n 24 janvier/février 2006 MESSAGERIE : UNE ORGANISATION QUI DÉPASSE LES FRONTIÈRES RÉGIONALES Dans le cadre d un marché sans cesse élargi et d une concurrence très vive, les entreprises de messagerie ont dû s organiser autour de grandes structures de groupe. Ceci laisse peu de place au développement d unités régionales, sauf dans le cadre d activités de sous-traitance. On ne s étonnera donc pas du faible poids du secteur en Languedoc-Roussillon et du manque de perspectives des grands opérateurs en direction du territoire régional. Dominique Pallez - DRE-LR Frédérique Reffet - CETE Méditerranée La messagerie se caractérise par la combinaison de deux types d opérations : un ramassage et une distribution de petits et moyens colis (inférieurs à 3 tonnes) effectués par de petits véhicules, un trajet central massifié entre deux plates-formes de tri, effectué par camion, train ou avion. Pour que l activité soit viable au plan économique, le groupage des colis (au départ) et leur dégroupage (à l arrivée) doivent tendre vers deux objectifs : le remplissage optimal des véhicules et l équilibre des flux aller et retour. Ces caractéristiques ont un impact majeur sur la structure des entreprises et leur positionnement régional. UN TISSU D ENTREPRISES HÉTÉROGÈNE Plusieurs métiers sont nécessaires à la pratique de l activité : du transport routier à courte et moyenne distance (en amont et en aval), des opérations logistiques, du transport sur longue distance entre les points de groupage et de dégroupage. Cette variété, associée à la brièveté des délais à tenir, conduit à une complexification des organisations au sein de l entreprise et à un recours massif à la sous-traitance. En effet, bien souvent, le messager ne dispose pas ou ne souhaite pas disposer des capacités en propre de prise en charge des flux. La constitution de son réseau est alors assurée en relation avec d autres entreprises qui sont en mesure de compléter l acheminement de l envoi. Ceci permet à la fois de desservir des territoires peu rentables et de lisser les pointes. La majorité des grands groupes y ont recours avec une part pouvant représenter plus de 50% des flux. En outre, l élargissement des marchés qui pèse sur la couverture territoriale et la faiblesse des taux de marge ont poussé les entreprises à se regrouper, et les entreprises moyennes indépendantes sont désormais rares. Ce mouvement de concentration est d autant plus fort qu historiquement le secteur s est constitué autour des grandes unités postales. A contrario, le recours à la sous-traitance laisse place à de toutes petites unités qui parfois travaillent avec un seul camion, voire une camionnette.
Aussi, ce secteur regroupe t-il des unités très disparates, pas toujours repérables dans les nomenclatures. En effet, alors que certaines entreprises sont présentes sur toute la chaîne (intégrateurs), d autres, souvent plus petites ou plus spécialisées, n interviennent que sur une partie du processus : tournée de collecte, tournée de livraison, transport massifié ou opération logistique. Ces unités sont alors comptabilisées dans d autres postes de la nomenclature officielle d activités (1) et le poste messagerie ne donne qu une vue partielle de l activité de ce secteur. Dans le cadre de l étude, trois grands groupes d acteurs ont été retenus : les grandes entreprises à vocation logistique internationale (DHL, FEDEX, GLS, GEODIS-CALBERSON, DANZAS ), les entreprises à vocation logistique nationale (CHRONOPOST, FRANCE EXPRESS, SERNAM, DUCROS, ALLOIN, MORY, DUBOIS ), les entreprises régionales (peu nombreuses) et les sous-traitants locaux qui bien souvent n exploitent que des véhicules. Stratégies de croissance Au niveau national, trois stratégies coexistent : Croissance interne : CALBERSON, SERNAM, DANZAS, CHRONOPOST, DHL Croissance externe : DUCROS, FEDEX, TNT, ZIEGLER, GLS Développement partenarial avec création de réseaux : France EXPRESS, RESEAU PLUS, EXAPAQ Ces trois stratégies ne sont pas exclusives. A l international trois types d implantation sont développés : Création d un réseau intégré de filiales étrangères. Cette stratégie demande d importants moyens financiers. Alliance avec un ou deux correspondants. Cette stratégie est fragile car le jeu des fusions et rachats vient remettre en cause les alliances. Combinaison des deux stratégies précédentes. LE NÉCESSITÉ D UNE ORGANISATION PERFORMANTE L activité de messagerie nécessite une mise en cohérence des moyens de transport, une vision de l ensemble de la chaîne, une étroite coordination horaire et une transmission sans faille pour assurer la gestion optimale des flux physiques. C est une activité exigeante qui nécessite un contrôle strict de tous les acteurs de la chaîne et en particulier des sous-traitants. Le réseau de messagerie doit disposer d implantations locales apportant un maillage suffisant du territoire afin de répondre à la demande. Il se structure autour de centres d exploitation qui émettent reçoivent ou ventilent des colis et des informations. Le nombre et la position relative de ces centres d exploitation, la nature et l importance des flux sont déterminés par la définition marketing du service proposé. Les acteurs du réseau mettent dès lors en oeuvre des moyens d exploitation adaptés, tout en respectant des règles strictes fixant les rapports financiers, commerciaux et techniques entre les centres. L ensemble de ces éléments structure le réseau. La carte ci-après retrace quelques exemples d organisation relevés lors de l enquête effectuée en Languedoc- Roussillon. Ceux-ci se déclinent en trois variantes : Le site enquêté achemine tout son fret vers une seule plate-forme. Une seule traction de nuit est organisée. Le site enquêté achemine son fret vers quelques plates-formes du réseau : on compte alors entre 5 et 10 tractions de nuit. Le site enquêté achemine son fret vers un grand nombre d autres sites (centre d une étoile). Les nombreuses tractions de nuit nécessitent alors la mise en place d un plan d acheminement précis au départ de chaque agence. (1) Nomenclature d activités et de produits française - NAF 700 postes
PEU DE CENTRES DE DÉCISION EN LANGUEDOC-ROUSSILLON Le tissu régional des entreprises du secteur est, par obligation, dimensionné au marché. Dans un contexte économique de mondialisation des échanges, il comprend avant tout des entreprises ou des groupes de niveau national ou international. Depuis la délocalisation du siège de l entreprise DUCROS en Provence-Alpes-Côted Azur, aucun d entre eux n a son centre de décision en Languedoc-Roussillon. Le tissu régional est alors majoritairement composé : de filiales de grands groupes ou d établissements installés là dans le cadre d un maillage géographique, d unités travaillant pour le secteur en tant que soustraitant. Une première conséquence est la faiblesse de la taille moyenne des établissements régionaux : 16 salariés contre 35 en moyenne pour l ensemble français métropolitain et 55 pour l Ile de France. Le Languedoc- Roussillon se situe en avant dernière position, juste avant la Corse. Source : DRE - UNEDIC 2004 Quelques données sur les entreprises de messagerie ayant leur siège en Languedoc-Roussillon - 2003 Nombre Chiffre Valeur ajoutée d'entreprises d'affaires (K ) (K ) Effectif Valeur 2003 39 120 053 31966 832 Part en France métropolitaine (%) 4,1 1,1 1,1 1,1 Part dans le transport routier de marchandises régional (%) 2,5 10,7 7,7 7,2 Evolution par rapport à 2002 (%) -7,1 3,6 2,1 0,5 Source DRE-EAE2003 En outre, la part du chiffre d affaires régional dans le chiffre d affaires national est insignifiante : à peine 1%, à comparer avec un poids démographique proche de 4%. La messagerie pèse également assez peu dans le seul transport routier régional : elle constitue à peine 2,5% des entreprises. La taille moyenne des établissements y étant toutefois plus importante, le poids en effectif s élève à 7,2%.
Part de la sous traitance (%) Valeur ajoutée/ca (%) Résultat net/ca (%) Investissement/ CA (%) Languedoc-Roussillon 51,8 24,5 3,0 1,5 France metropolitaine 51,9 24,9 0,7 1,5 Ensemble transport routier de marchandises régional 22,4 29,1 3,7 3,4 Source DRE-EAE2003 Le recours important à la sous-traitance apparaît clairement dans les statistiques : celle-ci représente en effet plus de la moitié du chiffre d affaires des entreprises du secteur, contre moins du quart pour l ensemble du transport routier de marchandises. La région ne se démarque pas de la moyenne française. CA par entreprise (K ) CA par personne employée (K ) Salaire moyen par salarié (K ) Effectif moyen par entreprise Languedoc-Roussillon 3078 144 22 21 France metropolitaine 11966 144 23 83 Ensemble transport routier de marchandises régional 711 97 22 7 Source DRE-EAE2003 Le chiffre d affaires moyen des entreprises est quatre fois supérieur à celui réalisé par l ensemble des entreprises du transport routier de marchandises. Mais il est quatre fois moindre que le chiffre d affaires des entreprises françaises de messagerie. La principale raison tient à différence de taille évoquée plus haut. Les chiffres d affaires par personne employée sont, en effet, identiques. En 2003 (dernière année connue), le taux de marge nette a été favorable, plus favorable qu en moyenne française. Cet écart n a pas toutefois incité les entreprises régionales à investir davantage. BAISSE DE L EMPLOI DEPUIS 2002 De la fin des années quatre-vingt-dix à 2002, l emploi salarié du secteur était orienté à la hausse. L accroissement de la demande de messagerie peut s expliquer par la politique de réduction des stocks des entreprises, la mise en place des organisations «juste à temps» et les pratiques d externalisation des entreprises, qui favorisent toutes la demande de transport. 160,0 150,0 140,0 130,0 Région France métropole PACA Midi-Pyrénées Evolution de l'emploi salarié (indice base 100 1998) Source : DRE - UNEDIC 2004 So urc: e DRE-Uné dic 120,0 110,0 100,0 90,0 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 La progression observée en Languedoc-Roussillon avait toutefois été moins rapide qu en moyenne française et, plus particulièrement, que pour les deux régions voisines : PACA et Midi-Pyrénées. Depuis 2002, la tendance s est inversée, et l emploi est plutôt orienté à la baisse. Le recul a été particulièrement sensible pour la région Midi-Pyrénées qui se retrouve au-dessous du niveau de 1998. Il a été moins rapide en Languedoc-Roussillon qui, au total sur la période 1998-2004, a évolué de façon comparable à la moyenne française, soit +10% en 6 ans.
Évolution récente de l activité sur le marché national et intra-communautaire D après l enquête réalisée trimestriellement par le Service Études et Prévisions du Ministère de l Équipement, les quatre branches principales de la messagerie ont eu des évolutions différenciées depuis le milieu des années 90. Ces évolutions mettent en évidence l organisation de réseaux transnationaux européens. La messagerie traditionnelle nationale a connu une progression constante du chiffre d affaires. En tonne et nombre d envois l activité a été très fluctuante, pour finalement atteindre un niveau proche de 1990. Dans la messagerie express nationale, chiffres d affaires, tonnages et nombre d envois sont orientés à la baisse depuis 2000. Le chiffre d affaires par kg transporté, après une forte érosion, est à l heure actuelle à son niveau de 1994, mais ceci uniquement en valeur nominale. Dans la messagerie traditionnelle intra-communautaire, la croissance du nombre d envois a été particulièrement vive, comparée à la progression des tonnages et du chiffre d affaires. La messagerie express intracommunautaire est également en plein développement. UNE ORGANISATION AUTOUR DES VILLES localisation de l emploi dans la messagerie
En Languedoc-Languedoc-Roussillon, la stratégie géographique des entreprises se matérialise le plus souvent par la présence d une ou deux agences chargées d assurer le groupage et le dégroupage en direction des besoins locaux. L existence de plates-formes de desserte interrégionale ou de centres de transit y est exceptionnelle. Les emplois salariés du secteur étaient en 2004 de 1100 environ (champ UNEDIC). 70% de ces emplois étaient situés dans une des trois grandes unités urbaines de la région : Montpellier, Perpignan et Nîmes. Montpellier avec Saint-Jean-de-Védas est le pôle le plus important (un peu plus de 30% des emplois régionaux). Le quart de l activité est réalisé sur la zone Perpignan frontière espagnole. Narbonne est également un pôle régional à prendre en considération avec un peu plus de 100 emplois. DES PERSPECTIVES RÉGIONALES LIMITÉES La messagerie est une activité d avenir qui devrait continuer à se développer sous l influence de l essor du commerce électronique, de la mondialisation des échanges, du recentrage des entreprises clientes sur leurs activités de base et des pratiques de segmentation des flux des envois ( flux tendus, juste à temps). L accroissement de la mobilité des biens se fait dans un contexte de resserrement des délais et des prix. Dans un environnement où les exigences de la clientèle sont croissantes, les priorités vont à l augmentation de la qualité des services rendus : traçabilité, suivi en temps réel de la marchandise, diversification des marchandises transportées. Autre difficulté : les entreprises doivent régler les problèmes liés à la saisonnalité qui engendre des flux irréguliers dans le temps. La capacité de se projeter dans l avenir varie avec la taille de l entreprise et son positionnement dans la chaîne de distribution. C est ce que démontrent les entretiens effectués en région. Les messagers de taille nationale ou internationale veulent améliorer leur productivité. Dans un contexte de concurrence très vive, ils doivent mettre en place une organisation rigoureuse et faire la chasse aux coûts inutiles. Dans ce cadre, le Languedoc-Roussillon n apparaît pas comme un maillon géographique essentiel, même si l élargissement du marché, en rapport avec la croissance démographique peut représenter un plus. Les messagers ont plutôt le regard tourné vers l international. La multiplicité des réseaux est en outre un inconvénient supplémentaire et il est fort possible que dans l avenir certains opérateurs disparaissent du marché régional ou mettent en commun leurs organisations locales. La politique actuelle est à la réduction du nombre d agences et à la mise en place de consignes automatiques. Certains parlent de réorienter leur réseau vers les besoins des particuliers avec la création de «points colis» Une diminution du nombre de sous-traitants est également évoquée. En liaison avec la faiblesse du tissu productif régional, les opérateurs se plaignent des déséquilibres entre les arrivées et les départs, ces derniers étant insuffisants. Pour y faire face, certains essaient de se retourner vers de nouveaux «chargeurs» comme les viticulteurs. D autres regardent du côté de l Espagne. Plateforme de tri Les entreprises de taille régionale ou locale sont fragiles. Elles doivent faire face à une concurrence plus vive, à la diminution du nombre de sous-traitants, au regroupement et à l intégration des réseaux. En outre, celles qui s étaient tournées vers la messagerie en direction des particuliers risquent de se voir concurrencer sur leur propre terrain par l élargissement du champ d action des grands messagers qui jusqu à présent étaient plutôt concentrés sur les professionnels. Les stratégies pour s en sortir peuvent être la fidélisation à un seul donneur d ordre, l intégration dans un réseau de distribution (vente par correspondance, vente électronique) ou la spécialisation sur une niche particulière. Les grands transporteurs régionaux, qui ne pratiquent la messagerie qu à titre d activité complémentaire en tant sous-traitant, devraient pouvoir faire face aux mouvements à venir avec un peu plus de sérénité.
PRIORITÉ A LA ROUTE Pour les entreprises de messagerie interrogées la route présente un triple avantage : Elle permet de maîtriser au mieux les temps de parcours et de tenir les engagements sur les délais. En adoptant cette solution, le messager ne dépend pas d autres grands opérateurs (SNCF, compagnies aériennes). Auprès d opérateurs plus petits (soustraitants, entreprises de transport routier), il peut exiger le respect des délais et des créneaux horaires, notamment en faisant jouer la concurrence. C est un moyen souple qui permet une adaptation rapide en cas de flux exceptionnellement élevés ou bas. La route va partout, ce qui permet de limiter les opérations de chargement et de déchargement. Le transport par route est donc utilisé quasi exclusivement par les acteurs du secteur. L avion ou le train pourrait pourtant permettre d effectuer le trajet central dans des conditions satisfaisantes. Mais, les professionnels se plaignent du manque de performance et de fiabilité dans le respect des délais, le fret ne représentant pas une activité prioritaire tant pour la SNCF que pour l aéroport de Montpellier. Ceux qui ont adopté un de ces deux systèmes ont plutôt tendance à l abandonner. Méthodologie L étude s appuie en grande partie sur une analyse bibliographique et sur les statistiques disponibles. Afin de conforter les principaux éléments ainsi dégagés, des interviews ont été réalisées avec quelques acteurs de la messagerie, implantés en Languedoc-Roussillon. Les statistiques (Enquête Annuelle d Entreprises, UNEDIC ) portent exclusivement sur le poste de nomenclature 634A. Ceci exclut du champ les entreprises travaillant pour la messagerie tout en exerçant une autre activité à titre principal (transport interurbain ou de proximité par exemple). L E.A.E. fournit des données financières sur les entreprises (unités juridiques). Les chiffres UNEDIC portent sur les établissements (unités géographiques). Les types de messagerie Selon la durée des délais de livraison, l importance des colis ou le mode de conditionnement, plusieurs branches d activités peuvent être définies : messagerie traditionnelle, messagerie rapide, express, monocolis. Des spécialisations sur certains créneaux (denrées alimentaires, pharmaceutiques, produits dangereux ) viennent compléter le dispositif. Les contours des différents secteurs de la messagerie sont fluctuants d une entreprise à l autre. Les grandes lignes actuelles sont les suivantes : Messagerie traditionnelle : au-delà de 24 heures. C est le service de transport privilégié de la production en série et de la grande distribution. Messagerie rapide : enlèvement avant 18 heures pour livraison le lendemain avant 18 heures. Express : enlèvement avant 18 heures pour livraison le lendemain avant 12 heures ou même avant 9 heures. Cette activité se décompose entre l express tout poids et l express colis légers. Monocolis : s applique à un colis unique de dimensions calibrées et d un poids inférieur à 30kg dans les délais de la messagerie traditionnelle ou rapide. Les tarifs varient en fonction du poids, de la rapidité et des services rendus. Pour un colis de 1 kg, ils varient de 20 à 35 en national, de 50 à 150 au sein de l union européenne.