L ÉCONOMIE DE L OMBRE, OBSTACLE À LA CHARITÉ ET À LA JUSTICE ENTRE NATIONS



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Transcription:

Charity and Justice in the Relations among Peoples and Nations Pontifical Academy of Social Sciences, Acta 13, Vatican City 2007 www.pass.va/content/dam/scienzesociali/pdf/acta13/acta13-morel.pdf L ÉCONOMIE DE L OMBRE, OBSTACLE À LA CHARITÉ ET À LA JUSTICE ENTRE NATIONS L introduction à la session de l Académie Pontificale des Sciences Sociales consacrée à la charité et à la justice entre les nations relève essentiellement les faiblesses et les insuffisances du système international actuel. Il faut y ajouter le développement des pratiques déviantes qui tendent à remettre en cause l évolution même de ce dernier: ce n est plus un simple débordement, mais l amorce d un système autonome et proliférant, qui tire parti de la globalisation et propage une banalisation croissante de la criminalité et de l irresponsabilité. Il ne s agit pas ici de procéder à un inventaire, mais d esquisser un constat de cette évolution récente, liée notamment à la fin de la guerre froide, en s appuyant sur quelques exemples tels que l économie souterraine, le commerce de la drogue et la finance anonyme, qui tendent à s insérer de plus en plus dans les processus de la mondialisation en cours. Ces phénomènes, étroitement reliés entre eux, suscitent une prise de conscience, tempérée toutefois par un sentiment d impuissance, de désordre et de déstructuration, qui vient contredire les bénéfices visibles de l ouverture des frontières et de l intensification des échanges. L espoir d un nouvel ordre mondial est ainsi miné par la mise en place d une guerre latente, menée avec des armes différentes. Il y a certes des degrés dans l économie de l ombre, depuis le simple anonymat jusqu à la violence extrême: mais la fluidité nouvelle des communications et des transactions donne désormais un avantage considérable aux stratégies les plus déterminées. L économie de l ombre est généralement définie comme la production de biens ou de services marchands, légale ou illégale, qui n est pas prise en compte dans les estimations officielles du PIB. Selon les travaux menés il y a quelques années, ce secteur, évalué à partir de l observation de la demande de numéraire et d une approche modélisée, a représenté, en 2000 2001:

506 dans 22 pays en transition: 38% du PIB officiel et 30.2% de la population; dans 21 pays de l OCDE: 16.7% du PIB officiel et 15.3% de la population. 1 Le système de contrôle multilatéral de la drogue remonte au siècle dernier, avec la Commission de l opium de Shanghaï en 1909 et la Convention de la Haye de 1912, et a longtemps permis une surveillance relativement efficace de l usage des stupéfiants. L évolution récente de l économie de la drogue est liée à l affaiblissement durable de pays marqués par des conflits prolongés, qui a favorisé l émergence de pouvoirs capables de se substituer à l Etat pour assurer un équilibre social élémentaire. Les quelques narco- Etats, partiellement ou totalement placés sous le contrôle de seigneurs de la drogue, peuvent apparaître comme autant de situations particulières: mais leur émergence n est que la partie visible d un réseau fortement globalisé qui gouverne en fait deux cent millions de drogués environ dans le monde, dont 11 millions d héroïnomanes. L économie de la drogue agit sur l évolution du système international à plusieurs niveaux: présence invisible mais effective de l argent de la drogue dans les balances des paiements de certains Etats, où il figure sous la rubrique transferts privés sans contrepartie, au même titre que les revenus des migrants ou la rémunération des services; son volume est devenu tel qu il ne peut pas être ignoré des autorités; lien croissant avec les mouvements extrémistes ou terroristes, désormais privés des soutiens résultant de la confrontation idéologique de la guerre froide et donc à la recherche de nouveaux financements; imbrication toujours plus étroite avec le monde du crime organisé, devenu transnational; son chiffre d affaires est évalué entre 2 et 5% du PIB mondial, et le trafic de stupéfiants en constituerait aujourd hui la moitié; coordination et complémentarité avec les autres grands trafics, en particulier sur les personnes sur les armes, et sur les diamants; distorsion de l activité économique et du système financier international par le biais du blanchiment de l argent d origine criminelle (money laundering); le montant global du blanchiment s élèverait à 300 voire 500 milliards de dollars par an; 1 Friedrich Schneider, Université de Linz: The development of the shadow economies and shadow labor forces of 22 transition and 21 OECD countries, mars 2003.

L'ÉCONOMIE DE L OMBRE, OBSTACLE À LA CHARITÉ ET À LA JUSTICE ENTRE NATIONS 507 recours systématique à la corruption comme moyen d action politique, affaiblissement accéléré des Etats déjà faibles, jusqu au retournement que permet l infiltration puis la maîtrise des appareils d Etat. Les conséquences sociales en termes de toxicomanie et de santé publique sont le plus souvent cumulatives, et le développement du VIH/SIDA suit ainsi les nouvelles routes de la drogue; le coût des traitements et de la réhabilitation des malades creuse l écart entre les nations. Les dommages environnementaux (déforestation, pollution par les précurseurs chimiques) doivent également être pris en compte. La mobilisation s est fortement accrue à différent niveaux (Nations Unies, Conseil de l Europe, Union européenne, G8), mais de façon inégale: le temps initialement perdu, la complexité des politiques à mettre en œuvre sur une longue période et la réticence de divers Etats, prospères ou pauvres, qui hésitent à en faire une véritable priorité, ont donné aux seigneurs de la drogue locaux, nationaux ou régionaux une avance persistante dans le jeu de la globalisation. Créé en 1989, le groupe d action financière sur le blanchissement des capitaux (GAFI) a élaboré 40 recommandations puis une liste de pays et territoires non-coopératifs, aujourd hui close; mais il ne rassemble que 33 Etats. Les activités financières anonymes ne sont pas récentes. Elles se sont longtemps concentrées dans quelques refuges traditionnels en utilisant le secret bancaire, qui s est développé après la crise de 1929 et la généralisation du contrôle des changes. Depuis une dizaine d années, elles ont toutefois cessé d être un phénomène plutôt marginal. Il s agit désormais d une économie parallèle en pleine expansion, liée aux places offshore, ou paradis fiscaux, c est-à-dire aux centres financiers peu règlementés, où l argent étranger est accueilli sans prélèvement ni contrainte. On compte aujourd hui trois millions de sociétés offshore et leur nombre augmente d environ 140.000 par an. Trois facteurs ont stimulé cette explosion: l évasion fiscale, évaluée en 2005 à 255 milliards par an. 2 Dans les pays d origine, cette fuite des capitaux accroît la pression fiscale sur les salaires ainsi que les charges sociales, avec un effet cumulatif qui crée un cercle vicieux bien connu; 2 Source: Tax justice network.

508 le développement des activités criminelles évoquées plus haut: trafic de drogue, d armes ou d êtres humains, blanchiment, financement du terrorisme; la recherche de nouvelles opportunités sur des places financières plus discrètes, donc moins réglementées et moins surveillées; la crise financière asiatique de 1997 a souligné la fragilité qui en a résulté pour l ensemble de la région. Les institutions internationales et les gouvernements ont certes mis en place des mécanismes de contrôle (GAFI, FATF, Groupe d Egmont, HTCI, Forum de Stabilité Financière, EITI, etc.), qui restent très relatifs en raison de leur emprise limitée et du manque de stratégie globale. Ce perfectionnement progressif des contrôles a certes freiné par intervalles le développement des places off-shore et imposé une plus grande transparence. L impact du 11 septembre 2001 a également incité à plus de vigilance sur les mécanismes de financement du terrorisme. Mais la souplesse des montages financiers, le dynamisme de la croissance mondiale et la rapidité accrue des transactions ont très vite relancé les capacités des places offshore. L invocation du secret bancaire, de la libre compétition fiscale et de l efficacité économique d un recyclage rapide des liquidités a ainsi facilité et justifié le développement d un système presque autonome, fortement opaque et irresponsable, qui mise en fait sur la vigilance et la concertation permanente entre les principales banques centrales pour éviter tout dérèglement catastrophique qui pourrait résulter de leurs propres actions. Par le biais de sociétés-écran, de prête-noms, de transferts successifs, de commissions et d avances, l argent masqué est le bénéficiaire le plus actif, et sans contrepartie, du développement du système financier international. Le débat sur le rôle des centres financiers offshore concerne notamment leur rôle dans le développement des économies pauvres ou en transition. Deux arguments de fait méritent d être mentionnés: le rôle de Hong Kong dans le développement de la Chine continentale est considérable: l accès aux marchés financiers internationaux, l acquisition d une culture financière, l apprentissage des normes établies de gestion et le recyclage ordonné des bénéfices de la croissance interne stimulent puissamment la transformation en cours de l économie chinoise; sans Hong Kong, Pékin n aurait pas pu parier aussi fortement sur la mondialisation; en outre, la rigueur des réglementations hongkongaises ou singapouriennes montre que les places offshore peuvent respecter avec succès les normes internationales; en sens inverse, et sans que l on puisse disposer de références statistiques, il paraît certain qu une bonne partie des ressources de l Afrique, spécia-

L'ÉCONOMIE DE L OMBRE, OBSTACLE À LA CHARITÉ ET À LA JUSTICE ENTRE NATIONS 509 lement dans le domaine des matières premières, échappe aux pays africains, notamment par le biais de societés-écrans dans les places off-shore, qui réinvestissent sur d autres marchés le produit des grandes exportations africaines. Cette analyse rapide permet de dégager quelques conclusions: La dynamique de la mondialisation favorise le développement des activités hors-la-loi. Un rapport nouveau s est établi entre le marché et le crime, parce que la mondialisation offre une courte échelle vers le profit et permet d organiser un marché global parallèle, libéré de la discipline du droit. Il ne s agit pas d une simple dérive parasitaire, mais d un système mondial à la fois distinct et intégré dans le marché mondial règlementé qu il pervertit, en développant un rapport très ambigu, sans dominant ni dominé mais interactif, qui mêle de façon pragmatique tolérance et vigilance. Le recul des valeurs fondatrices d un marché ouvert et transparent a entraîné un abaissement général des normes en vigueur et notamment du droit financier international, qui installe dans les pays et les places les plus fragiles un faux semblant de règlementation. En s abritant derrière les concepts d optimisation fiscale ou de dumping règlementaire, l économie de l ombre entraîne la mondialisation dans la voie du laxisme. En outre, divers pays en crise ou restés en marge de la mondialisation sont tentés de tolérer, voire d encourager le recours à l économie de l ombre comme un pis-aller et même une solution de rechange pour accéder à tout prix aux grands marchés internationaux. Les mesures de contrôle sont alors qualifiées par eux de diktat ou d injustice. L économie souterraine globalisée et proliférante installe ainsi une entrave puissante à la justice et à la charité dans les rapports internationaux. Une compétition masquée est engagée pour la maîtrise des processus de la mondialisation: le terrorisme international, partiellement soutenu par certains Etats en fonction des circonstances, a été identifié comme l ennemi principal, parfois au delà du nécessaire, et assume en fin de compte ce rôle jusque dans l usage consommé des médias et la manipulation des opinions; mais la criminalité transnationale, aussi discrète, diffuse et multiforme que son partenaire terroriste est concentré et spectaculaire, se présente aujourd hui comme un ennemi tout aussi redoutable, dont le potentiel reste sous-estimé. Une analyse systémique du tandem terrorisme international criminalité transnationale est aujourd hui indispensable. Les réponses face à ces évolutions sont simples dans leur principe, mais difficiles à mettre en œuvre: responsabilité et sanctions; transparence et identification des actionnaires des sociétés enregistrées; politiques natio-

510 nales vigilantes et coordonnées; surveillance multilatérale et réglementation internationale efficace. Le dynamisme de la globalisation criminelle et anonyme nécessite une analyse intégrée des exigences de la sécurité et du développement, une coopération beaucoup plus étroite entre les gouvernements et entre ces derniers et les organisations régionales et internationales, ainsi que la mise en place de règles éthiques plus fortes de la part des institutions financières. Quinze ans après la fin de la guerre froide, la mondialisation démontre plus clairement sa profonde ambiguïté et la nécessité urgente d un nouveau multilatéralisme.