Le pityriasis lichénoïde : une mystérieuse maladie
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- Jean-René Renaud
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1 Le pityriasis lichénoïde : une mystérieuse maladie M. Morren, I Swinnen et A Busschots, J Van Den Oord* Département de dermatologie et de pathologie* UZ Leuven Capucijnenvoer Leuven Introduction Neisser et Jadassohn ont été probablement les premiers à décrire en 1894 ce que l on considère aujourd hui comme les formes chroniques et aiguës de pityriasis lichénoïdes. En 1899, Juliusberg est à l'origine du terme «pityriasis lichénoïde chronique» (PLC). En 1902, Brocq considérait le pityriasis lichénoïde comme un parapsoriasis en gouttes. En 1916, Mucha a pour la première fois distingué la forme aiguë du pityriasis lichénoïde de la forme chronique, la forme aiguë étant par la suite appelée «pytyriasis lichénoïde et varioliforme aigu» (PLEVA) par Habermann, connue également sous le terme de «maladie de Mucha-Habermann». Finalement, en 1966, Degos a rapporté un sous-type ulcéronécrotique fébrile sévère, que l on appelle généralement maintenant «parapsoriasis ulcéro-nécrotique hyperthermique» (FUMHD) (1). Il est généralement reconnu que le PLEVA et le PLC représentent les deux extrémités d un spectre continu et que le FUMHD est un type fulminant de PLEVA. Des lésions de PLEVA et PLC sont souvent observées chez un même patient (2). On a également décrit une évolution depuis un PLEVA vers un FUMHD ou un PLC. Cependant, poser un diagnostic constitue encore un défi, l'étiopathogénie reste discutable et le traitement souvent difficile. De plus, la relation avec, ou la progression vers, une manifestation maligne, notamment un lymphome malin, ont été remises en question. Tableau clinique et histopathologie Le PL affecte les enfants (âge médian de 8 ans) et les adultes (âge médian de 40 ans). Une étude comparative de Wahie (2) a montré que les enfants connaissaient une évolution plus constante du PL, une plus grande distribution des lésions, y compris sur la paume des mains, la plante des pieds et le visage, davantage de dépigmentation et une moins bonne réponse aux modalités thérapeutiques conventionnelles. Le tableau 1 décrit les caractéristiques typiques (1-6).
2 Tableau 1 Forme Présentation clinique Histopathologie PLC Développement graduel de très petites macules ou papules aplaties, rougeâtres à brunâtres dont le centre comporte des squames brillantes, ressemblant à du mica ; généralement asymptomatique ; distribution centripète Guérison sans formation de cicatrice, mais souvent accompagnée d hyper- ou d hypo-pigmentation Durée moyenne : 7,5-20 mois PLEVA Éruption aiguë à subaiguë, asymptomatique à discrètement pruritique constituée de multiples petites papules brunâtres à rougeâtres ; distribution symétrique et centripète Développement rapide d une vésicule centrale, devenant purpurique et nécrotique La guérison débute après 3-4 semaines par un aplatissement de la lésion. Fréquemment associée à une hyper- ou (après une exposition au soleil) une hypopigmentation accompagnée d une cicatrisation varioliforme Apparition récurrente de nouvelles lésions : aspect polymorphe Durée moyenne : 6 Infiltrat dermique de cellules T en bande (le plus souvent CD4+) Dermatite d interface lichénoïde Légères squames parakératosiques épidermiques Infiltrat dermique dense et cunéiforme constitué principalement de CD8+, de lymphocytes T cytotoxiques de phénotype mémoire CD45RO, Congestion vasculaire et extravasation des érythrocytes spongiose épidermique, exocytose de cellules inflammatoires, kératinocytes apoptotiques diffus et ulcération
3 semaines 18 mois FUMHD (6) Très rare Se développant principalement à partir d un PLEVA Éruption brutale, étendue et spectaculaire de plaques ulcéronécrotiques purpuriques à noirâtres accompagnée de symptômes systémiques Topographie : étendue mais souvent sévère dans les plis (aine, aisselles) Peut être fatal Infiltrat dermique inflammatoire intense accompagné d'exocytose au sein de l'épiderme Ulcération marquée Vascularite leucocytoclasique Lymphocytes atypiques CD30+ Diagnostic différentiel Les diagnostics différentiels des 3 types de PL sont résumés dans le tableau 2. Le diagnostic différentiel le plus important est la papulose lymphomatoïde (tableau 3).. Tableau 2 : Diagnostic différentiel PLC PLEVA FUMHD Psoriasis en gouttes Papulose lymphomatoïde Varicelle Pityriasis rosé de Gibert Prurigo strophulus, piqûre ou Papulose lymphomatoïde morsure d arthropode Lichen plan Varicelle Lymphome Syphilis secondaire Autres exanthèmes viraux Tinea corporis Syndrome de Stevens- Johnson (Erythema exsudativum multiforme) Vascularite Syndrome Gianotti Crosti Pityriasis lichénoïde, tel que la mycose fongoïde Diagnostic différentiel de la papulose lymphomatoïde (LyP) De nos jours, la Lyp appartient à la catégorie des lymphomes T à grandes cellules CD30+ selon la classification EORTC-OMS (7). Cependant, étant donné que certaines caractéristiques cliniques et histologiques (soulignées au tableau 3) se superposent, le diagnostic différentiel est parfois difficile. Il a été parfois suggéré que les cas de PL évoluant vers un lymphome pourraient avoir été une papulose lymphomatoïde. Tableau 3 : Diagnostic différentiel de la papulose lymphomatoïde Caractéristiques Pityriasis lichénoïde Papulose lymphomatoïde Caractéristiques des lésions Les papules n'évoluent pas Papules, lésions cutanées
4 en nodules, tumeurs, ou plaques Résolution spontanée Résolution avec cicatrices varioliformes hyper- ou hypopigmentées papulonécrotiques et/ou lésions cutanées nodulaires à différents stades de développement Résolution spontanée Résolution avec cicatrices superficielles hyper- ou hypopigmentées Présentation dans l enfance Fréquente Rare (la plupart du temps chez l adulte) Durée PLEVA : semaines à mois Années Résultats histologiques PLC : mois à années infiltrat lymphocytaire, rare présence de grandes cellules lymphoïdes atypiques Atteinte précoce de l épiderme par de nombreux kératinocytes apoptotiques Inflammation lichénoïde d interface Type A (type histiocytaire) : Grandes cellules T CD30+ atypiques, parfois multinuclées, diffuses ou en petits amas au sein d un infiltrat inflammatoire mixte polymorphe Atteinte tardive de l épiderme Type B (à type MF) infiltrat épidermotropique de petites cellules atypiques, discrète altération vacuolaire de la couche cellulaire basale et peu de kératinocytes apoptotiques Type C (à type de lymphome anaplasique à grandes cellules) population cellulaire monotone ou larges amas cellulaires de grandes cellules T CD30+ comportant relativement peu de cellules inflammatoires mélangées Cellules CD30 rare Fréquent dans les types A et C, et non dans le type B rare (< 10 %) Génétique Exceptionnellement réarrangement clonal des gènes du TCRγ Réarrangement clonal des gènes du TCR (γ) dans 60 à 70 % des cas. Maladie concomitante Rare MF, (C-)ALCL (forme cutanée de lymphome anaplasique à grandes cellules), maladie de Hodgkin (voir ci-dessous) Potentiel d évolution maligne Rare 10 à 20 % des Lyp peuvent être précédés par, associés à
5 ou suivis d un autre type de lymphome (cutané) malin, généralement MF, C-)ALCL (forme cutanée de lymphome anaplasique à grandes cellules), ou maladie de Hodgkin (systémique) Étiopathogénie L étiologie de la maladie est globalement inconnue. Il s agit, le plus probablement, d une prolifération réactive bénigne de lymphocytes (essentiellement des cellules T cytotoxiques) causée par des agents infectieux (Toxoplasma gondii, virus de l herpès, VIH, parvovirus B19, staphylocoque ou streptocoque, etc.) ou par un traitement (chimiothérapie, œstroprogestatif, astémizole, certaines plantes, vaccination, etc.). (1,4). L équipe de l'hôpital Necker à Paris (8) a décelé des kératinocytes maternels en plus grandes quantités et plus fréquemment (11/12) dans les lésions de PL que chez des témoins atteints de dermatite atopique. Ils ont émis l hypothèse que ces cellules participent à réparer les dommages causés par exemple par une infection ou si elles pouvaient siéger initialement dans la peau et déclencher une maladie de l'hôte (enfant) contre le greffon (mère). D autres chercheurs ont suggéré qu une vascularite primaire à complexes immuns pourrait être impliquée dans la pathogénie (1,4). Finalement, certains auteurs considèrent le PL comme une dyscrasie lymphocytaire T, c.-à-d. un trouble cutané (pré-)néoplasique lymphoprolifératif (9-11). Il n'est pas toujours clair de le distinguer d'une papulose lymphomatoïde, qui est de nos jours considérée comme un lymphome de bas grade. On a rapporté certains cas de PLC ayant évolué vers une mycose fongoïde (MF) et des MF dont la présentation clinique était celle d un PL, y compris chez l enfant (12). De plus, dans certains cas, cette théorie bénéficiait d arguments histologiques et moléculaires tels que la perte de certains marqueurs «pan T» tels que CD5 et CD7, l expression de CD30, la présence de gros lymphocytes T atypiques et finalement un réarrangement clonal des gènes du TCR (9-11,13). Les mêmes clones de lymphocyte T ont été décelés dans quelques cas de monoclonalité dans lesquels plus d une biopsie avait été réalisée à différents temps (14). Cerroni pense, néanmoins, que la plupart de ces cas représentent des cas de LyP diagnostiqués à tort (15). Traitement Le PL est une maladie évoluant spontanément vers la résolution. Le délai de résolution peut cependant varier de 6 semaines à plusieurs années. Il n existe aucun traitement spécifique et tous les traitements décrits ci-dessous échouent parfois. Aucune étude en double aveugle comparant différentes modalités thérapeutiques n est disponible. La plupart des études sont rétrospectives ou présentent des rapports de cas. Traitement de première ligne Traitement topique : en cas d absence de lésions trop étendues - Corticostéroïdes topiques. (bonne réponse dans 50 % des cas (2)). - Immunomodulateurs topiques : rapports de cas
6 Agents oraux : en cas de lésions étendues Antibiotiques Macrolides o érythromycine (40 à 60 mg/kg/jour pendant 3 à 6 mois) une rechute après l arrêt est possible, o azithromycine (500 mg 1 er jour ; 250 mg jour 2 à 5, deux fois par mois) ou (500 mg 3 jours deux fois par mois) Tétracycline : 2 g pendant 2 à 4 semaines, si besoin suivis de 1 mg/jour (jusqu à 1 an) chez l enfant > 10 ans. (Corticostéroïdes systémiques) Traitement de deuxième ligne Ultraviolets Chez l enfant, les UVB (bande étroite ou bande large) sont considérés comme un traitement de deuxième ligne. De bons résultats ont été rapportés lors d une étude récente avec des UVA1. Une PUVA-thérapie comprise entre 10J/cm et 370 J / cm² ne peut être envisagée que chez les enfants plus âgés et les adultes. Il n existe aucune étude comparative de ces différentes modalités. Traitement de troisième ligne (cas sévères) Méthotrexate (MTX) Il existe des rapports indiquant une réponse rapide après le traitement de cas sévères uniques (FUMHD) traités par MTX à raison de 7,5 à 20 mg/semaine. Rapports de cas d autres traitements : Cyclosporine Rétinoïdes par voie orale Dapsone Immunoglobulines par voie IV Thérapie photodynamique Traitement futur possible Antagonistes du facteur de nécrose tumorale alpha (TNF alpha). Un rapport de cas suggère que le TNF alpha joue un rôle dans la transition d un PLEVA à un FUMHD (16). Évolution et pronostic Généralement, le PLC et le PLEVA sont des maladies bénignes, évoluant spontanément vers la résolution, mais l apparition ultérieure d un lymphome à cellules T a été décrite dans quelques cas après développement de diverses lésions. Cependant, certains estiment que ces lésions pourraient être un LyP depuis le début. Des lymphomes à cellules T se présentant sur le plan clinique comme un pityriasis lichénoïde ont été rapportés chez l enfant et l adulte. Le pityriasis lichénoïde a, par ailleurs, été observé chez l'adulte comme affection paranéoplasique accompagnée de tumeurs solides et de lymphome. Finalement, un cas se présentant cliniquement comme un FUMHD et histologiquement comme un lymphome (13) a été décrit tel que nous l avons également observé chez un enfant. Bien que l évolution maligne soit
7 exceptionnelle, il convient d être averti de cette possibilité et nous proposons donc le diagramme suivant si des patients se présentent avec des lésions cliniques de pityriasis lichénoïde :
8 Suivi proposé des patients atteints de pityriasis lichénoïde Tableau clinique de PL Biopsie : histologie atypique, y compris grosses cellules anaplasiques CD30+, histologie de type MF? Non Oui Traiter comme PL Suivi jusqu à régression immunophénotypage complémentaire des cellules si besoin, suivi d études de réarrangement des gènes du TCR Si changement clinique ou en l absence de régression après des années biopsie Aucune perte de lymphocytes T matures Perte de marqueurs matures ou absence de clonalité marqueurs lymphocytaires T ou perte de clonalité Traiter comme LyP Suivi régulier pendant toute la vie stadification (étendue selon la suspicion clinique et/ou pathologique) Négatif traiter comme LyP Positif traiter comme un lymphome Suivi régulier pendant toute la vie
9 Références 1. Browers S, Warshaw E. Pityriasis lichenoides and its subtypes. J Am Acad Dermatol 2006; 55 : Wahie S, Hiscutt E, Natarajan S and Tayloor A. Pityriasis lichenoides : the differences between children and adults. Br J Dermatol 2007; 157 : Bonifazi E. Pityriasis lichenoides. In : Textbook of Pediatric Dermatology. Eds Harper J, Oranje A, Prose N. Blackwell 2006 : Lam J and Pope E. Pediatric pityriasis lichenoides and cutaneous T-cell lymphoma. Curr Opin Pediatr 2007; 19 : Khachemoune A, Blyumin ML. Pityriasis lichenoides : pathophysiology, classification and treatment. Am J Clin Dermatol 2007; 8 : Herron MD, Bohnsack JF, Vanderhooft SL. Septic, CD-30 positive febrile ulceronecrotic pityriasis lichenoides et varioliformis acuta. Pediatric Dermatology 2005; 22 : WHO-EORTC classification for cutaneous lymphomas. Blood 2005; 105(10) : Khosrotehrani K, Guegan S, Fraitag S et al. Presence of chimeric maternally derived keratinocytes in cutaneous inflammatory diseases in children : the example of pityriasis lichenoides. J Invest Dermatol 2006; 126 : Cozzio A, Jafner J, Kempf W. Febrile ulceronecrtoic Mucham-Habermann disease with clonality : a cutaneous T-cell lymphoma entity? J Am Acad Dermatol 2004; 51: Weinberg JM, Kristal L, Chooback L et al. The clonal nature of Pityriasis lichenoides. Arch Dermatol 2002; 138 : Magro C, Crowson AN, Kovatich Al and Burns F. Pityriasis Lichenoides : a clonal T-cell lymphoproliferative disorder. Human Pathology. 2002; 33 : Ko JW, Seong JY, Suh KS and Kim ST. Pityriasis lichenoides like mycosis fungoides in children. Br J dermatol 2000; 142 : Wenzel J, Gütgemann I, Distelmaier M et al. The role of cytotoxic skin-homing CD8+ lymphocytes in cutaneous cytotoxic T-cell lymphoma and pityriasis lichenoides. J Am Acad Dermatol 2005; 53 : P laza JA, Morrison C, Magro CM. Assessment of TCR-beta clonality in a diverse group of cutaneous T-cell infiltrates. J Cutan Pathol 2008; 35 : Cerroni L. Lymphomatoid papulosis, pityriasis lichenoides et varioliformis acuta and anaplastic large-cell (Ki-1+) lymphoma. J Am Acad Dermatol 1997; Tsianakas A, Hoeger PH. Transition of pityriasis lichenoides et varioliformis acuta to febrile ulceronecrotic Mucha-Habermann disease is associated with elevated serum tumour necrosis factor-alpha. Br J dermatol 2005; 152 :
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