ASSUETUDES ET TROUBLES PSYCHIATRIQUES



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Transcription:

ASSUETUDES ET TROUBLES PSYCHIATRIQUES La consommation de produits psychotropes (à savoir toute substance, licite ou illicite, récréative ou médicamenteuse, qui agit sur le cerveau et en modifie le fonctionnement) chez les patients ayant une problématique psychiatrique est largement supérieure à celle attendue s il elle était due au hasard ; par exemple, selon les études, 85 à 90 % des schizophrènes fument du tabac. Cette corrélation se retrouve pour d autres problèmes psychiatriques et d autres produits psychotropes. Il existe donc une corrélation entre les deux types de pathologie. Cependant, cette interrelation peut être interprétée de différentes façons : - les produits psychotropes provoquent les problèmes psychiatriques (facteur causal) ; - les produits psychotropes favorisent l apparition de problèmes psychiatriques chez des sujets prédisposés (facteur déclenchant) ; - les problèmes psychiatriques amènent une consommation de produits psychotropes (facteur secondaire) ; - un facteur commun est à l origine à la fois du trouble psychiatrique et de l abus, ou de la dépendance aux psychotropes. En fait, ces différentes explications sont toutes valables dans certains cas. Il faut donc envisager ces différentes situations. 1. Les psychotropes peuvent provoquer, ou aggraver, des troubles psychiatriques Ces problèmes psychiatriques peuvent apparaître soit lors de l intoxication aiguë, soit lors de l intoxication chronique, soit lors du sevrage. a) L alcool La prise de quantités parfois peu importantes d alcool peut provoquer chez certaines personnes des épisodes de confusion, d agitation, avec, de temps à autres, des crises clastiques, qui sont souvent suivies d amnésie. Ce phénomène d ivresse pathologique est beaucoup plus fréquent en cas de prise simultanée de benzodiazépines. La prise chronique de quantités importantes d alcool peut entraîner un état de démence, avec altération des facultés cognitives et, en particulier, de la mémoire (syndrome de Korsakoff).

Le sevrage brusque de l alcool peut provoquer le tableau du delirium tremens : anxiété et tremblements, suivis d état confusionnel, avec onirisme, convulsions et dérèglement métabolique, pouvant entraîner la mort. Cet état s explique par le phénomène de neuro-adaptation : lors de la prise chronique et prolongée d alcool, le cerveau «compense» l action inhibitrice de l alcool (par l intermédiaire du GABA) en diminuant l activité GABA-ergique de base et en augmentant celle des neurotransmetteurs-excitateurs (glutamate), ce qui explique le phénomène de tolérance ; lors de l arrêt brutal de l alcool, ces mécanismes de neuro-adaptation persistent pendant un certain temps et amènent un déséquilibre important entre le système excitateur (glutamate) et inhibiteur (GABA), en faveur du premier. Il faut donc compenser ce déséquilibre par des substances GABA-ergiques, comme les benzodiazépines. b) Les benzodiazépines et les barbituriques Ces produits peuvent provoquer un cas d intoxication aiguë, des réactions paradoxales (agitation, confusion, suivies d amnésie). Ces réactions sont plus fréquentes avec des substances à action rapide et à courte demi-vie (par exemple, le triazolam). Comme pour l alcool, l arrêt brutal de benzodiazépines ou de barbituriques peut se traduire par un tableau de delirium, par un déséquilibre des mécanismes inhibiteurs et excitateurs du cerveau. Ce tableau apparaît cependant de façon retardée et est moins intense, mais plus prolongé, qu avec l alcool, surtout pour les benzodiazépines à longue demi-vie. c) La cocaïne, les amphétamines, l ecstasy et ses dérivés La prise de ces produits peut provoquer chez des sujets sensibles des attaques de panique et/ou des bouffées psychotiques brèves, qui nécessitent parfois l administration de benzodiazépines ou de produits de type neuroleptique. La prise prolongée, en particulier de cocaïne ou d amphétamines, engendre fréquemment des épisodes paranoïdes (sensation d être observé, menacé, hallucinations auditives, tactiles et parfois visuelles, ). Plus rarement, ce tableau peut évoluer en un épisode psychotique, avec délire structuré, qu il est souvent difficile de distinguer d une psychose schizophrénique. Cette augmentation des signes psychotiques au fur et à mesure de l utilisation de psychostimulants s explique par un phénomène de neuro-adaptation : ces produits bloquant la recapture de la dopamine provoquent une déplétion des réserves intra-neuronales de ce neurotransmetteur, qui est compensée par une production accrue. Les prises répétées de cocaïne provoquent donc une libération de plus en plus importante de dopamine (phénomène de sensibilisation ou de tolérance inversée). A l arrêt d une prise prolongée de psychostimulants, on note une phase de ralentissement psychomoteur, avec sommeil et appétit accrus, adynamie, anhédonie, évoluant parfois en un état dépressif complet, nécessitant une prise en charge antidépressive.

d) Les hallucinogènes (LSD, champignons, ) Ces produits peuvent provoquer, parfois même en quantités minimes, des bouffées psychotiques, qui échappent totalement au contrôle du sujet. Il n y a pas de dépendance physique et la prise répétée entraîne, en général, une diminution des effets, mais on note parfois des phénomènes de flash-back : réapparition souvent brève, mais sans prise de produits, d état confusionnel ou hallucinatoire. e) Le cannabis La prise de cannabis peut provoquer chez certains sujets des troubles anxieux, plus particulièrement chez les sujets de type obsessionnel, qui ont besoin de tout contrôler ; l expérience de la fluidité mentale, provoquée par le produit, peut être ressentie comme menaçante. Chez d autres sujets, des bouffées psychotiques peuvent apparaître ; si ces signes sont importants, cela peut amener à soupçonner l existence d une personnalité schizoïde ou schizotypique, voire d une entrée en schizophrénie. La consommation régulière et importante de cannabis peut provoquer un état pseudo-dépressif, avec aboulie, difficultés de concevoir et de réaliser les projets et désorganisation du rythme de vie («syndrome amotivationnel») ; cet état est réversible et se distingue d un état dépressif par l absence de tristesse de l humeur et d idées noires. Des symptômes de type paranoïde peuvent également survenir : peur de sortir de chez soi, peur du regard des autres,. A l arrêt d une consommation régulière de cannabis, certains sujets décrivent de l irritabilité et une relative augmentation de l impulsivité, qui sont également transitoires. 2. Les troubles psychiques peuvent influencer la consommation de psychotropes Divers troubles psychologiques ou psychiatriques peuvent amener à une consommation plus ou moins régulière puis, à un abus, ou à une dépendance, de produits psychotropes. Souvent, il s agira de la recherche d un soulagement des symptômes et d une automédication ; dans d autres cas, le sujet chercher à diminuer des effets secondaires d un traitement. a) L anxiété L anxiété sous toutes ses formes (anxiété généralisée, phobies, TOC, syndrome post-traumatique, ) rend fragile par rapport à la consommation d alcool et de benzodiazépines. Ces produits, en particulier l alcool, amènent un soulagement rapide, mais de courte durée, des symptômes, avec, de temps à autres, un effet rebond lors de l arrêt, ce qui entraîne une reprise, parfois de plus en plus rapprochée et importante, du produit.

b) La dépression En plus de l anxiété, très souvent présente (cf. a)), la dépression comprend une dimension de souffrance morale, qui peut être soulagée par les opiacés (héroïne, morphine, ). Un passage à l abus et à la dépendance est possible. La dépression s accompagne également d asthénie et d adynamie, qui peuvent amener la prise de psychostimulants (cocaïne, amphétamines, ). L arrêt de ces produits entraîne régulièrement une aggravation de la dépression, avec risque de rechute. c) La schizophrénie Le sujet qui est en plein délire ne recherche pas nécessairement les psychotropes ; par contre, celui qui, en phase d invasion des symptômes psychotiques, a un pied dans la réalité et un pied dans l imaginaire ressent une souffrance psychique, qui l amène souvent à rechercher un soulagement Le sujet peut prendre des benzodiazépines ou des opiacés, qui vont diminuer son anxiété et lui donner un recul émotionnel par rapport à ses hallucinations ou à son idéation paranoïde ; les opiacés, par exemple, ont un effet stabilisant, de type «neuroleptique», sans être, à proprement parlé, antipsychotiques. Le sujet peut aussi prendre du cannabis ou des psychostimulants, qui vont accroître les symptômes psychotiques et le délire ; ce décrochage avec la réalité peut parfois, paradoxalement, soulager les distorsions internes du sujet. Dans d autres cas, un psychotique sous traitement peut utiliser le cannabis, et parfois les psychostimulants, pour «échapper» au traitement neuroleptique et à certains de ses effets secondaires : anhédonie, diminution de l activité mentale, sentiment dépressif,. d) Le trouble bipolaire Dans les phases dépressives, le sujet peut être amené à rechercher le soulagement de son anxiété et de sa souffrance morale par l alcool, les benzodiazépines ou les opiacés (cf. supra). Dans les phases d exaltation maniaque, l absence de limites peut amener à la recherche de sensations fortes et à l abus de divers produits psychotropes. e) Le déficit de l attention, avec ou sans hyperactivité Ces sujets, qui sont calmés et stabilisés par les psychostimulants, comme les amphétamines ou la cocaïne, peuvent utiliser ces produits comme tentative d automédication. Ils essaient souvent également des sédatifs, mais, comme ces produits fonctionnent mal chez eux, ils peuvent être amenés à en consommer en quantités importantes, d où un risque d abus.

f) Les troubles de la personnalité Les troubles de la personnalité amènent souvent l utilisation de produits psychotropes. En particulier, les personnalités antisociales et les personnalités borderline présentent une association d irritabilité, d impulsivité, d instabilité et d intolérance à la frustration. Ces traits de caractère amènent souvent la recherche d une sédation rapide, au prix d une «défonce», d une anesthésie. Il s agit aussi de sujets recherchant des sensations fortes, que des psychotropes, souvent pris en doses massives, peuvent leur donner. Ces abus sont si fréquents qu il font même partie des critères diagnostiques de la personnalité borderline. Il est donc important, lorsque l on fait une désintoxication ou un sevrage, particulièrement chez des sujets présentant des troubles psychologiques ou psychiatriques, de bien comprendre la fonction qu a le produit pour ces personnes et de chercher à remplir cette fonction par d autres moyens, médicamenteux ou psychologiques. 3. Facteurs expliquant à la fois les problèmes psychiatriques et les abus de substances Ces facteurs peuvent être d origine : - génétique, - congétinale (par exemple, anoxie cérébrale lors de l accouchement), - environnementale (familiale, scolaire, milieu de loisirs, ), - personnelle. a) Facteurs génétiques, développementaux ou congénitaux La dopamine est un neurotransmetteur impliqué dans de nombreuses pathologies psychiatriques, comme la schizophrénie et les troubles de l attention, avec ou sans hyperactivité. Or, le point commun à tous les produits psychotropes pouvant entraîner une assuétude est l activation des voies mésolimbiques dopaminergiques, appelées aussi circuit de la récompense. Certains psychotropes, comme la cocaïne ou les amphétamines, stimulent directement ce circuit tandis que d autres ont une action activatrice indirecte, par exemple en inactivant des neurones inhibiteurs de ce circuit. La dopamine intervient également au niveau frontal, dans la capacité d attention sélective et dans la planification de ces activités dans le futur. Des anomalies au niveau de la synthèse de la dopamine, dans la région pré-synaptique, dans son transport à travers la fente synaptique ou dans sa fixation sur les récepteurs post-synaptiques peuvent donc à la fois provoquer des troubles psychiques (ou, au moins, donner une vulnérabilité particulière vis-à-vis de ceux-ci) et modifier la réaction à différents psychotropes.

Par exemple : - Un système dopaminergique déficient peut à la fois provoquer des difficultés dans la planification des comportements (instabilité, impulsivité) et rendre le système de récompense peu excitable, sauf par de fortes stimulations, comme celles provoquées par les psychotropes (par exemple, la cocaïne). Ce dysfonctionnement pousse donc le sujet à rechercher des sensations fortes, comme celles provoquées par la drogue, tout en le rendant peu sensible aux conséquences de ses actes. - Dans la schizophrénie, il semble exister une hyperactivité de ce système dopaminergique, qui pourrait expliquer à la fois différents symptômes de la psychose et la sensibilité particulière à une stimulation, même indirecte, de ce système par des produits, comme le cannabis (rôle déclenchant ou aggravant). La sérotonine est également un neuromédiateur, dont le déficit peut provoquer divers symptômes psychiatriques (impulsivité, dépression, ) et une réactivité particulière à certains psychotropes (type XTC ou hallucinogènes). Un déficit du système des endorphines (opioïdes endogènes) pourrait être impliqué dans divers problèmes psychologiques, dans un abaissement du seuil de la douleur et dans une hyper-réactivité aux opiacés exogènes, comme l héroïne. Les études sur le chromosome humain et différentes études sur les populations (notamment les jumeaux) montrent que ces dysfonctionnements peuvent avoir, dans beaucoup de cas, une origine génétique ; dans certains cas, cependant, on peut incriminer d autres facteurs, comme une anoxie néonatale ou une infection virale durant la grossesse ou peu après l accouchement. b) Facteurs environnementaux La famille peut, par son style éducatif, favoriser l éclosion à la fois de troubles mentaux et d un mésusage des produits psychotropes. Par exemple, une attitude trop laxiste peut rendre difficile l acquisition de limites et d une tolérance normale à la frustration, ce qui provoque des problèmes psychologiques («sociopathie») et des conduites à risque avec les psychotropes (expériences multiples, recherche d ivresse ou de «défonce») ; une éducation trop rigide et répressive va favoriser des mécanismes de refoulement, d inhibition du plaisir (ce qui est source d anxiété ou de dépression) et, souvent, une recherche d échappatoire par les effets des psychotropes. Le milieu scolaire peut avoir un rôle stabilisant, mais, en cas de mauvaise intégration, le sentiment d exclusion peut favoriser à la fois divers problèmes psychologiques et des expériences avec des psychotropes (cannabis, alcool, médicaments, ) pour diminuer les frustrations liées à cet état d exclusion.

c) Histoire personnelle Divers traumatismes (deuil, maladie, séparation, abus sexuels, ), subis depuis la naissance jusqu à l âge adulte, peuvent favoriser à la fois des troubles psychologiques, voire psychiatriques, et la consommation de divers psychotropes. CONCLUSIONS Des relations entre troubles psychiatriques et assuétude aux psychotropes sont complexes ; différents mécanismes peuvent intervenir et se superposer ; un exemple peut être pris dans la relation entre cannabis et schizophrénie. Le suivi longitudinal de cohortes de jeunes en Allemagne et en Suède montre un accroissement du risque de psychose chez les usagers de cannabis ; ce risque augmente avec la quantité de consommation et la précocité de la prise du cannabis. Face à ces études, certains ont invoqué un facteur causal entre la consommation de cannabis et l apparition d une psychose ; cependant, alors que la consommation de cannabis s est très fortement accrue ces vingt dernières années, dans nos pays, chez les jeunes en âge scolaire, le nombre d entrée en schizophrénie est resté relativement stable et, en tout cas, n a pas augmenté dans les mêmes proportions que l usage de cannabis. Par contre, l hypothèse du cannabis comme facteur déclenchant chez des personnes prédisposées ou vulnérables rejoint plus les observations cliniques ; le cannabis agirait comme «stresseur» (comme peuvent agir également divers problèmes personnels ou familiaux), qui déséquilibrerait une situation instable. Dans certains cas cliniques que nous rencontrons, le sujet se sert du cannabis pour «mieux délirer» ou diminuer l effet du traitement neuroleptique ; cependant, cette explication ne peut pas être généralisée car, dans la majorité des cas, la consommation de cannabis précède le déclenchement de la psychose. L hypothèse d un facteur commun aux deux problématiques paraît fort intéressante : un dysfonctionnement du système dopaminergique constituerait un facteur de vulnérabilité à la psychose et de réactivité particulière à certains psychotropes, comme le cannabis (augmentation des propriétés de renforcement positif, provoquées par ce psychotrope). Les relations causales linéaires entre les deux types de pathologie sont donc trop simples ; il s agit, en fait, d interactions complexes où, selon les cas, différents types de facteurs peuvent intervenir. L existence de ces interactions soulignent la nécessité d une prise en charge globale du sujet, en prenant en charge à la fois ses problèmes d assuétude vis-à-vis des produits et ses troubles psychiatriques. Cette prise en charge simultanée ou, au moins, coordonnée des deux types de problèmes paraît une condition essentielle à la stabilisation de ces sujets ; c est pourquoi, des équipes spécialisées dans l accompagnement de ces «doubles diagnostics» ont été constituées. Il s agit, manifestement, d une voie d avenir. Docteur Christian FIGIEL