pas la même suivant qu il s agit de simplement (peut-on dire) adapter des connaissances techniques à l évolution du poste occupé ou de maintenir la capacité de salariés à occuper un emploi (sous-entendu n importe lequel). 1. Adapter les compétences à l emploi : une obligation de résultat? Dans le premier cas, l employeur assure l adaptation des compétences. On peut alors estimer que cette obligation est de résultat. Une comparaison s impose avec le droit à la santé et l obligation générale de sécurité de résultats, d essence jurisprudentielle faut-il rappeler. Au demeurant, l obligation de résultat en matière de protection de la santé impliquant que tous les moyens doivent être mis en œuvre pour y parvenir, induit que l employeur doit proposer des actions de formation touchant à ce domaine. Un organisme de formation assume de ce fait, par substitution, la qualité d employeur s agissant de l obligation de sécurité 13, ce qui peut entraîner sa mise en cause au titre d une faute inexcusable, donc au plan pénal 14. La conséquence naturelle puisque cette obligation s inscrit dans le cadre de l exécution (de bonne foi) du contrat c est que le salarié refusant de suivre la formation commet une faute de caractère disciplinaire. Toutefois, la Cour de cassation écarte la qualification de liberté fondamentale au droit du salarié à une forma- 7 Soc., 17 mai 2006, n 04-43.022 ; RDT 2006. 101, obs. P. Waquet. 8 Soc., 21 oct. 1998, n 96-44.109, NP. 9 Soc., 31 janv. 2006, n 05-42.130, Bull. civ. V, n 47 ; D. 2006. 469. 10 Soc., 12 mars 1999, n 90-42.029, NP. 11 V. C. trav., art. L. 6321-1. 12 Soc., 5 juin 2013, n 11-21.225, S té Numec, NP. 13 Soc., 15 mai 1997, n 95-17.180, Souidi/AFPA. 14 Crim., 3 juin 2008, n 07-86.640 ; Dr. soc. 2008. 1134, obs. F. Duquesne.

1010 DROIT SOCIAL Dossier tion d adaptation des compétences, notamment en cas de changement de technique ou de méthode de travail lié à son retour à l emploi suite à un congé parental d éducation ou en cas de temps partiel, lorsque ledit salarié reprend son activité initiale 15 à temps plein (v. art. L. 1225-59). Ce constat marque évidemment les limites de la comparaison avec le droit à la santé. On notera également que, dans un arrêt du même jour et à propos du même article L. 1225-59, la Cour suprême considère que l obligation de formation ne constitue pas une discrimination illicite, à elle seule tient-elle à ajouter, ce qui contribue aussi à écarter l idée d un droit fondamental 16. Toutefois, dans les deux cas il s agissait d analyser la nature d une obligation de formation légalement prévue pour une situation donnée. Est-ce suffisant pour justifier la thèse d une solution d exception alors même que cette obligation de formation a manifestement comme finalité l adaptation des compétences à l évolution du poste occupé? Cela semble difficile à admettre et, au demeurant, était-il nécessaire d imposer cette obligation dans cet article du code du travail? On voit ici une nouvelle manifestation de la fâcheuse tendance à la boulimie législative qui va à l encontre de la fonction protectrice du droit du travail dès lors qu elle débouche sur l ineffectivité de la loi en raison de son inintelligibilité, au mépris d une exigence constitutionnelle au demeurant. 2. Veiller au maintien de la capacité à occuper un emploi : simple obligation de moyens? Dans le second cas, l obligation est seulement de veiller au maintien de la capacité à occuper un emploi. Ici, il est plus aisément soutenable qu il ne s agit que d une obligation de moyens, d autant que la justification de cette obligation ne se trouve pas dans l exécution du contrat de travail. Elle ressort d un droit inhérent à la personne, qualifiable sans doute de droit à l employabilité, sous réserve des critiques formulées à cet égard par une partie de la doctrine, certes avec des arguments convaincants. Pour justifier la faute commise par l employeur du fait de ne pas avoir proposé et fait suivre une formation à des salariés pendant plus de quinze ans, la Cour de cassation se contente de ce fait de souligner la violation de l article L. 6321-1 du code du travail 17. C est en se positionnant sur le terrain de la prohibition des discriminations que la Cour de cassation 18 condamne le refus de l employeur de faire accéder un salarié à une formation qualifiante au motif qu étant près de l âge de la retraite, cette formation ne serait d aucune utilité pour l intéressé. Certes, si le refus n est dicté que par l âge, il y a discrimination au vu de l article L. 1132-1 du code du travail. Toutefois, vu que la formation non seulement concernait une activité professionnelle que le salarié ne pouvait plus exercer au-delà d un certain âge et que son coût était très élevé (il s agissait pour un pilote de la formation à la conduite d un avion nécessitant des compétences exceptionnelles), on pouvait admettre l existence d un but légitime à une atteinte, ainsi proportionnée, à un droit fondamental. La Cour de cassation prend soin d écarter le recours possible à cet argument en précisant que l employeur n apporte aucun élément faisant apparaître que le refus opposé au salarié était justifié par un objectif légitime ; l argument du coût de la formation n était certes pas déterminant, à lui seul bien sûr, encore que le prix élevé de cette formation prive d autres agents de l accès à des formations : d une part l impossibilité, de fait, de mettre à profit cette connaissance pour occuper un emploi plus qualifié ou différent résulte au cas précis d autant plus de l âge que la loi interdit de piloter, pour raisons de sécurité et pas seulement celle du salarié, au-delà d un certain âge, ce qui place le débat sur le terrain de l intérêt général ; la limite d âge imposée aux pilotes de l aviation civile correspond de ce fait à un but légitime sur le fondement de la sécurité des vols, des équipages et des personnels 19 ; d autre part a été parfaitement admise, quelques années auparavant, l interdiction de l accès à la formation de conducteurs de TGV prononcée par la SNCF à l encontre d un conducteur au motif de son âge s approchant de la date limite pour la conduite ; certes, ce n est pas d un arrêt de la Cour de cassation qu est née cette règle, mais d une décision de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l égalité (Halde) 20 ; cependant Air France pouvait légitimement estimer que cette position de la Halde induisait une réelle sécurité juridique à sa décision de refuser au pilote l accès à cette formation, d autant qu elle s appuyait sur une règle de la convention collective professionnelle. III. EFFETS La double obligation née de l article L. 6321-1 du code du travail donne un relief particulier à certains droits liés à l emploi 21. Se pose ensuite la question des conséquences du manquement de l employeur à ses deux types d obligations 22 ; dans l un et l autre domaine, la jurisprudence joue un rôle significatif. Avant d appréhender ces orientations, il n est pas inutile de rappeler que la formation n est qu un moyen, parmi d autres même si celui-ci est plus efficace, au service d un côté de l adaptation des compétences du salarié au regard des exigences du poste tenu, d un autre côté du maintien de sa capacité à occuper un emploi. 15 Soc., 5 mars 2014, n 11-14.426, Sanofi, Bull. civ. V, n 69, à propos de l art. L. 1225-54 C. trav. ; D. 2014. 670. 16 Soc., 5 mars 2014, n 12-27.701, Bull. civ. V, n 67 ; D. 2014. 670. 17 Soc., 5 juin 2013, n 11-21.255, publié au Bulletin ; Dr. soc. 2014. 11, chron. S. Tournaux. 18 Soc., 18 févr. 2014, n 13-10.294, Air France, Bull. civ. V, n 55 ; D. 2014. 548 ; B. Bossu, Refuser une formation qualifiante à un salarié en raison de son âge constitue une discrimination, JCP S 2014. 1331. 19 P. Bailly et J.-P. Lhernoud, Discrimination en raison de l âge : sources européennes et mise en œuvre du droit interne, Dr. soc. 2012. 223. 20 Délibération Halde n 2009-375, 9 nov. 2009. 21 N. Maggi-Germain, La capacité du salarié à occuper un emploi, Dr. soc. 2009. 1234, préc. 22 Soc., 8 nov. 2006, n 05-41.680, NP : «La société, tenue à un devoir d adaptation à l évolution des emplois, ne démontre pas que ces salariés n auraient pas été aptes, au prix d une formation complémentaire qui ne leur a pas été proposée, à acquérir [ ]».

Dossier DROIT SOCIAL 1011 S agissant du second, l obligation de l employeur n est que de moyens, ne serait-ce que parce que l issue de la formation est incertaine, le salarié pouvant échouer 23. On peut par contre tirer d abord de la différence de texte (l employeur assure et pas seulement veille au maintien), ensuite de ce que la fonction et donc les exigences techniques du poste sont un élément du contrat de travail, enfin de l exigence d exécution de bonne foi du contrat, que l obligation est de résultat s agissant du premier. La Cour de cassation ne s est pas (encore) aventurée dans cette voie. Encore que des indices, dans certains attendus d arrêts, peuvent le laisser entrevoir, d autant que les moyens de formation (choisis par l employeur) doivent tenir compte de la qualification personnelle particulière du salarié et de ses aptitudes professionnelles réelles 24. 1. Pas de droit fondamental, pas de nullité L obligation de veiller au maintien de la capacité du salarié à occuper un emploi doit s entendre d une obligation de favoriser l emploi, encore plus depuis l ANI du 11 janvier 2013 et la loi du 14 juin 2013 visant à la sécurisation de l emploi. En conséquence, chaque fois qu en raison d un événement touchant à la vie professionnelle et/ou personnelle, le salarié n exécute plus momentanément son contrat de travail, l obligation d adaptation prend date et ce sur quoi elle doit porter devient évident. Ainsi, après une période de suspension du contrat de travail résultant d incapacité temporaire, que celle-ci soit ou non d origine professionnelle, l employeur ne peut qu être considéré comme tenu d adapter les compétences et même plus largement les connaissances, ce qui implique la prise en compte du savoir-faire et pas seulement du savoir du salarié concerné. Dans certains cas, une législation spéciale impose cette obligation et la concrétise par la proposition d actions de formation adaptées à la réalité du problème, comme c est le cas à l occasion de la suspension du contrat pour l exercice du droit à un congé parental ou en cas de retour à temps plein après une période de temps partiel, dans les deux cas du fait de l article L. 1225-59. Deux cas méritent une attention particulière. Le premier. La protection d un salarié en raison d une inaptitude pour raison médicale ne vient que du droit du travail, à défaut de prestations de sécurité sociale à ce titre. D où l importance de l article L. 4624-1 du code du travail et de l arsenal procédural destiné à favoriser le retour à l emploi. Le rôle du médecin du travail est ici essentiel puisqu il est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutation ou transformation du poste, l employeur étant tenu de prendre en compte ces propositions. La rupture du contrat de travail est donc, sur le plan des principes, l exception, consécutive à l impossibilité de reclassement. Pour la Cour de cassation, le salarié se trouve dans l impossibilité d exécuter le contrat de travail si le poste n a pas été aménagé selon les propositions du médecin du travail 25. Et c est à l employeur qu incombe la preuve de l impossibilité de reclasser le salarié 26. Or, en vertu de l article L. 1226-2 du code 23 Soc., 5 avr. 2005, n 02-45.374, NP. 24 Soc., 5 mars 2014, n 11-14.426, Sanofi, préc. 25 Soc., 10 juill. 1986, n 83-46.097, Dr. soc. 1987. 604, obs. J. Savatier. du travail, l employeur doit proposer un emploi approprié à ses capacités, à défaut d avoir pu aménager le sien. L obligation de reclassement doit être exécutée loyalement 27. De ce fait s impose la mise en place d un programme de formation permettant d adapter les compétences aux exigences du nouveau poste. Si c est le poste qui est adapté pour tenir compte des propositions du médecin du travail, des caractéristiques nouvelles de ce même poste sont simplement aménagées 28. Au demeurant, selon l article L. 1226-1 du code du travail, le médecin du travail «formule également des indications sur l aptitude du salarié à bénéficier d une formation destinée à lui proposer un poste adapté», ceci valant seulement pour les entreprises de 50 salariés et plus. Le second. Cette protection de l emploi suscite encore plus le recours à la formation lorsque le reclassement s inscrit dans le cadre d une procédure de licenciement pour motif économique. Il résulte de l article L. 1233-4 que le licenciement pour motif économique ne peut intervenir que «lorsque tous les efforts de formation et d adaptation ont été réalisés». L employeur est tenu d exécuter loyalement son obligation de reclassement 29, ceci étant à mettre en phase avec l exigence d exécution de bonne foi du contrat de travail, fondement théorique de l obligation d adapter les compétences par la formation 30. Il est donc assez logique que, pour la Cour de cassation, il appartient à l employeur de rechercher s il existe des possibilités de reclassement (prévues ou non par le PSE) en ne se contentant pas de proposer une liste d emplois vacants, donc sans mettre en œuvre tous les moyens, notamment en assurant l adaptation des salariés à l évolution de leur emploi, ce qui invite au recours à la formation 31. L exigence de formation adaptée est donc très forte pour que le plan de sauvegarde de l emploi soit construit avec sérieux et loyauté. Plus fondamentalement et parce que le débat est alors positionné sur le terrain de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, l obligation d adaptation résultant de L. 6321-1 du code du travail est le moyen par excellence de satisfaire à l obligation de reclassement préalable au licenciement économique 32. Pour la même raison, l employeur doit anticiper les effets des transformations de l emploi occupé en mettant en œuvre des actions de formation. 2. Un préjudice spécifique fondé sur une perte de chance Quelles sont les conséquences des manquements de l employeur? Eu égard à l impact sur le droit au travail, 26 Soc., 5 déc. 1995, n 92-45.043 ; Dr. soc. 1996. 425, obs. A. Mazeaud. 27 Soc., 5 déc. 2012, n 11-21.819, JCP S 2013. 1124, obs. D. Jacotot. 28 Soc., 28 mai 2008, n 06-45.572, Bull. civ. V, n 115 ; D. 2008. 1834. 29 Soc., 7 avr. 2004, n 01-44.191, Bull. civ. V, n 114 ; D. 2004. 1352 ; Dr. soc. 2004. 670, obs. G. Couturier. 30 Soc., 20 oct. 1998, n 95-45.018, NP. 31 Soc., 7 déc. 2005, n 03-45.012, NP. 32 Soc., 28 mai 2008, n 06-45.572, Bull. civ. V, n 115 ; D. 2008. 1834 : «L employeur ne justifiait pas de l impossibilité d affecter l adaptation de celle-ci à ce nouvel emploi».

1012 DROIT SOCIAL Dossier droit fondamental, on peut être tenté par l hypothèse de la nullité de la décision de l employeur, en l occurrence (et assez fréquemment) du licenciement intervenu pour cause économique ou insuffisance professionnelle. Or, pour la Cour de cassation, «la méconnaissance du droit du salarié à une action de formation professionnelle [ ] ne caractérise pas la violation d une liberté fondamentale». Elle écarte de ce fait la nullité du licenciement 33. La Cour suprême fait allusion, à cette occasion, au principe «pas de nullité sans texte» en soulignant que «le juge ne peut, en l absence de dispositions le prévoyant [ ], annuler un licenciement». Pour écarter toute idée de nullité, elle souligne que le non-respect d une obligation de formation expressément prévue par un texte mais on peut adopter le même raisonnement pour celle liée à l obligation d assurer l adaptation des compétences à l évolution de l emploi ou de veiller au maintien de la capacité à occuper un emploi ne constitue pas, à lui seul bien sûr, une discrimination illicite 34. On notera toutefois que refuser cette formation qualifiante à un salarié en raison de son âge constitue une discrimination 35. L entretien professionnel (L. 6315-1 du code du travail) né de la récente loi sur la formation gagne à être examiné aussi, pas seulement bien sûr sous l angle du préjudice du salarié lié au non-respect, par son employeur, de ses obligations de formation et ceci à deux titres : d abord, ne pas mettre en œuvre l entretien est de nature à conforter l idée de préjudice et donc peut contribuer à accroître le montant des dommages et intérêts ; ensuite et surtout, la mise en œuvre de la procédure dans le respect des règles légales minutieusement définies aussi bien pour l entretien seul (I) que pour celui intervenant tous les 6 ans (II) est de nature à réduire fortement le risque de faute de l employeur. Ils joueront donc un rôle de prévention du risque. Ceci pourrait avoir un rôle positif en influençant la jurisprudence. CONCLUSION C est donc sur le terrain de la réparation du préjudice subi par le salarié du fait du manquement de l employeur à cette obligation qu il faut se positionner. Le licenciement pour insuffisance professionnelle ne peut être pourvu d une cause réelle et sérieuse si l employeur n a pas mis en œuvre, par la formation, les moyens d y remédier. Mais en outre, le manquement de l employeur qui résulte du non-respect de son obligation d adaptation des compétences au poste occupé et de celle de veiller au maintien de la capacité d occuper un emploi établit «un manquement de l employeur dans l exécution du contrat de travail entraînant un préjudice distinct de celui résultant de sa rupture» 36. Ce préjudice, il appartient au juge du fond de l évaluer, en l occurrence sur le fondement d une perte de chance 37. La dissociation de ce préjudice de celui né de l absence de cause sérieuse de licenciement permet de soutenir qu une action en référé sous astreinte visant à obliger l employeur à mettre en œuvre son obligation de formation est concevable, ceci d autant que, pour la Cour de cassation, le fait que le salarié n ait rien demandé ne suffit pas à exonérer l employeur. Et que la critique à l égard du comportement de l employeur ne s arrête pas au fait de ne pas mettre en œuvre une action de formation ; elle porte aussi sur l importance de l action conduite qui doit être à la mesure de la situation de l intéressé. Ainsi a pu être soulignée, pour justifier la sanction, «l indigence de la formation professionnelle qui a été dispensée à l intéressé pour lui permettre de faire face au changement de techniques et des méthodes de travail» 38. 33 Soc., 5 mars 2014, n 11-14.426, Sanofi, préc. 34 Soc., 5 mars 2014, n 12-27.701, Bull. civ. V, n 67 ; D. 2014. 670. 35 Soc., 18 fév. 2014, n 13-10.294, préc. 36 Soc., 23 oct. 2007, n 06-40.950, Bull. civ. V, n 171 ; D. 2007. 2874, obs. L. Perrin ; ibid. 2008. 442, obs. G. Borenfreund, F. Guiomard, O. Leclerc, E. Peskine, C. Wolmark, A. Fabre et J. Porta ; Dr. soc. 2008. 126, obs. J. Savatier ; ibid. 2009. 1234, étude N. Maggi-Germain ; RDT 2008. 33, obs. A. Fabre. N est-ce pas sur le terrain de la reconnaissance de la citoyenneté du travailleur dans l entreprise qu il faut se positionner pour donner du sens au droit à la formation, ce qui donne du sens au contenu du premier alinéa de l article L. 6111-1 du code du travail, selon lequel la formation professionnelle tout au long de la vie constitue une obligation nationale? Mais alors il faut admettre qu il s agit d un droit fondamental qui devrait décliner en équilibrant davantage d un côté l aspect investissement pour l entreprise, qui justifie le plan annuel de formation et son positionnement dans les attributions d ordre économique du comité d entreprise, avec d un autre côté le droit individuel du salarié à se former dans la perspective d une promotion ou d une progression sociale, qui permettrait au comité d entreprise d agir dans le cadre de ses attributions d ordre social. Il faut alors en revenir au concept de fonds d assurance formation, moyen de concrétiser, par le biais du double paritarisme, de conception et de gestion, l assurance du risque d inemployabilité et l instauration d un troisième pilier de la protection sociale concrétisé par un droit de tirage sur un pot commun pouvant être alimenté pour partie par les intéressés en ayant recours à la technique de l épargne ; ce troisième pilier complète alors le deuxième, celui des garanties collectives dans l entreprise orchestrées à partir du plan de formation. Pour se convaincre qu on n est pas alors dans l utopie, il faut s appuyer sur les modifications radicales des modes d organisation du travail hérités des progrès des techniques de l information et de la communication qui feront chaque jour davantage que les droits des travailleurs (salariés ou pas du reste) s inscriront directement dans les libertés individuelles et collectives, celles héritées de la Convention européenne des droits de l homme. Les visas à celle-ci qui se multiplient dans les arrêts de la Cour de cassation en portent témoignages 37 Soc., 2 mars 2010, n os 09-40.914 à 09-40.917 ; Dr. soc. 2010. 714, obs. J. Barthélémy. 38 Soc., 5 mars 2014, n 11-14.426, Sanofi, préc.