CES DOCUMENT DE RÉFLEXION SUR LA CRISE 2010/2 BANQUES, SAUVETAGES ET PRIMES



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Transcription:

CES DOCUMENT DE RÉFLEXION SUR LA CRISE 2010/2 BANQUES, SAUVETAGES ET PRIMES Qu en est-il de la valeur de certains titres? Les titres adossées à des créances sont aujourd hui considérés comme des «actifs toxiques». Le graphique ci-dessous montre pourquoi. L indice ABX, qui mesure l évolution de la valeur des titres adossés à des créances, s est complètement effondré depuis le déclenchement de la crise financière. Même les titres adossés à des créances notés triple A ne sont évalués par le marché qu à environ 30 % de leur valeur initiale, tandis que les titres dont la notation est inférieure ne valent désormais pratiquement plus rien sur le marché. C est l effondrement de la valeur des créances titrisées qui a déclenché au cours de l année 2008 un processus cumulatif aux conséquences désastreuses. Suite à l effondrement du prix des titres adossés à des actifs et afin de satisfaire aux exigences de fonds propres, conformément aux normes de Bâle II, les banques ont été contraintes de liquider des actifs. Ceci a eu pour conséquence de précipiter la chute du prix des actifs et s est traduit par une énorme destruction de capital. Le resserrement des flux de crédit a ensuite entravé le financement de l économie réelle. Cette suite d événements a débouché sur la récession la plus sévère depuis la fondation de l Union européenne.

Ce graphique montre également que le problème n est pas encore résolu. La mise en œuvre de politiques monétaires peu conventionnelles a certainement permis la reprise des prêts interbancaires. Mais les acteurs des marchés financiers considèrent encore que les titres adossés à des créances présentent un risque élevé de défaut, ce qui suscite leur méfiance. La demande de ces actifs est si faible que les banques sont contraintes de les conserver dans l attente d une reprise du marché et dans l espoir que les flux de trésorerie générés par ces créances titrisées ne soient pas exposés à une augmentations des défauts. Les responsables politiques ont pris des mesures exceptionnelles pour permettre aux banques de continuer à conserver ces actifs. Les normes comptables internationales qui imposent aux banques d évaluer leurs actifs financiers à leur valeur de marché ont été provisoirement suspendues afin de permettre aux banques, pour le moment, de ne pas inscrire à leur bilan les titres adossés à des actifs dont la valeur de marché est nulle. Simultanément, les banques centrales ont injecté en abondance des liquidités sur le marché monétaire. La Réserve fédérale et la Banque d Angleterre sont allées jusqu à jouer le rôle d «acheteur en dernier ressort» auprès des banques commerciales par l acquisition de certains titres adossés à des actifs tandis que la Banque centrale européenne a considérablement élargi la liste des garanties éligibles dans le cadre des accords de prise en pension. À la fin de l année 2008, le montant total des titres adossés à des actifs et des créances bancaires non sécurisées

accumulés par la BCE s élevait à environ 900 milliards d euros 1. En pratique, cela signifie que des «actifs toxiques» ont été transférés des bilans des institutions financières au bilan de la Banque centrale européenne pour une période inférieure ou égale à un an. Les banques sont ainsi soulagées, pour le moment, de ces «actifs toxiques» et bénéficient en contrepartie de liquidités à des taux d intérêt particulièrement avantageux. Il en découle un sentiment illusoire de «retour à la normale». La situation semble maîtrisée parce que des mesures politiques exceptionnelles, adoptées notamment par les banques centrales, permettent aux banques de dissimuler d importantes pertes en capital toujours présentes dans leurs bilans. Le secteur financier : «une crise? Quelle crise?» Les banques centrales ont également soutenu le système bancaire en agissant sur la politique monétaire et en abaissant les taux d intérêt à des niveaux historiques. L investissement des liquidités empruntées auprès de la banque centrale à un taux proche de zéro dans des actifs dont le rendement est nettement supérieur permet aux banques de reconstituer leurs marges bénéficiaires. Ces marges bénéficiaires importantes associées à des pertes potentielles liées à des titres adossés à des actifs qui n'ont pas été enregistrées pour l'instant expliquent pourquoi le secteur financier semble n'avoir pas souffert de l'effondrement de la finance mondiale, comme le montre le graphique suivant. Aux États-Unis, la part du secteur financier dans le PIB, après avoir enregistré un recul, est sur le point de retrouver le niveau antérieur à la crise. Dans la zone euro, la contribution du secteur financier n a jamais enregistré de réel recul. L exemple du Royaume-Uni semble spectaculaire. Tout au long de la crise, la part du secteur bancaire dans le PIB est montée en flèche et s est élevée à plus de 5 % à la mi-2009. Outre le rôle joué par la fourniture de liquidités de la Banque d Angleterre au secteur bancaire à un taux proche de zéro, cette progression peut s expliquer par un transfert de profits des banques universelles au Royaume-Uni dans un but d optimisation fiscale. En effet, le Royaume-Uni autorise que les pertes antérieures viennent en déduction des profits dans la base d imposition. Étant donné l ampleur des pertes antérieures, les banques britanniques peuvent actuellement bénéficier d un crédit d impôt considérable, ce qui semble indiquer que ces banques seront exemptes d impôts pendant plusieurs années. Comble de l ironie, la part des profits du secteur financier (6 % à 7 % du PIB) ne diffère pas sensiblement de la part du déficit public (12 % du PIB), qui provoque un débat passionné sur la nécessité de réduire les salaires, les services publics et les prestations sociales. 1 Source : BCE, Rapport annuel 2008.

Les primes exorbitantes ne connaissent pas la crise Cette situation générale du secteur financier explique pourquoi les banques continuent à verser des primes indécentes à certains de leurs salariés malgré la crise financière. Si les banques enregistrent des profits (voire une augmentation de leurs profits), le versement des primes demeure, semble-t-il, dans «l ordre des choses». Ceci permet par ailleurs de relativiser la décision du gouvernement britannique qui impose aux banques de s acquitter d une taxe exceptionnelle égale à la moitié du montant des primes versées lorsque celles-ci sont supérieures à 27 000 livres sterling. Si les banques affichent effectivement des profits records, elles peuvent aisément financer elles-mêmes cette taxe provisoire. S agit-il de sauver les banques ou les banquiers? Il ne fait aucun doute que l énorme soutien apporté aux banques par les gouvernements et les banques centrales est nécessaire. La suite d événements décrite plus haut démontre néanmoins que la conception des plans de sauvetage du secteur bancaire présente un défaut majeur. L intervention des gouvernements s est traduite par un apport énorme de capitaux nouveaux et de garanties publiques (3 milliards d'euros pour l'ensemble de l'europe!), pratiquement sans condition. Dans une stricte orthodoxie néolibérale, selon laquelle il faut «laisser le marché fonctionner», les gouvernements se sont abstenus de chercher à influencer le secteur bancaire, laissant aux banques le choix de leurs orientations stratégiques et de leurs comportements. Le principe sur

lequel repose l intervention des pouvoirs publics consiste d ailleurs à rendre au secteur bancaire sa liberté et son autonomie dès que possible 2. En d autres mots, le financement et la recapitalisation du secteur bancaire se résument à un plan de sauvetage colossal, mais presque inconditionnel 3. Il n est par conséquent pas surprenant que les banquiers, sauvés par l argent des contribuables sans être véritablement soumis à une nouvelle réglementation, renouent avec les mêmes pratiques : la recherche d une rentabilité excessive, le versement de primes indécentes et la restriction des flux crédit en faveur des investissements et des emplois dans l économie réelle. CES R. Janssen Janvier 2010 2 Il s agit en définitive de la seule réelle condition imposée au secteur bancaire. En effet, l injection de nouveaux capitaux et l offre de garanties publiques suppose pour les banques un coût relativement élevé lié aux taux d intérêt qui les incite à rembourser les pouvoirs publics dès que possible. 3 La France a imposé aux banques de maintenir les flux de crédits destinés à financer l'économie en contrepartie du soutien de l'état. Ce contrôle du financement de l économie par l État a suscité certaines critiques au sein de la Commission européenne, et il semble en définitive que les banques françaises aient privilégié le financement des grandes sociétés au détriment des petites et moyennes entreprises.