Suivi thérapeutique de l imatinib



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Transcription:

Suivi thérapeutique de l imatinib Verena Gotta a,nicolas Widmer a,laurent A. Decosterd a,chantal Csajka a,m.a.duchosal b,yves Chalandon c, Dominik Heim d,michael Gregor e,thierry Buclin a a Division de Pharmacologie ettoxicologie cliniques, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois et Université de Lausanne, b Service d Hématologie et Laboratoire Central d Hématologie, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois et Université de Lausanne, c Service d Hématologie, Hôpitaux Universitaires de Genève, d Hämatologie, Universitätsspital, Basel, e Hämatologische Abteilung, Kantonsspital, Luzern Quintessence P Le monitoring (suivi) joue un rôle important pour un traitement et son évaluation pour autant qu il se base sur la mesure de marqueurs cliniques adéquats ou de substituts validés. P Pour ce qui est du traitement d imatinib, le «therapeutic drug monitoring» (TDM) semble être une option utile pour le contrôle du traitement de la LMC. Il utilise la concentration plasmatique de ce médicament comme marqueur. P Les concentrations plasmatiques d imatinib varient considérablement d un patient à l autre sous un même schéma posologique, en raison de la variabilité interindividuelle de sa pharmacocinétique. Il a été démontré que l exposition plasmatique était en corrélation avec le résultat clinique des patients LMC aussi bien pour la réponse au traitement que pour le profil d effets indésirables. P Il n est pas encore établi si le TDM de l imatinib doit être utilisé que dans le cas de problèmes cliniques ou si les patients LMC peuvent déjà profiter d un contrôle préventif systématique «de routine» de manière à garder la concentration plasmatique dans des marges thérapeutiques. Cela est toujours plus recommandé ces derniers temps. P Pour répondre à cette question, une étude suisse prospective, randomisée et contrôlée recrute des patients LMC traités par imatinib depuis moins de 5 ans et propose en outre le TDM pour tous les patients en cas de problèmes cliniques. Verena Gotta Intérêt du suivi du traitement Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 396 ou sur Internet sous www.smf-cme.ch. L idée du suivi (ou monitoring, du latin monere =avertir) d un traitement consiste à exécuter différentes mesures (par ex. cliniques, biologiques ou radiologiques) dans le but d en évaluer précocement l évolution et d adapter en temps utile le plan de traitement d une maladie. Alors que des contrôles sont en principe recommandés pour n importe quel type de traitement, leur intérêt varie d une situation à une autre: Les traitements à court terme n ont généralement besoin que de très peu de contrôle, voire d aucun. Les traitements de longue durée sont théoriquement peu intéressants pour un contrôle si tous les patients répondent de la même manière au schéma thérapeutique standard. Si la réponse interindividuelle à un traitement est différente, c.-à-d. varie d un patient à l autre, un contrôle sous la forme du dosage d un seul marqueur thérapeutique peut s avérer utile et suffisant pour évaluer et individualiser ce traitement. Des dosages répétés sont généralement nécessaires pour les traitements dans lesquels la réponse ne varie pas seulement interindividuellement mais aussi intraindividuellement, c.-à-d. chez un seul et même patient. Dans toutes les situations, de manière à optimiser le rapport coût-bénéfice du suivi du traitement, il faut bien réfléchir au choix de son marqueur, à la fréquence de son dosage et à la stratégie thérapeutique choisie sur la base des résultats obtenus. Ce domaine suscite un intérêt toujours plus marqué en recherche clinique [1]. Quels sont les marqueurs appropriés pour le contrôle du traitement? Bien qu une mesure clinique directe de l efficacité et de la sécurité d un traitement semble souhaitable, cela n est souvent pas indiqué, car les paramètres cliniques s observent la plupart du temps trop tard et vont souvent de pair avec un échec ou une toxicité du traitement. Il est, par exemple, trop tard de constater une anticoagulation excessive lorsque les hémorragies sont déjà présentes, ou une moins bonne réponse à un traitement immunosuppresseur lorsqu un organe greffé est déjà rejeté. C est la raison pour laquelle des marqueurs substituts («surrogate», du latin surrogatum = substitut) de paramètres cliniques sont souvent utilisés pour le contrôle du traitement. Cela pour autant qu ils permettent de prédire plus rapidement l évolution clinique sous ce traitement, avec son effet et ses effets indésirables. Les marqueurs potentiellement adéquats proviennent idéalement de la connaissance du mécanisme d action d un traitement. Des études observationelles doivent ensuite confirmer une corrélation significative entre un tel biomarqueur «basé sur le mécanisme» et les réponses cliniques les plus importantes. Une telle «corrélation clinique» ne peut cependant pas encore être considérée comme signe d un marqueur substitut idéal: Abréviations LMC leucémie myéloïde chronique P-gp glycoprotéine P TDM therapeutic drug monitoring La Division de Pharmacologie et Toxicologie cliniques du CHUV a reçu un soutien financier pour la recherche scientifique indépendante. TB a reçu un subside indépendant (grant-in-aid) de Novartis pour la réalisation de l étude sur le monitoring de l imatinib; LAD a reçu un subside pour sa formation (educational grant); VG, NW et TB ont bénéficié d un soutien financier pour leur participation à un séminaire de Novartis sur ce thème. Forum Med Suisse 2010;10(23):403 406 403

d une part, il faut en plus un écart suffisant entre le signal et le bruit de fond, pour distinguer les variations lentes (cliniquement significatives) des passagères ou des erreurs de dosage. D autre part, les variations du marqueur dosé doivent idéalement: 1) précéder la réponse clinique, 2) la prédire et 3) correspondre aux modifications du traitement. La confirmation validation de l intérêt clinique d un marqueur pour le contrôle du traitement doit donc se faire dans une étude d intervention prospective et contrôlée, de préférence avec une attribution randomisée (au hasard) des traitements et une évaluation en aveugle. Les marqueurs thérapeutiques ne sont cependant que rarement validés ainsi, et le fait que la validité d un marqueur peut se référer à telle ou telle intervention ou à tel ou tel collectif est souvent négligé (par ex. augmentation du risque cardiovasculaire sous glitazones malgré le contrôle de l HbA1c). Therapeutic drug monitoring (TDM) Lorsqu il n y a aucun marqueur clinique ou biologique d efficacité ou de toxicité utilisable pour évaluer rapidement un traitement pharmacothérapeutique, il est possible de prendre la concentration plasmatique du médicament comme marqueur substitut. Il s agit toutefois de considérer la variabilité pharmacocinétique comme principale cause de l hétérogénéité de la réponse au médicament en question, c.-à-d. la variabilité de son absorption, de sa distribution, de son métabolisme et de son élimination. Ces concentrations plasmatiques variables peuvent ainsi être facilement mesurées s il existe une méthode analytique ad hoc. Le but d un tel suivi thérapeutique des médicaments («therapeutic drug monitoring», TDM) est ensuite d adapter Figure 1 Concentrations plasmatiques dosées chez les patients après la prise d imatinib avec prédiction de la moyenne prévue de la population (ligne continue) et intervalle de prédiction de 90% (lignes traitillées). la posologie du médicament de manière à obtenir une concentration plasmatique définie, pour laquelle est attendue à la fois un bon effet et un profil d effets indésirables minimal pour la majorité des patients. La condition sine qua non d un tel contrôle est une relation concentration sanguine-effet plus forte que la relation dose-effet. Les médicaments ayant une grande variabilité pharmacocinétique (c.-à-d. dose-concentration sanguine) et une faible variabilité pharmacodynamique (c.-à-d. concentration sanguine-effet) sont donc intéressants pour le TDM. Mais le TDM ne peut être pratiqué à bon escient que si la variabilité pharmacocinétique interindividuelle est significativement plus importante que la variabilité intraindividuelle. Cela s observe pour les médicaments pour lesquels une dose donnée produit des concentrations sanguines variables d un patient à l autre, alors que la variabilité chez un seul et même patient est faible [2, 3]. Ce sont surtout les traitements prolongés, pour lesquels le succès thérapeutique et le profil d effets indésirables dépendent de l exposition plasmatique, qui peuvent profiter de ce type de contrôle. Le TDM est donc une pratique courante pour de nombreux antirétroviraux, antiépileptiques et immunosuppresseurs [4]. Imatinib: candidat à un TDM de routine? L imatinib, la première molécule prise par voie orale et ciblée contre l oncoprotéine constitutivement active BCR-ABL (reconnue comme cause de la prolifération myéloïde non contrôlée) a radicalement révolutionné le traitement et le pronostic de la LMC à chromosome Philadelphia positif (Ph+). Contrairement à sa pharmacodynamique ciblée impressionnante, sa pharmacocinétique est extrêmement variable. La dose standard recommandée de 400 mg/jour donne des concentrations plasmatiques extrêmement variables d un patient à l autre, pouvant dépasser une amplitude de 6 à un moment donné (fig. 1 x). Les variations intraindividuelles ne dépassent par contre pas 30% environ [5, 6]. La forte variabilité pharmacocinétique interindividuelle est principalement le fait de différences dans la distribution et le métabolisme de ce médicament. Son absorption et son élimination rénale ne jouent par contre qu un rôle de second ordre: sa biodisponibilité orale est d env. 98% et n est que peu influencée par la prise concomitante de nourriture, son élimination est pratiquement indépendante de la fonction rénale (fig. 2 x). Sa distribution est essentiellement influencée par la concentration en protéines plasmatiques, du fait qu env. 95% du médicament y sont liés principalement à l albumine et à la alpha-1 glycoprotéine acide [7, 8]. Des mécanismes de transport actifs sont en outre responsables de la captation tissulaire (par le transporteur de cations organique humain hoct-1) et de la sortie des tissus et cellules (par la P glycoprotéine [P-gp]) [7, 9, 10]. L activité de ces transporteurs est fonction à la fois de facteurs génétiques et de certains autres médicaments. Le métabolisme de l imatinib se fait essentiellement par le système du cytochrome P450 3A4/5 dans le foie, dont l activité est également génétiquement déterminée; il Forum Med Suisse 2010;10(23):403 406 404

dépend en outre de facteurs environnementaux, dont l alimentation et d autres médicaments. Cela détermine à son tour sa clairance et du même fait l importance de l exposition plasmatique. Les inducteurs du CYP3A4/5 (par ex. érythromycine, antimycosiques azolés ou jus de grapefruit) doivent donc être administrés aux patients LMC avec toute la prudence voulue [7]. Finalement une mauvaise observance est aussi une source de variabilité pharmacocinétique [13]. Contrôle actuel du traitement par imatinib et perspectives Figure 2 Causes de la variabilité pharmacocinétique de l imatinib. Après avoir traversé le tractus gastro-intestinal (TGI), la concentration sanguine d imatinib dépend principalement de son métabolisme hépatique par le système du cytochrome P450 (CYP), de sa liaison aux protéines plasmatiques et de l activité des transporteurs médicamenteux (P-gp = glycoprotéine P: responsable de l efflux de médicaments; hoct-1 = transporteur de cations organiques humain 1: responsable de l entrée des médicaments dans les cellules, particulièrement les globules blancs). Figure 3 Plan de l étude suisse du contrôle des concentrations d imatinib ayant pour but d évaluer le bénéfice d un TDM de routine. Les patients sont randomisés dès réception de leur sang et attribués à un TDM soit de routine soit de sauvetage pour la durée d une année. EI = effets indésirables. Le contrôle (suivi) actuel du traitement par imatinib dans le cadre du traitement de la LMC consiste à vérifier régulièrement les réponses hématologique, cytogénétique et moléculaire à ce médicament (c.-à-d. à surveiller le nombre de leucocytes, de cellules Ph+ et des transcrits d ARNm BCR-ABL) [11, 12]. En raison de sa variabilité pharmacocinétique et des résultats de plusieurs études d observation, qui ont montré une forte relation concentration plasmatique-effet, le contrôle de la concentration plasmatique de l imatinib est toujours plus souvent recommandé [13 16]. Une corrélation significative a été observée entre concentrations plasmatiques basses et réponse au traitement insuffisante, ou entre concentrations plasmatiques très hautes et signes de toxicité plus marqués, et plusieurs auteurs indépendants proposent une concentration résiduelle (C min) optimale d env. 1000 ng/ml [14 16]. Sur la base de cette constatation, plusieurs laboratoires européens(dont le Laboratoire de Pharmacologie et Toxicologie cliniques du CHUV, Lausanne) proposent déjà le dosage de l imatinib plasmatique. Mais l exploitation optimale du TDM de l imatinib n est pas encore claire. Le contrôle de la concentration plasmatique avec éventuelle adaptation de la dose ne doit-il être effectué qu isolément en cas de problèmes cliniques (par ex. réponse au traitement insuffisante ou suspicion d effets indésirables secondaires à l exposition) ou tous les patients LMC doivent-ils déjà profiter d un contrôle «de routine» préventif? Cela reviendrait à utiliser un intervalle thérapeutique de concentrations plasmatiques d imatinib comme marqueur de réponse clinique chez les patients LMC. L hypothèse qu une concentration sanguine élevée du médicament implique une captation quantitativement plus élevée dans les cellules sanguines, à savoir les cellules cibles, semble plausible. Nous pouvons également admettre que la concentration cellulaire détermine à son tour le degré d inhibition de l enzyme cible (tyrosine-kinase BCR-ABL). Il y a déjà des arguments pharmacologiques («preuve mécanistique») et des corrélations avec le résultat clinique («preuve parallèle»), mais il reste à répondre à la question de la causalité («preuve directe») avant de parler d une utilisation du TDM (basée sur des preuves) de l imatinib. Il s agit donc d évaluer dans une étude prospective si l adaptation de la concentration plasmatique d imatinib peut améliorer l évolution de la maladie et le profil d effets indésirables de ce traitement. Forum Med Suisse 2010;10(23):403 406 405

Etude suisse évaluant le bénéfice clinique du TDM de l imatinib Pour répondre aux questions des preuves directes, la Division de Pharmacologie et Toxicologie cliniques du CHUV à Lausanne a mis sur pied une étude randomisée et contrôlée en collaboration avec plusieurs hématologues suisses de référence (fig. 3 x). Son but premier est d évaluer si un TDM «de routine» (c.-à-d. effectué même en l absence de problèmes cliniques) permet d améliorer la réponse clinique des patients LMC comparativement à un TDM «de sauvetage». Chez les patients attribués, par randomisation, au groupe TDM de routine, la concentration plasmatique est dosée lors de leur admission et la dose éventuellement adaptée de manière à obtenir la concentration minimale recommandée d env. 1000 mg/l. Ce groupe intervention a été comparé à L imatinib est-il candidat à untdm de routine? un groupe témoin toujours traité par la même dose, sans adaptation préventive. Un TDM «en urgence» reste cependant possible dans ce collectif également en cas de problèmes cliniques. Cette forme de TDM a été choisie comme témoin de manière à garantir le traitement des patients LMC suisses selon la «Best Current Practice» actuelle. Les dosages des concentrations plasmatiques se font à Lausanne mais les patients continuent d être suivis par leurs hématologues et ne doivent donc pas consulter d autre médecin ni tel ou tel centre universitaire spécifiquement. Tous les patients LMC en phase chronique ou accélérée, et traités depuis moins de 5 ans par imatinib, peuvent entrer dans cette étude pour 1 année, après y être invités par leurs hématologues. Cette étude a débuté en juillet 2009 dans le canton de Vaud et a été élargie à tous les cantons suisses début 2010. Informations et contacts figurent sur le site Internet de la Division de Pharmacologie et Toxicologie cliniques du CHUV (www.chuv.ch/pcl sous «research projects») ou directement sur www.imatinib-monitoring.ch. Correspondance: Dr PDThierry Buclin Division de Pharmacologie ettoxicologie cliniques Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) Hôpital Beaumont 6 CH-1011 Lausanne thierry.buclin@chuv.ch Références recommandées Glasziou P, Aronson J, Irwig L. Evidence-based medical monitoring: from principles to practice. Oxford: Blackwell/BMJI Books; 2008. Buclin T, Decosterd LA. Pharmakologie und Toxikologie: «Therapeutic Drug Monitoring» (TDM) der Weg zu einer massgeschneiderten medikamentösen Behandlung. Schweiz Med Forum. 2005;5:1301 3. Widmer N, Decosterd LA, Csajka C, et al. Population pharmacokinetics of imatinib and the role of alpha-acid glycoprotein. Br J Clin Pharmacol. 2006;62:97 112. Gratwohl A, Chalandon Y, Heim D, et al. Behandlung der chronisch myeloischen Leukämie 2007 - Traitement de la leucémie myéloide chronique 2007. Schweiz Med Forum. 2007;7:934 49. Cortes JE, Egorin MJ, Guilhot F, Molimard M, Mahon FX. Pharmacokinetic/pharmacodynamic correlation and blood-level testing in imatinib therapy for chronic myeloid leukemia. Leukemia. 2009. Vous trouverez la liste complète et numérotée des références dans la version en ligne de cet article sous www.medicalforum.ch. Forum Med Suisse 2010;10(23):403 406 406

Therapeutisches Drug-Monitoring von Imatinib / Drug monitoring thérapeutique de l imatinib Weiterführende Literatur (Online-Version) / Références complémentaires (online version) 1 Glasziou P, Aronson J, Irwig L. Evidence-based medical monitoring: from principles to practice. Oxford: Blackwell/BMJI Books, 2008. 2 Buclin T, Decosterd LA. Pharmakologie und Toxikologie: «Therapeutic Drug Monitoring» (TDM) der Weg zu einer massgeschneiderten medikamentösen Behandlung. Schweiz Med Forum. 2005;5:1301 3. 3 Widmer N, Csajka C, Werner D, Grouzmann E, Decosterd LA, Eap CB, et al. Suivi thérapeutique des médicaments (I). Les principes [Principles of therapeutic drug monitoring]. Rev Méd Suisse. 2008;4(165):1644 68. 4 Widmer N, Werner D, Grouzmann E, Eap CB, Marchetti O, Fayet A, et al. Suivi thérapeutique des médicaments (II). La pratique clinique [Therapeutic drug monitoring: clinical practice]. Revue médicale suisse 2008:4(165):1649 50, 1652 60. 5 Larson RA, Druker BJ, Guilhot F, et al. Imatinib pharmacokinetics and its correlation with response and safety in chronic-phase chronic myeloid leukemia: a subanalysis of the IRIS study. Blood. 2008;111:4022 8. 6 Widmer N, Decosterd LA, Csajka C, et al. Population pharmacokinetics of imatinib and the role of alpha-acid glycoprotein. Br J Clin Pharmacol. 2006;62:97 112. 7 Peng B, Lloyd P, Schran H. Clinical pharmacokinetics of imatinib. Clin Pharmacokinet. 2005;44:879 94. 8 Gambacorti-Passerini C, Zucchetti M, Russo D, et al. Alpha1 acid glycoprotein binds to imatinib (STI571) and substantially alters its pharmacokinetics in chronic myeloid leukemia patients. Clin Cancer Res. 2003;9:625 32. 9 Le CP, Kreuzer KA, Pursche S, et al. Pharmacokinetics and cellular uptake of imatinib and its main metabolite CGP74588. Cancer Chemother Pharmacol. 2004;53:313 23. 10 Wang L, Giannoudis A, Lane S, et al. Expression of the uptake drug transporter hoct1 is an important clinical determinant of the response to imatinib in chronic myeloid leukemia. Clin Pharmacol Ther. 2008;83:258 64. 11 Baccarani M, Saglio G, Goldman J, et al. Evolving concepts in the management of chronic myeloid leukemia: recommendations from an expert panel on behalf of the European LeukemiaNet. Blood. 2006;108:1809 20. 12 Gratwohl A, Chalandon Y, Heim D, et al. Behandlung der chronisch myeloischen Leukämie 2007 - Traitement de la leucémie myéloide chronique 2007. Schweiz Med Forum. 2007;7:934 49. 13 Cortes JE, Egorin MJ, Guilhot F, Molimard M, Mahon FX. Pharmacokinetic/pharmacodynamic correlation and bloodlevel testing in imatinib therapy for chronic myeloid leukemia. Leukemia 2009 14 Picard S, Titier K, Etienne G, et al. Trough imatinib plasma levels are associated with both cytogenetic and molecular responses to standard-dose imatinib in chronic myeloid leukemia. Blood. 2007;109:3496 9. 15 Singh N, Kumar L, Meena R, Velpandian T. Drug monitoring of imatinib levels in patients undergoing therapy for chronic myeloid leukaemia: comparing plasma levels of responders and non-responders. Eur J Clin Pharmacol. 2009. 16 Widmer N, Decosterd LA, Leyvraz S, et al. Relationship of imatinib-free plasma levels and target genotype with efficacy and tolerability. Br J Cancer. 2008;98:1633 40.