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Transcription:

Les sanctions du pouvoir dans les sociétés Rapport français Valérie Malabat Professeur à l Université Montesquieu-Bordeaux IV 1) Quelle est la notion de société dans votre droit? Y-a-t-il une définition légale ou un concept défini par la jurisprudence? Distinguez-vous entre les concepts de société et d entreprise? La société est définie en droit français par l article 1832 du Code civil qui dispose que : «La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. Elle peut être instituée, dans les cas prévus par la loi, par l'acte de volonté d'une seule personne. Les associés s'engagent à contribuer aux pertes.» Le texte distingue ainsi deux types de sociétés selon qu elles sont pluripersonnelles ou unipersonnelles. La société unipersonnelle a en effet été admise en droit français avec la création de l EURL (entreprise unipersonnelle à responsabilité limité) en 1985 avant que cette forme de société ne se développe, notamment avec la création de la SASU (société par action simplifiée unipersonnelle) en 1999. Mais surtout le texte laisse une ambiguïté sur la nature de la société puisqu il énonce qu elle est «instituée» tout en précisant qu elle est créée par un contrat (ou par un acte unilatéral de volonté 1 ). Le débat entre la nature contractuelle ou institutionnelle de la société continue d animer la doctrine contemporaine 2, certains auteurs le considérant toutefois comme vain et considérant la société comme un contrat auquel s applique une législation d ordre public 3. Si le terme d entreprise est parfois utilisé par la législation (voire ne serait que le nom donné à l EURL), l entreprise ne reçoit pas de définition légale. Le terme désigne l ensemble des moyens qui sont rassemblés pour l accomplissement d une activité économique. Le critère de l entreprise est donc celui de l activité économique, peu important en revanche la forme juridique que prend l entreprise. Société et entreprise ne recouvrent ainsi pas la même réalité puisque nombre d entreprise (notamment individuelles) ne sont pas constituées juridiquement 1 Sur ce débat, v. M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 23 ème éd., 2010, n 10. 2 V. F. Deboissy, Le contrat de société, in Le contrat, Travaux de l Association H. Capitant, t LV, Société de législation comparée 2008, p. 119 et s. ; J. Cl. May, la société : contrat ou institution? in Contrat ou institution : un enjeu de société, LGDJ, 2004, p. 122 et s. 3 En ce sens, M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, op. cit., p.5, qualifiant «l alternative contrat-institution» de «fausse». 1

sous forme de société et que certaines sociétés n exploitent pas d entreprise (ainsi en est-il par exemple des sociétés civiles immobilières). 2) Quels sont les types de responsabilité qui doivent être étudiés en matière de société dans votre droit et quelles en sont les particularités les plus remarquables? C est en tant que personne morale 4 que la société peut voir sa responsabilité engagée qu elle soit civile ou pénale. La responsabilité civile des personnes morales suit, à l instar de celle des personnes physique, la distinction entre responsabilité contractuelle et délictuelle. La personne morale peut donc engager sa responsabilité contractuelle en cas d inexécution ou de retard dans l exécution d un contrat passé en son nom en application des règles classiques de la responsabilité contractuelle et sur le fondement de l article 1147 du Code civil 5. L engagement de la responsabilité contractuelle implique de remplir des conditions relatives au dommage, au fait générateur et au lien de causalité. En ce qui concerne le dommage, le droit français admet la réparation de toute sorte de préjudice à condition toutefois que celui-ci remplisse certains caractères. Autrement dit la nature du dommage (qu il soit matériel ou moral) est indifférente dès lors que le dommage est actuel, certain, direct (ces conditions étant commune avec la responsabilité délictuelle) mais aussi prévisible. L article 1150 du Code civil dispose en effet que «Le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée». Cette condition, qui n a pas de sens en matière délictuelle, s impose en revanche en matière contractuelle dans laquelle on peut admettre que le dommage ne doit être réparé que s il s intègre dans l accord de volonté : le débiteur ne peut être engagé au delà de la substance de l obligation qui est issue du contrat. Mais cette limitation tombe en cas de faute dolosive du débiteur 6. L exigence d un dommage prévisible est appréciée in abstracto, au regard d une prévisibilité normale. C est sans doute en ce qui concerne le fait générateur que la responsabilité contractuelle présente la plus grande spécificité par rapport à la responsabilité délictuelle. Ce fait générateur spécifique est en effet l inexécution d une obligation contractuelle. La jurisprudence a été amenée à préciser ce qu il fallait entendre par inexécution de l obligation en précisant non seulement le moment de l inexécution mais aussi le contenu de 4 Toutes les sociétés ne sont pas dotées de la personnalité morale comme la société en participation ou la société créée de fait. La personnalité morale n est acquise par la société qu à compter de son immatriculation. Jusqu à l accomplissement de cette formalité, la société existe toutefois en tant qu acte juridique. V. art. 1842 C. civ. : «Les sociétés autres que les sociétés en participation visées au chapitre III jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation. Jusqu'à l'immatriculation, les rapports entre les associés sont régis par le contrat de société et par les principes généraux du droit applicable aux contrats et obligations». 5 Art 1147 C. civ. : «Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.» 6 C est-à-dire en cas d inexécution intentionnelle du contrat ou en cas de faute lourde (culpa lata dolo aequiparatur). 2

cette inexécution. En ce qui concerne le moment de l inexécution, la jurisprudence a en effet posé que seul le manquement commis pendant la phase d exécution du contrat peut donner lieu à responsabilité contractuelle 7. Le contenu de l inexécution dépend de la distinction retenue en droit français entre obligations de moyens et obligation de résultat. Le débiteur d une obligation de résultat s engageant à fournir un résultat à son créancier, voit ainsi sa responsabilité engagée dès lors que le résultat promis n est pas atteint, sans que le créancier n ait à prouver que l inexécution est ainsi fautive. En revanche le débiteur d une obligation de moyens ne s engage qu à mettre en œuvre des moyens en vue de parvenir à un résultat qu il ne garantit pas. Dans ce cas, l inexécution de l obligation de moyen et la responsabilité de son débiteur- ne sera établie que si l absence du résultat espéré est fautive. La distinction entre obligation de moyen et obligation de résultat aboutit donc à un double régime de responsabilité contractuelle, pour faute ou sans faute, selon la nature de l obligation en cause. C est la jurisprudence qui a reconnu la responsabilité civile délictuelle des personnes morales. Elle admet ainsi une responsabilité directe de la personne morale sans avoir à rechercher ni établir la responsabilité de ses dirigeants ou préposés. La responsabilité délictuelle de la personne morale peut être engagée pour l un quelconque des faits générateurs de responsabilité civile : - responsabilité pour faute (art. 1382 et 1383 C. civ.) : la jurisprudence n exige pas la preuve d une faute personnelle à la personne morale ayant jugé que «la personne morale répond des fautes dont elle est s est rendue coupable par ses organes et en doit la réparation à la victime sans que celle-ci soit obligée de mettre en cause, sur le fondement de l article 1384 alinéa 5, lesdits organes pris comme préposés» 8 - responsabilité du fait des choses dont la personne morale est gardienne (art. 1384 al 1 C. civ) - responsabilité du fait d autrui (art. 1384 al 5 : responsabilité des commettants du fait des préposés ou 1384 al 1 : principe général de responsabilité du fait d autrui) - responsabilité du fait des animaux (art. 1385 C. civ) 9 La responsabilité pénale des personnes morales est prévue en droit français depuis l entrée en vigueur du Code pénal actuel, soit le 1 er mars 1994. L article 121-2 du Code pénal dispose en effet que : «Les personnes morales, à l'exclusion de l'etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public. La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3.» 7 Cass. civ. 1 ère, 7 mars 1989, Valverde ; Cass. civ 2 ème 5 juin 1991 8 Cass. civ. 2 ème, 27 avril 1977, Bull civ. II, n 108 9 Pour une application de ce cas de responsabilité à une société v. Cass. civ. 2 ème, 27 sept. 2001, Bull. civ. II, n 148 qui a pu décider qu a conservé la garde de l animal (en l espèce un veau) et engageait donc sa responsabilité-, la société chargée de le livrer, dont le préposé, alors que l animal s était échappé avant d avoir été livré, a quitté les lieux sans l avoir récupéré. 3

Domaine d application de la responsabilité pénale des personnes morales. - Domaine matériel : Sur ce point la responsabilité pénale des personnes morales a subi une évolution depuis sa consécration. Le code pénal de 1994 ne prévoyait en effet la responsabilité des personnes morales que pour les infractions pour lesquelles elle était expressément prévue. Si ces infractions étaient nombreuses, elles n étaient toutefois pas nécessairement les plus adaptées à l activité ordinaire des personnes morales. Aussi ce principe de spécialité a-t-il été supprimé par une loi du 9 mars 2004 10 entrée en vigueur sur ce point le 31 décembre 2005. Depuis cette date, les personnes morales peuvent donc voir leur responsabilité pénale engagée en principe pour toute infraction. La généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales n empêche toutefois pas la loi de prévoir expressément l exclusion de cette responsabilité pour certaines infractions comme c est d ailleurs le cas pour les infractions de presse (v. art. 43-1 loi du 29 juillet 1881). - Domaine personnel : Il est tout d abord évident que les groupements qui ne sont pas dotés de la personnalité morale ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée. Ces groupements sont les sociétés en participation (art. 1871 C. civ.), les sociétés créées de fait (art. 1873 C. civ.) ainsi que les groupes de sociétés. L existence d un groupement d entreprise n empêche en revanche évidemment pas de rechercher la responsabilité d une ou de plusieurs sociétés constituant le groupement. L identification de la société qui engage sa responsabilité pénale peut alors parfois poser difficulté, notamment en matière d hygiène et de sécurité lorsque l auteur personne physique de l infraction est le délégataire de toutes les sociétés membre du groupement. Dans ce cas particulier la chambre criminelle de la Cour de cassation a décidé «qu en cas d accident du travail, les infractions en matière d hygiène et de sécurité des travailleurs commises par le délégataire de pouvoirs désigné par chacune des sociétés constituant un groupement d entreprises à l occasion de l attribution d un marché engagent la responsabilité pénale de la seule personne morale, membre du groupement qui est l employeur de la victime» 11. L alinéa premier de l article 121-2 du Code pénal exclut ensuite explicitement l Etat des personnes morales qui peuvent voir leur responsabilité pénale engagée. Cette exclusion reçoit de multiples justifications parmi lesquelles la souveraineté de l Etat, le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires et, plus encore, la détention du monopole du droit de punir par l Etat sont prépondérantes. Les autres personnes morales de droit public peuvent en revanche être pénalement responsables avec toutefois une limitation tenant aux activités susceptibles d engager leur responsabilité pour les collectivités territoriales et leurs groupements puisqu elles ne sont pénalement responsables que des activités qui peuvent faire l objet d une convention de délégation de service public (art. 121-2 al 2). La catégorie des personnes morales pénalement responsable est donc extrêmement large et englobe aussi bien les personnes morales de droit public (collectivités territoriales, établissements publics, groupements d intérêt public) que de droit privé qu elles soient à but lucratif ou pas (sociétés civiles ou commerciales, groupement d intérêt économique, associations régulièrement déclarées à la préfecture, fondations, syndicats, partis ou groupements politiques, groupement d intérêt économique). 10 Loi n 2004-204 du 9 mars 2004, JORF 10 mars 2004. 11 Cass. crim., 13 octobre 2009 : pourvoi n 09-80857, publié au Bulletin 4

Conditions de la responsabilité pénale de la personne morale La responsabilité pénale des personnes morales peut être engagée dès lors qu il est possible de lui imputer l infraction selon les règles posées par l article 121-2 du Code pénal. Autrement dit, ce texte n adapte pas les éléments constitutifs des infractions aux spécificités des personnes morales et notamment à leur caractère désincarné. L infraction doit donc toujours être caractérisée au regard d une personne physique mais peut se voir imputée à une personne morale à la double condition qu elle soit commise par un organe ou un représentant de la personne morale et qu elle soit réalisée pour le compte de la personne morale. L exigence d une responsabilité du fait personnel de la personne morale 12 ne conduit pas pour autant à exiger que soit établie, au-delà des conditions posées par l article 121-2 du Code pénal, une faute propre à la personne morale et distincte de celle qui peut être reprochée à l organe ou au représentant 13. La responsabilité pénale personnelle de la personne morale se réalise donc par représentation sans que l on exige toutefois que la responsabilité personnelle de l organe ou du représentant soit recherchée. Il faut tout d abord que l infraction ait été commise par un organe ou un représentant de la personne morale. l organe Les organes sont les personnes qui sont désignées par la loi ou par les statuts de la personne morale pour agir au nom de la personne morale et en assurer la direction et la gestion. Les organes des collectivités territoriales (maire, président du Conseil général ou régional, conseil municipal, général ou régional ) seront ainsi désignés par le Code général des collectivités territoriales, tandis que les organes des sociétés commerciales (gérant, conseil d administration, président du CA, directeurs généraux, directoire, président du directoire, conseil de surveillance, assemblée ) sont fixés par le Code de commerce. le représentant Sera considéré comme un représentant celui qui peut agir pour le compte de la personne morale et l engager aux yeux des tiers. La difficulté posée par la notion de représentant est alors qu a priori elle peut se confondre avec celle d organe puisque les organes légaux de la personne morale sont également ses représentants. L intérêt de la notion est donc sans doute d englober d autres personnes que les organes/représentants. Cette qualité pourra ainsi être reconnue à l administrateur judiciaire ou provisoire de la société qui sans en être organe, est pourtant investi du pouvoir d agir au nom et pour le compte de celle-ci. De même, la personne qui est titulaire d un mandat spécial de la société sans en faire partie pourra être qualifiée de représentant. Doivent également être considérés comme des représentants au sens de l article 121-2 du Code pénal les personnes ayant reçu une délégation de pouvoir 14. Si la personne morale ne peut être rendue pénalement responsable d une infraction qu à la condition que cette dernière ait été commise par un organe ou un représentant et si les juges du fond doivent relever l existence de cette condition, elle ne leur impose pas toutefois d identifier précisément ledit organe ou ledit représentant. Il leur suffit donc en réalité de 12 Le droit pénal pose en effet comme principe la responsabilité du fait personnel (art. 121-1 CP) 13 Cette exigence d une faute distincte de la personne morale a été très clairement écartée par la chambre criminelle, d abord implicitement (Cass. crim., 2 décembre 1997 : Bull. crim. n 420 préc.), puis explicitement (Cass. crim., 26 juin 2001 : Bull. crim. n 161 ; Dr. pén. 2002, comm. 8). 14 V. en ce sens Cass. crim., 1 er décembre 1998 : Bull. crim. n 325 ; Rev. sc. crim. 1999, p. 336, obs. G. Giudicelli-Delage puis Cass. crim., 9 novembre 1999 : Bull. crim. n 252. 5

montrer que l infraction n a pu être commise que par une personne ayant la qualité d organe ou de représentant pour que l exigence posée par l article 121-2 du Code pénal soit ainsi satisfaite. La solution a été posée plusieurs fois par la jurisprudence 15 qui a même pu préciser que dès lors que les faits constitutifs du délit s inscrivent dans la politique commerciale de la société, ils ne peuvent avoir été commis que par un de ses organes ou dirigeants 16. L infraction doit ensuite avoir été commise pour le compte de la personne morale A défaut de précision légale, et compte tenu de la jurisprudence qui ne s interroge que peu sur cette condition, il semble que le dirigeant qui abuse de ses pouvoirs pour commettre une infraction peut permettre d engager la responsabilité pénale de la personne morale dès lors qu il n a pas commis l infraction dans son intérêt exclusif. Ce sera notamment le cas lorsque la personne physique aura agi dans son intérêt exclusif en commettant par exemple, mais pas seulement, une infraction dirigée contre la personne morale (comme un abus de biens sociaux ou une banqueroute). Principe du cumul de responsabilité entre personne morale et organe ou représentant : La responsabilité pénale de la personne morale n empêche pas de rechercher et d engager celle de la personne physique auteur ou complice des mêmes faits parce qu elle ne saurait apparaître comme une cause de non-responsabilité. Le fait que l organe ou le représentant ait commis l infraction en cette qualité et pour le compte de la personne morale ne peut en effet être invoqué pour lui permettre d échapper à sa responsabilité pénale sous peine d encourager cette délinquance. Il est donc parfaitement possible de poursuivre pour la même infraction à la fois l organe ou le représentant et la personne morale pour le compte de laquelle l infraction a été commise 17. Mais l article 121-2 alinéa 3 du Code pénal n impose pas non plus ce cumul qui serait d ailleurs contraire au principe de l opportunité des poursuites. Il en résulte une certaine disparité en fonction des politiques pénales mises en œuvre par les Parquets. Une circulaire 18 a toutefois donné des indications sur la politique pénale à mener selon que l infraction est ou non intentionnelle. Lorsque l infraction reprochée est intentionnelle, il est ainsi précisé que la règle devra être la poursuite non seulement de la personne morale mais aussi de ses organes ou représentants auteurs des faits. En revanche, lorsqu il s agit de poursuivre des infractions non intentionnelles (auxquelles sont assimilées des infractions dites techniques pour lesquelles «l intention coupable peut résulter de la simple inobservation en connaissance de cause» d une réglementation particulière), la circulaire conseille de privilégier la poursuite de la seule personne morale et de ne mettre en cause la personne physique que si une faute personnelle est suffisamment établie à son encontre pour justifier une responsabilité pénale. Cette dernière affirmation peut toutefois étonner puisque la responsabilité pénale de la personne morale implique que l infraction ait été commise par son organe ou son représentant 15 Voir Cass. crim., 20 juin 2006 : JurisData n 2006-034397 ; Bull. crim. n 188 ; Dr. pén. 2006, comm. 128, note M. Véron ;Rev. sc. crim. 2006, p. 825, obs. Y. Mayaud ; Rev. sociétés 2006, p. 895, obs. B. Bouloc ; D. 2007, p. 617, obs. J.-C. Saint-Pau ; Cass. crim., 26 juin 2007 : JurisData n 2007-040305 ; Dr. pén. 2007, comm. 135, note M. Véron ; Cass. crim., 20 février 2008 : JurisData n 2008-043263 ; Bull. crim. n 43 ; Dr. pén. 2008, comm. 67, note M. Véron ; v. également Cass. crim., 1 er décembre 2009, inédit : n du pourvoi 09-82140. 16 Cass. crim., 25 juin 2008 : JurisData n 2008-044943 ; Dr. pén. 2008, comm. 140 (2 ème espèce), note M. Véron. 17 v. par ex. Cass. crim., 11 mars 2003 : JurisData n 2003-018408 ; Bull. crim. n 65 ; Dr. pén. 2003, comm. 84, note M. Véron). Parce qu il ne s agit pas de punir les mêmes personnes, la solution n est évidemment pas contraire à la règle non bis in idem. 18 Circulaire du Garde des Sceaux relative à l entrée en vigueur au 31 décembre 2005 des dispositions de la loi n 2004-204 du 9 mars 2004 généralisant la responsabilité pénale des personnes morales Bulletin officiel du ministère de la Justice du 27 avril 2006 6

ce qui permet ipso facto d établir que ce dernier, sauf peut-être existence d une cause de nonresponsabilité personnelle, a commis une faute personnelle! A ) Responsabilité civile Dans certains cas, la responsabilité de la personne morale (voir supra) peut se combiner avec la responsabilité personnelle des dirigeants sociaux. Dans ce cas, personne morale et dirigeants seront condamnés in solidum. Il n y a pas de texte général pour fonder cette responsabilité mais les différents textes, propres à des formes de société, pose en réalité des conditions semblables. Pour la SARL, l art L. 223-22 du Code de commerce dispose ainsi que : «Les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Si plusieurs gérants ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage. Outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, les associés peuvent, soit individuellement, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'etat, intenter l'action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l'entier préjudice subi par la société à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués. Est réputée non écrite toute clause des statuts ayant pour effet de subordonner l'exercice de l'action sociale à l'avis préalable ou à l'autorisation de l'assemblée, ou qui comporterait par avance renonciation à l'exercice de cette action. Aucune décision de l'assemblée ne peut avoir pour effet d'éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour faute commise dans l'accomplissement de leur mandat». Pour les SA, une disposition équivalente figure à l article L225-251 C. com : «Les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Si plusieurs administrateurs ou plusieurs administrateurs et le directeur général ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.» 19 On peut d ailleurs trouver une disposition similaire avec l article 1850 du Code civil en ce qui concerne les sociétés civiles. Ce texte prévoit en effet que «chaque gérant est responsable 19 V. également l article L. 225-249 C. com. qui prévoit la responsabilité des fondateurs de la société auxquels la nullité de la société est imputée : «Les fondateurs de la société auxquels la nullité est imputable et les administrateurs en fonction au moment où elle a été encourue peuvent être déclarés solidairement responsables du dommage résultant pour les actionnaires ou pour les tiers de l'annulation de la société. La même responsabilité solidaire peut être prononcée contre ceux des actionnaires dont les apports ou les avantages n'ont pas été vérifiés et approuvés.». 7

individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion. Si plusieurs gérants ont participé aux mêmes faits, leur responsabilité est solidaire à l'égard des tiers et des associés. Toutefois, dans leurs rapports entre eux, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.». Si cette faute de gestion doit bien sûr être prouvée, elle n a pas à être lourde ou dolosive pour engager la responsabilité du dirigeant 20. L existence de cette faute doit être appréciée par le juge au moment où les actes ont été pris pour ne pas déduire le caractère fautif de la gestion du simple fait de ses conséquences sur la situation de la société. Il faut ensuite préciser que lorsque la responsabilité du dirigeant est recherchée à l égard des tiers, leur responsabilité est subordonnée à la preuve supplémentaire d une faute personnelle séparable des fonctions. La raison avancée en est qu en principe, à l égard des tiers, les dirigeants agissent au nom et pour le compte de la personne morale qui est donc seule engagée. Seule une faute spécifique du dirigeant, établissant qu il est sorti de sa fonction de représentant de la société peut donc justifier qu il engage sa responsabilité personnelle à l égard des tiers. La jurisprudence a précisé la définition de cette faute séparable des fonctions qui est ainsi caractérisée lorsque le dirigeant «commet intentionnellement une faute d une particulière gravité incompatible avec l exercice normal des fonctions sociales» 21. Il a ensuite été précisé que la commission par le dirigeant d une infraction pénale intentionnelle établit cette faute personnelle séparable des fonctions 22. Lorsque la responsabilité civile du dirigeant est reconnue, il doit bien évidemment réparer l intégralité du préjudice subi 23. En principe, chaque dirigeant n a à répondre que de ses propres fautes et non de celles des autres dirigeants (lorsque la société en compte plusieurs). Cependant une responsabilité solidaire des dirigeants est parfois possible par exemple lorsqu elle résulte de la commission d une infraction pénale ou lorsqu elle est prévue expressément par une disposition. La jurisprudence a également reconnu une responsabilité in solidum lorsqu il y a faute commune des dirigeants 24. En cas de solidarité ou d obligation in solidum, la victime peut demander réparation intégrale à chacun des responsables. Une fois la victime indemnisée, le ou les responsables ayant payé disposeront d un recours subrogatoire, la contribution de chacun à la dette de réparation devant être fixée en fonction des fautes commises. Une assurance peut bien évidemment couvrir les conséquences civiles des fautes des dirigeants (à l exclusion des fautes intentionnelles ou frauduleuses). Il est d ailleurs de pratique courante que le paiement des primes de l assurance-responsabilité des dirigeants soit assuré par la personne morale B) Responsabilité pénale Sur la responsabilité des sociétés et de leurs dirigeants v. supra. 20 Cass. civ. 1 ère, 26 novembre 1974, n 73-13555, JCP G 1975, IV, p. 17. 21 Cass. com., 20 mai 2003, n 99-17092, D. 2003, p. 1502, note Lienhard. 22 Cass. com. 28 septembre 2010, n 09-66255. V. également Cass. crim. 20 mai 2003, n 02-84307, Bull. crim n 101. 23 V. cependant infra la responsabilité en matière de procédures collectives. 24 Cass. com. 22 mai 1957, Bull civ III, n 165. 8

Sur les infractions, relatives à l activité de l entreprise, celles-ci sont nombreuses. Elles touchent aussi bien à : - la constitution de l entreprise (omission de déclaration du capital dans les statuts d une SARL, émission illicite d actions, négociation illicite d action, majoration frauduleuse des apports en nature ) - à l administration de l entreprise (sanction de différents abus : abus des biens, du crédit, des pouvoirs et des voix) - à la comptabilité de l entreprise (omission d établissement des comptes sociaux, défaut de présentation des comptes sociaux à l assemblée générale, omission de communication des comptes au comité d entreprise, omission de déposer les comptes au greffe du tribunal de commerce, infractions relatives à la répartition des dividendes) Sans compter les infractions qui sont relatives à l activité de l entreprise (délits boursiers délit d initié ; infractions relevant du droit de la consommation pratiques commerciales trompeuses ou agressives, abus de faiblesse, fraudes fiscales ). C) Responsabilité administrative Une responsabilité administrative peut être encourue par les sociétés notamment en ce qui concerne les manquements boursiers ou le domaine de la concurrence. Cette responsabilité relève d autorités administratives indépendantes (AAI, respectivement Autorité des marchés financiers ou AMF et Autorité de la concurrence) et est parfois qualifiée de parapénale compte tenu des importants pouvoirs de sanction détenus par ces AAI. Les sanctions prononcées peuvent ainsi être de nature disciplinaire (visant les professionnels et pouvant consister en des avertissements, blâmes, interdiction temporaire ou définitive d exercer ou encore en une sanction pécuniaire) ou de nature administrative (sanction pécuniaire). La difficulté est que les manquements qui sont sanctionnés par ces AAI peuvent être très proches de délits pénaux. C est notamment le cas en matière boursière, le manquement (administratif) d initié étant très proche du délit d initié (infraction pénale). La question du cumul des sanctions et principalement de l amende- administrative et pénale se pose donc lorsque l AAI et le juge pénal sont saisis des mêmes faits. Le droit français admet le cumul de ces sanctions, le Conseil constitutionnel ayant décidé que «lorsqu une sanction administrative est susceptible de se cumuler avec une sanction pénale, le principe de proportionnalité implique qu en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l une des sanctions encourues» 25. En pratique, parce que l AMF statuera bien avant le juge pénal et peut prononcer des sanctions pécuniaires généralement plus élevées que les amendes pénales, le juge pénal se voit ainsi relégué dans un second rôle. La question est ainsi régulièrement posée de savoir si ces AAI ne mettent pas en œuvre un droit répressif plus adapté notamment au mode des affaires- que le droit pénal 26 La situation est différente en droit de la concurrence puisque le domaine des sanctions pénales et celui des sanctions administratives n y est pas identique. Ainsi les pratiques 25 Cons. const. décision n 97-395 Dc du 30 décembre 1997, Rec. Cons. const., p. 333. 26 Sur ce point, v. notamment M. Cohen-Branche, Le droit répressif non pénal : un droit plus adapté? L exemple de l autorité des marchés financiers, Dr. pénal 2009, Etudes 22. 9

anticoncurrentielles des entreprises (abus de position dominante, abus de dépendance économique 27 ) relèvent de la compétence de l AAI tandis que la compétence pénale ne s exerce qu à l égard des personne physique participant frauduleusement à ces pratiques anticoncurrentielles 28. D) responsabilité en droit du travail La personne morale encourt une responsabilité en tant qu employeur (il faut ainsi distinguer la personne morale qui a seule la qualité d employeur de son dirigeant qui reçoit la qualité de chef d entreprise). Les litiges découlant du contrat de travail sont portés devant un conseil des prud hommes (juridiction du premier degré) composée uniquement de juges élus par leurs pairs (salariés ou employeur) en nombre égal 29 sans présidence d un magistrat professionnel 30. L action individuelle (d un salarié contre son employeur ou de l employeur contre son salarié) est soumise aux conditions générales applicables à l action en justice 31. Mais sont également ouvertes des actions exercées par les syndicats : - soit le syndicat se substitue au salarié si ce dernier ne s y oppose pas. L action exercée par le syndicat est alors individuelle 32 - soit le syndicat intervient à une instance dans laquelle un salarié est partie à condition que l intérêt collectif de la profession soit en jeu 33 Le Code du travail comporte un nombre important d obligations qui pèsent sur l employeur et sur ses délégataires. En matière d hygiène et de sécurité, ces obligations donnent lieu à des règles spécifiques s agissant de la responsabilité pénale. Pour ce qui est de la responsabilité pénale, la responsabilité est imputée à "l'employeur" 34 ce qui aurait dû permettre de viser directement la personne morale (lorsqu'il y en a une) mais en 27 Art. L. 420-2 C. com. 28 L art. L. 420-6 C. com. dispose ainsi que «Est puni d'un emprisonnement de quatre ans et d'une amende de 75000 euros le fait, pour toute personne physique de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en oeuvre de pratiques visées aux articles L. 420-1 et L. 420-2. Le tribunal peut ordonner que sa décision soit publiée intégralement ou par extraits dans les journaux qu'il désigne, aux frais du condamné. Les actes interruptifs de la prescription devant l'autorité de la concurrence en application de l'article L. 462-7 sont également interruptifs de la prescription de l'action publique» 29 Art. 1421-1 C. trav. 30 Ce qui oblige à recourir à un tiers départiteur (le juge d instance) en cas de partage des voix. 31 Sur ce point, v. J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 26 ème éd. 2012, n 109, p. 140. 32 v. J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 26 ème éd. 2012, n 109, p. 141 et n 978, p. 1014 et 1015 33 v. J. Pélissier, G. Auzero, E. Dockès, Droit du travail, Précis Dalloz, 26 ème éd. 2012, n 109 p. 141 et n 979, p. 1015 et s 34 V. l art. L. 4741-1 du C. trav : «Est puni d'une amende de 3 750 euros, le fait pour l'employeur ou son délégataire de méconnaître par sa faute personnelle les dispositions suivantes et celles des décrets en Conseil d'etat pris pour leur application : 1 Titres Ier, III et IV ainsi que section 2 du chapitre IV du titre V du livre Ier ; 10

réalité la jurisprudence impute l'infraction au chef d'établissement ou à son délégataire ce qui vise donc le dirigeant de la personne morale ou son délégataire. L imputation de l infraction au dirigeant ou au délégataire permet cependant ensuite, en application de l article 121-2 du Code pénal d engager la responsabilité pénale de la personne morale 35. Par ailleurs, il est possible de faire peser le paiement de l amende à laquelle a été condamné le délégataire sur l employeur, c est-à-dire sur la personne morale. L article L4741-2 dispose en effet que «Lorsqu'une des infractions énumérées à l'article L. 4741-1, qui a provoqué la mort ou des blessures dans les conditions définies aux articles 221-6, 222-19 et 222-20 du code pénal ou, involontairement, des blessures, coups ou maladies n'entraînant pas une incapacité totale de travail personnelle supérieure à trois mois, a été commise par un délégataire, la juridiction peut, compte tenu des circonstances de fait et des conditions de travail de l'intéressé, décider que le paiement des amendes prononcées sera mis, en totalité ou en partie, à la charge de l'employeur si celui-ci a été cité à l'audience». Cette possibilité (également posée par le Code de la route au profit du conducteur préposé, le paiement de l amende pouvant alors être mis à la charge de son commettant 36 ) est remarquable en ce qu elle fait exception au principe de personnalité des peines qui implique que seule la personne déclarée pénalement responsable est tenue de supporter le poids de la sanction pénale. Ce transfert du paiement de l amende ne concerne que l exécution de la sanction pénale et aucunement la culpabilité : autrement dit, seul le délégataire en sa qualité d auteur de l infraction est déclaré pénalement responsable. L employeur est seulement déclaré débiteur du paiement de l amende ce qui ne peut figurer sur son casier judiciaire et ne peut donc être pris en compte au titre d une quelconque récidive 37. Il a par ailleurs été jugé que ce transfert est une possibilité relevant de la seule appréciation des juges du fond et que le délégataire ne pouvait donc en exiger le prononcé 38. En revanche la doctrine s entend pour considérer que si le transfert a été décidé, l employeur ne peut exercer d action récursoire à l égard du délégataire 39. On peut enfin mentionner la faculté reconnue aux syndicats d'agir dans l'intérêt collectif de la profession, y compris au pénal. Le comité d'entreprise ne peut quant à lui agir que lorsque son intérêt personnel est en cause 40. En ce qui concerne le paiement des cotisations de sécurité sociale, lorsque l'employeur est une société ou une collectivité, la détermination de la personne responsable du paiement ne 2 Titre II du livre II ; 3 Livre III ; 4 Livre IV ; 5 Titre Ier, chapitres III et IV du titre III et titre IV du livre V ; 6 Chapitre II du titre II du présent livre. La récidive est punie d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 9 000 euros. L'amende est appliquée autant de fois qu'il y a de salariés de l'entreprise concernés indépendamment du nombre d'infractions relevées dans le procès-verbal prévu à l'article L. 8113-7» 35 Sur ce point, v. supra. 36 Art. 121-1 al 2 Code de la Route. 37 V. Ph. Conte, Du particularisme des sanctions en droit pénal de l entreprise, in Bilan et perspectives du droit pénal de l entreprise, Economica 1989, p. 75. 38 Cass. crim. 11 juillet 1978, Bull. crim. n 231 ; Rev. sc. Crim. 1984, p. 59, obs. Jean Larguier. 39 V. Notamment Y. Reinhard, La loi du 6 décembre 1976 et la responsabilité des infractions relatives à l hygiène et à la sécurité au travail, Rev. sc. crim. 1978, p. 257. 40 Ce qui n'est pas le cas, par ex. en matière d'abus de biens sociaux. 11

présente aucune difficulté : c'est la personne morale 41. La question qui se pose toutefois est de savoir si la responsabilité personnelle des représentants des personnes morales peut également être mise en jeu. - en ce qui concerne les Sociétés anonymes (SA) et sociétés à responsabilité limitée (SARL), leurs dirigeants sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, «des fautes commises dans leur gestion» 42 mais la seule constatation du non-paiement des cotisations ne constitue pas en soi une telle faute 43. - en ce qui concerne en revanche les sociétés de personnes, les associés sont responsables solidairement des dettes contractées pendant leur gestion commune. D) Responsabilité fiscale Le paiement des impôts de la société lui incombe évidemment mais, dans certaines hypothèses, les dirigeants peuvent être déclarés solidairement responsables du paiement de ces impositions. L article L 267 du Livre des procédures fiscales dispose ainsi que : «Lorsqu'un dirigeant d'une société, d'une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des manœuvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s'il n'est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d'une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal de grande instance. A cette fin, le comptable public compétent assigne le dirigeant devant le président du tribunal de grande instance du lieu du siège social. Cette disposition est applicable à toute personne exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement. Les voies de recours qui peuvent être exercées contre la décision du président du tribunal de grande instance ne font pas obstacle à ce que le comptable prenne à leur encontre des mesures conservatoires en vue de préserver le recouvrement de la créance du Trésor.» Cette disposition vise aussi bien le dirigeant de droit que le dirigeant de fait. Le dirigeant de droit pourra toutefois échapper à cette responsabilité s il établit qu il n a pas exercé ses pouvoirs de direction. L existence d une délégation de pouvoir effective 44 sera ainsi de nature à transférer cette responsabilité fiscale sur le délégataire. De même, le dirigeant ne saurait engager sa responsabilité fiscale pour le non paiement des impositions dues par la société alors qu elle était en liquidation judiciaire et qu un mandataire de justice avait été nommé pour exercer les droits et actions relatifs au patrimoine de la société 45. Lorsque le dirigeant 41 Lorsque la société ne dispose pas encore de la personnalité morale, la responsabilité du paiement des cotisations incombe solidairement et indéfiniment aux personnes qui ont agi en son nom et ce, en application des articles 1872 et 1873 du Code civil, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits (Cass. soc., 18 déc. 1979, n o 78-11.259, Bull. civ. V, p. 740). 42 Art. L. 223-22 C. com 43 Cass. soc., 2 décembre 1964, n o 62-10.113, D. 1965, p. 489. 44 Le juge vérifiera cependant, comme en matière pénale d ailleurs, la réalité de cette délégation de pouvoirs (v. par exemple, Cass. com. 12 juillet 1983, n 91-16977, RJDA 1993, n 1034) qui ne peut être une simple délégation de signature (Cass. com. 26 juin 2007, n 06-15867, D. 2007, p. 2037). 45 Cass. com., 9 mars 1993, n 90-19565, RJDA1993, n 700. 12

invoque le redressement judiciaire de sa société pour échapper à sa responsabilité fiscale, il doit toutefois prouver qu il a été privé de ses pouvoirs de direction par le jugement d ouverture de la procédure collective 46 L action en responsabilité fiscale des dirigeants est toutefois posée comme subsidiaire c est-àdire qu elle suppose que les actions engagées contre la société ont été inefficaces ou qu elles soient impossibles 47. G) Responsabilité en matière de procédure collective En cas de procédure collective, les dirigeants de la société peuvent voir leur responsabilité civile comme pénale engagée. La responsabilité civile aura pour but de réparer les conséquences dommageables pour les créanciers de l insuffisance d actif dans le patrimoine de la société. Cette responsabilité pour insuffisance d actif était auparavant dénommée «action en comblement de passif» et obéit à un régime spécifique qui est précisé par l article L. 651-2 C. com. Art L. 651-2 C. com : «Lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l'activité d'un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l'insuffisance d'actif. La somme mise à sa charge s'impute sur son patrimoine non affecté. L'action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire. Les sommes versées par les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur. Elles sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers. Les dirigeants ou l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée ne peuvent pas participer aux répartitions à concurrence des sommes au versement desquelles ils ont été condamnés.» La condamnation du dirigeant est subordonnée à la preuve qu il a commis une faute de gestion qui a contribué à cette insuffisance d actif. Ces exigences d une faute et d un lien de causalité sont celles de toute action en responsabilité civile mais l action en responsabilité pour insuffisance d actif n en présente pas moins des particularités notables. La responsabilité qu elle met en œuvre est en effet moins rigoureuse en ce qu elle est laissée à l appréciation du juge qui n est pas obligé de la prononcer (le texte dit en effet qu il «peut» décider que le montant de l insuffisance d actif sera supporté en tout ou partie par les dirigeants) et en ce qu elle n obéit pas au principe de réparation intégrale puisque le juge peut ne mettre qu une partie de l insuffisance d actif à la charge du dirigeant. 46 Cass. com. 16 janvier 2001, n 97-21059, Bull. Joly Sociétés 2001, p. 360. 47 Instruction 6 sept. 1998, BOI 12 C-20-88. V. Cass. com., 13 janvier 2009, n 07-21680 qui vise «l impossibilité définitive de recouvrer les impositions et pénalités dues par la société». 13

Parce qu il s agit donc d un régime dérogatoire, il a été jugé qu en cas de procédure collective frappant une société, le créancier qui invoque un préjudice du fait du non-paiement de sa créance ne peut agir sur le fondement du droit commun de la responsabilité 48. La responsabilité pénale est liée à la condamnation du dirigeant pour banqueroute. L article L. 654-2 du Code de commerce dispose en effet que «En cas d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, sont coupables de banqueroute les personnes mentionnées à l'article L. 654-1 contre lesquelles a été relevé l'un des faits ci-après : 1 Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, soit fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ; 2 Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif du débiteur ; 3 Avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur ; 4 Avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l'entreprise ou de la personne morale ou s'être abstenu de tenir toute comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ; 5 Avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions légales» Peut ainsi se rendre coupable de cette infraction 49 : - toute personne exerçant une activité commerciale ou artisanale, tout agriculteur et toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ; - toute personne qui a, directement ou indirectement, en droit ou en fait, dirigé ou liquidé une personne morale de droit privé ; - les personnes physiques représentants permanents de personnes morales dirigeants des personnes morales définies ci-dessus Les peines encourues sont de cinq ans d emprisonnement et de 75000 euros d amende (art. L. 654-3 C. com). Des peines complémentaires sont également encourues : - l interdiction des droits civiques, civils et de famille suivant les modalités de l article 131-26 CP - l interdiction d exercer une fonction publique ou l activité professionnelle à l occasion de laquelle l infraction a été commise soit d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d'exercice peuvent être prononcées cumulativement ; - L'exclusion des marchés publics pour une durée de cinq ans au plus ; - L'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d'émettre des chèques autres que ceux qui permettent le retrait de fonds par le tireur auprès du tiré ou ceux qui sont certifiés ; 48 Pour une décision refusant que le créancier puisse agir sur le fondement de l article L. 223-22 du Code de commerce, v. Cass. com., 28 février 1995, n 92-17329, Rev. Sociétés 1995, p. 555, note Derrida ; pour une décision refusant le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil à un liquidateur agissant en réparation du préjudice global des créanciers du fait de l insuffisance d actif, v. Cass. com., 20 juin 1995, n 93-12810, Bull. Joly Sociétés 1995, p. 953, note Daigre. 49 Art. L. 654-1 C. com. 14

- L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal Enfin, le juge pénal peut également prononcer à l égard de l auteur du délit de banqueroute soit la faillite personnelle de celui-ci, soit l'interdiction de gérer 50, à moins qu'une juridiction civile ou commerciale ait déjà prononcé une telle mesure par une décision définitive prise à l'occasion des mêmes faits 51. 50 Plus précisément : interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.art (art. L 653-8 C. com.). 51 Art. L. 654-6 C. com. La chambre criminelle de la Cour de cassation a bien précisé dans un arrêt du 31 octobre 2007 que «l impossibilité pour la juridiction pénale de prononcer une mesure de faillite personnelle ou d interdiction de gérer, lorsqu une juridiction civile ou commerciale a déjà prononcé une telle mesure par une décision définitive ( ) ne s applique que si cette décision a été prise à l occasion des mêmes faits». 15