Les injections intra-articulaires de hanche dans la coxarthrose : corticoïdes, hyaluronan



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Revue du Rhumatisme 76 (2009) 356 360 Les injections intra-articulaires de hanche dans la coxarthrose : corticoïdes, hyaluronan Intra-articular injections in hip osteoarthritis: Corticosteroids, hyaluronan Thao Pham Service de rhumatologie, CHU La Conception, 147, boulevard Baille, 13005 Marseille, France Accepté le 6 mai 2008 Disponible sur Internet le 13 mars 2009 Mots clés : Coxarthrose ; Injections intra-articulaires ; Infiltrations ; Corticoïdes ; Acide hyaluronique Keywords: Hip osteoarthritis; Intra-articular injections; Infiltrations; Steroids; Hyaluronic acid Les injections intra-articulaires de corticoïdes et, plus récemment, d acide hyaluronique (AH) font partie intégrante de l arsenal thérapeutique pour la prise en charge de la coxarthrose en pratique quotidienne. Pourtant, la littérature les concernant est limitée. Lors de l élaboration des recommandations européennes pour la prise en charge de la coxarthrose en 2005, les publications concernant les infiltrations intra-articulaires représentaient moins de 3 % de l ensemble des traitements de la maladie [1]. Alors que l efficacité des autres traitements dans la coxarthrose tels que l éducation des patients, la perte de poids, la mise en décharge des articulations portantes, les antalgiques, les anti-inflammatoires non stéroïdiens ou la physiothérapie, a largement été démontrée, le rôle des infiltrations intra-articulaires des corticoïdes et/ou d AH reste controversé. Dans ce travail, nous avons colligé les données de la littérature évaluant l efficacité et la tolérance des traitements intra-articulaires de la coxarthrose. 1. Infiltrations intra-articulaires des corticoïdes 1.1. Efficacité des corticoïdes intra-articulaires Selon les recommandations de l European League Against Rheumatism (EULAR) pour la prise en charge de la coxarthrose publiées en 2005, «les infiltrations cortisoniques (guidées par échographie ou scopie) peuvent être envisagées chez les patients avec poussée congestive, ayant résisté aux traite- Adresse e-mail : thao.pham@mail.ap-hm.fr. ments antalgiques et anti-inflammatoires non stéroïdiens» [1]. Les experts impliqués dans l élaboration de ces recommandations reconnaissaient cependant que les preuves supportant leur recommandation n étaient pas robustes. En effet, à l époque, seuls trois essais thérapeutiques, aux résultats mitigés, avaient évalué l efficacité des corticoïdes dans la coxarthrose [2 4]. Les résultats du premier essai, à la méthodologie critiquable, ne montraient pas de supériorité de l association anesthésique corticoïdes par rapport au contrôle (anesthésique seul) sur l intensité de la douleur à un et à trois mois après l injection [2]. Dans le deuxième essai, mené en ouvert, la douleur des 35 patients infiltrés s amendait, mais seuls un tiers des patients étaient encore bénéficiaires trois mois après l injection [3]. Les 80 patients atteints de coxarthrose symptomatique inclus dans le troisième essai ont été randomisés en deux groupes, l un recevant 80 mg d acétonide de triamcinolone (Kenacort ) et l autre recevant un anesthésique local (mépivacaïne 1 %) [4]. Les traitements étaient injectés dans la hanche sous contrôle scopique. Un examinateur indépendant évaluait les patients 12 semaines après l injection. Quels que soient les critères de jugement, l effet des corticoïdes retard était nettement supérieur à celui de l anesthésique local, maximal à trois semaines et encore persistant à la fin de l étude. Il faut noter qu un nombre important de patients du groupe témoin étaient sortis d étude avant la fin de l essai pour défaut d efficacité. Depuis la publication des recommandations européennes, deux nouveaux essais thérapeutiques ont été menés avec une méthodologie correcte et confirment l efficacité des corticoïdes observée dans notre pratique quotidienne. 1169-8330/$ see front matter 2009 Société Française de Rhumatologie. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2008.05.018

T. Pham / Revue du Rhumatisme 76 (2009) 356 360 357 Une équipe danoise a comparé trois bras de traitements parallèles : acide hyaluronique (AH) (Hyalgan ), corticoïdes (méthylprednisolone 40 mg) et sérum physiologique [5]. Les corticoïdes avaient un effet sur la douleur (à la marche) significativement supérieur à celui du placebo avec un effet-taille de 0,6 (IC95 % : 0,1 1,1, p = 0,02). L acmé de cet effet était observée à deux semaines. Les trois groupes redevenaient comparables 90 jours après l infiltration. Tout récemment, un essai randomisé, en double insu, a comparé l efficacité des infiltrations intra-articulaires des corticoïdes à celle du sérum physiologique dans la coxarthrose [6]. Les patients recevaient soit 10 mg de bipuvicaïne et 2 ml de sérum physiologique (n = 21) ou 10 mg de bipuvicaïne avec 40 mg d hexacétonide de triamcinolone (Hexatrione )(n = 31). Les patients ont été évalués à un, deux, trois et six mois. Les injections étaient guidées par scopie. Tous les critères d efficacité étaient significativement supérieurs dans le groupe corticoïde par rapport au groupe placebo et ce, dès le premier mois après l injection, avec une persistance de l effet au-delà de trois mois. Le pourcentage de patients répondeurs, c est-à-dire avec amélioration de 20 % du score douleur du Womac, était 68 % dans le groupe corticoïdes versus 24 % dans le groupe placebo. De même, 61 % des patients avaient une amélioration de 50 % du Womac douleur versus 14 % dans les groupes corticoïde et placebo, respectivement. Cet effet se maintenait encore à six mois. Cette étude, bien menée, contrôlée, contre placebo, confirme les résultats observés par les rhumatologues dans leur pratique quotidienne concernant l efficacité des corticoïdes intra-articulaires sur la douleur dans la coxarthrose. 1.2. Choix du corticoïde Il n y a jamais eu d étude comparant «face-à-face» différents types de corticoïdes utilisés par voie intra-articulaire. Les rares essais contrôlés cités précédemment ont utilisé des corticoïdes différents : acétonide de triamcinolone, méthylprednisolone, hexacétonide de triamcinolone. Tous ces travaux ont montré un effet rapide, dès la deuxième semaine. En revanche, seule l étude utilisant l hexacétonide de triamcinolone (Hexatrione ) a montré un effet prolongé [6], alors que l effet des autres corticoïdes commençait à s épuiser dès la troisième semaine. Une étude contrôlée non randomisée a comparé deux posologies de méthylprednisolone chez des patients atteints de coxarthrose [7]. Les 75 premiers patients ont reçu 40 mg par voie radioguidée et les 45 suivants, 80 mg. Dans les deux groupes, on note une amélioration aux deux temps d évaluation, c est-à-dire six et 12 semaines, sur la douleur et sur la fonction. Seul le groupe 80 mg a présenté une amélioration du handicap. Même si la répartition des patients dans les groupes n était pas randomisée, les patients étaient similaires à l inclusion, permettant aux auteurs de conclure à un effet bénéfique et probablement plus durable de la posologie la plus forte. Ces quelques résultats encouragent à utiliser un corticoïde retard à posologie suffisante, et probablement à préférer l hexacétonide de triamcinolone pour un effet prolongé de l infiltration. 1.3. Indication des corticoïdes intra-articulaires Les recommandations européennes indiquent les infiltrations des corticoïdes au cours des poussées congestives de coxarthrose, résistantes aux traitements usuels. Cela repose sur un raisonnement théorique, sans preuve à l appui. En effet, tous les essais contrôlés sus-mentionnés, ayant démontré une efficacité des corticoïdes retard, ont été menés chez des patients avec hanche «sèche». Les facteurs prédictifs de bonne réponse aux corticoïdes retard sont discordants en fonction des rares études qui s y sont penchées : on y retrouve la présence de synovite ou d épanchement, un indice de masse corporelle bas, l absence d atrophie radiologique [7 9]. La coxarthrose destructrice rapide (CDR) ne semble pas être non plus une bonne indication pour les injections intraarticulaires de corticoïdes. Une étude rétrospective a montré que 27 des 28 patients inclus, malgré la mise en décharge et une infiltration de corticoïdes intra-articulaire, ont eu recours à une prothèse totale de hanche (PTH) dans l année suivant l infiltration. En d autres termes, l infiltration n a pas permis d éviter, ni de retarder la mise en place d une PTH [10]. Il semble donc licite de proposer d emblée un geste chirurgical face à une CDR plutôt que d essayer de surseoir à ce geste avec des corticoïdes intra-articulaires. 1.4. Effets indésirables des corticoïdes Les infiltrations des corticoïdes intra-articulaires ne sont pas dénuées de risques. Il n y a pas ou peu d études sur le risque iatrogène d infection après infiltration. Ce risque était estimé globalement à une infection toutes les 14 000 à 50 000 injections dans des publications datant des années 1980 [11]. Une enquête conduite auprès d une quarantaine de rhumatologues a estimé le nombre d infections post-infiltration à 4,6/100 000 [12]. Aucune étude épidémiologique récente n a été menée pour savoir si l amélioration des conditions d asepsie a modifié la fréquence des infections. Une première étude rétrospective a tenté d évaluer le risque d infection de PTH après infiltration de corticoïdes, en comparant deux groupes : un groupe de 217 patients (224 prothèses totales) ayant bénéficié d une infiltration intra-articulaire de corticoïdes dans l année précédant le geste chirurgical et un groupe de 220 patients (224 prothèses totales) sans antécédent récent d infiltration de corticoïdes. Les groupes étaient appariés en fonction de l âge, du sexe et du chirurgien [13]. Le hazard ratio d infections profondes et superficielles était 3 (IC95 % : 0,3 29,8) et 1,5 (IC95 % : 0,6 3,6), respectivement dans les groupes avec et sans corticoïdes. Même si ces résultats n étaient pas statistiquement significatifs, il faut noter que le délai moyen entre l injection des corticoïdes et l apparition de l infection était de 44 ± 23 jours chez les patients avec infection profonde alors que le délai global (tous patients confondus, infectés et non infectés post-pth) était de 112 ± 81 jours. Une seconde étude rétrospective a comparé 40 patients traités par infiltrations intra-articulaires de méthylprednisolone (Dépomédrol ) 80 mg puis opérés pour PTH à 40 patients appariés (sexe, âge, durée de suivi) opérés sans antécédent d infiltration

358 T. Pham / Revue du Rhumatisme 76 (2009) 356 360 [14]. On a dénombré quatre infections profondes dans le groupe «injecté» versus aucune dans le groupe témoin dans les 50 mois de suivi post-pth. Ces infections ont contribué à l augmentation nette du taux de reprise chirurgicale des PTH : 12,5 % versus 1,0 % dans les groupes avec et sans infiltration, respectivement. Il n y avait pas, en revanche, de différence d intervalle entre infiltration et chirurgie entre les patients infectés et non infectés. Malgré les limites inhérentes à leur méthodologie, ces études nous incitent à rester vigilants, en préconisant l absence d infiltration des corticoïdes dans les deux mois précédant une PTH. 2. Injections intra-articulaires d AH L AH est un polysaccharide organique distribué largement dans tout le corps, faisant partie intégrante de différents tissus, principalement les tissus conjonctifs. Il est produit par les chondrocytes et les synoviocytes de la membrane synoviale. On le retrouve dans le liquide synovial et dans la matrice extracellulaire du cartilage. Dans l arthrose, sa concentration et son poids moléculaire (PM) sont diminués. L injection intra-articulaire d AH exogène a pour objectif de restaurer l homéostasie articulaire en relançant la synthèse endogène d AH par injection. On peut globalement classer les préparations d AH selon leur PM et le type de formulation : les solutions de bas PM (500 1200 kda), les solutions de haut PM (6000 kda), les acides hyaluroniques réticulés (Hylan GF-20) et les solutions d AH non animal stabilisées (Nasha) [15]. Historiquement, les infiltrations intra-articulaires d AH ont d abord été utilisées dans l articulation temporomandibulaire [16] avant d être largement étudiées dans la gonarthrose. Son utilisation dans l arthrose de hanche, d épaule ou de l articulation trapézo-métacarpienne est plus récente. 2.1. Efficacité de l AH Une analyse systématique de la littérature évaluant son efficacité dans la coxarthrose a identifié huit études étudiant l efficacité et la tolérance de l AH intra-articulaire dans la coxarthrose [17]. La majorité des études sont des études ouvertes non contrôlées. Dans celles-ci, le traitement par AH permettait d obtenir l amélioration de la douleur chez un pourcentage de patients variant de 43 % à trois mois [18] à84% à 12 mois [19]. Dans ces études ouvertes aux schémas thérapeutiques très différents, l AH était souvent associé à des traitements concomitants : antalgiques, anti-inflammatoires non stéroïdiens, anti-arthrosiques symptomatiques d action lente (AASAL) oraux ou traitements physiques [17 19]. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux études contrôlées. Un premier essai contrôlé randomisé a comparé l efficacité de trois injections intra-articulaires (une par semaine) de deux types de préparation d AH (hyaluronan de 1,2 kda et Hylan GF-20). Les 43 patients de l étude (56 hanches) atteints de coxarthrose montraient une amélioration dès le premier mois qui se maintenait à trois et six mois, mais sans observer de différence significative entre les deux préparations d AH [20]. Un autre travail comparant trois formulations différentes d AH (hyaluronan de 1,0 2,9 kd, Hylan GF-20 et un analogue synthétique de l AH), sans randomisation des patients, n a pas non plus mis en évidence de différences entre les trois préparations [21]. Une autre étude, présentée au cours du congrès de l ACR en 2004, non publiée depuis, comparait le Hyalgan au placebo chez 50 patients. Les patients recevaient trois injections hebdomadaires successives, sous scopie, avec une évaluation à 12 semaines. On observait une amélioration significative de la douleur (30,2 % versus 10,7 %) et de la fonction (37,5 % versus 16,5 %) respectivement, dans le groupe AH et le groupe sérum physiologique [22]. L essai de Qvistgaard, déjà cité dans le paragraphe précédent, comparait en double insu trois bras parallèles de traitements : AH, méthylprednisolone 40 mg, sérum physiologique [5]. Les injections étaient réalisées sous échographie à j0, j14 et j28. Les patients des groupes Hyalgan et sérum physiologique recevaient les trois injections alors que les patients du groupe corticoïdes ne recevaient qu une seule injection de corticoïdes à j0 puis deux injections «leurres» (pas d injection de sérum physiologique). Le critère principal de jugement était la douleur à la marche mesurée sur une échelle visuelle analogique. Aucune différence n a pu être mise en évidence entre les groupes AH et placebo et les groupes AH et corticoïdes à trois mois, dans cet essai à la méthodologie impeccable. Le pourcentage de patients répondeurs à j14 était respectivement de 53, 56 et 33 % et à j28 était de 53, 66 et 44 %, dans les groupes AH, corticoïdes et sérum physiologique. Il faut remarquer que le faible effectif dans chaque groupe (104 patients au total) est peut-être responsable de l absence de mise en évidence de différence. L efficacité de l AH intra-articulaire dans la coxarthrose symptomatique est moins flagrante, même si les résultats de ces différentes études semblent montrer un certain bénéfice sur la douleur. Cependant, l absence d essais contrôlés, avec une méthodologie satisfaisante et un nombre de patients suffisant implique qu on n est pas en droit de confirmer cet effet et de le comparer aux autres traitements. Une étude multicentrique, randomisée, contrôlée comparant un AH de bas PM versus placebo récemment menée en France, nous permettra peut-être de conclure. 2.2. Tolérance de l acide hyaluronique Aucune des études précédemment citées n a rapporté d effets indésirables majeurs. La seule complication décrite est l apparition de douleur locale qui semble survenir plus fréquemment avec des AH de haut PM. Par exemple, dans une étude ouverte comparant l efficacité et la tolérance du Durolane, neuf des 18 patients ont décrit une exacerbation des douleurs de la hanche arthrosique traitée [23]. Deux cas d arthrite septique après injection d AH dans la hanche ont été rapportés. Le premier patient avait reçu cinq injections intra-articulaires d AH et une d hexacétonide de triamcinolone, en l espace d un an [24]. Malgré le respect des conditions d asepsie stricte, l arthrite septique est apparue six mois après l infiltration de corticoïdes et 24 heures après la dernière injection d AH. Le second cas rapporte une arthrite septique trois semaines après une injection d AH, chez un patient

T. Pham / Revue du Rhumatisme 76 (2009) 356 360 359 ayant comme seul antécédent notable une infiltration de corticoïdes retard dans la même hanche deux mois auparavant [25]. La majorité des études sont faites avec une injection radioguidée ou échoguidée. Une toute récente étude a évalué l efficacité des infiltrations utilisant des repères anatomiques. Cette étude prospective, avec comparaison secondaire sous scopie, a montré que dans les 19 cas sur 20, l aiguille était correctement positionnée, par simple utilisation des repères anatomiques [26]. Cela reste à confirmer. 2.3. Choix de l AH Une seule étude contrôlée randomisée a comparé deux types de préparation d AH dans la coxarthrose sans mettre en évidence de différence [20]. Plus récemment, une étude a comparé trois formulations différentes d AH chez des patients avec coxarthrose candidats à la PTH : Adant (0,6 1,2 kda), Synocrom (1,6 kda) et Synvisc (6,0 kda) [27]. Il faut rester vigilant quant aux résultats : ces groupes n étaient pas randomisés, les auteurs ont comparé les résultats de patients traités par période, avec l une ou l autre des préparations d AH. Là encore, il n y avait pas de différence entre les trois préparations, avec étonnamment encore 25 % d efficacité sur la fonction 900 jours (2,5 ans) après l injection d AH. 3. Corticoïdes et AH dans la coxarthrose Nous n avons trouvé aucune étude évaluant l efficacité et la tolérance de l association corticoïdes et AH intra-articulaires dans la coxarthrose. Cependant, l association a déjà été étudiée dans la gonarthrose avec une excellente tolérance, rassurante pour une éventuellement utilisation dans la hanche [28]. Même si certains auteurs ont préconisé l association corticoïdes AH dans la gonarthrose en cas de poussée congestive, ce schéma thérapeutique n a jamais été validé. 4. Conclusion Les injections intra-articulaires de corticoïdes et d AH sont des traitements bien tolérés de la coxarthrose. Les corticoïdes ont fait la preuve de leur réelle efficacité symptomatique même si elle est de relativement courte durée, sauf peut-être avec l hexacétonide de triamcinolone où elle est, semble-til, plus durable. L efficacité de l AH intra-articulaire dans la coxarthrose symptomatique est moins flagrante, même si les résultats de ces différentes études semblent montrer un certain bénéfice sur la douleur. Aucun de ces traitements n a en revanche démontré d efficacité structurale. Les résultats des différents essais présentés confirment que les traitements locaux doivent faire partie intégrante de la prise en charge des symptômes de la coxarthrose. Reste maintenant à mener des études de stratégie thérapeutique afin d aider le praticien au quotidien à optimiser les armes thérapeutiques qu il a en main. Références [1] Zhang W, Doherty M, Arden N, et al. 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