Stratégie et pratiques d affaires : Un alignement qui conduit à la performance. Éditorial

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VOLUME 12 NUMÉRO 2Mai 201 2 Stratégie et pratiques d affaires : Un alignement qui conduit à la performance Bulletin InfoPME Le bulletin InfoPME a pour objectif de présenter des statistiques fidèles et à jour sur l état des PME, des chroniques sur des thèmes d actualité importants et des notes sur divers phénomènes touchant les PME afin de fournir des informations pertinentes aux entrepreneurs, aux conseillers économiques, aux consultants, aux banquiers et aux chercheurs intéressés au développement de ces entreprises. Il est publié trois fois par année et disponible sur le site www.uqtr.ca/larepe. Éditorial Les recherches portant sur les PME confirment depuis longtemps l importance de leurs dirigeants dans le succès de celles-ci. Les plus récentes études en stratégie ont également mis en évidence l importance de la cohérence entre l approche entrepreneuriale du dirigeant, la structure de son entreprise et le processus de production mis de l avant par celui-ci. Ces trois éléments devant s harmoniser pour une entreprise performante. Les chercheurs Lacoursière et St-Pierre de l INRPME ont voulu vérifier la validité de cette cohérence organisationnelle sur la performance des entreprises en utilisant un échantillon de 403 PME québécoises. Empruntant à Miles et Snow (1978) leur taxonomie des trois types d entrepreneurs (prospecteurs, analystes et défenseurs), ils ont étudié les problématiques entrepreneuriale, d ingénierie et administrative permettant le classement des PME de l échantillon selon l un des trois profils d entrepreneurs. Les résultats obtenus sont révélateurs. Les trois profils ont pu être clairement identifiés au sein de l échantillon de PME, malgré quelques divergences, avec des pratiques d affaires, de GRH, des capacités en gestion financière, etc. variant selon le profil. Également, cette recherche confirme l hétérogénéité des PME dont les organisations, les choix de routines, de pratiques d affaires, d équipements ou de technologies s alignent bel et bien sur une stratégie de développement bien définie par leurs dirigeants. Enfin, les PME de l échantillon, malgré leurs profils différents, maintiennent une performance comparable, mais mesurée selon des critères différents, confortant ainsi l hypothèse de l harmonie entre l organisation de l entreprise et sa stratégie comme facteur de performance. En conclusion, c est la cohérence entre la stratégie définie et les choix de routines et de mode d organisation qui constitue le meilleur garant d une performance enviable. Bonne lecture! Claire V. de la Durantaye, Ph.D. Chercheure associée INRPME

Stratégie et pratiques d affaires : Un alignement qui conduit à la performance RICHARD LACOURSIÈRE, Professionnel de recherche Institut de recherche sur les PME Courriel : Richard.Lacoursiere@uqtr.ca JOSÉE ST-PIERRE, Ph.D., Directrice du Laboratoire de recherche sur la performance des entreprises Courriel : Josee.St-Pierre@uqtr.ca INTRODUCTION C est un fait bien connu que la façon de «faire des affaires» change avec les époques, ce qui oblige les dirigeants d entreprises à adapter non seulement leurs façons de concevoir, de produire et de livrer leurs produits ou services, mais aussi à revoir leur modèle d affaires de façon à pouvoir tirer le meilleur parti possible des changements qui s opèrent dans le monde des affaires. L ouverture des marchés, l intensification de la concurrence, l essor technologique et, depuis peu, les changements démographiques, sont autant de facteurs qui contribuent à modifier les conditions de réussite des PME, obligeant les dirigeants à réviser leur stratégie, leur structure et leurs processus d affaires. Le fait qu elles constituent des organisations «collées» à leur environnement rend les PME particulièrement vulnérables et les oblige à s adapter rapidement aux pressions et aux contraintes qui en émanent. Comment les PME s y prennent-elles pour survivre et évoluer dans leur environnement? Quelles sont les différentes stratégies qu elles adoptent? Et comment ces stratégies se reflètent-elles dans les structures et les processus de l entreprise? Voilà les questions auxquelles nous tenterons de répondre dans les pages qui suivent. LE CHOIX D UNE STRATÉGIE Pour survivre et se développer dans leur environnement, les PME doivent adopter une stratégie qui leur permettra de «tirer leur épingle du jeu». Certaines le feront en misant sur l offre d un produit au plus bas prix, tandis que d autres opteront plutôt pour l offre de produits très spécialisés ou à fort contenu technologique. Ce sont là des stratégies bien différentes et qui font appel à des modes de gestion eux aussi bien différents. Il appartient aux dirigeants de PME de choisir la stratégie qui leur convient, en fonction de leurs aspirations et de leurs objectifs personnels. On observe une variété de stratégies d entreprise menant à l élaboration de différentes classifications qui ont été proposées au cours des années. Cependant, la plupart de ces classifications s appliquent principalement aux grandes entreprises et leur transposition aux PME n est ni évidente, ni automatique. La classification élaborée par Raymond Miles et Charles Snow en 1978 1 s avère toutefois applicable en contexte de PME, comme l ont démontré certaines études empiriques. C est donc cette typologie que nous allons retenir pour la suite de cet article. 1- Miles, R. E. et C.C. Snow (1978). Organizational Strategy, Structure, and Process, New York: McGraw Hill. La typologie de Miles et Snow (1978) comporte trois principaux types de stratégies, soit celles des, des et des. Les sont des entreprises qui ciblent un marché bien défini et relativement stable qu elles s efforceront de contrôler grâce à une efficience et une productivité leur permettant d offrir des prix très compétitifs. Les sont des entreprises flexibles qui innovent continuellement et qui cherchent à développer de nouveaux marchés. Quant aux, il s agit d entreprises «hybrides» qui combinent certains aspects des et certains aspects des. En guise d assise à leur typologie devenue classique 2, Miles et Snow (1978) expliquent que les organisations sont confrontées à trois grandes problématiques qu elles doivent résoudre de façon séquentielle et cyclique : Page 1

la problématique entrepreneuriale, que l on résout en effectuant des choix relatifs aux produits et marchés ; la problématique d ingénierie, que l on résout en effectuant des choix relatifs aux technologies appropriées pour répondre adéquatement aux besoins du marché ; la problématique administrative, que l on résout en effectuant des choix relatifs aux structures à mettre en place pour assurer la coordination des activités commerciales et de production. Par exemple, pour résoudre la problématique entrepreneuriale, certains dirigeants opteront pour une gamme de produits innovateurs et des marchés diversifiés tandis que d autres opteront plutôt pour des produits traditionnels et un marché bien ciblé. Une fois que la problématique entrepreneuriale est résolue et que les choix sont faits en matière de produits et marchés, les dirigeants doivent ensuite décider des technologies à utiliser et du mode de production à mettre en place (problématique d ingénierie). Certains préféreront une technologie qu ils connaissent bien et qu ils maîtrisent parfaitement, tandis que d autres privilégieront des technologies nouvelles et diversifiées en vue de pouvoir mettre rapidement en marché de nouveaux produits. Finalement, après avoir résolu les problématiques entrepreneuriale et d ingénierie, les dirigeants devront voir à mettre en place une structure administrative et des processus de gestion qui permettent d assurer le bon fonctionnement de l organisation. Tel qu illustré à la figure 1, la recherche et la mise en œuvre de solutions visant à résoudre ces trois problématiques donnent lieu à ce que Miles et Snow ont décrit comme étant un cycle adaptatif (adaptive cycle). Suivant ce cycle, les dirigeants doivent d abord résoudre la problématique entrepreneuriale, puis la problématique d ingénierie et finalement la problématique administrative. Bien qu elles doivent être résolues de façon séquentielle lors du lancement d une entreprise, ces trois problématiques doivent ensuite être gérées simultanément et révisées continuellement pour répondre aux nouvelles exigences de l environnement. Figure 1 : Le cycle adaptatif (adapté de Miles et Snow, 1978) entrepreneuriale (produit/ marché) administrative (structure, coordination) d ingénierie (technologie) Quoique les solutions retenues pour résoudre les trois problématiques soient différentes selon que l on est une entreprise de type Défenseur, Prospecteur ou Analyste, il n en demeure pas moins que 2- Que l on retrouve dans les différents ouvrages et textes sous l appellation des Defenders, Prospectors, Analyzers. Page 2

les choix effectués sont soumis à une certaine logique. Ultimement, les solutions retenues pour résoudre les trois problématiques devraient être cohérentes entre elles et constituer ce qu il est convenu d appeler un «profil» d entreprise. Un profil d entreprise peut se comparer à une photo qui permet d examiner l assemblage de différentes variables (choix de produit/marché, technologies utilisées, mode de production, réseautage, pratiques de gestion, etc.) à un moment précis de la vie d une organisation. Comme l organisation se trouve dans un système économique évolutif, elle devra elle-même évoluer et ajuster occasionnellement son profil aux nouveaux enjeux auxquels elle se trouve confrontée. À quoi ressemblent ces profils? Voilà ce que nous allons définir dans les paragraphes qui suivent, alors que l annexe 1 en présente les grandes lignes. Nous allons ensuite analyser les données d un groupe d entreprises manufacturières québécoises pour illustrer plus concrètement à quoi ressemblent les profils discutés. DESCRIPTION DES PROFILS ÉLABORÉS PAR MILES ET SNOW LE DEFENSEUR - En réponse au problème entrepreneurial, le Défenseur cible un marché bien défini et relativement stable qu il s efforcera de contrôler avec une offre agressive de produits à prix compétitifs et un excellent service à la clientèle. Cette stratégie en est une de type conservateur et on y recherche d abord l efficience et la productivité. - En réponse au problème d ingénierie, le Défenseur choisira une technologie pour laquelle il développera un niveau élevé de maîtrise et qu il s efforcera d utiliser à pleine capacité, ce qui lui permettra d être efficient. - En réponse au problème administratif, le Défenseur mettra en place une structure centralisée dont les fonctions les plus développées seront celles de la production et du contrôle. Les entreprises optant pour une stratégie de Défenseur peuvent s avérer de redoutables compétiteurs. Toutefois, ces entreprises - qui misent avant tout sur la stabilité - sont vulnérables aux changements qui surviennent dans l environnement et ne sont pas bien positionnées pour exploiter les nouvelles opportunités qui pourraient se présenter. LE PROSPECTEUR - Contrairement au Défenseur, le Prospecteur a choisi de résoudre le problème entrepreneurial en cherchant continuellement à développer de nouveaux produits et à conquérir de nouveaux marchés. C est là sa principale force. Le Prospecteur est donc constamment à l affût de ce qui se passe dans l environnement et il n hésite pas à acquérir de nouvelles technologies qui lui permettront de demeurer à l avant-garde. - En réponse au problème d ingénierie, le Prospecteur opte pour une gamme diversifiée de technologies qui s ajoutent les unes aux autres à mesure que se diversifient les produits. Pour le Prospecteur, la solution au problème d ingénierie consiste à répondre à la question «Quels produits devrions-nous faire (compte tenu de l évolution des technologies accessibles sur le marché)?» tandis que pour le Défenseur, il s agit plutôt de répondre à la question «Quels produits pouvons-nous faire (avec la technologie que nous maîtrisons déjà)»? On pourrait ajouter que le Prospecteur mise davantage sur les connaissances et le savoir-faire des individus que sur la maîtrise d une technologie spécifique. - En réponse au problème administratif, le Prospecteur opte pour la mise en place d une structure flexible visant à faciliter les opérations plutôt qu à les contrôler. Le Prospecteur privilégiera donc une structure décentralisée, favorisant la responsabilisation et l autonomie. Par sa capacité de développement de produits, le Prospecteur s avère lui aussi un redoutable compétiteur. Puisqu il mise sur les individus davantage que sur une technologie spécifique, le Prospecteur pourrait toutefois se remettre difficilement du départ de certains employés-clés difficilement remplaçables. Sa tendance à la diversification - et possiblement à une trop grande dispersion - pourrait aussi faire en sorte que le Prospecteur devienne inefficient. Page 3

L ANALYSTE L Analyste se situe en quelque sorte à mi-chemin entre le Prospecteur et le Défenseur et il recherche un certain équilibre dans les solutions qu il met en place pour répondre à ses différents problèmes. - En réponse à son problème entrepreneurial, l Analyste choisit d exploiter de nouveaux produits et de nouveaux marchés tout en cherchant à préserver sa base traditionnelle de produits et de clients. Il misera habituellement sur une fonction marketing bien développée et sur une bonne ingénierie (production, distribution) pour soutenir cette stratégie hybride. - En réponse à son problème d ingénierie, l Analyste aura recours à une technologie bien maîtrisée pour ses produits de base tandis qu il mandatera une équipe de recherche et développement (R&D) pour voir à la mise au point de produits ou de procédés nouveaux ou améliorés. - Finalement, en réponse à son problème administratif, l Analyste optera encore une fois pour une solution intermédiaire visant à mettre en place une structure qui lui permette de faciliter les opérations tant pour sa ligne traditionnelle de produits de base que pour sa ligne de produits nouveaux. Tout comme le Prospecteur et le Défenseur, l Analyste arrive à tirer son épingle du jeu face à ses compétiteurs grâce à sa position d équilibre. Toutefois, s il lui arrivait de perdre cet équilibre, l Analyste pourrait éprouver des difficultés à se relever. Voilà donc les trois grands profils stratégiques tels que définis par Miles et Snow (1978). Qu en est-il, maintenant, des profils que l on observe au sein des PME québécoises? Peut-on effectivement y distinguer différents profils, alors que les PME sont souvent considérées comme n ayant pas de stratégie dans leurs choix organisationnels ni leur développement? Et observe-t-on une certaine cohérence entre les routines (pratiques d affaires) adoptées par les PME et leur orientation stratégique? C est ce que nous allons vérifier en analysant un échantillon de 403 PME québécoises pour lesquelles nous disposons de données confidentielles permettant de vérifier la présence des profils décrits. COMMENT LES PME QUÉBÉCOISES DÉFINISSENT-ELLES LEUR ORGANISATION? D entrée de jeu, mentionnons qu on qualifie l orientation stratégique de l entreprise à partir de ses actions en termes de développement de produits et de marchés. Les «innovent continuellement et introduisent régulièrement de nouveaux produits/services». Les dirigeants «désirent atteindre prioritairement leurs objectifs avec les produits/services existants, tout en cherchant à introduire prudemment un ou plusieurs produits/services qui ont fait leurs preuves sur le marché». Et finalement, les dirigeants «désirent d abord maintenir leurs parts de marché avec les produits/services existants en cherchant à diminuer leurs prix et/ou accroître leur qualité». Tel qu on pourra l observer dans les tableaux qui suivent, les pratiques d affaires appliquées dans les PME s avèrent plus ou moins développées selon le type de stratégie adoptée par leur dirigeant. En effet, une analyse des PME de notre échantillon permet de constater que selon le type de stratégie adoptée, les dirigeants de PME développent des combinaisons différentes de capacités en vue de résoudre les problématiques entrepreneuriale (capacités de développement de produits), d ingénierie (capacités technologique et réticulaire) et administrative (capacités de gestion des ressources humaines et de gestion financière). En ce qui concerne la problématique entrepreneuriale tout d abord, on peut voir au Tableau 1 que les ont choisi de développer fortement leur capacité de développement de produits. C est leur domaine d excellence et ils présentent à cet égard les scores les plus élevés pour chacune des pratiques, ce qui explique qu ils affichent les plus forts pourcentages de ventes attribuables à des produits nouveaux (15%) et améliorés (27%). Les apparaissent comme étant ceux qui ont le moins développé ces pratiques, ce qui ne les empêche pas d afficher une bonne performance à Page 4

l égard des ventes issues de produits améliorés. Quant aux, ils se situent le plus souvent entre les deux, sauf pour les ventes issues de produits améliorés où ils se classent au troisième rang. Tableau 1 : Pratiques d affaires visant à résoudre la problématique entrepreneuriale (n = 171) (n = 125) (n = 107) Capacité de développement de produits Nombre d employés de R-D/nombre total d employés (%) 5,2 2,1 1,7 Budget R-D dédié aux produits/ventes (%) 2,3 0,6 0,3 Budget R-D dédié aux procédés et équipements/ventes (%) 1,3 0,9 0,8 % ventes issues de produits nouveaux 15,0 11,0 10,9 % ventes issues de produits améliorés 27,1 22,7 24,8 Intensité des activités de prospection de nouveaux clients ou marchés (0 : faible ; 5 : élevée) 3,6 3,2 3,1 Comme on peut le voir au Tableau 2, les solutions visant à résoudre la problématique d ingénierie s avèrent elles aussi différentes en fonction du type stratégique. En matière de capacité technologique tout d abord, on constate que les sont ceux qui affichent le plus haut score pour la maîtrise des technologies de développement de produits, lesquelles incluent le dessin, la conception et la fabrication assistés par ordinateur (DAO, CAO, FAO). Ils affichent également un score égal ou supérieur aux pour la maîtrise des technologies de procédés et de gestion de la production. Globalement, c est au niveau de la capacité technologique que les se positionnent le plus avantageusement par rapport aux deux autres groupes. Néanmoins, leurs pratiques (deux sur trois) demeurent moins développées que celles des. Sans être en mesure d affirmer que la capacité technologique constitue le domaine d excellence des, on peut tout de même dire qu ils démontrent une tendance à vouloir y exceller, principalement en matière de produits améliorés, comme on a pu l observer plus haut (Tableau 1). Ici encore, les se situent à mi-chemin entre les et les, tout comme c est le cas également au niveau de la capacité réticulaire. À cet égard, ce sont encore les qui mènent le jeu, avec une différence marquée au niveau des partenariats de R-D et de conception de produits principalement, ce qui est cohérent avec leur orientation stratégique. Tableau 2 : Pratiques d affaires visant à résoudre la problématique d ingénierie (n = 171) (n = 125) (n = 107) Capacité technologique Maîtrise des technologies de développement de produits (0 à 20) 5,6 5,3 6,4 Maîtrise des technologies de procédés (0 à 25) 5,0 4,2 4,2 Maîtrise des technologies de gestion de la production (0 à 22) 4,2 2,9 3,7 Capacité réticulaire (réseaux, partenariats) Partenariats de R-D et de conception de produits (0 à 6) 1,2 0,8 0,7 Collaborations pour efficience 1,6 1,5 1,4 Collaborations pour expansion 0,8 0,9 0,7 Finalement, on distingue des profils nuancés également en ce qui concerne les solutions visant à résoudre la problématique administrative. Les se démarquent par un niveau de développement globalement plus élevé de leur capacité de GRH, un domaine que les ont moins développé et pour lequel les se situent encore une fois à mi-chemin. Toutefois, il en va autrement de la capacité de gestion financière. Cette fois, ce sont les qui font meilleure figure, ce qui en fait leur domaine d excellence. L intensité des pratiques de GRH des est directement tributaire de l ampleur de leurs efforts consentis à l innovation et à leur orientation consistant à vouloir se distinguer de leurs concurrents, ce qui demande le déploiement de plusieurs pratiques visant à préserver leur capital intellectuel qui constitue leur actif le plus stratégique. Page 5

Tableau 3 : Pratiques d affaires visant à résoudre la problématique administrative entrepreneuriale (n = 171) (n = 125) (n = 107) Capacité de GRH Politique d évaluation du rendement (0 à 5) 2,6 2,4 2,1 Rémunération incitative (0 à 5) 1,9 2,0 1,8 Diffusion d informations stratégiques (1 à 12) 7,7 7,6 7,5 Gestion participative (1 à 5) 2,9 2,7 2,8 Budget de formation en % des ventes (0 à 12 %) 2,0 1,8 1,7 Capacité de gestion financière Pourcentage d entreprises utilisant des états financiers 89 90 84 préparés par un vérificateur externe Pourcentage d entreprises utilisant un budget de caisse 68 60 50 Pourcentage d entreprises utilisant un système de calcul du 70 78 69 prix de revient Pourcentage d entreprises utilisant des états financiers prévisionnels 85 85 76 Comment ces choix se répercutent-ils sur la croissance, la productivité et la rentabilité des entreprises? Tel qu on peut l observer au Tableau 4, les affichent les résultats les plus dynamiques en termes d exportations et de croissance moyenne des ventes. Toutefois, cette croissance semble se faire au détriment de leur efficience puisque les affichent une productivité et une rentabilité moindres que celles des. Par ailleurs, tout en étant ceux qui investissent le moins dans leurs capacités de développement de produits, de développement de partenariats, de GRH et de gestion financière, les s avèrent ceux qui affichent la meilleure productivité et la meilleure rentabilité, faisant également mieux que les en termes de croissance des ventes. Le profil d Analyste continue de se positionner entre les deux autres, faisant mieux que les en matière de productivité et mieux que les en matière d exportations, celles-ci étant probablement liées à la vente de produits simples sur des marchés de masse, plutôt que des produits complexes sur des marchés de niche. Toutefois, les font moins bonne figure que les deux autres groupes en matière de rendement de l actif. Tableau 4 : Performance des PME en fonction de leur orientation stratégique (n = 171) (n = 125) (n = 107) Pourcentage d exportateurs 79 74 59 Pourcentage de ventes à l étranger 30 31 24 Croissance moyenne des ventes des 2 dernières années (%) 20,6 13,9 16,0 Ventes par employé ($) 123 983 136 858 146 038 ROA = Bénéfice net/actif total (%) 7,4 6,8 7,6 CONCLUSION Que pouvons-nous conclure de ce qui précède? D une part, on observe bel et bien des profils différents au sein de notre échantillon de PME. Les trois profils identifiés, sans être en tous points conformes aux profils élaborés par Miles et Snow, se rapprochent tout de même considérablement de ceux-ci. On distingue clairement des pratiques d affaires différentes pour chacun des profils identifiés, les s avérant les plus agressifs dans l ensemble. Les PME affichant ce profil font preuve non seulement d une plus grande capacité de développement de produits, mais aussi d une plus grande capacité réticulaire et d une plus grande capacité de GRH. C est là un profil très cohérent, puisque la capacité réticulaire et la capacité de GRH sont de nature à supporter la capacité de développement de produits, la première en permettant de tirer profit des partenariats, la seconde en favorisant le développement des compétences, la mobilisation et la rétention des employés. Rien d étonnant à ce que ce profil soit associé aux meilleures performances en matière de ventes attribuables à des produits nouveaux, d exportation et de croissance moyenne des ventes. Le profil des s avère lui aussi très cohérent. Les entreprises affichant ce profil sont celles qui investissent le moins dans leur capacité de développement de produits, dans leur capacité Page 6

réticulaire, dans leur capacité de GRH et dans leur capacité de gestion financière, tout en s avérant celles qui maîtrisent le mieux les technologies de développement de produits. Tous ces éléments font en sorte que ces PME sont les plus productives et les plus efficientes. Finalement, tout comme dans la typologie de Miles et Snow, le profil des se trouve un peu à mi-chemin entre les deux autres. «Ni trop, ni trop peu», telle est la cohérence que l on peut voir dans ce profil. Les PME de ce groupe font preuve d un développement «moyen» de toutes leurs capacités, sauf en matière de gestion financière où elles surclassent les deux autres groupes. Tout en étant performantes au niveau des exportations, ces entreprises affichent la plus faible croissance moyenne des ventes. Néanmoins, leur productivité est supérieure à celle des. Ces résultats montrent aussi que les PME ne constituent pas un groupe homogène et que leur organisation et leurs choix de routines, de pratiques d affaires, d équipements ou de technologies s alignent sur une stratégie de développement bien définie par les dirigeants. En outre, l absence de certaines pratiques reconnues par les milieux des affaires n est pas nécessairement un indicateur de déficience, mais peut au contraire révéler les compétences des dirigeants à faire les choix les plus judicieux pour leur organisation menant ainsi à une performance satisfaisante. De fait, quel que soit le profil affiché par les PME, leurs dirigeants finissent en bout de ligne par obtenir des rendements comparables. Ces résultats ont aussi d importantes retombées pour le diagnostic de la PME qui est habituellement réalisé par une comparaison sectorielle sans autre considération. L influence dominante de la stratégie devrait être prise en compte pour une évaluation adéquate de la situation de chaque entreprise. Numéros précédents Numéro 2 : mai 2011 Recherche d opportunités entrepreneuriales Comment mettre le milieu à profit Numéro 3 : septembre 2011 L internationalisation des PME dans un contexte global : Synopsis à partir d une enquête réalisée auprès de manufacturiers québécois Numéro 1 : janvier 2012 «Diagnostiquer» la capacité d innovation des PME par un outil systémique : Innostic Page 7

Annexe 1 - Principales caractéristiques des profils stratégiques de Miles et Snow 3 Plusieurs produits et marchés, certains stables, d autres variables Veille stratégique ciblée (marketing et R-D) Croissance soutenue via pénétration du marché et exploitation de nouvelles opportunités (imitation) Technologie double, comportant une composante stable et une composante flexible Efficience technologique modérée Structure (tendance matricielle) organisée autour du marketing et de l ingénierie Gestion faiblement centralisée avec partage vertical et horizontal de l information Système de récompenses axé marketing et ingénierie Efficaces mais doivent constamment réfléchir à leur portefeuille de produits Peuvent se rendre vulnérables par une trop grande complexité (équilibre stabilité/flexibilité) Marché élargi et en développement continuel Veille stratégique élargie (opportunités) Accent sur l innovation Croissance via le développement de produits et de marchés Recours à différentes technologies selon les besoins Faible degré de routinisation et de mécanisation Technologie ancrée dans le savoir et les compétences des individus Structure simple (tendance divisionnelle) organisée autour des produits (marketing, R-D) Gestion décentralisée avec partage horizontal de l information Travail en équipe (par projets) Système de récompenses axé marketing et R-D Efficaces dans un environnement turbulent Exposés à une trop grande dispersion (manque de focus) et à une faible rentabilité (manque d efficience dans la production et la distribution) Segment de marché étroit et bien ciblé Veille stratégique ciblée (efficience et productivité) Croissance prudente et graduelle via une plus grande pénétration du marché ciblé Développement de produits limité aux produits existants Recours à une seule technologie principale Investissement dans la maîtrise de la technologie pour en améliorer l efficience Structure simple (tendance fonctionnelle) organisée autour de la production et du contrôle Gestion centralisée avec partage vertical de l information Processus standardisés Système de récompenses axé production et finance Difficiles à déloger de leur position Un changement majeur dans leur marché peut compromettre leur survie Faible capacité à exploiter les nouvelles opportunités 3- Que l on retrouve dans les différents ouvrages et textes sous l appellation des Defenders, Prospectors, Analyzers. entrepreneuriale d ingénierie administrative Risques et avantages Institut de recherche sur les PME Université du Québec à Trois-Rivières 3351, boul. des Forges, C.P. 500 Trois-Rivières (Québec) G9A 5H7 www.uqtr.ca/inrpme Téléphone : 819 376-5011, poste 4043 Sans frais : 1 800 365-0922 Télécopieur : 819 376-5138 www.uqtr.ca/larepe larepe@uqtr.ca Page 8