À la croisée des chemins. L avenir des sciences humaines et sociales en Allemagne et en France



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Transcription:

À la croisée des chemins. L avenir des sciences humaines et sociales en Allemagne et en France Colloque Paris, le 31 octobre 2008 A l occasion du 50e anniversaire de l Institut Historique Allemand à Paris (IHA), la directrice de l Institut Gudrun Gersmann a organisé, en coopération avec Hinnerk Bruhns, Adjoint à l Administrateur de la Fondation Maison des Sciences de l Homme (FMSH), un colloque intitulé «À la croisée des chemins. L avenir des sciences humaines et sociales en Allemagne et en France». La manifestation, divisée en trois grandes sections, s est tenue le 31 octobre 2008 à l IHA. I. Etat et perspectives du modèle allemand d aide à la recherche II. Les sciences humaines et sociales en ligne De nouvelles méthodes de travail et de publication pour les sciences humaines et sociales III. Les sciences humaines et sociales à l avant-garde? La coopération franco-allemande dans la recherche et dans l enseignement supérieur I. Après 2007, «année des sciences humaines et sociales» en Allemagne Etat et perspectives du modèle allemand d aide à la recherche WOLFANG SCHIEDER, Président de la Fondation DGIA (Instituts allemands en sciences humaines et sociales à l étranger) a d abord souligné que les sciences humaines et sociales en Allemagne ne répondaient plus au concept originel de «recueil des théories scientifiques en opposition à la pensée propre aux sciences dites exactes». Par ailleurs, la pluralité des domaines de recherche et les transgressions méthodologiques rendent plus difficile l idée d une unité dans les sciences humaines et sociales. Par conséquent, il est essentiel que les différentes disciplines commencent par mieux définir leur profil afin d asseoir leur existence propre. Ce n est qu à partir de cette auto-affirmation disciplinaire que peut naître une réelle activité de recherche interdisciplinaire. Schieder a évoqué en outre la transition continue, et selon lui irréversible, de la recherche individuelle vers une «recherche coordonnée en réseau». Il a plaidé pour le maintien d un système de recherche allemand dual, se partageant entre universités et institutions extra-universitaires, ainsi que pour l adaptation de celui-ci aux exigences actuelles de la société du savoir. Dans le cadre d une description brève et précise de l évolution des sciences humaines et sociales en Allemagne, ULRICH HERBERT, Directeur du Freiburg Institute for Advanced Studies (FRIAS), School of History, a constaté le déclin tout simplement dramatique des sciences humaines et sociales. Depuis les années 1970, le sous-financement, la bureaucratisation, les déficits qualitatifs ainsi qu un certain désintérêt des responsables politiques pour les questions d éducation et d enseignement ont eu un effet néfaste sur les universités allemandes. Selon Herbert, les réformes entreprises depuis le début des années 1990, comme l implantation du système LMD, ont été avant tout décidées en réaction aux sureffectifs dans les universités. L intégration de ce nouveau système demeure jusqu à présent insuffisante, tandis que l absence d une sortie à bac+3, permettant aux jeunes diplômés de licence d entrer dans le monde du travail extra-universitaire, constitue un problème majeur. Néanmoins, on ne peut pas parler d un échec de la réorganisation du système de l enseignement supérieur, quand bien même Herbert aurait quant à lui privilégié un renforcement plus marqué des universités des sciences appliquées (Fachhochschulen) qui constituent des lieux de formation davantage orientés vers la pratique. Au regard du programme Exzellenzinitiative, qui en l espace de deux ans, a profondément modifié l ensemble du paysage universitaire allemand, Herbert s est fermement opposé au principe de l «arrosoir» : la recherche devra être concentrée au sein des universités compétitives, toutes ne pouvant pas disposer du même volume d équipements, ne serait-ce que pour des raisons financières. L avenir dira quels modèles de promotion de l enseignement supérieur finiront par s imposer. Au cours de son intervention, Herbert s est ensuite prononcé notamment contre le passage d un financement de base vers un financement sur des projets limités dans le temps, souhaitant avant tout voir une

grande partie des fonds sur projets intégrée aux financements de base en vue de garantir aux jeunes chercheurs des perspectives durables dans le domaine de la recherche scientifique. Selon lui, les résultats du financement sur contrats sont souvent peu concluants si ce dernier ne s accompagne pas de travaux qualifiants (doctorat, HDR). PETER STROHSCHNEIDER, Président du Wissenschaftsrat (conseil allemand d évaluation et de conseil scientifiques), a mentionné pour sa part l équilibre des bénéfices tirés de l Exzellenzinitiative entre sciences humaines et sociales d une part et sciences exactes d autre part. Cependant, les évolutions positives de la recherche sont altérées par certaines insuffisances en matière d enseignement, engendrées notamment par la suppression de postes du Mittelbau universitaire dans un contexte d augmentation du nombre d étudiants. Strohschneider a par ailleurs signalé que la mission des sciences ne pouvait être réduite à son absolue «utilité», qu il s agisse aussi bien des sciences exactes que des sciences humaines et sociales. Les sciences humaines et sociales ont pour préoccupation et pour mission première de présenter un éventail de possibilités dans notre société du savoir actuelle. Dans l objectif de promouvoir la recherche en sciences humaines, Peter Strohschneider a proposé d accorder une plus grande marge de manœuvre aux chercheurs, de les impliquer dans des projets à long terme, dans une démarche de mise en réseaux temporaire. Car selon lui, la constitution pérenne de groupes de recherche se révèle peu judicieuse. Venant compléter les deux premières interventions allemandes, la contribution de PIERRE MONNET (Président de l Université franco-allemande, UFA) a permis d évoquer les différences systémiques et culturelles de la recherche en France et en Allemagne. Ainsi, le concept allemand de «Geisteswissenschaften» n est pas traduisible vers le français, tandis que la notion française de «sciences humaines» inclut en partie d autres disciplines. Dans le cadre de cette étude comparative, Monnet a par ailleurs abordé la différence de statut entre universités et Grandes Ecoles en France. La constitution de réseaux, l allocation des ressources de traduction et de documentation ainsi que les appels à projets dont les thématiques restent ouvertes sont autant d instruments décisifs de promotion des sciences humaines et sociales en France et en Allemagne. Dans ce contexte, Monnet a salué la coopération mise en place en 2008 entre l Agence Nationale de la Recherche (ANR) et son équivalent allemand, la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG). Dans la seconde partie de sa contribution, Monnet a circonscrit le rôle des sciences humaines et sociales dans la politique de promotion de l Université franco-allemande. Cette dernière soutient en principe toutes les disciplines dans le cadre de la licence, du master ou du doctorat, les sciences humaines et sociales occupant pour leur part une position centrale dans les doubles cursus, aussi bien au niveau de la licence que du master, constituant par ailleurs près d un tiers de l activité du collège doctoral binational. Enfin, celles-ci sont particulièrement bien représentées dans les programmes individuels comme le soutien à la cotutelle de thèse ou encore les programmes destinés à constituer des réseaux de jeunes chercheurs et qui prévoient la tenue d ateliers. II. Les sciences humaines et sociales en ligne De nouvelles méthodes de travail et de publication pour les sciences humaines et sociales Jusqu à présent, la publication en ligne des résultats de la recherche en sciences humaines et sociales s est beaucoup plus fortement imposée et institutionnalisée en France qu en Allemagne. Le premier exposé était consacré aux plates-formes Revues.org et Hypothèses. Lors de sa présentation, MARIN DACOS, Directeur du Centre pour l édition électronique ouverte (CLEO), et Administrateur scientifique au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a mis l accent sur la plateforme de revues en ligne Revues.org, qui regroupe les textes numérisés et consultables en ligne de plus de 100 revues en sciences humaines et sociales, beaucoup d autres revues étant actuellement en cours de mise en ligne sur le site. Le concept de plate-forme bénéficie d une popularité certaine, incitant nombre de revues à s adresser au conseil scientifique afin d être publiées sur le site. Dans une seconde contribution, CLAUDIE PAYE, de Bayerische Staatsbibliothek de Munich et MICHAEL KAISER, de l IHA / Fondation DGIA ont présenté perspectivia.net, plate-forme de publication consacrée aux sciences humaines et sociales, mise en ligne au bout d un an de préparation. Il s agit d un projet mené par l Institut Historique Allemand

et soutenu par le ministère fédéral de l Education et de la Recherche. La directrice de l Institut, en fonction depuis plus d un an, souhaite rapprocher l IHA du monde du numérique. Créé sous sa conduite, Perspectivia.net constitue une offre proposée à tous les instituts de recherche allemands en sciences humaines et sociales à l étranger affiliés à la fondation DGIA ainsi qu à leurs organismes partenaires. Selon le principe de l accès ouvert, ceux-ci peuvent y mettre à disposition aussi bien leurs anciennes séries d ouvrages et monographies numérisées après coup (c est-à-dire sous forme de scans consultables) que leurs contributions ou comptes rendus de lecture électroniques actuels et futurs. La double présence d une plate-forme multilingue et de publications rédigées dans les différentes langues des instituts impliqués dans ce projet répondent à la dimension internationale de celui-ci, couvrant une zone allant de Londres à Moscou. L objectif est d augmenter de manière significative la visibilité internationale de l historiographie allemande. Perspectivia.net est réalisé en coopération étroite avec la Bayerische Staatsbibliothek qui se charge à la fois de la numérisation après publication et de l archivage des textes à long terme. HINNERK BRUHNS (CNRS/FMSH) a présenté ensuite le concept de la revue en ligne franco-allemande Trivium également hébergée par revues.org et lancée en avril 2008. La revue paraît avec le soutien de partenaires français et allemands des Editions de la Maison des sciences de l homme. L idée est de faire en sorte que pour la première fois, des publications allemandes spécialisées puissent être proposées en version française et, à l inverse, que d importantes contributions françaises paraissent en traduction allemande. Les échanges scientifiques entre les deux pays échouent en effet bien trop souvent en raison de barrières linguistiques. Trivium permet au lecteur d avoir accès en ligne gratuitement à des traductions de textes de référence parus dans un premier temps dans des revues de renom (et, moins souvent, dans des ouvrages collectifs). Outre les éditions thématiques proposées au conseil scientifique de la revue par des chercheurs ou des groupes de chercheurs, Trivium fait paraître des traductions d articles isolés de plus long format qui ont suscité une résonnance pérenne dans le domaine des sciences de l homme. Le deuxième numéro, sur le thème «Culture politique et communication symbolique», vient de paraître. Trivium est publié dans une démarche de partenariat étroit regroupant notamment l Institut Historique Allemand (Paris), le Centre Allemand d Histoire de l Art (Paris), la Mission historique française en Allemagne (Göttingen) et le Centre Marc Bloch (Berlin). Il résulte du programme franco-allemand de promotion des sciences humaines et sociales, lancé en 2007, dans le cadre duquel l ANR et la DFG ont apporté leur soutien à des projets de recherche bilatéraux. HELGA EBELING, Conseillère scientifique à l Ambassade d Allemagne de Paris, a évoqué l évolution et les perspectives de la coopération franco-allemande en matière de recherche. Elle a considéré qu il était nécessaire d apporter des améliorations à l action internationale scientifique au sein des deux pays, les réformes profondes du système de recherche engagées ces dernières années de part et d autre du Rhin restant relativement méconnues du pays voisin. Dans le domaine plus global de la politique étrangère en Allemagne, la question de l innovation, de la recherche et de l enseignement supérieur s est muée toutefois en un pôle solide. De ce côté-ci du Rhin, la coopération avec la recherche scientifique allemande s est jusqu à présent essentiellement concentrée sur une forme de partenariat institutionnel dans le domaine de la technique. En France, les sciences humaines et sociales sont plutôt intégrées à la politique culturelle et scientifique, de sorte qu au début de la décennie, les sciences humaines et sociales ont été quasiment exclues de la première prise de contact officielle en matière de politique d enseignement entre les deux pays. On a assisté en 2005 à une prise de conscience progressive de ce vide. Avec la coopération ANR-DFG pour le soutien à la recherche bilatérale, l attention est certes toujours portée sur la promotion des projets franco-allemands, mais aussi sur la mise en place de structures de mise en réseaux. La tenue régulière de forums de recherche, auxquels participent chaque mois des représentants de 40 organisations scientifiques, de formation et de recherche, facilitent les prises de contact réciproques et notamment les discussions autour de concepts communs concernant le soutien aux jeunes chercheurs, l un des fils rouges de cette journée des sciences de l homme à l Institut Historique Allemand. III. Les sciences humaines et sociales à l avant-garde? La coopération franco-allemande dans la recherche et dans l enseignement supérieur MATTHIAS KLEINER, Président de la DFG, a tenté d expliquer dans quelle mesure la coopération francoallemande en sciences humaines et sociales pourrait jouer un rôle de précurseur dans la coopération scientifique en Europe. Il base ses réflexions sur le fait que si la recherche ne se limite jamais aux frontières nationales, celles-ci représentent assez souvent un obstacle pour la coopération scientifique. KLEINER a soulevé en particulier la question de l influence du principe de subsidiarité sur le soutien à la recherche en Europe. Concrètement, cela revient à se demander si la réalisation d une coopération fructueuse en Europe passerait par une institution plutôt supra-

nationale ou bien orientée vers le bilatéral ou le multilatéral. Pour KLEINER l aide à la recherche en Europe repose sur trois éléments. Le premier, et le plus important pour conserver la diversité, est celui des organisations de soutien nationales mettant sur pied des formes de coopération bilatérale et multilatérale. Les organisations multilatérales qui coordonnent la coopération entre les organisations de soutien nationales, comme la Fondation européenne de la science (ESF), représentent le deuxième élément, le troisième regroupant les institutions supranationales comme celle de la Commission européenne ou du Conseil européen de la recherche (ERC) qui ont mené des appels d offres dans toute l Europe. KLEINER a basé ses réflexions sur son expérience dans la coopération de la DFG avec le CNRS et, à partir de 2006, avec l ANR. Tandis qu aux débuts de la coopération avec le CNRS, les appels d offres pour la promotion des projets franco-allemands en sciences humaines et sociales étaient pour la plupart thématisés, des progrès ont pu être réalisés grâce au programme d aide conjoint de la DFG et de l ANR, dont les thématiques des appels d offres annuels restent ouvertes. L un des avantages de ce programme de soutien réside dans la simplification du dépôt de la demande. Comme ces programmes d aide n existent jusqu à présent que dans le domaine des sciences humaines et sociales, celui-ci joue le rôle de précurseur dans la mesure où dans les autres disciplines, les appels d offres étaient, jusqu à présent, exclusivement thématisés. Malgré ces avancés dans le soutien à la recherche franco-allemande, il n existe pour l instant pas de demande de financement de projet dans le domaine des sciences humaines et sociales s inscrivant dans de plus grands groupes de recherche interdisciplinaires. Dans la perspective de l évolution future de l aide à la recherche en Europe, KLEINER a plaidé en faveur de l application d un processus de «Lead Agency», semblable à celui déjà pratiqué par le réseau D-A-CH (Allemagne, Autriche, Suisse). Par ailleurs, il a suggéré la création d un «réseau monétaire scientifique à l échelle de l Europe» qui pourrait permettre la distribution de chèques de promotion à la place d argent, encaissables, selon le besoin, dans les organisations nationales respectives d aide à la recherche. Suite à l exposé de KLEINER s est tenue une table ronde conduite par Hinnerk BRUHNS, à laquelle ont participé avant tout des scientifiques français et des représentants d organisations nationales d aide à la recherche. Jean-Michel RODDAZ (ANR/Bordeaux III) a pris la parole le premier en présentant, de son point de vue, la coopération entre la DFG et l ANR. Il a commencé par souligner le rôle précurseur des sciences humaines et sociales franco-allemandes dans le domaine de la coopération binationale. Dans la coopération entre l ANR, construite selon le modèle de la DFG, et la DFG elle-même, il s agissait tout d abord de combattre les difficultés qui résultaient des différences systémiques et linguistiques. Lors du premier appel d offres pour le programme de promotion conjoint DFG-ANR, des chercheurs provenant de 90 groupes de projet déjà existants avaient postulé, ce qui illustre le travail que doivent fournir les scientifiques pour surmonter ces problèmes. Dans la commission d évaluation commune également, les participants s étaient mis d accord, dans plus de 80% des cas, pour accepter ou refuser une demande d aide, ce qui supposait l acquisition réussie de standards scientifiques communs. Dans l ensemble, la coopération entre les organisations de soutien à la recherche françaises et allemandes se révèle plus fructueuse que la coopération de l un de ces acteurs avec des promoteurs de la recherche anglais. Néanmoins, la DFG et l ANR s emploient à élargir leur coopération au domaine des relations multilatérales. Thomas WIEMER (DFG) a souligné une nouvelle fois les trois éléments phares de la coopération entre les chercheurs français et allemands d une part et entre les organisations de soutien à la recherche françaises et allemandes d autre part : la confiance, la langue et la proximité des organisations de soutien à la recherche avec les scientifiques. La condition préalable à un dialogue scientifique est la confiance respective en l autre et ses capacités, ce qui a pu être garanti dans les instances communes de la DFG et de l ANR par l utilisation de la langue respective de chacun. Un autre point important pour WIEMER est la transparence des critères d adoption et de refus de l aide pour les scientifiques. Dans sa contribution, Pierre MONNET (EHESS/UFA) s est concentré sur la formation des doctorants et l aide qui leur est accordée par l Université franco-allemande. Il a précisé qu une aide était déjà nécessaire dans les premiers projets de recherche (thèses de doctorat) et a mis en évidence le fait que les écoles doctorales binationales transmettent des compétences culturelles et langagières spécifiques. Les expériences cumulées également par les responsables d une école doctorale binationale incitent à la création de standards communs pour l évaluation des travaux de recherche.

Patrick FRIDENSON (EHESS) a plaidé en faveur d une coopération franco-allemande tout d abord dans des petits groupes, dont les membres devraient être recrutés parmi les scientifiques exerçant à l université. Dans ce contexte, il a également fait référence à l Exzellenzinitiative. Il a mis en évidence les avantages de cette évaluation de la recherche universitaire par rapport à l Opération Campus en France. Contrairement au procédé allemand, l évaluation française n a pas suffisamment donné lieu à des échanges avec les équipes de chercheurs, aucun expert étranger n a été consulté et l initiative disposait d un budget limité en comparaison avec l Allemagne. Dans son tour d horizon du paysage de la recherche dans les sciences humaines et sociales en France, Denis PESCHANSKI (Paris I/CNRS) en a fait ressortir les forces et faiblesses. Traditionnellement, il se compose d universités, de Grandes Ecoles, du CNRS et de l ANR. Selon lui, la recherche en France présente aussi bien des avantages que des inconvénients en comparaison avec le reste du monde. Parmi les inconvénients, on compte le grand nombre d universités et d instituts de recherche de plus petite envergure auxquels manquent ne serait-ce que les capacités pour vraiment faire de la recherche et qui, de plus, se renferment de plus en plus sur eux-mêmes. Des fusions pourraient remédier à ce problème, puisque celles-ci pourraient alors disposer d une dimension internationale tout en conservant un ancrage régional. Par ailleurs, il a critiqué la charge de travail des enseignants-chercheurs qui, partagés entre l enseignement et les tâches administratives, ne disposent que de peu de temps pour la recherche. PESCHANSKI a plaidé en faveur d une intensification de la mise en réseau à l échelle internationale qui permettrait d améliorer la situation de la recherche en France. Lennart Gilhaus, Lilian Landes, Michaline Skupin, Tanja Dauerlein Coordination : Stephan Geifes Traduction : Solène Hazouard, Marie Pedron