Le délit de fraude fiscale et les délits voisins



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Page 1 Document 1 de 1 Droit fiscal n 46, 13 Novembre 2014, 622 Le délit de fraude fiscale et les délits voisins Etude par Charlotte Claverie-Rousset professeur à l'université de Bordeaux Institut de sciences criminelles et de la justice Sommaire 1. - Fraude fiscale et évasion fiscale. - Il est aujourd'hui un lieu commun d'affirmer que la lutte contre la fraude fiscale est devenue une priorité des pouvoirs publics. En témoigne évidemment la loi n 2013-1117 du 6 décembre 2013 qui a renforcé la répression de ce délit, notamment en écho à la célèbre affaire Cahuzac. Si, intuitivement, chacun se figure à peu près en quoi consiste la fraude fiscale, cette infraction pénale répond à une définition bien précise sur laquelle il est important de revenir. Il convient tout d'abord de rappeler la distinction fondamentale entre la fraude fiscale et la simple évasion fiscale. Cette dernière consiste à optimiser aux mieux les règles du droit fiscal afin de payer le moins d'impôt possible, quel que soit cet impôt Note 1. Le contribuable procédant de la sorte agit donc en toute légalité, et c'est seulement dans le cas où il franchirait la ligne rouge tracée par le droit pénal qu'il s'attirerait les foudres de celui-ci en se rendant coupable de fraude fiscale. 2. - Intervention du droit pénal en matière de lutte contre la fraude fiscale. - Il ne s'agira évidemment pas ici de revenir sur l'utilité de cette qualification de fraude fiscale, notamment au regard du manque à gagner qu'elle crée pour l'état français, et qui s'élèverait chaque année à des dizaines de milliards d'euros. Se fondant sur l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen relatif à la nécessité de l'impôt, le Conseil constitutionnel a d'ailleurs rappelé la nécessité, pour l'administration fiscale, de lutter efficacement contre la fraude fiscale Note 2. On s'intéressera en revanche au domaine et à la définition de cette incrimination, ainsi qu'à sa répression. Avant cela, plusieurs remarques s'imposent. D'abord, si l'un des enjeux majeurs de l'application d'une qualification pénale tient aux sanctions encourues (emprisonnement et amende principalement), il ne faut pas oublier qu'elle permet de conférer certains moyens aux enquêteurs concernés Note 3. En outre, le fait pour le contribuable de s'exposer, certes à des sanctions d'ordre pécuniaire mais potentiellement aussi à une peine privative de liberté, peut éventuellement le dissuader de frauder. Cela est d'autant plus vrai depuis la loi du 6 décembre 2013 qui a incontestablement accru la répression. 3. - Étude des principales qualifications applicables. - Ces remarques s'appliquent en premier lieu au délit général de fraude fiscale prévu par l'article 1741 du CGI (1) Note 4. Mais parallèlement il ne faut pas croire que c'est la seule incrimination existante, puisque certaines qualifications du Code pénal peuvent s'appliquer aux personnes qui, de manière plus ou moins directe, se soustraient volontairement au paiement de l'impôt, profitent de ce comportement et/ou essaient de le masquer pour échapper aux autorités judiciaires. Ces différents délits, qui gravitent autour de celui de fraude fiscale, en sont des délits voisins Note 5 qui méritent d'être étudiés (2) en ce que leur existence permet de réprimer l'ensemble des acteurs de la fraude, qu'ils soient primaires ou secondaires.

Page 2 1. Le délit général de fraude fiscale A. - Les éléments constitutifs et les peines 1 Les éléments constitutifs 4. - Élément matériel. - Le domaine du délit de fraude fiscale est large puisque l'article 1741 du CGI a une portée générale : il est en effet susceptible de s'appliquer à tous les impôts visés par le CGI. Toutefois, en pratique, la fraude concerne surtout l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés et la taxe sur la valeur ajoutée. En outre, le délit peut prendre quatre formes différentes, certaines correspondant à des omissions, d'autres à des actes positifs, qu'il conviendra de préciser successivement. 5. - Omission volontaire de déclaration dans les délais prescrits. - La première forme du délit est l'omission volontaire de déclaration dans les délais prescrits. Il s'agit donc d'une infraction d'omission instantanée qui est consommée dès lors que le contribuable ne dépose pas sa déclaration dans le délai prévu par la loi. Il est important de remarquer que le contribuable pourra faire l'objet de poursuites pénales de ce chef même s'il n'a pas été préalablement mis en demeure par l'administration de régulariser sa situation, conformément à l'article L 229 du LPF. A fortiori, le contribuable sera certainement déclaré coupable s'il s'est systématiquement abstenu de procéder aux déclarations malgré les multiples mises en demeure Note 6. Par ailleurs, même si l'omission est réparée par la suite, par exemple en effectuant sa déclaration après le délai, l'infraction reste consommée ; en pratique cependant, il existe une certaine tolérance administrative, qui, si elle entraîne l'application de pénalités fiscales, donnera rarement lieu à des poursuites. 6. - Dissimulation volontaire de sommes sujettes à l'impôt. - La deuxième forme du délit consiste à dissimuler volontairement des sommes sujettes à l'impôt. Cette dissimulation porte le plus souvent sur un revenu net global, des bénéfices, des recettes, etc. Concrètement, est incriminé le fait de ne pas mentionner certaines sommes sur la déclaration, soit de manière directe (comme un commerçant qui minorerait ses recettes soumises à la TVA), soit de manière indirecte (par exemple en indiquant bien le montant exact des recettes mais en déclarant aussi des charges déductibles inexistantes ou supérieures à leur montant réel). Ainsi, la dissimulation peut résulter d'une simple déclaration mensongère ou bien de la mise en oeuvre de divers stratagèmes destinés à masquer la situation véritable du déclarant. Dans tous les cas, l'article 1741 prévoit une règle peu courante en droit pénal, à savoir une tolérance quant au montant de la dissimulation : en effet, la dissimulation n'est incriminée que si elle excède le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 EUR. 7. - Organisation d'insolvabilité et entrave au recouvrement de l'impôt. - La troisième forme du délit est l'organisation d'insolvabilité ou le fait de mettre obstacle, par d'autres manoeuvres, au recouvrement de l'impôt. Pour retenir cette forme de fraude fiscale, il est alors nécessaire que le débiteur ait soustrait ses biens aux poursuites en recouvrement de l'impôt ou ait fait obstacle par quelque moyen que ce soit au recouvrement. Autrement dit le redevable se dépouille de l'intégralité ou d'une partie de ses biens afin que l'administration obtienne difficilement le paiement de sa créance : il déplace par exemple des biens saisissables ou encore les vend ou les donne Note 7 afin d'éviter les saisies du fisc. 8. - Utilisation de toute autre manière frauduleuse. - Enfin, la quatrième forme du délit consiste à utiliser tout autre manière frauduleuse. Cette disposition permet de couvrir les astuces ne répondant pas à la définition des trois cas précédents. Par exemple, il peut s'agir du fait de se placer sous un régime fiscal indu dans l'intention de se soustraire à l'impôt Note 8. 9. - Résultat de la fraude : soustraction à l'établissement ou au recouvrement de l'impôt. - Quel que soit le moyen utilisé, pour être consommé, le délit requiert la réalisation d'un résultat juridique : la soustraction à l'établissement ou au recouvrement de l'impôt. Toutefois, même en l'absence de soustraction effective, certains comportements peuvent tomber sous le coup de la loi pénale puisque l'article 1741 du CGI incrimine la tentative de fraude fiscale Note 9. Le régime de la tentative est alors soumis au droit commun, sauf à remarquer que certaines formes du délit s'accommodent

Page 3 mal avec la structure de la tentative qui requiert un commencement d'exécution, notamment lorsque des omissions sont incriminées. Aussi la tentative concerne-t-elle plutôt l'organisation de l'insolvabilité et toute autre manière frauduleusenote 10. 10. - Élément moral. - Le délit de fraude fiscale est une infraction intentionnelle. Autrement dit, il faudra établir que la personne était animée d'une volonté de fraude ; elle doit avoir conscience que son comportement aura pour effet d'empêcher ou de fausser l'établissement de l'impôt ou d'en compromettre le recouvrement. Conformément au droit commun, cette preuve du caractère intentionnel de l'infraction incombe au ministère public et à l'administration, comme cela est rappelé par l'article L. 227 du LPF. Il faut en conséquence démontrer que le contribuable a voulu tromper l'administration en évitant, par exemple, qu'elle soit exactement informée de l'existence et de l'importance de ses revenus ou de ses recettes. 2 La répression du délitnote 11 11. - Fraude fiscale simple. - La fraude fiscale simple, c'est-à-dire sans circonstance aggravante, est punie de cinq ans d'emprisonnement et 500 000 EUR d'amende pour les personnes physiques Note 12. 12. - Fraude fiscale aggravée : modification par la loi du 6 décembre 2013. - L'article 1741 du CGI prévoit aussi des circonstances aggravantes. La loi du 6 décembre 2013 a d'ailleurs opéré sur ce point un changement marquant. En effet, deux circonstances aggravantes sont désormais prévues Note 13. La première pourra être retenue lorsque les faits ont été commis en bande organisée. Selon l'article 132-71 du Code pénal, la bande organisée est définie comme «tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions». La seconde circonstance aggravante sera retenue lorsque les faits ont été réalisés ou facilités au moyen de schémas frauduleux complexes. L'article 1741 énumère cinq cas, à savoir le recours à des comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger Note 14, à l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l'étranger, à l'usage d'une fausse identité ou de faux documents au sens de l'article 441-1 du Code pénal, ou de toute autre falsification, à une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l'étranger, ou enfin, à un acte fictif ou artificiel ou à l'interposition d'une entité fictive ou artificielle. 13. - Quantum des peines aggravées. - La peine privative de liberté encourue pour la fraude fiscale aggravée est maintenue à sept ans d'emprisonnement, comme avant la réforme ; en revanche, l'amende pénale est portée à 2 000 000 EUR alors qu'elle était précédemment de 1 000 000. Si l'on en croit la circulaire d'application de la loi, ce relèvement du montant de l'amende pénale a pour objectif de mieux proportionner les sanctions encourues avec les enjeux financiers parfois très importants des affaires de fraude fiscale de grande envergure Note 15. 14. - Enjeux de la qualification de fraude fiscale aggravée. - Au-delà de l'aggravation des peines encourues en elle-même, il est fondamental de remarquer que la qualification de fraude fiscale aggravée a des conséquences en matière procédurale notamment parce que la loi autorise alors le recours aux techniques spéciales d'enquête ou d'instruction réservées à la criminalité organisée et à la grande délinquance économique et financière Note 16. Il s'agit, entre autres, de la surveillance (CPP, art. 706-80), de l'infiltration (CPP, art. 706-81 et s.), ou encore de la captation de données informatiques (CPP, art. 706-102-1 et s.). 15. - Peines complémentaires. - L'auteur d'une fraude fiscale, qu'elle soit simple ou aggravée, encourt un certain nombre de peines complémentaires telles que la privation des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues aux articles 131-26 et 131-26-1 du Code pénal, ou l'encore affichage de la décision prononcée et la diffusion de celle-ci dans les conditions prévues aux articles 131-35 ou 131-39 du Code pénal. B. - Les responsables

Page 4 1 L'auteur de l'infraction 16. - L'auteur personne physique. - Lorsque l'auteur est une personne physique, l'infraction sera imputée au signataire de la déclaration entachée de fraude ou, en cas d'omission volontaire, la personne qui était légalement tenue de souscrire et de signer la déclaration manquante. 17. - La pluralité de personnes physiques : les coauteurs. - Parfois se pose le problème des personnes soumises à une imposition commune comme les couples. Par exemple, en matière d'impôt sur le revenu, les époux Note 17 doivent conjointement signer la déclaration d'ensemble des revenus de leur foyer : ainsi si la fraude affecte la déclaration d'ensemble des revenus, les époux peuvent tous les deux faire l'objet de poursuites pénales (sous réserve d'établir le caractère intentionnel de leurs agissements) et ils seront considérés comme coauteurs du délit. Il faut toutefois noter qu'en ce qui concerne les déclarations catégorielles telles que les BIC, BNC et BA, si la fraude ne concerne que la déclaration catégorielle de l'un des conjoints, il sera seul considéré comme auteur de la fraude fiscale. 18. - Le chef d'entreprise. - Toujours s'agissant des personnes physiques, le délit de fraude fiscale peut être reproché au chef d'entreprise. Dans ce cas, la jurisprudence a énoncé un principe de présomption de responsabilité du dirigeant de droit Note 18. Ainsi, le dirigeant de droit est, sauf délégation de pouvoirs régulière, tenu pour responsable des obligations fiscales de l'entreprise Note 19 ; il ne peut s'exonérer de sa responsabilité en se retranchant derrière la faute de son comptable car il lui appartient de veiller lui-même à l'établissement et au paiement de ses déclarations dans les délais légaux et notamment de fournir à son comptable tous les éléments nécessaires à l'établissement de déclarations et de vérifier la régularité de leur contenu Note 20. Cela étant, le dirigeant de fait peut également se voir imputer le délit de fraude fiscale, et la jurisprudence admet même le cumul de responsabilités des dirigeants de droit et de fait Note 21. 19. - L'auteur personne morale de droit privé. - Depuis le 31 décembre 2005, l'article 121-2, alinéa 1er du Code pénal a abandonné le principe de spécialité de la responsabilité pénale des personnes morales, ce qui a eu pour conséquence de permettre l'imputation du délit de fraude fiscale aux personnes morales (généralement des sociétés - plus rarement des associations), contrairement à ce qui se passait avant. Les conditions de droit commun de l'article 121-2 du Code pénal s'appliquent à savoir que l'infraction doit avoir été réalisée par un organe ou représentant de la personne morale (c'est-à-dire la plupart du temps le dirigeant de droit ou le délégataire de pouvoirs) et pour le compte de la personne morale, c'est-à-dire dans l'intérêt de celle-ci. La personne morale coupable du délit encourt le quintuple de la peine d'amende applicable aux personnes physiques (C. pén., art. 131-38), soit 2 500 000 EUR pour la fraude fiscale simple et 10 000 000 EUR pour la fraude fiscale aggravée. À l'origine, la loi prévoyait d'indexer l'amende encourue par les personnes morales à leur chiffre d'affaires en retenant un quantum de son dixième, mais cette disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel pour méconnaissance du principe de nécessité des peines, impliquant une certaine proportionnalité avec la gravité de l'infraction Note 22. 2 Le complice 20. - Fondement de la répression du complice. - L'auteur ou les coauteurs ne sont pas les seuls à pouvoir être responsables pénalement pour fraude fiscale, car le complice pourra également engager sa responsabilité, notamment sur le fondement des textes de droit commun, à savoir les articles 121-6 et 121-7 du Code pénal, ainsi qu'un texte spécial, l'article 1742 du CGI qui vise en particulier les officiers publics, officiers ministériels et experts-comptables. C'est le régime de droit commun de la complicité qu'il convient d'appliquer, à savoir notamment la nécessité d'établir un fait principal punissable, en l'occurrence la fraude fiscale, qui n'a pas à être effectivement puni Note 23. 21. - Actes de complicité. - Classiquement, l'acte de complicité pourra consister en une aide ou assistance, une instigation ou encore des instructions Note 24, tous ces actes devant être positifs et antérieurs ou concomitants à l'infraction principale. Il pourra s'agir d'actes accomplis par l'épouxépouse du contribuable, un ami, un tiers, ou encore un professionnel tel qu'un expert-comptable, etc. Pour être pénalement responsable, le complice doit avoir conscience de s'associer à une infraction et la volonté de le faire. Par exemple, a été considérée comme complice de fraude fiscale la personne chargée par les dirigeants d'une entreprise du recouvrement de leurs créances sur des clients dont une partie a été encaissée de manière occulte, dès lors que cette personne a accepté d'ouvrir et de gérer pour ses mandants des

Page 5 comptes bancaires et a conservé pour lui des fonds collectés en règlement d'une dette du dirigeant à son égard Note 25. 22. - Transmission des circonstances aggravantes au complice?. - Conformément à l'article 121-6 du Code pénal, le complice sera puni comme si lui-même avait été auteur de la fraude fiscale Note 26. Lorsque l'infraction reprochée à l'auteur principal est une fraude fiscale aggravée, se pose la question de savoir si la circonstance aggravante va se transmettre au complice. Compte tenu de leur définition Note 27, les circonstances aggravantes prévues à l'article 1741 du CGI sont des circonstances aggravantes réelles (c'est-à-dire attachées à la matérialité des faits, et non à la personne de leur auteur) et donc elles se communiquent au complice même s'il les a ignorées. Le complice encourra donc systématiquement les peines aggravées. Pour compléter cet arsenal répressif propre au délit de fraude fiscale, il existe des délits de droit commun, prévus par le Code pénal, qui trouvent à s'appliquer dans le cadre de la fraude : ce sont des délits voisins de la fraude fiscale. 2. Les délits voisins de la fraude fiscale A. - L'escroquerie 1 Éléments constitutifs 23. - Définition de l'escroquerie. - L'escroquerie est définie par l'article 313-1 du Code pénal. Au titre de l'élément matériel elle requiert l'utilisation d'un procédé particulier : l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, l'abus d'une qualité vraie ou encore l'emploi de manoeuvres frauduleuses. Le fait, pour l'auteur, de recourir à l'un de ces procédés doit causer un résultat bien précis, à savoir qu'il va déterminer une victime à lui remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à lui fournir un service ou à lui consentir un acte opérant obligation ou décharge. En remettant de tels biens ou services, la victime est trompée, ce qui cause un préjudice pour elle-même ou un tiers. Au titre de l'élément moral, le délit d'escroquerie est une infraction intentionnelle qui nécessite donc chez son auteur la conscience et la volonté de tromper la victime en vue d'obtenir la remise. En matière fiscale, l'escroquerie sera constituée le plus souvent par l'emploi de manoeuvres frauduleuses par le redevable, la plupart du temps en matière de TVA. Un simple mensonge ne suffit pas à caractériser les manoeuvres, ce mensonge devant être corroboré par des actes extérieurs lui donnant force et crédit. Concrètement, le redevable va mentir à l'administration fiscale Note 28 et utiliser par exemple des faux documents comptables ou un autre stratagème pour persuader l'administration fiscale qu'il a payé trop d'impôt et qu'il a droit à un remboursement, qu'il dispose d'un crédit de TVA, etc. En procédant de la sorte, le redevable personne physique ou morale, va déterminer les services fiscaux à lui remettre des fonds de manière indue, ce qui va évidemment causer au fisc un préjudice d'ordre patrimonial. 2 Répression 24. - Concours de qualifications entre l'escroquerie et la fraude fiscale. - Il ressort de cette définition de l'escroquerie appliquée à la matière fiscale que le fait d'obtenir frauduleusement des remboursements injustifiés de la part de l'administration fiscale peut tomber sous le coup de deux qualifications : escroquerie et fraude fiscale. Il s'agit alors d'un concours de qualifications. Comment le résoudre? Si par exemple les assujettis au paiement de la TVA reportent sur leurs déclarations un montant de TVA déductible supérieur au montant régulièrement comptabilisé, alors il ne s'agit que d'une déclaration inexacte comportant une simple allégation mensongère (donc une fraude fiscale par dissimulation volontaire de sommes sujettes à l'impôt) mais qui, à elle seule, est insuffisante pour permettre la qualification d'escroquerie. En effet, pour passer du stade de la fraude fiscale à celui de l'escroquerie, il est indispensable de pouvoir faire état de manoeuvres frauduleuses : cela suppose non seulement un tel mensonge mais aussi que des actes extérieurs aux déclarations elles-mêmes sont de nature à donner force et crédit aux allégations mensongères énoncées par ces déclarations en vue de tromper l'administration. De tels actes extérieurs peuvent par exemple résulter de la falsification de factures d'achats réels.

Page 6 25. - Cumul de qualifications retenu par la jurisprudence. - A priori donc il existe des critères de distinction entre la qualification de fraude fiscale et celle d'escroquerie (punie de 5 ans d'emprisonnement et de 375 000 EUR d'amende), de telle sorte que lorsqu'un même comportement est susceptible de recevoir les deux qualifications, il faudrait en choisir une seule, en vertu de la règle ne bis in idem. Pourtant la jurisprudence admet le cumul de qualifications, ce qui signifie que le redevable pourra être reconnu coupable des deux infractions Note 29. La justification tient, de manière classique, à ce que les éléments constitutifs de ces délits ainsi que les valeurs sociales protégées sont distincts Note 30. Si cette double déclaration de culpabilité n'a pas pour effet de provoquer un cumul des peines Note 31, elle a tout de même une certaine importance, notamment en ce qu'elle figurera sur le casier judiciaire de l'intéressé. 26. - Poursuites du délit de l'escroquerie en matière fiscale. - Contrairement à la fraude fiscale, la mise en oeuvre des poursuites n'est pas subordonnée au dépôt d'une plainte et à l'avis de la CIF, comme c'est le cas pour le délit de fraude fiscale Note 32. En effet la Cour de cassation a jugé que cette procédure particulière ne s'applique pas à l'escroquerie même si celle-ci a eu pour but ou pour effet d'obtenir le paiement indu de la TVA Note 33. Ainsi, si une personne se rend à la fois coupable de fraude fiscale et d'escroquerie au préjudice de l'administration fiscale, elle pourra faire l'objet de poursuites pour les deux (sous réserve de la plainte de l'administration pour la fraude fiscale) ou bien uniquement pour l'escroquerie (selon la procédure de droit commun). B. - Les délits de conséquence 1 Le recel de fraude fiscale 27. - Élément matériel. - Conformément à ce que prévoit l'article 321-1 du Code pénal, le recel pourra être reproché à toute personne qui va dissimuler, détenir, transmettre, faire office d'intermédiaire ou encore bénéficier par tout moyen du produit de la fraude fiscale. Autrement dit, est incriminé le fait de profiter au sens large de la fraude fiscale commise par quelqu'un d'autre Note 34. Cela peut par exemple être le cas du conjoint ou d'un membre de la famille de l'auteur de la fraude fiscale, qui profite des fonds dissimulés et non soumis à l'impôt. 28. - Élément moral. - Le recel est une infraction intentionnelle qui suppose que l'auteur du recel ait agi en connaissance de cause. Autrement dit il doit avoir connaissance de l'origine délictueuse des fonds, c'est-à-dire savoir qu'il dissimule, détient, transmet ou profite de fonds qui proviennent de la commission d'un crime ou d'un délit. Il n'est en revanche pas exigé que le receleur ait une connaissance précise de la nature de l'infraction d'origine ; il suffit donc que la personne sache que les fonds ont une origine illégale même si elle ne sait pas précisément que ces fonds ont été illégalement soustraits à l'impôt. 29. - Peines. - Les peines principales Note 35 encourues par les personnes physiques pour un recel simple sont cinq ans d'emprisonnement et 375 000 EUR d'amende. Si l'infraction est commise en bande organisée, ou de façon habituelle, ou en utilisant les facilités que procure l'exercice d'une activité professionnelle, les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et 750 000 EUR d'amende (C. pén., art. 321-2). Mais l'article 321-3 du Code pénal va encore plus loin pour la peine d'amende, précisant qu'elle peut être portée jusqu'à la moitié de la valeur des biens recelés. En outre, l'article 321-4 applicable au recel de fraude fiscale prévoit que le receleur encourt également les circonstances aggravantes de la fraude fiscale dont il a eu connaissance, ce qui peut donc aller jusqu'à 2 000 000 EUR Note 36. 30. - Poursuite du recel. - Pour la poursuite du recel, alors que dans le droit commun, il n'est pas nécessaire que l'infraction d'origine ait été effectivement sanctionnée ou poursuivie, en matière fiscale la Cour de cassation exige une plainte préalable de l'administration fiscale pour pouvoir sanctionner le recel Note 37. Cette solution peut se comprendre du point de vue de l'opportunité, pour les mêmes raisons qu'une plainte préalable est nécessaire en matière de fraude fiscale. D'un point de vue plus technique, il est également vrai que si le receleur encourt les peines applicables à la fraude fiscale Note 38, il est sans doute nécessaire d'établir la constitution de cette infraction et d'attendre de voir si l'administration fiscale juge utile de la poursuivre. Cependant, malgré le caractère nécessairement dépendant du délit de recel, cette restriction procédurale ne facilite pas la répression alors même que celui qui profite du produit de la fraude est tout aussi coupable que celui qui la commet personnellement. De ce point de vue, l'incrimination de blanchiment semble plus efficace.

Page 7 2 Le blanchiment de fraude fiscale 31. - Élément matériel. - L'article 324-1 du Code pénal incriminant le blanchiment en distingue deux formes. En premier lieu, selon l'alinéa 1er de ce texte, le blanchiment est le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect. En matière de fraude fiscale, il s'agit donc de faciliter la justification mensongère de l'origine des biens ou revenus de l'auteur de la fraude : une telle facilitation peut être opérée par la fabrication de faux bulletins de salaires, fausses factures, écritures bancaires fictives, etc. Elle peut également être illustrée par l'exemple suivant : un homme accepte d'acquérir, d'immatriculer, d'assurer à son nom et de financer par l'emprunt l'achat d'une automobile de luxe appartenant en réalité à l'auteur d'une fraude fiscale ; de son côté, l'auteur de la fraude fiscale remet à l'autre la somme de 300 000 F en espèces, en règlement d'une partie du prix, et lui rembourse les mensualités du prêt souscrit pour payer la différence. Un tel stratagème a indiscutablement pour objet de dissimuler des revenus occultes de l'auteur de la fraude fiscale, de sorte que le prête-nom peut être condamné pour blanchiment Note 39. En second lieu, l'alinéa 2 prévoit que le blanchiment peut également consister à apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. Cette variété de blanchiment peut être consécutive à une fraude fiscale, par exemple lorsqu'une personne va remettre dans le circuit économique légal les sommes indûment soustraites à l'impôt en achetant des biens immobiliers à l'étranger Note 40. Une des pratiques les plus courantes consiste en effet pour le contribuable à déposer frauduleusement des sommes sur un compte bancaire dans un «paradis fiscal» puis à contracter un emprunt d'un montant similaire auprès de cette banque ou d'une de ses filiales françaises. La banque se rembourse alors à partir des sommes figurant sur le compte bancaire tandis que le contribuable utilise cet emprunt pour investir légalement, en achetant par exemple un bien immobilier. Mais il peut également s'agir du fait d'investir les sommes provenant de la fraude fiscale en souscrivant des bons anonymes auprès d'établissements bancaires et en utilisant ces sommes comme enjeux dans les casinos pour les transformer en gains licites Note 41. De prime abord ces exemples peuvent surprendre car ils illustrent le fait que c'est l'auteur même de la fraude fiscale qui blanchit l'argent provenant de la fraude ; comment est-ce possible? 32. - Blanchiment de soi-même. - Contrairement aux solutions applicables en matière de recel Note 42, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré dès 2004 que le blanchiment pouvait être reproché à l'auteur de l'infraction d'origine Note 43 ; toutefois dans l'arrêt concerné, seul l'alinéa 2 de l'article 324-1 était visé, ce dont il était possible de déduire que la solution devait être restreinte au blanchiment consistant à apporter son concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion. Puis en 2008, la chambre criminelle a repris cette solution, en visant seulement l'article 324-1, sans préciser l'alinéa concerné Note 44. Ainsi, il semble désormais acquis que, quelle que soit la forme matérielle du blanchiment, elle peut être reprochée à l'auteur de la fraude fiscale. Une même personne pourra donc être condamnée pour fraude fiscale et blanchiment de cette fraude. 33. - Preuve de l'élément matériel. - Dans la mesure où les auteurs du blanchiment recourent généralement à des montages et stratégies complexes, il est souvent difficile de prouver les actes de blanchiment. Pour cette raison, la loi du 6 décembre 2013 a instauré une présomption à l'article 324-1-1 pour faciliter la preuve du fait que les biens ou revenus sont le produit de l'infraction d'origine. Selon ce texte, «les biens ou les revenus sont présumés être le produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit dès lors que les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération de placement, de dissimulation ou de conversion ne peuvent avoir d'autre justification que de dissimuler l'origine ou le bénéficiaire effectif de ces biens ou revenus». La loi nouvelle institue donc un renversement de la charge de la preuve qui vise à «mieux appréhender les montages juridiques et financiers dénués de toute rationalité économique et dont la complexité n'est manifestement qu'un moyen d'éviter la traçabilité des flux et d'en dissimuler l'origine» Note 45. Toutefois, même si l'article 324-1-1 ne le précise pas, cette présomption simple ne peut, compte tenu de son objet, concerner que la preuve de l'acte décrit à l'alinéa 2 de l'article 324-1 Note 46. 34. - Élément moral. - Quelle que soit la forme matérielle du blanchiment, il s'agit d'une infraction intentionnelle. Ainsi, le délit est constitué par la seule connaissance par le blanchisseur de l'origine délictueuse des fonds Note 47. En revanche, comme en matière de recel, il n'est pas exigé qu'il connaisse de manière précise l'infraction d'origine Note 48, en l'occurrence le fait qu'il s'agisse d'une fraude fiscale.

Page 8 35. - Poursuite du blanchiment de fraude fiscale. - La poursuite du blanchiment de fraude fiscale mérite quelques précisions. En principe, pour établir l'infraction de conséquence qu'est le blanchiment, il faudra d'abord établir l'existence de l'infraction d'origine, c'est-à-dire la fraude fiscale, même si cette dernière n'est pas poursuivie. Or, la jurisprudence a précisé que la poursuite du délit de blanchiment de fonds provenant d'une fraude fiscale n'est pas subordonnée au dépôt d'une plainte administrative sur avis conforme de la CIF Note 49. L'intérêt principal de la qualification de blanchiment de fraude fiscale est alors évident pour le ministère public : il n'y a pas en la matière de «verrou de Bercy». Le procureur de la République peut donc poursuivre à sa guise toute personne qu'il soupçonne avoir commis le délit de blanchiment de fraude fiscale, conformément au principe de l'opportunité des poursuites (CPP, art. 40 et 40-1). L'exercice de l'action publique sera d'autant plus facile que le point de départ du délai de prescription triennal est reporté Note 50. 36. - Peines encourues. - Les peines encourues par les personnes physiques coupables de blanchiment sont identiques à celles prévues pour le recel Note 51. S'agissant des personnes morales, elles encourent une amende d'un montant équivalent au quintuple de l'amende encourue par les personnes physiques. En outre, la loi du 6 décembre 2013 a créé à leur égard une nouvelle peine : le nouvel article 324-9 prévoit une peine de confiscation de tout ou partie de leurs biens. Malgré les critiques formulées à l'encontre de la peine de confiscation générale, la chambre criminelle de la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de juger que cette peine (applicable à d'autres infractions commises par les personnes morales telles que le crime contre l'humanité ou la traite des êtres humains) n'était pas contraire à la convention européenne des droits de l'homme Note 52. Le blanchiment de fraude fiscale est donc puni de manière particulièrement sévère. 3. Conclusion 37. - Si le délit général de fraude fiscale est souvent au centre de l'attention du législateur, de l'administration fiscale et de l'opinion publique, on ne saurait oublier que la lutte contre ce fléau de fraude fiscale ne se limite pas à cette seule incrimination. En effet, elle passe nécessairement par un arsenal répressif, cohérent et complet applicable à tous les acteurs de cette fraude, quel que soit leur degré d'implication. Aussi l'existence de délits voisins aux conditions de mise en oeuvre parfois plus efficaces est-elle essentielle. Egalement dans ce dossier : articles 616, 617, 618, 619, 620, 621, 623, 624, 625, 626 Note 1 Pour une présentation plus précise de cette distinction, V. JCl. Lois pénales spéciales, V Impôts, fasc. 15, n 3 et s., par S. Detraz. Note 2 Cons. const., déc. 29 déc. 1983, n 83-164 DC, Loi de finances pour 1984, consid. 26 et s. : Dr. fisc. 1984, n 2-3, comm. 49 ; JCP G 1984, II, 20160, note A. Decoq et R. Drago ; RJF 1984, n 1186. Note 3 V. P. Oudenot et A. Laumonier, Les nouveaux moyens de l'administration fiscale pour lutter contre la fraude fiscale : Dr. fisc. 2014, n 46, 618. Note 4 Il existe un certain nombre de délits spéciaux de fraude fiscale qui ne seront pas envisagés ici, V. à ce sujet, BOI-CF-INF-40-10-20, 12 sept. 2012. Leur spécificité tient notamment au fait qu'ils s'appliquent uniquement à certaines catégories d'impôts. Note 5 L'expression «délits voisins» a été préférée à celle de «délit connexe» dans la mesure où les infractions envisagées ne répondent généralement pas à la définition de la connexité au sens où l'entend l'article 203 du Code de procédure pénale et la jurisprudence criminelle. Note 6 Par ex., Cass. crim., 11 juill. 1988, n 86-94.478.

Page 9 Note 7 Il peut également s'agir du fait, pour une personne ayant des revenus élevés, de dépenser frénétiquement ces revenus par des dépenses personnelles de consommation courante ou de luxe en veillant à maintenir systématiquement ses comptes bancaires à découvert, afin d'échapper à toute saisie, Cass. crim., 20 avr. 2005, n 04-85.684 : JurisData n 2005-028315. Note 8 Par ex., Cass. crim., 17 janv. 2007, n 06-83.330. Note 9 La fraude fiscale étant un délit, elle ne peut être incriminée que si la loi le prévoit conformément à la règle posée par l'article 121-4 du Code pénal. Note 10 V. JCl. Lois pénales spéciales, V Impôts, fasc. 15, préc., n 29. Note 11 Pour ce qui concerne l'aspect procédural de la répression, V. S.-M. Cabon, Le particularisme du déclenchement des poursuites pénales : le maintien du verrou de Bercy : Dr. fisc. 2014, n 46, 620. - R. Salomon, Dépôt des plaintes en cas de connexité et allongement du délai de prescription de l'action publique en matière fiscale, note sous L. n 2013-1117, 6 déc. 2013, art. 46 et 53 : Dr. fisc. 2013, n 51, comm. 584. Note 12 Sans compter les sanctions fiscales applicables ; sur ce point, V. S. Detraz, Les sanctions de la fraude fiscale à l'épreuve des principes constitutionnels et européens : Dr. fisc. 2014, n 46, 625. Note 13 Pour une étude détaillée de ces nouvelles circonstances aggravantes, V. S. Detraz, Modification des circonstances aggravantes du délit général de fraude fiscale et des peines correspondantes : L. n 2013-1117, 6 déc. 2013, art. 9, I : Dr. fisc. 2013, n 51, comm. 582, n 5 et s. Note 14 Le fait que cette forme de circonstance aggravante ait été validée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 décembre 2013 (Cons. const., déc. 4 déc. 2013, n 2013-679 DC, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière : JurisData n 2013-030673 ; Dr. fisc. 2013, n 51-52, comm. 563, note Ch. de la Mardière), alors que, contrairement aux autres, il ne désigne par une situation de fictivité ou des comportements de dissimulation organisée, ne fait pas l'unanimité, V. notamment, P.-F. Racine, Lutte contre la fraude fiscale et Constitution : Constitutions 2014, p. 17. Note 15 Circ. 23 janv. 2014 relative à la présentation de la loi n 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière : BOMJ n 2014-01, 31 janv. 2014 - JUSD1402112C. Note 16 Il est à noter que ces techniques d'enquêtes dérogatoires sont également applicables au blanchiment de fraude fiscale aggravée, V. CPP, art. 706-1-1. Note 17 Ainsi que les partenaires de PACS. Note 18 Cass. crim., 14 nov. 1994, n 93-81.294 : RJF 1995, n 411. Note 19 Cass. crim., 8 déc. 1999, n 99-80.350. - Cass. com., 30 mai 2001, n 00-85.557. Note 20 Cass. crim., 6 oct. 2004, n 03-86.643, M. Guny. Note 21 Cass. crim., 19 mai 1999, n 98-81.482. - Cass. crim., 15 nov. 2000, n 00-81.166, F-D : JurisData n 2000-007550 ; Dr. pén. 2001, comm. 33, note J. H. Charron ; RJF 8-9/1995, n 1029. Note 22 Cons. const., déc. 4 déc. 2013, n 2013-679 DC, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, consid. 10 : JurisData n 2013-030673 ; Dr. fisc. 2013, n 51-52, comm. 563, note Ch. de la Mardière. Il avait pourtant déjà admis, en matière de concurrence, la régularité d'amendes assises sur le chiffre d'affaires, cf. Cons. const., déc. 12 oct. 2012, n 2012-280 QPC, Sté Groupe Canal Plus : JurisData n 2012-022856 ; Journal Officiel 13 Octobre 2012 : RJDA 2012, n 1107. - V. sur ce point, Ch. de la Mardière, Loi sur la fraude fiscale : la France reste un État de droit : Constitutions 2014, p. 76. Note 23 Ainsi par exemple, même si l'auteur de la fraude fiscale est resté inconnu, est décédé, a bénéficié d'une décision de relaxe pour trouble psychique, etc., le complice reste punissable dès lors que le fait principal (la fraude fiscale) est punissable. Note 24 À noter qu'il existe aussi une forme particulière de complicité érigée en infraction autonome : le délit d'entremise de l'article 1743 CGI. Note 25 Cass. crim., 4 août 1992, n 90-84.555. Note 26 V. les peines exposées supra n 11 à 15.

Page 10 Note 27 V. supra n 12. Note 28 La chambre criminelle de la Cour de cassation a en effet admis que l'état français pouvait être victime d'une escroquerie, cf. Cass. crim., 6 févr. 1969, n 66-91.594 : Bull. crim. 1969, n 65. Note 29 Cass. crim., 13 oct. 1971, n 70-92.124 : Bull. crim. 1971, n 261. - Cass. crim., 7 déc. 1992, n 92-81.973. Note 30 V. en ce sens, Cass. crim., 6 oct. 2010, n 09-87.879 : JurisData n 2010-020205, V. R. Salomon, Droit pénal fiscal : Dr. fisc. 2011, n 3, 111. - S. Detraz, Un an de droit pénal fiscal et douanier (septembre 2010-août 2011) : Dr. pén. 2011, chron. 8. L'arrêt de référence en la matière en droit pénal général est, Cass. crim., 3 mars 1960 : Bull. crim. 1960, n 138 ; Rev. sc. crim. 1961, p. 105, obs. A. Legal. Note 31 Conformément au principe de non-cumul des peines prévues en matière de concours réel d'infractions, C. pén., art. 132-3. Note 32 Sur cette procédure particulière du «verrou de Bercy», V. S.-M. Cabon, Le particularisme du déclenchement des poursuites pénales : le maintien du verrou de Bercy : Dr. fisc. 2014, n 46, 620. Note 33 Cass. crim., 19 oct. 1987, n 85-94.605 : Dr. fisc. 1988, n 25, comm. 1293. Note 34 Il est en effet impensable de se «receler» soi-même : ainsi on ne peut pas reprocher à la même personne l'infraction d'origine et le délit de conséquence qu'est le recel, puisque ce dernier serait automatiquement caractérisé à l'encontre de l'auteur de l'infraction d'origine. Les deux qualifications sont incompatibles. Une solution différente est admise en matière de blanchiment, V. infra n 34. Note 35 Le receleur encourt également les peines complémentaires prévues aux articles 321-9 et 321-10 du Code pénal. Note 36 V. supra n 13. Note 37 Cass. crim., 14 déc. 2000, n 99-87.015 : JurisData n 2000-008069 ; Bull. crim. 2000, n 381. Note 38 V. supra n 29. Note 39 Cass. crim., 20 févr. 2008, n 07-82.977, FS-P+F : JurisData n 2008-043263 ; Bull. crim. 2008, n 43 ; Dr. pén. 2008, n 5, comm. 67, note M. Véron. Note 40 V. E. Daoud et M. Sobel, Le blanchiment de fraude fiscale : Lamy Droit des affaires 2013, n 83, p. 71 et 72. Note 41 Cass. crim., 20 févr. 2008, n 07-82.977, FS-P+F, préc. Note 42 V. supra n 27. Note 43 Cass. crim., 14 janv. 2004, n 03-81.165, FS-P+F : JurisData n 2004-022086 ; Bull. crim. 2004, n 12 ; D. 2004, p. 1377, note C. Cutajar ; JCP G 2004, p. 958, note H. Matsopoulou. Note 44 Cass. crim., 20 févr. 2008, n 07-82.977, FS-P+F, préc. Note 45 Circ. 23 janv. 2014 relative à la présentation de la loi n 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, préc. Note 46 En ce sens, V. notamment C. Cutajar, Le nouvel arsenal de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière : JCP E 2014, act. 49 - C. Mascala, Chronique de droit pénal des affaires : D. 2014, p. 1564 - M. Segonds, Commentaire de la loi n 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière : Dr. pén. 2014, étude 3, n 8. Note 47 Cass. crim., 1er déc. 2004, n 04-82.673. Note 48 Au sujet d'un conseiller financier qui soupçonnait une fraude fiscale commise par son client sans pouvoir en être certain, V. Cass. crim., 3 déc. 2003, n 02-84.646 : JurisData n 2003-021565 ; Rev. sc. crim. 2004, p. 636, obs. E. Fortis. - V. également C. Cutajar, Commet un blanchiment le conseiller financier qui, connaissant l'origine illicite des fonds qui lui sont confiés, accepte de les convertir en bons anonymes, nonobstant la déclaration de soupçon auprès de TRACFIN : JCP G 2004, II, 10066. Note 49 Cass. crim., 20 févr. 2008, n 07-82.977, FS-P+F, préc. Note 50 Le tribunal correctionnel de Paris a en effet jugé que «lorsque le blanchiment résulte de placements et de dissimulations successifs

Page 11 constituant, non pas une série d'actes distincts, mais une opération unique, la prescription ne commence à courir qu'à partir de la date du dernier acte de placement ou de dissimulation», cf. T. corr. Paris, 27 oct. 2009, n P0019292016. En outre, la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que le blanchiment constituant un délit distinct, la prescription qui le concerne est indépendante de celle qui s'applique à l'infraction originaire, cf. à propos d'un délit d'origine de banqueroute, Cass. crim., 31 mai 2012, n 12-80.715, P+B : JurisData n 2012-012897 ; Bull. crim. 2012, n 139 ; Dr. sociétés 2012, comm. 173, note R. Salomon ; Dr. pén. 2012, comm. 117, note M. Véron. - V. également H. Robert, Réflexions sur la nature de l'infraction de blanchiment d'argent : JCP G 2008, I, 146, n 10. On pourrait donc également appliquer la jurisprudence sur les infractions occultes et estimer que le point de départ du délai de prescription ne court qu'à compter de la date où les faits de blanchiment ont été découverts (comme la chambre criminelle le fait à propos de l'abus de confiance, abus de biens sociaux, etc.). Note 51 V. supra n 29. Note 52 Cass. crim., 3 nov. 2011, n 10-87.811. LexisNexis SA