Bulletin Droit du divertissement Avril 2004 Fasken Martineau DuMoulin s.r.l. L ÉCHANGE DE FICHIERS MUSICAUX EN LIGNE EST-IL RÉELLEMENT LÉGAL AU CANADA? Par Stéphane Gilker Vancouver Calgary Yellowknife Toronto Montréal Québec New York Londres Johannesburg www.fasken.com La Cour fédérale du Canada rendait, le 31 mars dernier, une décision dans le dossier BMG et al. c. John Doe et al. suite au recours institué par BMG Canada Inc. et 16 autres producteurs d enregistrements musicaux, membres de la Canadian Recording Industry Association («CRIA»), demandant à la Cour fédérale d ordonner à cinq fournisseurs canadiens d accès Internet («FAI») d identifier 29 de leurs clients faisant usage des logiciels «KaZaA» ou «imesh» sous des pseudonymes pour l échange sur Internet d enregistrements musicaux dont les droits d auteur appartenaient aux producteurs membres de la CRIA. Malgré ce que certains médias ont pu rapporter, la Cour fédérale n a jamais conclu, dans cette décision, que l échange de fichiers musicaux sur Internet était légal au Canada. Elle a uniquement déclaré que la preuve lui ayant été soumise ne lui permettait pas de conclure que les usagers de logiciels tels que KaZaA, Morpheus ou imesh («logiciels d échanges») utilisent les copies d enregistrements musicaux rendues disponibles sur Internet à des fins non autorisées par la Loi sur le droit d auteur (Canada) (la «Loi»). Sur la base de cette décision et de la jurisprudence existante au Canada, il semble, en fait, qu un tribunal canadien devrait conclure que les copies d enregistrements musicaux rendues disponibles sur Internet par l entremise de logiciels d échanges violent la Loi dans la mesure où il serait démontré à ce tribunal soit : - que l utilisation d un logiciel d échange par un utilisateur donné («A») résulte, dans les faits, en une «annonce» à tout autre utilisateur du même logiciel d échange concomitamment branché sur Internet à l effet que les enregistrements musicaux reproduits dans le répertoire de sauvegarde du logiciel d échange de l utilisateur «A» sont disponibles pour être copiés; - que toute copie d un enregistrement musical reproduite dans le répertoire de sauvegarde du logiciel d échange de l utilisateur «A» est disponible pour transmission à tout autre utilisateur de ce même logiciel concomitamment branché sur Internet désirant télécharger cet enregistrement; - qu en se branchant sur Internet, l utilisateur «A» rend disponible tout enregistrement musical reproduit dans le répertoire de sauvegarde du logiciel
Fasken Martineau DuMoulin s.r.l. Bulletin Droit du divertissement 2 d échange à tout autre utilisateur de ce même logiciel d échange concomitamment branché sur Internet et, de ce fait, en «autorise» la reproduction par ces autres utilisateurs. Quiconque ayant utilisé un tel logiciel d échange conviendra qu une telle preuve ne devrait pas être trop difficile à apporter. Exigences de la Loi sur le droit d auteur (Canada) Pour bien comprendre cette décision il est utile de souligner que toute reproduction non autorisée par le titulaire du droit d auteur d un enregistrement musical protégé par droit d auteur constitue une violation du droit d auteur, sauf si cette reproduction est couverte par une exception prévue dans la Loi. Or, la Loi comporte une exception dite de «copie privée» permettant à une personne de faire une copie d un enregistrement musical à la condition expresse que cette copie ne soit utilisée que pour «l usage privé» de cette personne. La Loi précise qu une copie n est pas utilisée pour un «usage privé», et est donc illégale, dès lors qu elle est utilisée à des fins de «distribution» ou de «communication au public par télécommunication». Nous y reviendrons. Il faut finalement souligner que le système juridique canadien exige d un demandeur exerçant un recours contre un défendeur qu il apporte la preuve prépondérante de tous les faits requis pour établir le bien-fondé de sa réclamation. Ainsi, dans le cadre d une poursuite alléguant qu un individu a fait des copies illégales d un enregistrement musical protégé par droit d auteur, le demandeur doit d abord établir qu il y a eu copie de cet enregistrement musical. Il incombe alors au défendeur de démontrer que cette copie a été autorisée par le titulaire du droit d auteur ou par une exception prévue par la Loi, par exemple en établissant que cette copie n a été utilisée qu à des «fins privées». Le demandeur peut alors tenter de prouver que le défendeur n a pas, dans les faits, utilisé la copie uniquement à des fins privées, le tribunal devant alors trancher cette question en faveur de la partie ayant apporté la preuve la plus convaincante. La décision Rappelons d abord que cette décision visait uniquement à ordonner aux FAI de fournir à la CRIA le nom, l adresse et le numéro de téléphone des 29 usagers en cause et non à déterminer la responsabilité des FAI suite à d éventuelles violations de droit d auteur commises par ces usagers, les FAI ayant adopté la position suivant laquelle, en raison tant des contrats les liant à leurs clients que des lois canadiennes concernant la protection des renseignements personnels, ils se devaient de préserver la confidentialité des informations demandées par la CRIA. Afin de décider de l émission de cette ordonnance, le juge von Finckenstein en vint toutefois à la conclusion qu il devait d abord déterminer si, à première vue, la CRIA disposait d un recours valable en violation de droit d auteur contre les 29 usagers visés par la demande de divulgation. Dans sa décision, le juge von Finckenstein a d abord constaté que l utilisation de logiciels d échange résulte en la création de copies d enregistrements musicaux. Il a de plus apparemment présumé que ces copies constituaient des «copies privées», donc légales. Pour que ces copies soient déclarées illégales, les demandeurs se voyaient donc contraints de prouver que ces copies étaient utilisées à des fins autres que personnelles soit, par exemple, à des fins de «distribution» ou de «communication au public par télécommunication». Le juge n a apparemment considéré que la question de la «distribution» des copies faites par les usagers pour déclarer que la preuve présentée devant lui n établissait pas que les utilisateurs de KaZaA ou de imesh «distribuent» les enregistrements musicaux reproduits sur leur ordinateur. Selon le juge, pour
Fasken Martineau DuMoulin s.r.l. Bulletin Droit du divertissement 3 qu il y ait «distribution», l utilisateur doit poser un «acte positif» tel que transmettre l enregistrement musical à un autre utilisateur ou, encore, «annoncer qu un tel enregistrement musical est disponible pour être copiée». Le juge s est ensuite prononcé sur l argument des demandeurs suivant lequel en reproduisant un exemplaire d un enregistrement sonore dans le répertoire de sauvegarde de son logiciel d échange, l utilisateur de ce logiciel «autorise» tout autre utilisateur de ce logiciel d échange concomitamment branché sur Internet à reproduire un tel enregistrement sonore. La Loi reconnaît en effet que, dans certaines circonstances, une personne peut violer le droit d auteur en «autorisant» une autre personne à commettre un acte constituant une violation de droit d auteur. Le juge von Finckenstein, s appuyant sur la décision CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada rendue par la Cour Suprême du Canada le 4 mars 2004, conclut qu un utilisateur de logiciel d échange «n autorise» pas les usagers accédant à son ordinateur à faire des copies des enregistrements musicaux reproduits sur cet ordinateur. Dans la décision CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut- Canada, la Cour Suprême avait conclu qu une bibliothèque mettant des photocopieurs libresservices à la disposition de ses usagers dans ses locaux n est pas responsable des copies illégales effectuées à l aide de ces photocopieurs, essentiellement en raison du fait que ces photocopieurs pouvaient aussi être utilisés à des fins légales et que la bibliothèque n exerçait pas de contrôle sur les actes de ses usagers. Commentaires Le juge von Finckenstein n a donc pas conclu que les copies d enregistrements musicaux résultant de l échange de fichiers sur Internet sont légales au Canada mais a simplement conclu que la preuve lui ayant été soumise ne lui permettait pas de conclure que les copies ainsi effectuées étaient utilisées à des fins autres que privées, telles que pour la «distribution» ou la «communication au public par télécommunication» des copies ainsi réalisées. Fardeau de la preuve La juge von Finckenstein semble avoir présumé que toute copie d enregistrements musicaux reproduite dans le répertoire de sauvegarde d un logiciel d échange est nécessairement une copie privée. Si tel est le cas cette conclusion est surprenante en ce qu on aurait cru que le juge devait, au contraire, présumer que de telles copies n étaient pas autorisées à moins qu une preuve contraire ne lui soit apportée. Or, rien dans la décision n atteste qu une telle preuve ait été présentée au juge. Utilisation des copies à des fins de «distribution» Le juge von Finckenstein conclut que la transmission d un enregistrement sonore sur Internet peut constituer un acte de «distribution» et ce, même si les enregistrements sonores ainsi distribués le sont sous forme intangible. Pour qu il y ait distribution, toutefois, le juge von Finckenstein considère que l utilisateur doit avoir posé un «acte positif» tel que «transmettre l enregistrement musical à un autre utilisateur» ou, encore, «annoncer qu un tel enregistrement musical est disponible pour être copié». À ce titre, s il est possible de soutenir qu une personne disposant d un exemplaire d un enregistrement sur son ordinateur ne pose aucun «acte positif» afin d en transmettre copie aux autres utilisateurs du même logiciel d échange concomitamment en ligne (ce sont plutôt ces autres utilisateurs qui posent un tel acte en cliquant sur l adresse du fichier contenant cet enregistrement musical afin d en initier la transmission), d aucuns pourraient soutenir que «annoncer qu un enregistrement musical est disponible pour être copié» constitue le fondement même des logiciels
Fasken Martineau DuMoulin s.r.l. Bulletin Droit du divertissement 4 d échange sans lequel les réseaux d échanges d enregistrements musicaux que permettent de tels logiciels n existeraient tout simplement pas. Utilisation des copies à des fins de «communication au public par télécommunication». Étonnamment, le juge ne s est pas prononcé sur la question de savoir si les enregistrements musicaux reproduits sur les ordinateurs des utilisateurs de logiciels d échange étaient utilisés à des fins de «communication au public par télécommunication», les rendant de ce fait illégaux. Ce fait est d autant plus surprenant que la division d appel de la Cour fédérale du Canada avait déjà confirmé, dans sa décision SOCAN c. ACFI du 1 er mai 2002, les conclusions de la Commission canadienne du droit d auteur à l effet que «une oeuvre musicale qui est diffusée sur l Internet est communiquée par télécommunication au sens de la Loi». Dans la mesure où la copie d un enregistrement musical reproduite dans le répertoire de sauvegarde d un logiciel d échange devient nécessairement et automatiquement disponible pour transmission à tout autre utilisateur de ce même logiciel d échange étant concomitamment branché sur Internet, ce précédent semblait devoir mener à la conclusion suivant laquelle cette copie est utilisée à des fins de «communication au public par télécommunication», qu elle ne constitue pas de ce fait une «copie privée» et qu elle est par conséquent illégale. «Autorisation» La décision SOCAN c. ACFI a aussi confirmé la conclusion de la Commission canadienne du droit d auteur à l effet que : La personne qui rend disponible une oeuvre musicale sur un site accessible par l Internet en autorise la communication. Elle le fait uniquement afin que celle-ci puisse être communiquée, en sachant fort bien et en espérant qu'une telle communication aura lieu. La personne qui rend l œuvre disponible ne fait pas que fournir les moyens d assurer la communication de l œuvre; elle contrôle ou prétend contrôler le droit de la communiquer. D un autre point de vue, en rendant une oeuvre musicale disponible sur un site, la personne demande à son ISP (lequel est tenu par contrat d y satisfaire) de transmettre l œuvre à la demande des utilisateurs finaux, ce qui donne lieu à la communication recherchée par le fournisseur de contenu. Dans ces circonstances, la personne qui fournit l œuvre doit être considérée comme prétendant être habilitée à l affecter à l utilisation à laquelle elle est destinée. Bien que cette décision portait sur le droit de communication au public par télécommunication et non sur le droit de reproduction, dans la mesure où le téléchargement d un enregistrement musical implique non seulement sa communication par télécommunication mais aussi sa reproduction, il faut en conclure que la personne qui rend disponible sur Internet un enregistrement musical reproduit dans le répertoire de sauvegarde de son logiciel d échange en autorise la reproduction. La décision SOCAN c. ACFI a aussi conclu que les décisions judiciaires ayant traité du droit «d autoriser» dans le contexte où une personne mettait des photocopieurs ou autre appareils de reproduction à la disposition d autres personnes n étaient pas applicables dans le contexte de la mise à la disposition d œuvres musicales sur un site Internet. La conclusion logique semble donc à l effet que l utilisateur d un logiciel d échange de fichiers musicaux se branchant sur Internet rend de ce fait disponible à tout autre utilisateur de ce même logiciel d échange concomitamment branché sur Internet tout enregistrement musical reproduit dans le répertoire de son logiciel réservé à cet effet et, donc, qu il en «autorise» la reproduction par ces autres utilisateurs.
Fasken Martineau DuMoulin s.r.l. Bulletin Droit du divertissement 5 Conclusions Une personne procédant à l échange d enregistrements musicaux sur Internet viole probablement la Loi dans la mesure où les copies de ces enregistrements musicaux reproduites dans le répertoire de sauvegarde de son logiciel d échange ne sont pas des «copies privées» puisque utilisées à des fins de distribution ou de communication au public par télécommunication. Cette personne viole probablement aussi la Loi dans la mesure où elle «autorise» la reproduction de ces enregistrements musicaux par tout autre utilisateur du même logiciel d échange concomitamment en ligne. La légalité de l échange de fichiers musicaux sur Internet est donc non seulement loin d être réglée mais semble surtout loin de l être en faveur des «échangistes en ligne» Veuillez contacter l auteur pour des informations supplémentaires sur ce sujet. Note : Un avis d appel a été déposé auprès de la Cour d'appel fédérale par les demandeurs dans ce dossier en date du 13 avril 2004 sous le numéro de greffe A-203-04. Le groupe Droit du divertissement de Fasken Martineau possède une expérience vaste et diversifiée des domaines du divertissement et des médias. Les services offerts couvrent toute la gamme des besoins des intervenants de l industrie : élaboration d opérations de financement, planification fiscale (incluant les crédits d impôt), rédaction et négociation de contrats, révision diligente, avis juridiques et représentation devant les tribunaux, organismes administratifs ou quasi-judiciaires. Le groupe Droit du divertissement compte parmi sa clientèle plusieurs des plus grandes entreprises de l industrie, tant au Canada que sur la scène internationale.
Fasken Martineau DuMoulin s.r.l. Bulletin Droit du divertissement 6 Notre groupe de pratique Droit du divertissement Vancouver Keith Spencer 604 631 4809 kspencer@van.fasken.com Membres du groupe David Wotherspoon 604 631 3179 dwotherspoon@van.fasken.com Toronto C. Ian Kyer 416 865-4396 ikyer@tor.fasken.com Membres du groupe Allan G. Beach 416 865 4446 abeach@tor.fasken.com Andrew Nunes 416 865 4510 anunes@tor.fasken.com Montréal Stéphane Gilker 514 397 7608 sgilker@mtl.fasken.com Louis-François Hogue 514 397 4376 lhogue@mtl.fasken.com Chloé Archambault 514 397 5217 carchambault@mtl.fasken.co Membres du groupe Karl Delwaide 514 397 7563 kdelwaide@mtl.fasken.com Marek Nitoslawski 514 397 4335 mitoslawski@mtl.fasken.com Louis Tassé 514 397 7413 ltasse@mtl.fasken.com Lise Rochette 514 397 7660 lrochette@mtl.fasken.com Jean-Philippe Mikus 514 397 5176 jpmikus@mtl.fasken.com Maxime Bédard 514 397 4353 mbedard@mtl.fasken.com Alain Dussault 514 397 5229 adussault@mtl.fasken.com Jan-Fryderyk Pleszczynski 514 397 5191 jpleszczynski@mtl.fasken.com Québec City Jean-François Hébert 418 640 2024 jhebert@qc.fasken.com Ce bulletin se veut un outil d information à l intention de nos clients sur les récents développement en droit du duvertissement. Ce bulletin ne constitue pas une opinion juridique et aucun geste de nature juridique ne devrait être posé sur la base de cts article sans consulter auparavant un avocat qui saura analyser la situation donnée et fournir les conseils appropriés. 2004 Fasken Martineau DuMoulin s.r.l. Vancouver 604 631 3131 info@van.fasken.com Calgary 403 261 5350 info@cgy.fasken.com Yellowknife 867 766 6400 info@nwt.fasken.com Toronto 416 366 8381 info@tor.fasken.com Montréal 514 397 7400 info@mtl.fasken.com Québec 418 640 2000 info@qc.fasken.com New York 212 935 3203 info@nyc.fasken.com Londres 44 20 7929 2894 info@lon.fasken.com Johannesburg 011 27 11 784 9114 info@mtl.fasken.com