Louis III l aveugle et le piège italien

Transcription

1 Louis III l aveugle et le piège italien Charles le gros vient de donner le titre de roi de Provence à Louis III, mais cette appellation glorieuse ne suffit pas à lui donner une assurance sur le trône. Ermengarde, sa mère, consciente de la puissance des seigneurs ne cherche pas à imposer son fils avant qu il ne soit couronné. A la mort de Charles le Gros, en 888, son neveu Arnulf de Carinthie, fils de Carloman, lui succède au royaume de Germanie. L année suivante, Ermengarde, vint le trouver pour lui faire acte de soumission et lui soumettre les ambitions qu elle avait pour son fils. Elle lui offrit de riches présents et s en alla satisfaite. Dans le même temps, l archevêque de Vienne avait obtenu l agrément du pape Etienne V qui s était ému que la Provence fût demeurée sans roi depuis la mort de Charles le Gros et il avait exhorté ses évêques à mettre le sceptre dans les mains de Louis III, petit-fils par sa mère de l empereur Louis II. En 890, Les seigneurs et prélats réunis en concile à Valence, couronnent Louis III, fils de Boson V, roi d Arles et de Provence. Les premières années, les différents actes qui nous montrent Louis parcourant son royaume : Lyon, Vienne, Orange, Avignon ont peu d intérêts historiques. En 896, un diplôme en faveur de Saint-Chef en Isère signale la présence de sa mère à ses côtés, mais c est peu après qu Ermengarde va mourir. 101

2 Cependant les Sarrasins continuent de piller la Provence. Louis essaye de les chasser mais les guerres civiles qui déchirent l Italie le passionnent davantage. Depuis la mort de Louis II d Italie, quatre rois se disputent ce pays, Carloman et Charles le Gros mais aussi le neveu de ces derniers, Arnulf de Carinthie et Bérenger de Frioul, petit-fils de Louis le Pieux par sa fille Gisèle. Bérenger a été élu roi des Lombards à Pavie en 888 et il n a cesse de lutter pour récupérer le pouvoir face à ses concurrents (Voir notre livre «une aventure généalogique...» page 298, Les rois d Italie où nous évoquons notre ancêtre Bérenger 1er et sa descendance). Au printemps 899, appelé en Italie par les ennemis de Bérenger, Louis III passe les alpes à la rencontre de son adversaire, mais se trouve face à une armée bien plus puissante que la sienne. Pris de frayeur, il conclut un traité de renoncement au trône de Lombardie et prête le serment de ne plus revenir en Italie. Pourtant, en 900, les grands italiens qui ne sont pas satisfaits de Bérenger, souhaitent un autre maître et font de nouveau appel à Louis III, fils de Boson et petit-fils de l empereur Louis II. Louis III est donc prêt à conquérir ce trône dont il peut légitimement prétendre à la succession. Il retraverse les Alpes avec une armée plus conséquente que lors de son premier voyage, arrive à Pavie, chasse les ennemis de la Lombardie et se fait couronner roi d Italie au milieu d une grande assemblée de nobles et d évêques, le 12 octobre. Puis il poursuit son voyage en Italie où il distribue des diplômes et arrive à Rome. C est là 102

3 que le 22 février 901 il reçoit la couronne impériale du pape Benoît IV. Ensuite, il revient vers Pavie combattre Bérenger qui est en grande difficulté en raison de l invasion des Hongrois qui pillent son royaume, et le force à se retirer en Bavière. Mais Bérenger de Frioul est déterminé à garder son trône. En octobre 902, il revient avec ses forces en nombre et réussit à chasser Louis III qui retourne se réfugier en Provence, sans pour autant renoncer à son ambition sur l Italie. C est au printemps 905 que les grands féodaux italiens rappellent Louis III. Le bruit court que Bérenger est mort. C est en fait un guet-apens comploté par quelques traîtres. Le 21 juillet, Louis est à Vérone, dans l église Saint Pierre, entouré d une garde légère. Il se sent en sécurité. Bérenger arrive devant Vérone avec ses Bavarois et quelques seigneurs fidèles, s approche de l église où il pénètre brusquement et, avant que Louis puisse préparer la moindre défense, le fait saisir, ligoter et lui fait crever les yeux : coutume barbare de ce siècle. Bérenger reprend la couronne d Italie, Louis regagne la Provence où il est de retour le 26 octobre avec un titre inutile d empereur et le surnom de «Louis l Aveugle». Portrait de Louis III 103

4 En dehors de son expérience italienne, Louis III marque la Provence dans divers ateliers de son royaume, Arles, Avignon, Uzès, Nîmes et Vienne où il frappe monnaie. Des pièces ont été trouvées, il y a de nombreuses années, dans la région de Saint-Chef déjà citée en ce début de chapitre. Denier en argent de Louis III frappé à Vienne L histoire de Saint-Chef commence au VIème siècle, à la naissance de Theudère qui. devenu prêtre, fondera un monastère dédié à la Vierge Marie. Sa vie se partage en prières, actes de générosité et accomplissement de miracles. A sa mort en 575, il est enterré dans le monastère qu il a fondé. Et les miracles qu il continue à accomplir à titre posthume font se développer un pèlerinage autour de ses reliques. Dans les années 980, l édifice est en grande partie saccagé du fait des sarrasins ou des Hongrois. Il sera relevé à partir des années 891, à la suite des trois préceptes, du pape Formose en 891, de l archevêque de Vienne Barnoin en 894 et de Louis III l aveugle en 896 qui y installent des moines bénédictins. Ceux-ci, bien 104

5 dotés en terres et redevances vont faire prospérer la vie du monastère. Se développe alors un ensemble de bâtiments alentour. Des villageois affluent, se regroupent autour de l abbé du lieu qui est devenu un véritable seigneur. Le bourg de Saint-Chef est en train de naître, bientôt fortifié par un château. Le monastère va connaître son apogée au XIIe siècle. C est alors que l abbatiale est décorée d un vaste ensemble de peintures murales. Ces fresques, sur le thème de l apocalypse peintes par des artistes anonymes, présentent une influence byzantine. Elles ont été restaurées dans les années 1960 et sont aujourd hui classées monuments historiques. Trois ensembles subsistent, notamment la chapelle des anges qui, peinte du sol à la voûte, présente le plus d intérêt (Ci-après deux reproductions). Les vieillards de l apocalypse 105

6 Détail du plafond où est peint le Christ en majesté Louis III s est marié deux fois. De sa première union, est né un fils, Charles-Constantin qui est censé hériter du royaume de son père. En réalité, Louis III, en 911, handicapé par sa cécité, a confié son royaume à son cousin Hugues d Arles, descendant de Louis le Pieux, par Lothaire I, Lothaire II et Berthe de Lorraine. A la mort de Louis III, en 928, Hugues écarte du pouvoir Charles-Constantin qui devra se contenter du comté de Vienne. Charles-Constantin, époux de Thiberge de Sens de Troyes, est grand-père de Guillaume le Libérateur, par leur fille Constance de Vienne (voir tableau ascendance page 111). Louis III a épousé en 900, en premières noces, Anne de Constantinople, fille de l empereur byzantin Léon VI dit le Sage, lui-même fils de Basile 1er qui fera l étude d un prochain chapitre. Ce mariage est un rapprochement entre l Orient et l Occident qui aurait pu nouer un lien entre les 106

7 familles régnantes d origine carolingienne et les dynasties d orient. Il semble que l histoire n ait attaché aucune importance à cette union Et pourtant une tentative avait déjà été faite quelque cent ans plus tôt, de réunir les deux empires chrétiens du moyenâge. Léon III l Isaurien ou le Syrien, dont on connaît mal les origines, fonde la dynastie isaurienne qui règne sur l empire byzantin de 717 à 802. Constantin V va succéder à son père puis vient Léon IV dit le Khazar, époux d Irène. Le fils de ce couple, Constantin VI, sera le dernier empereur de cette dynastie, sous la tutelle de sa mère qui se fera couronner en 780, en même temps que son fils. Irène va chercher à se rapprocher de Rome. En 781, alors qu elle est déjà veuve, elle propose à Charlemagne un mariage entre son fils Constantin et Rotrude, fille de charlemagne. Les deux enfants seront fiancés six ans, mais le mariage ne sera pas conclu. Devant l échec de ce projet, Irène, toujours soucieuse de réunir les deux empires, propose sa main à Charlemagne en 802. Cette démarche, jugée sacrilège par l aristocratie byzantine, va déclencher un coup d état en octobre 802. Irène est alors enfermée dans un monastère où elle mourra en 803. Faut-il regretter ce mariage manqué de Charlemagne et d Irène? Il est probable qu au moment où la puissance carolingienne était à son apogée, cette union aurait pu changer le cours de l histoire. En l an 900, la puissance en déclin de l Occident n inquiétait plus les grands de l Orient. 107