Les mercredis du groupe SRC 14 mai 2014 Echange avec Patrick Doutreligne et Christophe Robert, délégué général et délégué général adjoint de la fondation Abbé Pierre, sur l état du mal logement en France [1]
Patrick Doutreligne «Des réformes engagées mais des résultats décevants» Nous avons été très intéressés par ces deux années de politique de logement, dans la mesure où des reformes structurelles ont été engagées. Les propositions de François Hollande et de la Fondation de l Abbé Pierre se sont retrouvées sur les objectifs et le constat. Nous allons être un peu plus critiques sur l effectivité de ce qui s est passé et ce qui se passe actuellement. Les réformes structurelles ne sont peut-être pas si bien vendues, notamment sur la mobilisation du foncier public. C est un «serpent de mer» qui a aujourd hui peu d effectivité. Nous arrivons à la troisième année et trop peu de terrains publics sont cédés. Le problème du foncier, on ne s y attaque pas alors qu il est fondamental. Comment dire qu un terrain s est revalorisé alors que c est le même? C est un problème économique sur lequel on doit intervenir. Il y a un vrai déficit de résultats et un écart entre l engagement et la promesse. Les dispositions qui étaient dans le programme, que les gens ont appréciées, aujourd hui cela représente peu de résultats. Le passage de 20 à 25% sur la loi SRU est très important. Vos collègues maires et y compris ceux de la majorité, sont en train de limiter cela, suite à la secousse des municipales. Ce serait une erreur de ne pas tenir ce dispositif. Ce dispositif était approuvé par 83% des français. On nous a dit pendant 10 ans que c était une bêtise et que le marché règlerait le problème du logement, mais au contraire, les écarts se sont approfondis. Les ressources de tout le monde (population, moyens publics) sont plus faibles, ce qui a des conséquences : on va retrouver de l inflation, des impayés La production de logement générale en 2014 va être catastrophique. L objectif du gouvernement reste 500 000 logements construits mais les projections sont à moins de 300 000. Pour beaucoup de villes qui ont basculé de gauche à droite, les premières déclarations, c est : «au mieux un gel sinon un arrêt des constructions». Nous avons des inquiétudes très fortes. Les records de non-construction vont être battus. C est une aberration économique et politique. On doit construire des logements à la hauteur des besoins. Il y a eu la loi ALUR. C est un très beau travail. C est une des lois des plus volumineuses. Il va falloir plus de 100 décrets. C est une politique du logement en général. [2]
«La loi ALUR ne permet pas la baisse significative des loyers» Il y a beaucoup de choses dans la loi ALUR et nous n avons encore pas tout découvert. Malheureusement les choses les plus intéressantes sont les moins connues. Il ne faut pas vous le cacher nous sommes un peu déçus quand même. L encadrement des loyers par exemple, n en est pas vraiment un. Il y a cependant des conséquences positives car on va voir baisser les petits logements et les micros logements. Cela ne va cependant pas jouer sur une baisse des loyers. L objectif du Président de la République, c est arriver à faire baisser les loyers devenus trop chers en France. Ce ne sera pas le cas. Nous n aurons pas une baisse des loyers significative. Nous sommes gênés à la Fondation car nous avons soutenu et échangé avec les rapporteurs. Nous n avons pas été jusqu au bout, nous n avons pas été assez offensifs pour montrer que le logement est trop cher en France. L OCDE dit lui-même que c est incompréhensible, car tous les prix des logements ont baissé depuis la crise en Europe, sauf en France. Il faut qu on en tire des conséquences. La deuxième déception, c est la garantie universelle des loyers, car elle n est pas universelle. Nous ne sommes pas des «fans» de l universalité. Au départ, cette garantie devait être financée par un peu tout le monde (bailleur, propriétaire, pouvoirs publics). Depuis que ce n est qu un financement d état, l universalité est moins nécessaire. Les priorités doivent se porter sur les plus modestes! Dans le contexte actuel, ce décret n est pas prêt de sortir. On va se battre pour qu il sorte. C est la crédibilité de l Etat. Mais s il y a des restrictions budgétaires, c est le bon moment de mettre en avant les jeunes et les personnes les plus modestes. On se battra sur cet aspect-là. [3]
Il y a la première partie de la loi ALUR avec l encadrement des professions immobilières qui est très attendue. La population est satisfaite à ce propos. Il faut sortir encore une fois les décrets rapidement. Mais je suis inquiet des propos de la Ministre qui entend «pacifier» dans un premier temps. Le débat parlementaire a eu lieu, il n y a pas de «cinquième lecture» à avoir avec ces décrets. Je suis inquiet de cette déclaration. Si on écoute trop les lobbys on ne s en sortira pas. Ils sont partisans de la moindre intervention de la part des pouvoirs publics. Aujourd hui, j ai des craintes du fait que la nomination de la nouvelle ministre au logement montre qu il faudra 3 à 6 mois pour s initier aux problématiques. C est donc ces mois-ci de perdus. La deuxième mauvaise nouvelle est qu on a séparé la ville du logement. Les revendications des années 90 faisaient ce lien entre la politique de la ville et du logement. Il y a une vraie cohérence entre les deux. C est donc inquiétant. La troisième inquiétude se trouve dans l ordre protocolaire du ministère. Quand il y a 16 ministres et que le 15 ème c est celui du logement, cela montre que ce n est pas à la dimension du problème que nous connaissons. Cela ne montre pas la volonté offensive du gouvernement. Je ne demande qu à démentir ces mauvaises nouvelles. Par ailleurs, dans les deux ou trois priorités de campagne, le candidat socialiste citait le logement. Le Premier ministre ne l a pas cité, ou brièvement. «Ne pas oublier pas la lutte contre les injustices et les inégalités!» Une autre inquiétude, c est sur le plan d économies qui est paradoxal. Il y a eu un recul, mais le gel des APL va être extrêmement préoccupant. Le gel avait été reporté en 2014, on le reporte encore à octobre 2015, voire janvier 2016. On est entre nous donc je peux vous dire que j ai été très choqué que la Ministre concernée dise : «ce n est pas grave c est 20 à 35 euros par mois» alors que 70% de ceux qui perçoivent les APL ont moins que le SMIC! Si il y a une prestation totalement redistributive et axée sur les plus modestes, il me semble qu on n aurait pas dû y toucher. C est une économie qui n est pas à la hauteur des enjeux. Elle est estimée entre 176 et 300 millions d euros. [4]
J ai fréquenté beaucoup d entre vous. La particularité, la force et l éthique du Parti Socialiste que vous êtes, c est la lutte contre les injustices et les inégalités. En gelant les prestations sociales, on n y contribue pas. On a eu l impression dans le discours du Premier ministre, qu il a cessé d inclure les défavorisés, c est extrêmement dangereux. C est le jeu du FN. C est viser les modestes. On ne peut pas faire de la contre-offensive sans démonter ce discours. Il faut une solidarité nationale qui inclut les modestes et les défavorisés qui ne doivent pas être écartés. Quand on entend parler des classes moyennes, la question est : qui sont-elles? C est trop facile. Certainement pas les ménages modestes qui touchent 4000 par mois comme le disait le Président du gouvernement précédent, qui ne se rendait pas compte que cela concerne les 10 ou 12% des ménages français les plus riches. Si vous faites des politiques sociales, ne les fixez pas sur les très défavorisés, car sinon ça creuse l écart et ça va se retourner sur les uns et les autres. Il faut inclure les défavorisés autant que les modestes. Si on fait l inverse, la droite sait le faire mais pas sur la population juste au-dessus. Je pense globalement que le Parti Socialiste a un problème éthique en plus du problème politique. Je ne conteste pas qu il y ait des économies. Mais il me semble que les choix dans les 50 milliards doivent être mis au sceau d un parti. Et ce n est pas un bon message qu on envoie à la population, en tout cas ce n en est pas un au milieu associatif. Il faut que vous entendiez ces états d âme. 2008 a été une crise économique qui a montré les abus du libéralisme. Les partis majoritaires ont toujours été les défenseurs de l intervention publique pour intervenir sur le marché. Au moment où le libre marché montre ses limites, on aurait dû voir ressurgir les positions plus fortes de votre parti avec une volonté d intervenir. Le paradoxe, c est que ce sont les idées défendues par votre parti, qui étaient critiques, qui auraient dû émergées et être défendues. Cependant, en dehors du programme présidentiel, ce n est pas ce qui se passe depuis le changement de gouvernement. C est un vrai problème. La différence et la force, l éthique et l ADN du PS, c est d avoir une préoccupation pour les plus modestes. Il faut aller au bout en termes politiques, économiques et dans les choix de société. Je ne veux pas donner de leçon mais je pense qu on est à un tournant difficile et délicat. Votre positionnement en tant que parlementaires, socialistes, doit se faire entendre sur ce sujet-là. Au niveau associatif, nous sommes, après deux ans, déçus, interpellatifs et un peu désabusés. C est difficile d être «trahi» par des gens qui ont partagé notre analyse et nos objectifs. [5]
Christophe Robert Il faut redonner de la perspective aux exclus L analyse que font les associations, le sentiment global tourne autour de deux axes : - Le plan quinquennal de lutte contre la pauvreté sur lequel les associations ont été associées. Il y a eu un vrai espoir de changement. - La loi ALUR, qui était une occasion pour pouvoir faire avancer la réponse sur le logement. Le secteur associatif s est mobilisé et a accompagné le mouvement de transformation proposé. Avec le changement de gouvernement, le discours de politique générale a fait la part belle à un public, une population dont il faudrait se préoccuper prioritairement : les inclus susceptibles de basculer. C est comme ça que nous, les associations, avons interprété le discours. Mais la place des exclus, qui sont nombreux et ne cessent d augmenter, semble passer à la trappe. Face aux mesures que nous avons nous-mêmes décidés, par exemple en matière de revalorisation du RSA, il est totalement incroyable que la première décision de ce nouveau gouvernement soit de dire : «on gèle». Certains d entre vous se sont mobilisés, les associations aussi. Il y a eu un retour du Premier ministre tant mieux, mais l inquiétude reste face à la vision de tout un pan de la population qui est aujourd hui sans perspective et à qui il faut donner à voir que quelque chose va être possible. Je pense aux années 90, quand la gauche était là, dans la lutte contre l exclusion, il y avait une vision avec des perspectives où on tente de faire entrer tout le monde dans la société. Il faut donner plus de capacité aux territoires Il y a un décalage profond qui s accroit avec les années entre le discours politique national, volontariste sur le logement, et ce qu il se passe concrètement sur les territoires. En réalité, c est tout l inverse ce qu il se passe sur les territoires. Ce décalage n est plus tenable. Pour prendre un exemple, on dit que : «les expulsions locatives, c est la pire des catastrophes», mais ça ne cesse d augmenter chaque année. Il y a des avancées dans les dispositifs, dans la loi ALUR, mais en réalité si on croit que c est dans la loi qu on règlera le problème, on se trompe. Il faut des capacités d intervention pour aller au-devant des personnes. Il faut aller sur le terrain. Du coup, tout ce qui se trame avec les économies, l impact sur les collectivités locales nous inquiète. Quid de l action sociale. La situation sur le fond d hébergement d urgence est très tendue. Elle l est dans quelques territoires et commence à monter dans d autres. Un secteur de l hébergement sur lequel on rajoute des moyens est mis à contribution pour régler tous les problèmes. On fait jouer à un secteur, un rôle de dernier rempart qu il n arrive pas à jouer. Notre inquiétude, c est que de nouveaux territoires sont frappés par cette difficulté. Il y a la question des inégalités territoriales. Les quartiers populaires sont calmes en ce moment mais le faussé s accroit. Nous aurions intérêt à nous en préoccuper, notamment par une politique de la ville, et par la question des moyens, qui sera posée de toute manière. Quoi qu on fasse dans la réforme territoriale, il faudra être très attentif au système de péréquation. Il faut un dispositif qui rattrape les inégalités. [6]
Il nous semble que la réforme fiscale que nous attendions peut aussi jouer un rôle dans le logement. C est un moyen de faire jouer les solidarités à l échelle territoriale pour dissuader le logement cher : gagner là où le foncier est cher. La solidarité fiscale à l échelle locale pourrait être discutée avec les territoires pour lever des leviers d action. «Il faut donner la priorité aux plus défavorisés» Nous allons rencontrer le Premier ministre d ici 15 jours. Sur cette question de priorisation à l intention des plus défavorisés, il va falloir des signes clairs de l intention de gouvernement dans ce domaine. Si l on continue d aller que vers ceux «susceptibles de basculer», vous aurez une mobilisation forte des secteurs associatifs qui sera là pour dire que le gouvernement ne fait pas de la lutte pour les plus défavorisés une priorité. La fiscalité repose la question de la lutte contre les inégalités. Aujourd hui ça monte! Peut-être pourrat-on contribuer à ce que cette tentation du gouvernement se réoriente vers la question sociale avec en tête la question de sortir vers le haut et donner des perspectives au plus exclus. Patrick Doutreligne : Le problème de la fiscalité, on l a abordé de la plus mauvaise des façons il y a deux ans. Il fallait le faire avec des perspectives, un sentiment de justice et éviter le phénomène de basculement. Ne pas l avoir anticipé est un problème. «Il ne faut pas jeter le DALO aux orties» Sur la question du DALO, où nous avons été interpellés, je pense qu il faut nuancer. Globalement le constat n est pas aussi négatif que celui de la région parisienne qui regroupe deux tiers des DALO. Il ne faut pas jeter cette loi aux orties. Il faut chercher comment le traiter différemment dans la région parisienne. Il ne faut pas qu une loi condamne l Etat. On est à 500 000 attributions de logements sociaux par an. La transformation sociale, le peuplement du parc, par contre n est pas l effet du DALO. Il faut arriver à sortir de l échec du DALO dans le territoire d Ile-de-France, ou les bouches du Rhône aussi. Il n y a pas de problème majeur au titre du DALO, si ce n est qu il faut une mobilisation plus forte. Tout le débat sur la gestion du peuplement, et le risque d effet «ghetto» doit nous interroger plus largement sur l ensemble du parc, avec par exemple la mobilisation du parc privé (point faible de l action publique?). Il est encore temps d en faire un axe privilégié. Il faut faire contribuer les villes à l effort de solidarité. [7]