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Transcription:

ravail & CHANGEMENT N 304/SEPTEMBRE-OCTOBRE 2005-5 & Revue de la qualité de vie au travail Risques technologiques et risques professionnels : s unir face au danger ENJEUX (P. 2,3) Allier les stratégies de prévention ARGUMENTS (P. 4 À 6) Travailler en commun pour un meilleur contrôle Interviews de François Kiffer, inspecteur du travail, André Carrau, délégué régional Ineris, René Amalberti, responsable du département de sciences cognitives à l Imassa, Denis Dumont, responsable du Barpi. CÔTÉ ENTREPRISES (P. 7 À 12) Pétrochimie Un risque géré sur le long terme Chimie Affiner la prévention, c est articuler les méthodes Industrie Identifier les risques et agir Energie Système de management et maîtrise des risques ALLER PLUS LOIN (P. 13 À 15) Points de vigilance Développer et partager la conscience du risque, veiller aux marges de manœuvre, utiliser le CHSCT, se servir de l EDD pour alimenter les travaux sur le DU et vice-versa. Note de lecture Le risque, le salarié et l entreprise. Des livres et des sites Sur les risques technologiques et industriels, les accidents organisationnels, l évaluation des risques, la santé et la sécurité... Bimestriel du réseau Anact pour l amélioration des conditions de travail

TRAVAIL ET CHANGEMENT N 304 septembre/octobre 2005 ENJEUX Allier les stratégies de prév Observer le travail réel tout en vérifiant les éléments de sécurité des installations : c'est tout l'intérêt d'une intervention pluridisciplinaire. L heure est à la rencontre des sciences de l ingénieur et des sciences humaines. Une démarche devenue incontournable pour améliorer la prévention des risques technologiques et professionnels dans l entreprise. R Risques technologiques et risques professionnels, une prévention conjointe. Tel était le titre de Travail et Changement de janvier 2003. Un dossier sous forme de plaidoyer pour une pluridisciplinarité des approches. Une expression, d ailleurs souvent reprise depuis, car elle exprimait bien l utilité de créer une rencontre entre deux disciplines, celle des sciences de l ingénieur et celle des sciences humaines. La gravité de certains accidents montre désormais l urgence de cette nécessaire rencontre pour dépasser le niveau de sécurité actuel. Mais l affirmer est une chose, mettre en œuvre une telle coopération en est une autre. Cette préoccupation visant à faire coopérer les sciences humaines et les sciences de l ingénieur est pourtant partagée par l Institut national de l environnement industriel et des risques (Ineris, établissement public reconnu dans la prévention des accidents industriels). Elle correspond aussi à une attente d entreprises qui gèrent au moins une installation classée. Le réseau Anact et l Ineris ont donc mené ensemble des interventions, en cherchant à identifier quelles conditions favorisaient une coopération efficace, conscients que l expérimentation ne couvrait pas tout le champ de la pluridisciplinarité. En effet, les services de santé au travail, entre autres, n y avaient pas été associés. > Dépasser les limites des deux approches Beaucoup d éléments plaidaient pour ce rapprochement : volonté d aider des entreprises à accroître leur sécurité, analyser de manière approfondie des situations concrètes, travailler en groupe, apporter des préconisations. Vocabulaire et outils utilisés sont proches. D ailleurs, les préventeurs d entreprises soumises à autorisation fournissent des Etudes de dangers (EDD) depuis le décret du 21 septembre 1977. Ils sont repartis facilement de cette base pour établir leur Document unique d évaluation des risques professionnels (DU) exigé par le décret du 5 novembre 2001. Enfin, les sciences de l ingénieur proposent plutôt une approche par les barrières (voir infographie) tandis que les sciences humaines proposent une approche par les stratégies de prudence où l homme est aussi facteur de fiabilisation et lanceur d alertes. Mêler ces deux approches semblait pertinent. Car prises individuellement, elles révèlent leurs limites : CAUSES CAUSES Approche pronée par les sciences techniques APPROCHE PAR LES BARRIÈRES CONSÉQUENCES CONSÉQUENCES Première limite : l approche par les barrières peut rester éloignée du terrain et se trouver remise en cause par l imprévu. Pour atténuer cela, les ingénieurs mènent des analyses de risque en groupe de travail. Ils cherchent un retour d expérience qui complèterait les travaux des bureaux d étude en tenant compte des imprévus. Deuxième limite : cette approche est mal armée pour faire face aux dénis des risques. Certaines barrières sont des consignes, encore faut-il que les opérateurs ne soient pas obligés de les transgresser. Enfin, les barrières mises en place par un bureau d étude peuvent gêner le travail, voire le rendre dangereux. Troisième limite : l approche par les stratégies de prudence se prête mal à une analyse succincte. Mettre en Approche pronée par les sciences humaines APPROCHE PAR LA PRUDENCE SÉCURITÉ PRODUCTION CONDITIONS DE TRAVAIL Stratégie de prévention partagée pas tous les acteurs page 2

ention évidence la prudence, ce n est pas seulement observer, mais comprendre les stratégies de l opérateur, expert de son propre travail. Cela prend du temps. Quatrième limite : il n est pas possible de fonder une stratégie de prévention sur la seule prudence. Celle-ci est l une des variables mises en œuvre dans le travail. Comme toutes les autres variables, elle fait l objet de compromis. L opérateur peut être amené à prendre des risques par ignorance ou pour de bonnes raisons (des contraintes de production ou de qualité) ou encore, pour arriver à se faire entendre. > Comprendre les risques Ainsi, ni la prudence ni les barrières ne suffisent à prévenir à elles seules les risques. En revanche, l intervention conjointe a bien permis de dépasser ces limites. Elle s est révélée efficace pour prévoir les événements techniques et organisationnels rares et à accéder aux déterminants du travail à travers l expérience et les représentations des acteurs de terrain. En entreprise, les regards portés par l Ineris et l Anact se sont révélés effectivement différents. Ainsi, pendant la visite d un même atelier, l un notait L approche par les barrières est souvent privilégiée par les préventeurs. Le nœud papillon représente, autour d un événement redouté (cercle), la combinaison des causes et des défaillances (les deux ailes). Elle correspond à une vision de direction et de bureaux d études. Les opérateurs parlent plutôt de prudence. C est une approche reprise par les sciences humaines. Le triangle représente trois enjeux que couplent les opérationnels : production, sécurité et conditions de travail. Une stratégie de prévention partagée vise à confronter la prévention de terrain avec la prévention de bureau d études ; développer la conscience des risques ; s accorder des marges de manœuvre pour que les opérateurs puissent exercer leur prudence. les éléments de sécurité (équipements, bouches à incendie ), tandis que l autre remarquait ceux liés au travail (mouvements des opérateurs, traces au sol, encombrement ). L ingénieur en prévention de l Ineris cherchait les barrières et les facteurs aggravants agissant sur les accidents majeurs potentiels. Puis, il amenait le groupe de travail à explorer des scénarios d accidents, apportant l expérience de situations comparables ailleurs. De son côté, le chargé de mission du réseau Anact cherchait dans le travail observé, les éléments qui permettaient ou non à l opérateur d éviter des incidents et accidents potentiels. Il posait sans relâche la question : pourquoi? Enfin, il tentait d aider à faire apparaître, toujours dans le groupe de travail, l apport et les contraintes liées à la réalité du travail. > pour en avoir conscience Autre intérêt de l intervention conjointe: elle apporte du sens à la réalité du travail et permet la confrontation des points de vue. Une dynamique qui vise à développer la conscience du risque et à s expliquer sur les priorités. Au-delà, il s agit aussi de favoriser l expression des stratégies de prudence, de façon à ce que les procédures et les règles de métier se rapprochent pour une meilleure prévention. C est ainsi qu elles pourront être dépoussiérées, soit en les réexpliquant au regard des risques, soit en les faisant évoluer si elles ont perdu leur sens. A l heure actuelle, l expérience de la coopération débouche sur un enrichissement des méthodes existantes mais pas encore sur de nouveaux outils, de nouvelles méthodes. L objectif est bien de produire des repères, des démarches, des résultats Autant d éléments qui doivent être mis au service du débat dans l entreprise, notamment à travers le CHSCT puisqu il rassemble la direction et les représentants du personnel. Benoît Grandjacques (chargé de mission du département santé et travail de l Anact). page 3 EDITORIAL Risques technologiques pour les populations environnantes et risques professionnels pour les salariés : des dangers appréhendés séparément par les acteurs de l'entreprise. Cette partition se retrouve au niveau des experts et des administrations. Si elle se justifie par les méthodes utilisées, la nature des risques et les cibles potentiellement différentes, en revanche, l'étanchéité des approches ne peut être admise. Les catastrophes récentes, comme celle de AZF à Toulouse, enseignent que certains dangers sont sources de risques autant pour les salariés que pour les populations environnantes. Cette exigence d un meilleur partage d'expérience et de pratique a poussé l Anact et l Ineris à expérimenter avec quelques entreprises volontaires une approche commune de ces risques. Une rencontre qui ne va pas de soi, car elle place en vis-à-vis les sciences de l'ingénieur et celles des sciences sociales en ouvrant chacune d'elles à des objets nouveaux. Mais celle-ci participe à mieux inscrire dans la réalité le salarié comme expert de son travail et acteur de sa prévention comme de celles des autres. Cette première étape est modeste, mais elle laisse déjà percevoir que la prévention y gagnera en efficacité. Henri Rouilleault Directeur général de l Anact

TRAVAIL ET CHANGEMENT N 304 septembre/octobre 2005 ARGUMENTS Travailler en commun pour un m Souvent engagé dans un système complexe, l humain ne peut échapper à l erreur. A partir de cette acceptation, toute la chaîne, technique et organisationnelle, doit collaborer afin d éviter le pire. Points de vue de quatre experts... Comment s articulent les missions de la Direction régionale de l industrie, de la recherche et de l environnement (DRIRE) et de l'inspection du travail en matière de risques technologiques? Au sein de la DRIRE, c est l Inspection des installations classées qui instruit les demandes d'autorisation d exploitation de ce type d'installations. Une fois que l arrêté préfectoral autorise l installation, ce service en assure également le contrôle. L'Inspection du travail a, pour sa part, une mission très généraliste qui va des relations contractuelles et conventionnelles, aux règles relatives à la santé et à la sécurité, en passant par la représentation du personnel et les conflits. Ce caractère généraliste lui permet d avoir un regard global sur l organisation du travail. Jusqu en 2001, l Inspection du travail et l Inspection des installations classées ne collaboraient en pratique qu au moment où cette dernière sollicitait l avis de la première dans le cadre de l instruction des dossiers des installations classées. En 2001, l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, dont les victimes se comptent parmi les salariés travaillant sur le site comme parmi les personnes présentes dans son environnement, a fait comprendre aux pouvoirs publics qu'il fallait rapprocher les actions en faveur de la prévention des risques environnementaux et professionnels. Quelle a été la réflexion de la DRTEFP de Lorraine à partir de 2001? Nous avons tout d abord identifié ce que représentaient les installations classées en Lorraine. Avec 25 installations Seveso seuil haut, notre région se situe dans la moyenne nationale. Côté inspection du travail, nous avons effectué un diagnostic des problèmes identifiés comme sources de danger potentiel. Il nous est apparu important d'améliorer les conditions d intervention des entreprises extérieures dans les entreprises à risques. Nous avons également pris conscience qu'il fallait veiller au bon fonctionnement des CHSCT pour rendre leur examen des demandes d'installations classées et leur analyse des risques plus efficaces. Enfin, nous sommes parvenus à la conclusion qu'il fallait accroître le rôle de l'inspection du travail au moment de l'instruction des dossiers de demande d'installation classée. Vous vous êtes donc rapproché de la DRIRE? A partir de 2001, nous nous sommes rapprochés d abord dans le but de mieux nous connaître ; à cet effet, nous avons effectué une information réciproque sur nos missions et avons travaillé de concert avec Jacques Mollé de la DRIRE. Puis, nous avons organisé des formations en commun. Q usine Quelle est votre approche de la prévention des risques technologiques et industriels? Il faut d abord s entendre sur le type de risque que l on aborde. Il en existe plusieurs catégories. On distingue par exemple les risques immédiats des risques chroniques. Aujourd hui, il existe un type de risque très actualisé par l évolution sociologique de nos rapports à l industrie : c est celui de la perception du public. Ce risque perçu ne correspond pas toujours à un risque réel. Bien souvent, par exemple, les désagréments provoqués par la proximité d une FRANÇOIS KIFFER, inspecteur du travail à la DRTEFP (Direction régionale du travail, de l emploi et de la formation professionnelle) de Lorraine. Au final, un protocole des relations entre les inspecteurs du travail et ceux de l Inspection des installations classées a été défini pour encourager la communication des informations et organiser des contrôles en commun, le cas échéant. Aujourd hui, la DRTEFP et la DRIRE se sont rapprochées pour confier à l Aract Lorraine une étude commune. Par cette démarche qui est, à ma connaissance, exceptionnelle, nous souhaitons que l Aract examine la façon dont les CHSCT des entreprises à risques se sont saisis de la loi du 30 juillet 2003, adoptée à la suite d AZF. Ce texte précise les rôles de nos deux services et vise notamment à renforcer l action et les moyens des CHSCT dans la prévention des risques professionnels et environnementaux. Propos recueillis par Chrystelle Alour (journaliste). sont perçus comme des risques insupportables et de grande priorité à réduire. Or, ce qui est désagréable n est pas toujours synonyme de danger. La façon dont on va parler d un danger est donc déterminant sur la perception qu en a le public et par conséquent, sur la science et les priorités de recherches. Autre point associé au précédent, la démarche médiatique exprimée sur des risques potentiels graves mais non avérés devient dimensionnant pour la recherche. On assiste trop souvent à une forme de radicalisation page 4

eilleur contrôle Q Quel est le rôle de l Ineris auprès des entreprises à risques et quelle est son approche en matière de prévention? L Ineris apporte son expertise en matière de prévention des risques aussi bien accidentels que chroniques. Notre intervention peut se dérouler dans le cadre d un dossier réglementaire à constituer (une étude de danger ou d impact par exemple) ou d une tierce expertise imposée à l industriel par l administration. Généralement nous intervenons, à travers une analyse des risques, sur l organisation de la sécurité dans toutes ses dimensions, en prévention, pour éviter un événement redouté (accident, impact environnemental), ou en protection, pour en limiter les conséquences. Dans cette approche, nous analysons les barrières de sécurité terme qui regroupe les barrières techniques et organisationnelles qui peuvent être préventives ou protectrices. Notre analyse permettra de nous assurer que ces barrières sont adaptées, dimensionnées en nombre suffisant, maintenues dans le temps Comment intégrez-vous l aspect organisationnel de la prévention? De la même façon, l aspect organisationnel fait partie des barrières de sécurité. Le retour d expérience montre clairement que la prise en compte du rôle des hommes et de l organisation est un point essentiel de la gestion des risques. Il nous semble important d attirer l attention sur le fait que tout progrès dans la maîtrise des risques passe aussi par la mise en place de moyens humains et organisationnels adaptés. Ces aspects organisationnels au même titre que les barrières techniques peuvent être mis en place lors de l analyse des risques effectuée en groupe de travail. Ce groupe est constitué généralement de la direction de l entreprise, des responsables de la sécurité et de l environnement, des opérateurs, des services de maintenance. Les aspects ANDRÉ CARRAU, délégué régional Centre Est de l Institut national de l environnement industriel et des risques (Ineris). organisationnels identifiés doivent ensuite faire l objet de réflexion de la part de l entreprise qui peut faire appel à nos équipes spécialisées en management pour l assister. Que vous a apporté l expérimentation conjointe réseau Anact/Ineris? L analyse des risques telle que nous la réalisons ne va pas jusqu à l étude approfondie de l individu sur son poste de travail. L expérimentation menée a montré que cette composante pouvait jouer un rôle important et qu il était intéressant de l intégrer dans notre approche. L ergonomie ne fait pas partie des métiers de l Ineris au contraire de l Anact qui nous a beaucoup apporté sur ce plan. Cette expérimentation nous a également permis de travailler d une manière plus étroite avec les CHSCT que nous le faisions auparavant. C est d ailleurs une des avancées de la nouvelle loi sur les risques technologiques de juillet 2003. RENÉ AMALBERTI, responsable du département de sciences cognitives à l Institut de médecine aérospatiale du service de santé des armées (Imassa). Propos recueillis par Béatrice Sarazin (département information-communication de l Anact). immédiate qui tend à interdire tout ce qui est incertain au nom du principe de précaution. Cette situation rend difficile la recherche et la gestion du risque industriel. Quelle est la place du facteur humain dans le risque industriel? Aujourd hui, on part du constat que les incidents touchent les personnes en front de ligne : les ouvriers, les techniciens et les gens agissant directement sur le processus industriel. Dès lors, un modèle a été élaboré, dont voici le premier point : on ne peut pas mettre des êtres humains dans un système complexe sans que des erreurs se produisent. Second point : puisqu il y aura des erreurs, on va construire des défenses afin que ces erreurs aient le moins de conséquences possible. Ainsi, on va mettre en place des barrières de la même manière que le pharmacien contrôle l ordonnance du médecin. Dans cette perspective systémique, on prend en compte la chaîne verticale de management et de conception du système : managers, gestionnaires, etc. Eux aussi font des erreurs, au niveau stratégique par exemple : décision de soustraitance, d allocation de crédit, etc. page 5 Cette dimension verticale joue comme une sorte de moteur d accélération des erreurs de ceux qui travaillent sur cette chaîne. Par conséquent, quand on veut agir au niveau de la sécurité, il faut avoir une vision globale de l ensemble du système. L objectif est donc de construire des zones sûres avec des moniteurs qui surveillent ces zones. Cette vision systémique conditionne beaucoup les politiques de gestion du risque industriel. Propos recueillis par Chrystelle Alour.

TRAVAIL ET CHANGEMENT N 304 septembre/octobre 2005 ARGUMENTS «Peu d accidents ont des causes originales. Le facteur humain et organisationnel prime dans plus de la moitié des cas.» Quelles sont les missions du BARPI et qu est-ce qui le différencie des autres organismes de prévention des risques industriels? Nos missions principales consistent, depuis 1992, à analyser les données relatives aux incidents et accidents survenus dans les installations classées, ainsi qu à assurer la diffusion des enseignements tirés des accidents français ou étrangers. Ce travail tend vers un seul objectif : ne pas oublier pour éviter autant que possible la répétition des accidents survenus dans le passé. Cela implique un réseau d'échanges reliant les acteurs de la prévention des risques : industriels, salariés, organismes professionnels, experts, inspection des installations classées, inspection du travail, services de secours La collecte et l analyse des données est, en premier ressort, le fait de l entreprise. Chacun doit y jouer pleinement son rôle, mais souvent avec une appréhension : révéler défaillance ou erreur. En effet, savoir reconnaître l écart ou l anomalie est pourtant l une des composantes essentielles du progrès. Cette démarche suppose une implication forte de chaque échelon et un mode de relation favorisant vigilance, concertation et participation des salariés pour l étude et la mise en œuvre de remèdes. Vous exploitez une base de données sur les accidents technologiques : quelles informations contient-elle? Notre base Aria (analyse, recherche et informations sur les accidents), recense toutes activités confondues près de 30 000 accidents ou incidents dans le monde, dont 24 000 survenus en France. Elle contient des informations sur les circonstances, les matières en cause, les conséquences, les causes principales avérées ou présumées et les mesures adoptées pour éviter le renouvellement des accidents. Ces informations sont accessibles sur www.aria.ecologie.gouv.fr Quelles sont les causes les plus fréquentes? Les causes sont souvent multiples et plus ou moins précédées de signes précurseurs dont l importance a été sous-estimée. La plupart des accidents relèvent de mécanismes connus (défaillances humaines, techniques, organisationnelles) ; peu d accidents ont des causes originales. Le facteur humain et organisationnel prime dans plus de la moitié des cas. Vous venez de publier le bilan des accidents technologiques pour la période 1992-2004. Quels enseignements en tirez-vous? Quelques accidents particulièrement meurtriers marquent profondément l histoire récente. La catastrophe de Toulouse et l épidémie page 6 DENIS DUMONT, responsable du Bureau d analyse des risques et pollutions industrielles (Barpi) au ministère de l écologie et du développement durable. de légionellose dans la région de Lens illustrent un risque aux multiples facettes nécessitant une vigilance de l ensemble de la société. Il nous faut poursuivre la prévention en exerçant une attention proportionnée aux risques. Tenir compte de la probabilité, de la cinétique et des conséquences des accidents possibles, c est aussi rester pragmatique et veiller à l efficacité concrète du dispositif de prévention. L implication des exploitants dans les démarches de management, d audit et de vérification, ainsi que les inspections à conduire sur le terrain sont essentielles pour éviter l écueil d une sécurité papier différente de la réalité. Il convient également de progresser dans le partage et l exploitation du retour d expérience : intégrer les enseignements tirés des accidents dans des recommandations professionnelles et les assimiler aux niveaux opérationnels doit permettre de limiter la reproduction d accidents connus. Enfin, il apparaît aussi souhaitable de mieux informer la société civile des réalités et des difficultés de la prévention des risques technologiques pour qu elle puisse se forger une opinion et participer à la gestion de ces risques. Propos recueillis par Béatrice Sarazin.

TRAVAIL ET CHANGEMENT N 304 septembre/octobre 2005 CÔTÉ ENTREPRISES Préoccupée par les poussières provenant de ses différents espaces de production, Shell a fait appel, en 2001, à l Aract Haute-Normandie. Le diagnostic posé a permis de mieux structurer la prévention à long terme dans l entreprise, comme chez ses sous-traitants. Un risque géré sur le long terme >>> SCR RAFFINERIE SHELL Secteur : pétrochimie Activité : raffinage Effectifs : 600 salariés + 700 lors de l arrêt pour maintenance Région : Haute-Normandie Le risque poussière peut être grave tant pour les salariés que pour l environnement. Les poussières désignent les fibres amiantées, les fibres céramiques, les laines minérales vierges et souillées par le processus de fabrication et qui s échappent des différents espaces de production (cuves, tuyaux...). En 2001, l Aract Haute-Normandie est sollicitée par Shell afin d étudier ce risque lors d un arrêt pour travaux de maintenance et de nettoyage d une première unité. Cette opération, qui se déroule tous les cinq ans, nécessite l arrêt total de la production et l intervention de nombreux prestataires soustraitants. L objectif est de construire des pistes de prévention pour le prochain arrêt de 2005 d une autre unité (voir encadré). Car ce sont alors près de 600 salariés qui sont exposés aux poussières : ceux de Shell et des entreprises sous-traitantes. Observer pour comprendre L Aract se place d abord en simple observateur du travail sur l ensemble du chantier. Elle souhaite recueillir et comprendre les pratiques de travail de tous les salariés présents lors de l arrêt. Objectif : révéler les conditions réelles d exposition au risque. A cette fin, elle va observer différents aspects du travail de maintenance du processus de l arrêt jusqu à la livraison par les entreprises sous-traitantes. Cela nécessite d étudier les stratégies et savoirfaire élaborés, afin de comprendre les modes opératoires et expliciter les difficultés rencontrées. L organisation du travail, les différentes phases et activités seront ainsi passées au crible tout comme la manière dont sont utilisés les équipements de sécurité et les outillages, les conditions de mise en œuvre de la réglementation en lien avec la spécificité du chantier. Les flux et les manutentions de matériel générant de la poussière, les déterminants de la pénibilité physique et mentale seront étudiés. L Aract va, en effet, observer leurs effets sur la santé, la sécurité, l ambiance du chantier et la réalisation des travaux. Réagir face au diagnostic Les conclusions de ce travail sont alors présentées à Shell et aux entreprises sous-traitantes. Cela permet ainsi à chacun de se les approprier à son niveau. Ainsi, pour les entreprises sous-traitantes, cette compréhension des déterminants du travail sert de point de départ à une structuration des politiques de prévention. Au lieu de considérer que les risques sont inhérents au métier, ou que l organisation à mettre en œuvre constitue un surcoût qui réduit la compétitivité, elles mettent désormais en avant les compétences de leurs salariés à gérer les risques et à les intégrer dans leur organisation de chantier. Une de ces entreprises a, par exemple, embauché un ingénieur de prévention et restructuré son organisation, de l offre commerciale jusqu au chantier. La mise en œuvre de sa nouvelle stratégie trouve des retombés à la fois en termes d image de marque, d amélioration des conditions de travail et de gain de productivité. Ces entreprises ont su faire preuve d autonomie et de réactivité face au diagnostic. Un projet structuré et perenne Pour Shell, c est davantage la prise en compte des conditions réelles de travail qui a déterminé les suites à donner. La gestion du risque poussières a été inscrite dans le plan sur 5 ans de la raffinerie pour en assurer la prérennité. Ainsi, malgré un renouvellement conséquent de l encadrement et des représentants du personnel, le projet s est structuré et a perduré. Son animation s est progressivement déplacée du médecin du travail au chef de projet du futur arrêt. Le groupe de travail pour la préparation des travaux et le CHSCT inter-entreprises ont ainsi accru leur vigilance sur les relations entre donneurs d ordres et exécutants. Une expérience riche car le monde des entreprises classées s appuie souvent sur cette relation. Carole Ackermann (chargée de mission de l Aract Haute-Normandie). Arrêt 2005 : coopération autour de la prévention Grâce à cette intervention, des coopérations entre la SCR raffinerie Shell et les entreprises sous-traitantes se sont mises en place. Elles ont permis de déclencher la recherche de solutions conjointes et d améliorer la prévention sur une zone de tâches identifiées comme fortement productrices de poussières. L organisation du chantier de maintenance de 2005 a très favorablement progressé. Ce risque, initialement perçu comme une contrainte secondaire difficilement gérable, a été intégré comme une véritable composante du travail que donneurs d ordres et sous-traitants apprennent à conduire ensemble. page 7

TRAVAIL ET CHANGEMENT N 304 septembre/octobre 2005 CÔTÉ ENTREPRISES Affiner la prévention, c est ar Speichim Processing est une PME classée Seveso seuil haut. Consciente des enjeux que représente la sécurité, elle se préoccupe en permanence de perfectionner sa prévention. Elle a donc accepté l intervention commune de l Anact et de l Ineris. SSeconde entreprise auditée en commun par l Anact et l Ineris dans la démarche expérimentale et conjointe, Speichim Processing est une entreprise rhônealpine du secteur de la chimie. Les intervenants des deux organismes ont d abord pris connaissance de la situation à travers la lecture des deux documents sur la sécurité : le document unique (DU) d évaluation des risques professionnels et l Étude des dangers (EDD) des risques concernent industriels. Puis, ils ont fait une visite approfondie des installations, observé plusieurs situations de travail et conduit des entretiens avec la direction, le responsable et l agent du service sécurité et le secrétaire du CHSCT. Un groupe de travail a été constitué pour mener une analyse des risques avec les opérateurs, les responsables d équipe et de sécurité. Risques croisés L'analyse des deux documents a très vite montré qu'ils n'abordaient pas les mêmes dangers et que peu de rapprochements existaient de façon formelle entre les risques industriels et les risques professionnels. On sait que les événements redoutés pour la sécurité de l environnement >>> SPEICHIM PROCESSING aussi les opérateurs. Or, en croisant le DU et l EDD, on constate que les plus graves sont mentionnés dans l'edd établi par l encadrement avec l aide d un expert mais ne le sont pas dans le DU, résultat d un travail de groupe d opérateurs. Par exemple, la micro-fuite d un flexible est bien envisagée, mais le risque de rupture d'un flexible n'y figure pas. Ce dernier scénario est très improbable et de ce fait, ne semble pas menaçant pour les salariés. Pourtant, en ne le mentionnant pas, le groupe de travail sur le DU se prive d un axe de progrès. A l inverse, parmi les risques industriels, sont explorés essentiellement l incendie, l explosion et la perte de confinement d un produit qui se répandrait en nuage gazeux, infiltration ou en nappe liquide. Mais d'autres menaces telles que les chutes ou le stress Comparaison de documents de sécurité sur les risques industriels et professionnels RISQUES LÉGISLATION DOCUMENT OFFICIEL PRINCIPAL ÉTABLI PAR OBJECTIF ADMINISTRATIF DIFFICULTÉ RENCONTRÉE EN ENTREPRISE INDUSTRIELS Code de l environnement Étude de Dangers (EDD) Cabinet spécialisé et hiérarchie Obtenir l autorisation d exploiter Appropriation de l EDD par les opérateurs page 8 Secteur : chimie Activité : régénération de solvants et distillation industrielle Effectifs : 120 salariés sur 4 sites, 70 salariés sur le site de Saint-Vulbas Région : Rhône-Alpes PROFESSIONNELS Code du travail Document Unique (DU) Groupe de travail d opérateurs Tenir les documents à disposition des autorités Formalisation et rédaction du DU auxquelles sont exposés les opérateurs ne figurent pas dans l EDD. En d'autres termes, elles ne sont pas identifiées comme des facteurs de risques industriels alors qu'elles peuvent y contribuer. Dès lors, la «fréquence» estimée pour tel risque industriel, c est-à-dire la probabilité d un dommage dans un temps donné, peut se trouver erronée, faussant l évaluation du risque concerné et la priorité à lui accorder par rapport aux autres. Par ailleurs, les «barrières» mises en place pour éviter les risques industriels pourraient en théorie devenir des obstacles au travail des opérateurs, situation qui n a pas été identifiée dans cette entreprise. Quelle méthode d analyse? Dans chaque document, DU ou EDD, une analyse de risque se traduit par un tableau qui aide à évaluer la fréquence et la gravité de chaque risque. Les intervenants ont cherché à rapprocher les deux tableaux, assez différents dans leur forme. Cette expérience n a pas été concluante. Un travail approfondi sur quelques situations particulières a montré que le tableau imaginé a vite atteint un degré de complexité qui le rendait illisible. Les conséquences d une même dérive pour l environnement ou les salariés peuvent devenir très nombreuses. Néanmoins, un tel tableau aurait de nombreux avantages : gain de temps pour l entreprise, cohérence des analyses, implication des mêmes personnes

ticuler les méthodes Le classement des installations dans le code de l environnement Le code de l environnement classe les installations (et non les entreprises) en cinq niveaux selon deux critères : la nature de l activité et les substances produites ou stockées. Ce classement figure dans une nomenclature publiée notamment par l Ineris : - non classée - soumise à déclaration - soumise à autorisation - soumise à autorisation avec servitudes couramment appelée Seveso seuil bas, - soumise à autorisation avec servitudes renforcées, couramment appelées Sevesoseuil haut. Aujourd'hui, sur le territoire français, on dénombre environ 450 000 installations soumises à déclaration et 63 000 installations soumises à autorisation préfectorale (dont 21 000 élevages). Les établissements classés Seveso sont au nombre de 1 250, dont 670 sont considérés comme étant particulièrement dangereux et impliquent la définition de servitudes d'utilité publique. La directive européenne n 96/82 du 9 décembre 1996, couramment dénommée Seveso II, fixe des exigences légales en matière de prévention des accidents majeurs pour les établissements où des substances dangereuses sont présentes en quantité supérieures ou égales à des seuils prédéfinis. Le classement Seveso d un établissement est synonyme de risques importants vis-à-vis de l environnement. Extrait d un rapport du Sénat (2002-2003) Seveso seuil haut Seveso seuil bas Peu d installations Seveso Ainsi, la première forme imaginée ne convenait pas, mais il reste utile de travailler dans cette direction pour formaliser une méthode d analyse de risque commune entre les deux documents. Le mode d élaboration de ces documents est au cœur de la réflexion. Le DU est fait par les opérateurs, avec l aide du service sécurité. L expérience des opérateurs peut s y retrouver. Mais les risques les moins fréquents, qui existent sur le papier sans jamais s être manifestés, peuvent être oubliés. A contrario, ces derniers sont forcément mentionnés dans une analyse d expert telle que celle qui est menée pour l EDD, alors que le retour d expérience des opérateurs n y figure pas. Il est donc bien utile d exploiter les synergies des documents et de leur mode d élaboration pour accroître leur qualité. Écouter les risques éventuels Mais l intérêt est aussi de mieux partager la conscience des risques entre les opérateurs et l encadrement. Ainsi, dans un groupe de travail, l expérience d opérateurs a pu s exprimer sous la forme de craintes. Par exemple, en groupe, un opérateur a fait part de son incertitude après avoir dégelé une soupape de sécurité: avait-t-elle été endommagée par le gel et quelles pouvaient en être les conséquences? Alors qu elle aurait pu rester limitée à ce seul agent, son interrogation a pu être entendue. Dès lors, il devient possible d en faire un objet de travail commun sur lequel mobiliser les compétences d autres salariés, agents de conduite et de maintenance, chefs de quarts, etc... Trouver un langague commun La démarche a ainsi permis de mettre en évidence des conditions nécessaires pour obtenir les synergies recherchées. Il faut rechercher des outils et un langage commun entre risques industriels et professionnels, découvrir par quoi chacun est convaincu que la sécurité peut encore être améliorée, mettre en place des groupes ciblés sur des questions précises. La constitution de ces groupes de travail reste d ailleurs un sujet à approfondir dans l objectif de croiser la diversité des compétences et des niveaux hiérarchiques. Il faut aussi une animation qui s attache à prendre en compte l expression de l expérience des participants. Les modes opératoires et une liste de risques peuvent constituer des outils d animation, à condition de ne pas s y enfermer. Ce page 9 sont des éléments destinés à stimuler l imagination et la mémoire, et non des guides pour établir des «formulaires» à renseigner. Ce travail est suivi par le CHSCT qui rassemble la direction de l établissement et des représentants du personnel autour de la prévention des différents risques. Il permet ainsi l articulation des points de vue tout en valorisant le travail des groupes ad hoc. Ce n est pas toujours facile, d autant plus que les textes évoluent et que les élus ont du mal à se tenir informés. En pratique, le service sécurité constitue leur source principale d information, lui-même renseigné par les notes publiées par la fédération patronale. Ainsi, cette expérience s avère concluante sur deux aspects : le rapprochement des préventions des risques industriels et professionnels et le rapprochement des disciplines : l approche technique gagne à s enrichir de l expérience des opérateurs et inversement. Plutôt que d opposer les méthodes de prévention, il vaut mieux les articuler. C est ce vers quoi tend Speichim Processing, montrant qu une PME arrive à être en pointe dans le domaine de la sécurité. Benoît Grandjacques.

TRAVAIL ET CHANGEMENT N 304 septembre/octobre 2005 CÔTÉ ENTREPRISES Accepter de mettre à plat les risques induits par le fonctionnement de son entreprise n est pas chose facile. C est pourtant le choix qu'a fait Arvinmeritor, entreprise industrielle, en participant à l opération expérimentale conjointe de l Ineris et de l Anact avec Aravis. Identifier les risques et >>> ARVINMERITOR Secteur : industriel Activité : usinage et montage de ponts et essieux Effectifs : 500 salariés et 180 intérimaires Région : Rhône-Alpes Fabricant des ponts et essieux pour des véhicules lourds (camions et cars de la marque Renault), l'entreprise industrielle Arvinmeritor s'est donné pour objectif d'améliorer et d harmoniser la prévention des risques industriels et professionnels. Une façon de remettre l homme sur le devant de la scène, qu il soit riverain ou salarié. Une occasion aussi d évaluer les forces et les faiblesses des processus de prévention. La responsable de la sécurité de Arvinmeritor, Gisèle Gonçalves, a souhaité faire bénéficier l entreprise de cette démarche, bien que celle-ci n ait pas de mauvais résultats en matière de sécurité. L intervention a duré 6 jours sur le terrain. premiers bénéfices de cette approche est l enrichissement mutuel du DU et de l EDD. Faire émerger les risques cachés Il s agit aussi de mobiliser sur cette opération qui croise deux méthodologies différentes et qui est donc plus lourde que les approches séparées traditionnelles. La difficulté est de remettre en cause l existant, démontrer que des installations peuvent être potentiellement dangereuses même si aucun accident n est à déplorer. L intervention est centrée autour de quatre postes : un four de traitement thermique, une ligne de montage, la logistique d approvisionnement de la ligne de montage et la peinture. Au four de trempe, par exemple, sur lequel intervient le plus souvent un salarié intérimaire, les observations permettent de mettre en évidence des facteurs de risques ignorés à ce jour. Des scénarios d accidents n avaient pas été imaginés, sur un plan purement technique. L analyse du travail permet de mieux comprendre quelles sont les stratégies mises en œuvre par le salarié et pourquoi il contourne certaines consignes de sécurité et n adopte pas certaines attitudes de prudence a priori évidentes. Cette analyse montre aussi la difficulté du CHSCT à trouver sa place entre émettre des revendications, faire des propositions concrètes et demander le respect des consignes de sécurité. Un double clivage Autre constat : la gestion séparée des risques professionnels et des risques industriels. C est un premier clivage. Il s avère funeste à la sécurité car Établir un premier diagnostic Concrètement, l intervention conjointe consiste à adjoindre des expertises et des points de vue aussi divers que ceux d ingénieurs et d ergonomes, à ceux existant dans l entreprise. Les intervenants vont se rendre compte de la façon dont fonctionnent certains postes identifiés à risques, en parcourant le Document unique (DU) et l Étude de danger (EDD), puis en effectuant des interviews des opérateurs et des cadres. L ensemble du matériel de l entreprise fait ainsi l objet d un premier diagnostic. Il s agit d établir une hiérarchie des équipements en fonction de l importance et de la nature des risques. Un des L organisation de la sécurité dans l entreprise L organisation de la sécurité, c'est ce que l entreprise met concrètement en œuvre pour éviter les risques industriels et professionnels. Elle peut avoir une idée précise de cette organisation en se posant un certain nombre de questions : Les services risques industriels et risques professionnels sont-ils distincts? Existe-t-il une politique de sécurité? Qui l anime? Que se passe-t-il après un accident? Comment est introduit un produit nouveau ou une machine nouvelle? Comment et avec qui sont conçues les barrières? Quel dispositif de dynamisation des attitudes de prudence? Comment sont conduits les changements? page 10

agir les observations montrent que dans certains cas, la sécurité des salariés entre en conflit avec celle des riverains. Dans les ateliers, la notion de risques professionnels est beaucoup plus présente que celle de risques industriels. D abord parce que les accidents industriels sont rares. Ensuite, parce qu ils paraissent moins menaçants pour les salariés. En fait, ils sont surtout moins connus et les salariés en ont moins conscience. La dimension scientifique et technique de ces risques les rend aussi moins accessibles. D où un déficit d attitudes de prudence sur les risques industriels. Second clivage : la sécurité semble paradoxalement être plus une préoccupation des bureaux et des institutionnels que des ateliers. Les bureaux privilégient l approche par les barrières de toutes sortes (enceintes de confinement, procédures, équipement de protection individuelle et autres) qui ne tiennent pas toujours compte de la réalité du travail. Sur le terrain, la sécurité est parfois oubliée ou tournée en dérision. Un moyen sans doute de dédramatiser et de libérer la tension dans un environnement fortement contraint. Redéfinir les contours de la prévention Les positionnements des diverses catégories de personnels sont très contrastés selon les enjeux de chacun comme la productivité, la sécurité, les conditions de travail ou l intégration dans l équipe. Les arbitrages s avèrent difficiles pour certains, ce qui peut expliquer des comportements en apparence incompréhensibles. Différentes pistes sont donc proposées pour réduire ces clivages et améliorer la prévention : tout d abord, harmoniser les langages, les méthodes Cinq facteurs de prudence Les facteurs qui déterminent la prudence ou l imprudence des salariés sont de natures différentes : ENJEUX : les contraintes dues aux enjeux (sécurité, conditions de travail, productivité, intégration dans l équipe ) et aux injonctions différentes ou ambiguës (chef d équipe, chef d atelier, responsable sécurité, direction) : pour l un c est la productivité qui est plutôt prioritaire, pour l autre, c est la sécurité. CONSCIENCE DES RISQUES : le salarié qui a déjà été confronté à un accident n aura pas les mêmes attitudes de prudence que celui qui n y a jamais été confronté. COMPÉTENCES SUR LES RISQUES : le salarié qui connaît et maîtrise un matériel dangereux, n agira pas de la même façon que celui qui n y connaît rien. VIGILANCE : quelle est l acuité à repérer et quelle est la capacité à agir d un salarié, selon sa charge et sa fatigue (physique, mentale, psychique)? MARGES DE MANŒUVRE : de quoi dispose le salarié pour agir? (autorisation d agir d abord, puis autres moyens d agir ensuite). et les outils entre risques industriels et professionnels. S appuyer sur des documents, tableaux et définitions semblables (danger, risque, dommage, fréquence, gravité) permet de faciliter l échange. Il s agit ensuite de dégager des moyens de prévention conjoints, par exemple la conception commune des barrières pour qu une sécurité industrielle ne devienne pas un danger professionnel et réciproquement. Enfin, tout en étant ferme sur la nécessaire discipline concernant le respect des consignes de sécurité, il faut aussi faciliter l accès des salariés à la réflexion sur les risques : prévoir des documents de sensibilisation adaptés et lisibles tels que des fiches de sécurité aux postes qui soient opérationnelles. Faciliter aussi la remontée de dysfonctionnements, idées, craintes sur la sécurité, sans passer par des filtres hiérarchiques : c est l identification, a priori, au quotidien, des risques. Autres outils de sensibilisation et de formation : des simulations d accidents, d alertes et d actions face à un danger, simulations maîtrisées au niveau de l équipe et non pas seulement au niveau du service sécurité. Améliorer la perception des risques et la mobilisation sur la sécurité sont donc les deux priorités auxquelles Arvinméritor doit désormais s attacher. D ailleurs, l entreprise a déjà créé un module de sensibilisation à la sécurité pour le four de traitement thermique. Une première étape importante Gérard Paljkovic (chargé de mission d Aravis) avec Béatrice Sarazin. page 11

TRAVAIL ET CHANGEMENT N 304 septembre/octobre 2005 CÔTÉ ENTREPRISES Dans le cadre de sa stratégie de maîtrise des risques, Gaz de France a fait appel à l Ineris. L enjeu? Parvenir à une véritable intégration de ses systèmes de management. Transfert de compétences, audits... L intervention de l Ineris s est révélée fructueuse pour l entreprise. Systèmes de management et maîtrise des risques D Dès 2000, la Direction des grandes infrastructures de Gaz de France qui gère les stockages souterrains de gaz naturel ainsi que les terminaux méthaniers de gaz en France, s est lancée dans une démarche de management intégrant la qualité, l environnement et la sécurité. Deux dernières composantes particulièrement importantes sur les sites Seveso. Les systèmes de management sont souvent au cœur des stratégies de maîtrise des risques engagées par les entreprises. Leur efficacité est rarement mise en défaut, mais leur multiplication Témoignage de Pascal Jolly, chargé de mission développement durable chez Gaz de France "Les auditeurs de l Ineris sont qualifiés ICAE*, et réalisent de nombreux audits de certification de systèmes de management environnementaux conformes à l ISO 14001 ou de systèmes intégrés. Ils se sont souvent révélés bons pédagogues et les audits internes sont ainsi devenus des vecteurs importants de la sensibilisation de nos exploitants à l importance du système de management environnemental. Par ailleurs, leur connaissance très complète de la réglementation et leur volonté de la partager ont permis de faire progresser nos experts et ont amené une meilleure prise en compte de ces exigences légales relatives à l environnement sur nos sites." * L Institut de Certification des Auditeurs (ICA) reconnaît la compétence d auditeur de système de management. Le certificat ICA est reconnu par l AFAQ ainsi que d autres intervenants de premier plan dans le domaine des systèmes de management (qualité/environnement ou sécurité). (qualité, santé-sécurité, environnement ) peut engendrer des contraintes au sein des organisations. Rodolphe Gaucher (Ineris) qui participe aux travaux de normalisation dans ces domaines, précise l intérêt d une intégration de l ensemble des composantes du système de management global de l entreprise : "Aujourd hui, dans un contexte où efficience, maîtrise des coûts et anticipation sont des enjeux forts, l intégration des systèmes de management est un challenge que doivent nécessairement relever les entreprises. Cette intégration renforce la démarche d approche globale des risques, condition nécessaire à la stratégie d entreprise. Objectifs concrets Pour Pascal Jolly, chargé de mission Développement durable à Gaz de France, l un des enjeux majeurs de la mise en œuvre de ce système de management résidait dans l anticipation et une meilleure prise en compte de l évolution de la réglementation (Directive Seveso 2, loi "Bachelot", ou Directive instaurant des quotas de CO2, par exemple). Concernant plus spécifiquement l environnement, il précise les objectifs de l entreprise : "Au niveau national, nous souhaitons maîtriser et réduire nos émissions de gaz à effet de serre (méthane, dioxine de carbone et oxydes d azote). A l échelle du site, nos priorités sont la prise en compte des attentes des riverains et la préservation des ressources en eau." page 12 >>> GAZ DE FRANCE Secteur : énergie Activité : production, transport et distribution de gaz naturel Afin de l assister dans la mise en place du volet environnement de son système de management intégré, Gaz de France a fait appel à l équipe "Conseil en Management des Risques" de l Ineris. Cette assistance s est traduite par des interventions systématiques et régulières sous forme de prestations de conseils et d audits, puis plus ponctuellement, par des actions de formation. Les audits ont permis de vérifier l adéquation entre les exigences du référentiel et les objectifs fixés dans la politique de la direction d une part, et leur déclinaison sur le terrain et dans la documentation, d autre part. A l issue des audits, l équipe de l Ineris formalise ses observations dans un rapport. Il souligne les forces et les éventuels écarts par rapport aux exigences du référentiel et propose des axes d amélioration pour accroître la performance du système de management. Les actions de formation ont permis de réaliser un transfert de compétences vers plusieurs représentants de Gaz de France en formant une équipe d auditeurs internes. Elles étaient planifiées sur une période de trois jours, suivies par un accompagnement lors d un audit piloté par l Ineris. Au final, Gaz de France se déclare satisfait de cette intervention qui lui a permis, en particulier, de mieux sensibiliser ses exploitants à l importance du système de management environnemental (voir encadré). Olivier Dolladille (responsable d affaires et conseil en management des risques, Ineris), avec Chrystelle Alour.

TRAVAIL ET CHANGEMENT N 304 septembre/octobre 2005 ALLER PLUS LOIN 1 Développer et partager la conscience du risque Une entreprise ne peut prévenir un risque que si elle le connaît bien, c est-à-dire si tous les acteurs concernés en ont conscience et peuvent y faire face ensemble. Une fois les salariés informés sur les risques rencontrés dans l entreprise, préalable indispensable à la prévention, la perception varie selon les individus. Elle se décline en fonction du travail que l on exécute, de ses responsabilités ou encore de sa sensibilité. Chacun associe donc au risque connu, POINTS DE VIGILANCE un niveau de priorité différent qui va de la sous-estimation à la surestimation. Ainsi, un produit malodorant sera inconsciemment considéré nocif par les salariés alors qu un autre, inodore, recèlera peut-être plus de dangers. Parallèlement, il arrive que la direction estime risquée une pratique de salariés expérimentés, alors qu elle permet d écourter le temps d exposition à une source de chaleur, d éviter de la fatigue supplémentaire et de gagner en vigilance. Ces écarts méritent de s y arrêter. D abord, parce qu ils sont source d une mise à plat des risques et des moyens d y faire face. Ensuite parce qu ils peuvent être à l origine d une divergence entre les règles de métier et les consignes de sécurité qui compliquerait le travail des opérateurs. L un des moyens d éviter ces écarts consiste à ouvrir le débat en équipe, notamment après simulation d une situation concrète. 2 Veiller aux marges de manœuvre Une fois que les acteurs de l entreprise (opérateurs, représentants du personnel, direction) sont tous conscients des risques et qu ils en partagent les principaux enjeux, il y a souvent lieu d adapter les règles. En effet, une règle trop contraignante et estimée inutile est peu respectée et peut même discréditer l ensemble des règles de sécurité. Dans l autre sens, une responsabilité en matière de sécurité est parfois lourde à porter pour un opérateur s il n a pas un soutien suffisant de tous les niveaux de sa hiérarchie. Raisonner en termes de marges de manœuvre, c est aussi prendre en compte le rôle de l opérateur et de l équipe dans la sécurité. Le salarié est alors reconnu non plus comme objet des mesures de sécurité, mais comme acteur de sa propre sécurité et de celle de ses collègues. 3 Travailler avec le CHSCT Le CHSCT est un lieu important où l on peut débattre de la conscience des risques et des marges de manœuvre des opérateurs. Il ne remplace pas nécessairement les groupes de travail, mais c est un lieu officiel où les représentants du personnel peuvent s exprimer dans un cadre réglementé. Plusieurs conditions favorisent les échanges de fond : - un temps de préparation suffisant pour les représentants du personnel, - une volonté des experts techniques d être compris (langage simple), - une prise en compte de toutes les questions dans un délai raisonnable, - une certitude partagée que la prévention se construit à la fois par la technique et par le travail des opérateurs. Notons que des délégués du personnel ou secrétaires de petits CHSCT semblent mal informés des possibilités que leur ouvre la loi du 30 juillet 2003. 4 Se servir de l EDD pour alimenter les travaux sur le DU et vice-versa. Il convient de bien se convaincre que toute cause d accident majeur est aussi un risque professionnel. Il est donc logique de mener une prévention conjointe. Cependant, pour limiter la complexité des documents, on peut séparer leurs travaux d élaboration. Ce qui n empêche pas de chercher un enrichissement réciproque. L EDD a un aspect très technique. Il nécessite des connaissances que l entreprise trouve souvent à l extérieur et présente l avantage de chercher à prévoir ce qui peut arriver. Sa prise en compte dans le DU permet de prendre en compte les événements redoutés les plus graves. De son côté, le DU est généralement réalisé en donnant place à l expertise des salariés. Il enrichit l EDD en complétant la liste des page 13 incidents à la source et en modifiant la fréquence imaginée par un bureau d études. Mais, le plus important dans cette synergie est de concevoir les barrières ensemble pour éviter des erreurs dans leur emplacement, leur dimension etc, afin qu elles ne pénalisent pas le travail ou encore, qu elle ne contribuent pas à accroître le risque qu elles combattent.

TRAVAIL ET CHANGEMENT N 304 septembre/octobre 2005 ALLER PLUS LOIN LE RISQUE, LE SALARIÉ ET L ENTREPRISE L objectif zéro accident est possible. Sur un ton parfois polémique, Jean Moulin expose la position de la CGT sur la prévention des risques industriels. Un ouvrage documenté, où les idées reçues sont vigoureusement combattues. VO Editions, 2003. à lire Quatre ans après la terrible explosion de l usine AZF, la lecture ou la relecture de l ouvrage de Jean Moulin, Le risque, le salarié et l entreprise, s impose. Ce livre, écrit en mars 2003, résume et argumente les positions tenues officiellement par un syndicat, la CGT. Il s adresse notamment aux représentants du personnel d entreprises concernées par les risques industriels. Les entreprises SEVESO n en forment qu une petite partie, car des salariés sont confrontés aux produits chimiques, biologiques, voire radioactifs, dans bien d autres entreprises, en tant qu utilisateurs, producteurs ou transporteurs. Ainsi, le lecteur y trouve aussi bien des notions de base, sur les statistiques par exemple, que des réflexions pointues, accessibles, bien renseignées et argumentées. L ouvrage reprend plusieurs documents établis fin 2001 et courant 2002 : la synthèse d un travail collectif de 120 militants, la note réalisée pour le débat à l Assemblée nationale et la préparation des débats régionaux ainsi que de nombreux éléments illustrant les différentes positions de l Etat, du Medef et de l Union des industries chimiques (UIC), de la Commission européenne et d autres acteurs sur le sujet. L ensemble construit un point de vue étayé sur ces risques. L argumentation est volontiers polémique. Aujourd hui, la loi sur le risque technologique est passée. On comprend à la lecture de cet ouvrage la valeur de la contribution du syndicat. Et, en plus des aspects historiques, l auteur critique plusieurs idées, couramment reprises par les médias, qui sont inexactes et font du tort à la prévention. Ainsi, on a pu lire et entendre que "le risque zéro n existe pas". Certes, dit Jean Moulin, mais "il faut clairement affirmer qu il est parfaitement possible de travailler de façon à réaliser l objectif zéro accident (au moins zéro accident grave)". Dès lors, "l idée de risque (accident) [serait la] contrepartie obligée de l activité industrielle". Il n en est rien. Car si on ne peut pas éviter des événements conduisant à des incidents et des avaries, page 14 une étude sérieuse devrait disposer des barrières visant à empêcher que ces dysfonctionnements ne se transforment en accidents majeurs. Autre idée combattue par l auteur : le déménagement des entreprises atténuerait le risque. Bien entendu, même si l accident est improbable, il n est pas question de construire des usines dans des zones dangereuses. Mais, il serait illusoire de déplacer les entreprises vers des zones moins urbaines. Cela conduirait probablement à de nombreuses délocalisations vers des pays où les législations sur la sécurité sont presque inexistantes, facteur d aggravation des probabilités d accidents majeurs. Les produits devraient ensuite être acheminés vers leurs destinations finales, autre facteur de risque. Quant à l emploi, il en serait la première victime. L auteur recommande aussi, conformément aux directives, d étudier les conséquences des accidents, ce qui contribue à la fois à en réduire la probabilité, les effets, et à améliorer les secours au cas où, malheureusement, il se produirait. A ce titre, un paragraphe très argumenté dénonce la réduction du nombre de pompiers dans les sites SEVESO. Bien d autres sujets sont traités. Sans surprise, la vision de la CGT s oppose largement à la position patronale. Ainsi, le "lobbying" de l Union des Industries Chimiques est dénoncé lorsqu il juge trop contraignantes des règles qui amélioreraient la sécurité. Mais, le rôle des hommes dans la sécurité est plus affirmé que démontré. Si l auteur plaide pour que les opérateurs et leurs représentants soient mieux écoutés, le lecteur ne comprend pas toujours pourquoi. L auteur s appuie sur "les analystes les plus sérieux" et ne développe pas le lien entre les conditions de travail et le risque. D ailleurs, c est la recherche qui est sollicitée ici, car il s agit probablement d un axe important pour l évolution de la sécurité au cours des prochaines années. Benoît Grandjacques. page 14

TRAVAIL ET CHANGEMENT N 304 septembre/octobre 2005 ALLER PLUS LOIN à lire ARTICLES Facteurs organisationnels : du neuf avec du vieux Mathilde Bourrier, Réalités industrielles, mai 2003, pp. 19-22. Modélisation d expertise pour le management des risques industriels Daniel Noyes, Rafaël Gouriveau, Phoebus, n 26, septembre 2003, pp. 7-19. OUVRAGES Les risques technologiques : la loi du 30 juillet 2003 Marie-Pierre Camproux- Duffrene, Presses universitaires de Strasbourg, 2005, 170 pages. Maîtrise des risques industriels : quelles évolutions? Phoebus, n 28, avril 2004, 78 pages. Sciences et génie des activités à risques Claude Trink et Franck Guarnieri, Réalités industrielles, mai 2003, 69 pages. Le guide de l élu d entreprise, risques industriels Chantal Le Bouffant, coordonné par Dominique Olivier, Confédération française démocratique du travail, éditions Célidé, 2003. Les leçons de Toulouse : 90 propositions pour réduire, ensemble, les risques industriels, tome 1 : rapport, tome 2 : auditions François Loss et Jean-Yves Le Deaut, Assemblée nationale, janvier 2002, 269 pages (collection Les documents de l'assemblée nationale, n 3559). Evaluation des risques professionnels : importance des démarches managériales et écologiques Olivier Bachelard et Roland Cantin, Performances, n 12, octobre 2003, pp. 25-28. Risques industriels : pas de sécurité sans l'opérateur Santé et Travail, n 42, janvier 2003, pp. 23-55. Risques technologiques et risques professionnels : une prévention conjointe Dossier coordonné par Michel Berthet et Benoît Grandjacques, Travail et Changement, n 284, janvier 2003, pp. 7-19. Santé et sécurité au travail : les enjeux du management Guy Schwartz, Travail et Sécurité, n 626, février 2003, pp. 20-31. Les risques industriels (dossier) Hubert Seillan et Marie-Claude Dupuis, Préventique, n 65, septembre 2002, pp. 4-35. Pour une politique de santé dans l entreprise Marie-Ange Moreau, Droit Social, n 9-10, octobre 2002, pp. 817-827. Les accidents organisationnels : le cas de l accident de criticité de Tokaï-Mura Michel Llory, Yves Dien, René Montmayeul, Performances, n 6, octobre 2002, pp. 29-37. Prévenir les risques industriels La revue de la CFDT, n 55-56, décembre 2002, 39 pages. Rôle du facteur humain dans l acte de sécurité Dossier de Sécurité et médecine du travail, 2001, pp. 3-18. Accidents industriels : l impossible mise en cause de l organisation? Marianne Abramovici, revue de Préventique, octobre 1998, pp. 46-57. page 15 rectificatif sur le web Toutes les informations sur l Institut national de l environnement industriel et des risques (Ineris), ses missions, ses études et publications, l actualité de la recherche sont sur www.ineris.fr L inventaire des accidents technologiques et industriels, des statistiques, des analyses, des recommandations sont sur le site du Barpi www.aria.environnement. gouv.fr Un dossier complet sur les risques technologiques et industriels majeurs sur le portail vie-publique.fr www.vie-publique.fr/ dossier_polpublic/prevention_ risques/autresacteurs/ exploitants_chsct2.shtml Le site de la direction des risques majeurs avec différentes entrées : citoyen, professionnel, éducation www.prim.net Dans l article page 2 du numéro 303, il fallait lire que la réforme des retraites a resserré les dispositifs des préretraites publiques mais n'y a pas mis fin. Quant à la mise en place de contrats de missions pour les plus de 50 ans, il s agit d une proposition du Medef mise sur la table des négociations actuelles autour des seniors.

S T A G E S 2 0 0 5 T Encore 3 sessions de formation organisées par le réseau Anact en 2005 Chaque année le réseau Anact intervient auprès de plus de 800 entreprises. Ces interventions nous permettent d'élaborer des méthodologies et des outils. Pour les partager avec vous, nous vous proposons des formations sur l'ensemble de nos thématiques. Ces sessions animées par les intervenants du réseau Anact alternent apports théoriques et travail sur des cas réels. Les 13 et 14 octobre 2005 à Lyon PRÉVENIR LES TROUBLES MUSCULO-SQUELETTIQUES À destination des consultants qui veulent intégrer la prévention des TMS dans leur offre de service aux entreprises. Les 16 et 17 novembre 2005 à Lyon RÉALISER UN DIAGNOSTIC EN ENTREPRISE À destination des consultants ou des acteurs de l'entreprise qui souhaitent s'approprier la méthodologie de diagnostic du réseau Anact. Les 24 et 25 novembre 2005 à Lyon AIDER À MAITRÎSER LA RELATION ÂGES, TRAVAIL, EMPLOI À destination des consultants souhaitant favoriser lors d'intervention en entreprises la gestion de tous les âges. Retrouvez les programmes complets et toutes nos formations sur le site http://www.anact.fr Votre contact : Service Formation ; Nicole CORTES-TETZLAFF 04 72 56 13 71 n.cortes-tetzlaff@anact.fr TRAVAIL ET CHANGEMENT, le bimestriel du réseau Anact pour l amélioration des conditions de travail. Directeur de la publication : Henri Rouilleault, h.rouilleault@anact.fr - Directeur de la rédaction : Michel Weill, m.weill@anact.fr - Responsable des éditions : Sylvie Setier, s.setier@anact.fr - Rédactrice en chef : Béatrice Sarazin, b.sarazin@anact.fr - Contributeurs au dossier : Benoît Grandjacques, Gérard Paljkovic, Carole Akermann, Michel Berthet, Christine Veinhard et Olivier Dolladille (ineris). Réalisation : Reed Publishing ( chef de projet : C. Alour, secrétariat de rédaction : R. Wengrow, direction artistique : A. Ladevie, P. Lopez, fabrication : I. Lanfrit ) - 2, rue Maurice Hartmann, 92133 Issy-Les-Moulineaux - Impression : Imprimerie Chirat, 744, rue Sainte-Colombe, 42540 Saint-Just-La-Pendue - Dépôt légal : 4 eme trimestre 2005 - Numéro de commission paritaire : 1007 B 06503 Une publication de l Agence nationale pour l amélioration des conditions de travail, 4 quai des Etroits, 69321 Lyon Cedex 05, tél. : 04 72 56 13 13.