LOCAL AU NOM DE L URBAIN?»



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Transcription:

«RENOUVELER LE MODELE DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE LOCAL AU NOM DE L URBAIN?» RECHERCHE COMPARATIVE SUR TROIS VILLES EN RECONVERSION DE L EUROPE DE L OUEST : GENES, SAINT-ETIENNE ET SHEFFIELD Recherche menée dans le cadre du programme «Renouveler l urbain au nom de la mixité?» pour le PUCA, Ministère de l Ecologie, du Développement et de l Aménagement Durables MAPA F 05 37 (CO 05 000 045) du 2 novembre 2005 Septembre 2007 DORMOIS Rémi EPURES MENEZ Florence CERTU

Introduction Le présent rapport présente les principaux éléments conclusifs de la recherche que nous avons menée pour le PUCA dans le cadre du programme : «Renouveler l urbain au nom de la mixité?». Cette recherche s est déroulée sur 18 mois. Le rapport comprend trois parties. La première partie présente la problématique de notre recherche ainsi que la méthode mise en œuvre pour répondre à notre question et à nos hypothèses de recherche. La deuxième partie présente la politique de renouvellement urbain mise en place à Saint-Etienne depuis la fin des années quatre vingt dix. Cette seconde partie comprend aussi deux regards sur les politiques de renouvellement urbain à Sheffield et à Gênes : l évolution des formes du partenariat public-privé dans le cas de Sheffield, le rôle des grands évènements culturels dans le renouvellement urbain à Gênes. Enfin la troisième partie propose une lecture croisée des trois modes d administration du renouvellement urbain de façon à renseigner nos hypothèses de recherche. Dans cette introduction nous souhaiterions aussi insister sur une caractéristique de notre démarche de recherche. Nous avons très clairement donné une priorité à une analyse du contenu des dispositifs d action, des systèmes d acteurs se formant autour de ces dispositifs d action. Ce choix de partir des pratiques et des projets rend plus difficile le travail de montée en généralité et de théorisation. Il nous a semblé néanmoins nécessaire au regard de notre objet de recherche : les politiques de renouvellement urbain dans trois villes en reconversion appartenant à trois pays différents. En effet le renouvellement urbain ne renvoie pas à un objet parfaitement défini, la délimitation de ce qui relève du renouvellement urbain se fait en fonction des contextes territoriaux. Plutôt que de nier ce caractère constructiviste du renouvellement urbain, nous en avons fait un postulat qui nous a conduit à privilégier une entrée par ce que les acteurs locaux, les politiques publiques nationales identifiaient comme relevant du renouvellement urbain.

1 ère partie : présentation de la problématique de recherche et de la méthode retenue Notre problématique se nourrit très fortement de notre choix de travailler sur les villes en reconversion économique. Par ville en reconversion économique, nous désignons des villes - entendues au sens fonctionnel et non pas administratif dont l économie locale a traversé une crise économique profonde fréquemment dans le secteur industriel et dont les conséquences de cette crise sont encore visibles aujourd hui aux niveaux de la qualification de la population, du niveau de revenus de ces populations ou de l importance du chômage pour certaines populations. Nous reviendrons plus en détail sur les raisons de ce choix (cf. 1.4) dans la suite du rapport. A ce stade nous aimerions insister sur deux caractéristiques de la conduite de l action publique urbaine dans les villes en reconversion. En premier lieu, les villes en reconversion sont confrontées, peut-être davantage que d autres profils de ville, à une crise de leur gouvernabilité. Certes un contexte de crise économique peut être un facteur de mobilisation de la société locale autour d un projet commun tel qu une démarche de planification stratégique comme cela a pu être observé à Barcelone ou à Liverpool (Lefevre, 2001). Néanmoins la désindustrialisation s est traduite par une crise de confiance profonde entre les élites politiques, économiques et sociales des villes en reconversion. Cet héritage des rapports sociopolitiques constitue un handicap pour générer de l action collective qui n est pas insurmontable comme le montre des expériences telles que Turin mais dont l effet en termes de résistance au changement ne doit pas être occulté. En second lieu, les villes en reconversion sont poussées davantage que les autres villes à devoir innover dans leur politique publique. Les programmes d action publique définis par l Union Européenne et les Etats sont très fréquemment sous tendus par un modèle de développement territorial basé sur des territoires innovants, en croissance et compétitifs (Jobert, 1994). C est notamment le cas en matière de logement où les dispositifs d action sont pensés pour des contextes de marché immobilier tendus et visent fréquemment à fluidifier les parcours résidentiels ou à faciliter l accès au logement des plus modestes. Mais dans les villes en reconversion le marché immobilier est soit atone, soit en phase de redémarrage. Les élus et les techniciens doivent alors souvent bricoler à partir de l arsenal législatif existant pour fabriquer des dispositifs qui viseront à redonner confiance aux investisseurs privés, à réinscrire des quartiers voire des morceaux de villes dans les mécanismes de marché. 3

Partant de ces deux constats, notre problématique porte sur la façon dont les acteurs politiques, économiques et sociaux présents dans les villes en reconversion se saisissent de la thématique du renouvellement urbain et plus particulièrement l articulent-ils, ou non, et sous quelle forme avec leur stratégie de développement économique? Pour bâtir nos hypothèses quant aux modalités de cette réappropriation, nous avons revisité les travaux de recherche menées dans trois domaines : l analyse des pratiques de renouvellement urbain, l analyse du rôle économique des villes et notamment de la place de l attractivité résidentielle dans l économie locale et enfin la gouvernance urbaine. Les observateurs des politiques d urbanisme travaillant sur la thématique du renouvellement urbain soulignent que les dispositifs d action restent différents d un pays à un autre mais que tous ces dispositifs partagent un objectif commun. L action de renouvellement urbain entend dépasser la simple intervention sur le cadre physique pour provoquer un changement dans la façon de conduire l action publique urbaine (1.1). Les géographes et les économistes qui travaillent sur la dimension économique des villes insistent sur le fait que les villes ne sont plus seulement des espaces pour l accueil d activités économiques mais deviennent, dans l économie de la connaissance, un outil collectif de production de richesses (1.2). Leurs travaux offrent aussi un regard renouvelé sur le thème de l attractivité résidentielle (1.2). Améliorer l offre d habitat notamment celle destinée aux ménages qualifiés et aux ménages aux revenus supérieurs aménager des espaces publics de qualité, ont des répercussions sur le développement économique local. Les politiques d attractivité résidentielle sont favorables à l accueil d ingénieurs, de cadres qui développeront localement des activités à haute valeur ajoutée (services aux entreprises, nouvelles technologies de l information et de la communication, ). En outre, ces ménages aux revenus supérieurs consommeront localement ce qui sera favorable aux commerces, aux entreprises de services. Les politistes travaillant sur le gouvernement des villes relèvent que celui-ci prend de plus en plus la forme de la construction d acteurs publics et privés coopérant, échangeant leurs 4

ressources afin de mettre en œuvre un ensemble d objectifs définis collectivement (1.3). Ils mettent en lumière aussi que la capacité à faire aboutir des projets opérationnels, à donner des signes visibles de son action politique sont les formes contemporaines de la légitimation politique (1.3). Ces résultats de recherche nous permettent de préciser notre problématique sous la forme de trois hypothèses. Le renouvellement urbain constituerait un vecteur de changement dans la conduite de l action publique urbaine dans les villes en reconversion. Il permettrait d abord de développer le partenariat public-privé notamment avec les promoteurs et les propriétaires privés en cherchant à réinscrire dans les mécanismes de marché des zones dévalorisées. Il favoriserait la diffusion de nouveaux modes de faire parmi les services des collectivités en particulier une plus grande inter-sectorialité en intégrant des actions sur l habitat, les activités économiques, l espace public et les déplacements et une plus grande rigueur dans la gestion de projet en obligeant les services à mener des projets d envergure dans des calendriers serrés et dans des enveloppes financières contraintes. Du fait du rôle économique croissant de l attractivité résidentielle dans le contexte contemporain, le renouvellement urbain renforcerait l articulation des politiques publiques et plus précisément l articulation entre les politiques d aménagement, du logement d un côté et les politiques de développement économique de l autre. Notre hypothèse est que le renouvellement urbain a été intégré aux stratégies de développement économique des villes en reconversion suivant en cela un mouvement d élargissement des thématiques d intervention en matière de développement économique engagé dès les années soixante dix avec l enseignement supérieur, les plateformes technologiques ou les zones d activité. Le renouvellement urbain serait reconnu par les élus, les techniciens, les acteurs économiques comme un facteur de compétitivité. Nous porterons une attention particulière à la nature des discours produits sur le rapport entre renouvellement urbain / attractivité résidentielle / 5

développement économique et en particulier sur la visibilité donnée, ou absente, à l ambition d attirer une certaine catégorie de population les jeunes ménages qualifiés et ainsi d accélérer une recomposition sociale. Le renouvellement urbain permettrait de structurer des coalitions d acteurs dans un contexte global de pluralisation des systèmes d acteurs et dans des configurations territoriales les villes en reconversion économiques où une crise de confiance profonde s est produite entre acteurs économiques, sociaux et politiques. Des thématiques telles que la mutation du système productif local, la désindustrialisation / la tertiarisation sont des notions qui peuvent réactiver des conflits dans les villes en reconversion notamment entre les représentants locaux du patronat et les syndicats. Le thème du renouvellement urbain ressort comme plus consensuel car il met en première ligne la question du changement du cadre physique, l amélioration de la qualité résidentielle même si la mise en œuvre des actions de renouvellement urbain ont bien des conséquences économiques et sociales. De plus, les projets de renouvellement urbain se distinguent d autres types d intervention urbanistique par le rôle central accordée à la mobilisation des acteurs privés (habitants, aménageurs, promoteurs, entreprises). Notre dernière hypothèse est donc que le renouvellement urbaine permettrait aux villes en reconversion économique de renouer avec la production d une capacité d action collective. Pour vérifier ces hypothèses, nous avons établi une méthode qui présente deux caractéristiques principales (1.4). Elle se caractérise d abord par le recours à une comparaison des politiques de renouvellement urbain mises en œuvre depuis le début des années quatre vingt dix dans trois villes en reconversion de l Ouest de l Europe : Gênes en Italie, Saint- Etienne en France et Sheffield en Grande Bretagne. La seconde caractéristique de notre démarche est de n avoir pas mis en œuvre un raisonnement hypothético-déductif mais d avoir donner une priorité à l observation des pratiques. 6

1.1 UNE DIVERSITE DES DISPOSITIFS D ACTION EN MATIERE DE RENOUVELLEMENT URBAIN MAIS UNE AMBITION COMMUNE DE CHANGEMENT DANS LA CONDUITE DE L ACTION PUBLIQUE URBAINE La notion de renouvellement urbain est apparue en France à la fin des années 1990. Bon nombre d auteurs attribuent la première utilisation du terme par les acteurs lillois, désignant sous le terme de «ville renouvelée» le projet d agglomération Lille-Roubaix-Tourcoing en 1997. Très vite le terme est repris aussi bien dans la sphère des praticiens que dans celle des chercheurs avec de multiples définitions, souvent ambiguës et parfois paradoxales. Néanmoins, les débats provoqués par l élaboration puis l adoption de la loi Solidarité Renouvellement Urbain consacrent cette notion. L analyse généalogique de cette notion montre les trois niveaux d acceptation du renouvellement urbain. Tout d abord, cette notion désigne de manière générale une évolution des pratiques de l action publique urbaine qu il convient de caractériser. Mais elle signifie à la fois un processus générique de recomposition de la ville sur elle-même ou encore elle fait référence à des procédures codifiées se réclamant du label du renouvellement urbain (Le Garrec, 2006). Dans le cadre de notre travail, nous avons écarté d emblée la dimension «label» du renouvellement urbain. En effet, si on examine les équivalences du renouvellement urbain au Royaume-Uni et en Italie, le point convergent d urban renewal ou de rigenerazione urbana réside dans l avènement de nouvelles pratiques ou plutôt dans une évolution de ces pratiques, avec la prise en compte dans le processus de transformation de la ville sur elle-même d une plus grande pluralité d acteurs. Notre recherche porte également sur des territoires en crise, dans lesquels le processus générique semble en panne, faute de marché propice aux investisseurs privés. Dès lors, une certaine impulsion des pouvoirs publics est attendue. Nous retiendrons donc comme définition du renouvellement urbain l ensemble des nouvelles modalités de l action publique urbaine qui visent à réinscrire des quartiers ou des morceaux de ville dévalorisés dans un processus classique de transformation de la ville. «Si la nécessité de voir émerger un nouveau concept sur la ville et ses transformations se fait sentir, c est peut-être parce qu il s agit tout autant de «renouveler» la forme de l action publique sur la ville que la forme de la ville elle-même» (Le Garrec, 2006, p 8). Cette acception du renouvellement urbain nous invite alors à analyser les pratiques de transformation de la ville, étant bien entendu que nous nous inscrivons dans le contexte 7

particulier de villes en crise économique depuis les années 1970 et ayant développé avec un succès mitigé, des stratégies de reconversion économique. L exposé des différents dispositifs issus des politiques du renouvellement montre des dispositifs créés pour toutes les villes en France et en Italie, avec des problématiques de mixités sociale et fonctionnelle bien différentes de celles des villes industrielles en crise, souffrant d une part d un tissu économique à diversifier, d autre part d une chute démographique dangereuse pour l existence de ces mêmes territoires. En revanche, au Royaume-Uni, les villes les plus importantes sont les villes industrielles, pour lesquelles la crise économique engendre une crise urbaine dès la fin des années 1970. Le gouvernement central va vite réagir en créant des dispositifs spécifiques à ce contexte, sans se soucier d une réelle concertation avec les autorités locales. L intérêt de cette recherche est d examiner également la manière dont les villes se sont saisies de ces outils pour les adapter à leur propre contexte. Pour autant, ces villes en crise sont oubliées des recherches portant sur l urbain et en particulier sur le renouvellement de ces territoires. En France hormis quelques travaux sur le bassin valenciennois, nous notons peu de recherches sur la transformation urbaine, intégrant à la fois une réflexion sur la transformation physique et économique de ces villes. Dès lors, notre recherche revêt également un caractère exploratoire. 1.1.1 DE LA RENOVATION BULLDOZER VERS DES METHODES PLUS «DOUCES» : LE TERREAU DU RENOUVELLEMENT URBAIN Les pratiques de reconstruire la ville sur elle-même, y compris sous impulsion des pouvoirs publics, ne sont pas issues des années 1990 mais sont bien plus anciennes. Déjà à la fin du 19 ème siècle, au nom des principes hygiénistes, le préfet Haussmann initia une politique de grands travaux, de démolition des quartiers anciens pour reconstruire des avenues plus larges et des immeubles de rapport. Cette première vague de rénovation urbaine aura lieu dans les grandes villes françaises : Paris, Marseille, Lyon. Après la Seconde Guerre Mondiale, il fallait reconstruire les villes avec un problème important de pénurie de logements et d éradication du logement insalubre ou des bidonvilles et la nécessité de moderniser par la construction de grands équipements et d infrastructures. La rénovation urbaine en France concerne d abord les immeubles considérés comme insalubres. Leurs occupants sont alors relogés le plus souvent dans les grands ensembles 8

construits à la périphérie des villes, avec un confort supérieur mais des équipements publics qui tardent à être réalisés (Castells & Godard, 1974). Ce relogement de masse implique également un traumatisme important avec une rupture certaine des liens sociaux qui avaient été créés dans les quartiers qualifiés d insalubres. De plus, les loyers exigés dans les nouveaux logements sont souvent plus élevés et contraignent fortement la vie quotidienne des personnes à bas et moyens revenus (Coing, 1976). Par conséquent, les mécontentements émergent et alimenteront le terreau des luttes urbaines de la fin des années 1970. L urban renewal britannique n est pas tout à fait l équivalent de la rénovation urbaine française : ils relèvent de principes identiques, à savoir la restructuration du tissu urbain des centres villes en le densifiant et le modernisant via la construction d équipements publics conséquents. Néanmoins, l urban renewal touche d abord les centre villes des villes industrielles inner cities (Birmingham, Liverpool, Glasgow), avant d être étendue aux quartiers défavorisés. En outre, la recherche de mixité sociale est davantage présente dans les textes de loi anglo-saxons que dans le cas français. La mise en œuvre de ces politiques de rénovation urbaine aussi appelée «rénovation bulldozer» fait progressivement l objet de critiques à travers l Europe. D une part la dimension économique prévaut sur la dimension sociale et accentue la ségrégation par des phénomènes de gentrification, plus largement marqués dans les villes britanniques que les villes françaises ou italiennes. D autre part, certains quartiers restent en dehors de la spirale de la croissance et s enfoncent progressivement dans une crise urbaine durable. Dès lors, les pouvoirs publics, moteurs de ce type de transformation subissent de nombreuses critiques devant leur incapacité à résoudre la crise du logement et à atténuer les déséquilibres territoriaux et devant leur attitude laxiste vis-à-vis des nombreux promoteurs immobiliers privés (Coing, 1976). Face à la pression exercée par les mouvements sociaux, de nouvelles orientations sont prises. Elle s inspirent en particulier de l expérience bolognaise. Dès les années 1970, la Ville de Bologne a entrepris une rénovation en associant en amont les habitants, limitant ainsi les relogements et offrant aux habitants la possibilité de rester sur place. Une autre vision de la ville émerge, en opposition à l approche fonctionnaliste héritée de la Charte d Athènes et qui a prédominé les pratiques urbaines depuis l après Seconde Guerre Mondiale. Les notions de «réhabilitation» ou de «requalification» font suite à celle de la rénovation et évoque un travail plus fin, réalisé à l échelle des quartiers après l établissement de diagnostics détaillés sur la composition architecturale et sociale de ces 9

quartiers. Surtout s esquisse la démarche de projet, associant l acte de planification à la gestion et au suivi, promouvant également une approche globale de la ville et non plus sectorielle, en relation étroite avec les habitants. Cette remise en cause de l approche fonctionnaliste, associée à une mutation des cadres de référence de l action publique (Gaudin, 1993) a pour conséquence l adoption de nouveaux dispositifs, ayant pour objectif de «refaire sur la ville sur elle-même» avec des variables institutionnelles et culturelles selon les pays. 1.1.2 LES REPONSES OPERATIONNELLES EN FRANCE, ADOPTON D UNE SERIE DE DISPOSITIFS CONTRACTUELS ET DES AIDES PUBLIQUES CONSEQUENTES Les Opérations Programmées d Amélioration de l'habitat (O.P.A.H.) sont initiées via la circulaire du 1 er juin 1977 et seront suivies des Périmètres de Restauration Immobilière (PRI). Ces dispositifs visent les propriétaires de logements situés dans des immeubles dégradés ou dans des secteurs hors marché. L objectif est de les inciter à investir pour réhabiliter leurs logements afin de renforcer leur valeur immobilière. Ces dispositifs sont financés via des subventions des collectivités locales, de l Agence Nationale de l Amélioration de l Habitat (ANAH) ou via des aides de l Etat. L analyse de ces dispositifs montre des résultats intéressants, en particulier dans les secteurs urbains où il existe un potentiel de marché. En revanche, l effet de levier de ces mécanismes incitatifs est réduit dans les autres secteurs, illustrant d emblée les limites de l action publique (Bonneville, 2004). Parallèlement, ces années voient l émergence de la politique de la ville en direction des quartiers défavorisés. La convention «Habitat et Vie Sociale» servira de terreau à l actuelle politique de renouvellement urbain. Cette convention concerne les grands ensembles de logements construits au cours des années 1960 et vise la réhabilitation du logement social, l amélioration de la qualité des équipements et des espaces publics, avec une conservation de la trame viaire, caractéristique des grands ensembles et aucune démolition. Les interventions relèvent ainsi de la chirurgie avec une incitation de la participation des habitants (Novarina & Pucci, 2004). Le méthode est également novatrice, puisqu il s agit de coordonner l ensemble des acteurs intervenants dans ces quartiers (organismes HLM, collectivités locales, Etat, etc.) avec un effort de cohérence entre les différentes politiques sectorielles. Les expérimentations conduites dans les quartiers d habitat social sont étendues à l échelle de l agglomération dès la fin des années 1980 avec la création du Ministère de la Ville en 1988. 10

Les premiers contrats de ville signés entre l Etat et les collectivités locales voient le jour au début des années 1990, marquant ainsi les prémisses d une approche intégrant à la fois les préoccupations du développement économique et celles du logement. La notion de renouvellement urbain apparaît explicitement dans ce contexte, d abord dans la sphère des praticiens pour désigner la prise en compte sous un même vocable de plusieurs politiques avec un seul objectif : faire une «ville renouvelée». 1998 marque un tournant avec la création de la Direction Générale de l Urbanisme, de l Habitat et de la Construction (DGUHC), regroupement au sein d un grand service unique du Ministère de l Equipement des services jusqu alors séparés de la construction et de l urbanisme et également la création d une direction du renouvellement urbain au sein de la Caisse des Dépôts et Consignations. Ces principaux acteurs, avec la Fédération Nationale des Agences d Urbanisme seront les vecteurs essentiels de la diffusion des expériences et des bonnes pratiques du renouvellement urbain. Dès lors, la notion perd de son sens premier pour devenir une notion plus opérationnelle. Le renouvellement urbain est perçu comme un phénomène de mutation immobilière impliquant la structure initiale. Il réclame des choix politiques de la part des acteurs concernés ainsi que de la mise en place d actions spécifiques (Piron, 2002, p 22). Les débats occasionnés lors de l élaboration de la loi Solidarité Renouvellement Urbain, loi SRU du 13 décembre 2000, renforcent et consacrent la problématique du renouvellement urbaine en marquant la rupture avec les pratiques précédentes. Dans le domaine de la planification, le couple SCOT-PLU (Schéma de Cohérence Territoriale, Plan Local de l Urbanisme) supplante celui de SDAU-POS (Schéma Directeur d Aménagement et d Urbanisme, Plan d Occupation des Sols) en introduisant une dimension stratégique et des principes de négociation dans un contexte de restructuration et de requalification, là où l ancien dispositif se basait sur l édification de zones fonctionnelles, sur la production de normes et d interdictions dans un contexte d extension. Plus récemment, la loi du 1 er août 2003 aboutit à la création de l Agence Nationale du Renouvellement Urbain (ANRU), ayant pour mission de faciliter la réhabilitation de logements sociaux et l aménagement de sites défavorisés (démolition de logements sociaux, réhabilitation ou résidentialisation de logements sociaux, développement d une nouvelle offre de logements et d équipements publics, commerciaux et à destination du développement économique). Après plus de 25 années d action publique envers les quartiers défavorisés et un bilan mitigé (Bonneville, 2004), l ANRU vise une action concertée et coordonnée sur un territoire donné, permettant des effets de leviers conséquents et une mobilisation des acteurs publics et privés. 11

Le renouvellement urbain en France dans la période actuelle recouvre donc deux grandes catégories d intervention : d une part celle basée sur des investissements massifs et une implication forte des pouvoirs publics dans les quartiers dévalorisés, à l exemple des programmes de démolition-reconstruction financés par l ANRU ; d autre part face à la pression foncière croissante à la fin des années 1990, une introduction sur le marché de friches urbaines avec un encadrement limité des pouvoirs publics dès lors qu il y a existence d un potentiel de marché et présence des professionnels de l immobilier. La référence au marché devient alors un vecteur central et révèle les logiques de l urbanisme opérationnel qui étaient en gestation depuis la fin des années 1960. AU ROYAUME-UNI, MISE EN PLACE DE DISPOSITIFS PILOTES PAR LE GOUVERNEMENT CENTRAL Au Royaume-Uni, la crise industrielle touche les villes principales dès les années 1970, avec des taux de chômage élevés, atteignant parfois 40% dans certains quartiers et ayant pour conséquence, une crise urbaine avec la multiplication de friches et une paupérisation des centres-villes. L arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en 1979 du parti conservateur va changer la donne. Le gouvernement central entame une série de réformes importantes en engageant un processus de recentralisation. Le gouvernement central intervient ainsi directement dans l action publique locale par l intermédiaire de différents dispositifs. En aménagement urbain, les UDCs (urban development Corporation) illustrent la mise en œuvre de ce mode de gestion centralisé. Il s agit de sociétés d acquisition foncière et d aménagement urbain, mises en place par le ministère de l environnement (DOE) 1 en 1981. Les UDCs interviennent sur des zones délimitées où l institution municipale perd toutes ses compétences au profit du DOE qui nomme un comité, responsable du bon développement de cette zone. Généralement, le comité est composé de directeurs de grandes sociétés immobilières, d industriels locaux et de hauts fonctionnaires, la majorité restant au secteur privé (Mathieu & Viala, 1995). Elles agissent comme une autorité administrative en matière d urbanisme. Bénéficiant de dotations budgétaires annuelles provenant de l État central, elles ont pour mission de favoriser l investissement privé, à l aide de subventions (Chapman, 1993). On estime que l ensemble des UDCs a favorisé un investissement privé à hauteur de 10 milliards (environ 70 milliards de F) pour 3 milliards (soit 21 milliards de F) (Mathieu & 1 Ministère qui s occupe en fait de l aménagement du territoire, de la protection de l environnement, de l urbanisme. C est l équivalent de notre ministère de l Équipement et de l Environnement. 12

Viala, 1995). Si en France, on considère cette expérience comme un exemple à suivre, certains Britanniques semblent plus critiques. En effet, certains chercheurs soulignent la pauvreté de l urbanisme produit : forte densité et faible qualité urbaine dues à l exigence de rentabilité financière des investissements réalisés 2. D autres reprochent le manque de vision stratégique et à long terme (Lawless, 1994). En outre la création des UDCs étant imposée par le gouvernement central, elles sont un moyen efficace de contrôle des autorités locales, récalcitrantes aux politiques gouvernementales. Les années 1980 sont donc profondément marquées par cette politique de centralisation et de privatisation. John Major, successeur de Thatcher en 1990, revient sur les réformes du gouvernement précédent. City Challenge remplacé en 1995 par le Single Regeneration Budget sont deux programmes qui réattribuent aux collectivités locales, essentiellement les grandes agglomérations industrielles, des compétences en matière de planification et de développement économique, avec toujours l intéressement au secteur privé (Booth, 2002). Dans certaines grandes villes britanniques, des entreprises Boards sont constituées. Ces organismes, formes de coopération entre le monde économique et les autorités locales permettent à ces dernières d intervenir directement dans les entreprises et d exercer une influence sur l économie locale. Bras armé des autorités locales, ils offrent une structure plus souple qu une direction administrative, il leur est ainsi plus facile de travailler en coopération avec les investisseurs privés (Le Gales, 1993, p67). En outre, certaines autorités consultent régulièrement les promoteurs et les développeurs pour affiner les plans stratégiques de planification (unitary development plans), dont l élaboration est confiée à des bureaux d études privés. Les termes de value for money, efficiency, effectiveness et greater accountability deviennent des leitmotivs pour la gestion des services urbains, des affaires sociales et de l'aménagement. Le maire est alors comparé à un entrepreneur, gérant sa ville comme une entreprise (Mc Ewen, Ziggi, 1992). La régénération urbaine a d abord une visée économique, l objectif étant de recréer une économie locale et de revitaliser les centres urbains par le commerce. Peu d actions sont mises en œuvre en faveur de l habitat, le logement social ayant disparu à la fin des années 1970 au profit de sociétés privées construisant et gérant des logements à bas coût. 2 CHAPMAN P., 1993, British Urban policy and the Urban Development Corporations, R Imrie and H Thomas Edition, London, 216 p., Dawson, J., 1990, Urban development corporations: the Merseyside experience 1981-1990:, Liverpool : University of Liverpool Centre for Urban Studies, (Working papers ; 13), SCHALCROSS M., 1994, partnership for renewal, in Corporation Location, Milton Keynes 13

En 1997, le gouvernement Blair (Travailliste) poursuit la voie engagée par son prédécesseur. Le parlement britannique met alors en œuvre deux autres dispositifs partenariaux : le PFI (Private Finance Initiative 3 ) et l URCs (Urban Regeneration Companies). Les URCs, également au stade expérimental, s apparentent plus à des lieux institutionnalisés de négociation sur la stratégie à mener en termes de régénération urbaine. Actuellement, on dénombre seize URCs mobilisés sur des centres urbains en régénération urbaine, ayant pour objectif la conduite de réflexions et des études sur la planification urbaine et sur les projets à lancer. Ces compagnies, financées par le gouvernement central, deviennent des experts au niveau local, regroupant les autorités locales, des employeurs mais aussi des représentants des groupes communautaires. Les URCs affirment ainsi le retour des autorités locales et leur donne les moyens d agir, en complémentarité avec les Single Regeneration Budgets. Le PFI permet également la réalisation d équipements publics avec un financement privé. Les expériences britanniques de la régénération urbaine relèvent ainsi de deux types d interventions : l une portée sur le développement économique ; l autre sur l aménagement et la remise sur le marché de friches. Ces interventions sont conduites en collaboration étroite avec le secteur privé, qui finance une majeure partie des projets, assumant ainsi le risque financier et prenant part à la conception et à la programmation. Elles suivent également un mécanisme identique avec un investissement public conditionné au volume d investissement privé, ayant pour conséquence une recherche d effets de leviers et une transformation sociale des quartiers concernés. Mais cette politique de régénération urbaine présente une limite importante : que deviennent les quartiers qui ne sont pas attractifs vis à vis des investisseurs? UNE CONVERGENCE D INTERETS ENTRE L ETAT ET LES MUNICIPALITES ITALIENNES, FACTEUR FAVORABLE A LA REGENERATION URBAINE En Italie, pays pourtant caractérisé par le caractère ancien et la densité de son tissu urbain, le développement par l Etat d une politique d ensemble pour les villes et, notamment pour les quartiers urbains en difficulté, est chose récente (Pinson, 2002). Jusqu au début des années quatre vingt dix, les communes, pourtant compétentes en matière de planification urbaine, 3 Le PFI est un dispositif qui permet aux autorités locales et aux organismes publics (hôpitaux, écoles, etc.) de contracter un emprunt sur du long terme (30 ans généralement) avec le secteur privé. Ce dernier supporte l intégralité du financement et du montage du projet (conception, réalisation et gestion durant la durée du contrat) et reçoit en échange un loyer de la part de l autorité publique, indexé sur les performances de sa gestion. Ce dispositif est en place depuis quatre ans et a déjà permis le fonctionnement d une centaine d hôpitaux. Mais l expérience est trop récente pour dégager des conclusions sur un tel dispositif, notamment s il permet de réduire les coûts réels auxquels sont confrontées les autorités publiques. Par ailleurs, les critères de performances sont le fruit de négociations entre public et privé. 14

n étaient jamais réellement parvenues, à quelques exceptions près, à pallier les défaillances de l Etat en matière de politique urbaine d ensemble faute de moyens techniques et financiers suffisants. A partir de 1992, sous les gouvernements techniques de Amato et Ciampi, puis sous les gouvernement de centre-gauche conduits par Romano Prodi (1996-1998) et Massimo D'Alema (1998-2000), une série de procédures de financement destinées à la requalification des quartiers en difficulté est mise sur pied par la Direction Générale de la Coordination Territoriale (DICOTER) du Ministère des travaux publics 4. En rupture avec des pratiques antérieures, le principe adopté est celui de la programmation et du recours à des instruments novateurs (Novarina, 2003) : - Les programma integrati di intervento (1992) : destiné au logement public, conservent un caractère d exception, car leur mise en œuvre est conditionnée par l adoption de lois régionales, qui ne sont votées que tardivement et dans une partie des régions seulement. - Les programmi di recupero urbano (1994), destinés à l amélioration de l habitat ancien font l objet d une réglementation nationale, mais le choix des sites et l attribution de financements sont de la responsabilité des régions. - Les programmi di riqualificazione urbana concernent des territoires plus variés (centres historiques, friches industrielles, périphéries marginalisées, quartiers d habitat social) et permettent l expérimentation, dans des contextes divers du partenariat public privé et ce, dans une perspective de planification stratégique. - Les contrats de quartiers (1997) ont une connotation plus sociale et entretiennent des liens moins étroits avec les orientations des stratégies urbanistiques. - Enfin,le programme de requalification urbaine et de développement durable du territoire (PRUSST 5 ) s applique non plus à des quartiers mais à de vastes secteurs urbains touchés par le déclin des activités économiques et l apparition de friches industrielles. Il met en relation des actions de développement local et d accueil de nouvelles entreprises avec des interventions de requalification de l environnement, et ce dans le cadre de démarches de coopération entre acteurs publics et privés, avec 4 Cinq types de programmes ont été adoptés : les Programmes Intégrés et les Programmes de Requalification Urbaine visant essentiellement la réhabilitation de quartiers d'habitat social ; les Programmi di Recupero Urbano (PRU) destinés à des zones frappées par un processus de désindustrialisation ; les Contrats de Quartier qui concernent eux aussi les quartiers d'habitat social mais comportent, au-delà des interventions physiques, des actions de requalifications économique et sociale et mettent l'accent sur la participation ; les Programmes de Requalification Urbaine et de Développement Durable du Territoire (PRUSST), enfin, qui étendent le champ d'action à des questions environnementales et concernent des zones plus vastes. 5 instauré par le décret du Minstère des Travaux Publics, n 1169 du 8 octobre 1998. 15

comme objectif un accès plus aisé aux financements de l Union Européenne. D ailleurs, le Ministère des Travaux Publics assiste les collectivités territoriales à élaborer leur dossier de demande de subvention européenne. A ces instruments s ajoutent des pactes et des contrats territoriaux qui associent les acteurs publics et privés à l élaboration et la mise en œuvre de projets de développement dans les domaines de l industrie, de l agriculture, du tourisme ou des infrastructures de déplacements. Surtout les plans régulateurs (Piano Regolatore Generale - PRG) établis à l échelle communale agit comme le principal document de planification, combinant à la fois des contenus stratégiques et des contenus opérationnels (droits des tiers, rapport entre acteurs publics et acteurs privés) (Pinson, 2002). Cette «renaissance» des politiques urbaines s explique aussi par des transformations plus proprement politiques. Le début des années 1990 marque l émergence d un nouveau système de gouvernement urbain. Deux lois successives permettent à de puissants exécutifs urbains de se constituer et de s affranchir des affres du parlementarisme municipal 6. En outre, la «maturation» des scandales engendrés par les enquêtes «Mains Propres» touchent les classes politiques locales et débouche sur un large renouvellement du personnel politique municipal. Ainsi, les communes constituent le premier niveau institutionnel autorisé à expérimenter un système de gouvernement alternatif à la partitocratie et propice à la relance des politiques urbaines. La mise en œuvre du renouvellement urbain s exprime à travers des dispositifs distincts en France, en Grande Bretagne et en Italie. Mais nous pouvons y déceler des convergences en termes de logiques d actions. Dans les trois pays, les objectifs associés à l action en matière de renouvellement se situent à trois niveaux : - Agir sur les zones urbaines dévalorisées et travailler en partenariat, notamment avec les propriétaires fonciers, pour réinsérer ces zones dans les logiques de marché ; 6 La loi 142/1990 entame le processus de réforme en inversant le rapport d'attribution entre le conseil municipal et la junte. Cette dernière obtient une compétence générale et une grande autonomie en matière de gestion, tandis que le conseil voit ses prérogatives limitées au contrôle de la junte. La loi 81 de 1993 introduit une mini-révolution puisque pour la première fois de l'histoire de la république italienne, des chefs de l'exécutif le maire et le président de la province- sont élus au suffrage universel direct. Un système majoritaire remplace par ailleurs la représentation proportionnelle pour l'élection du conseil municipal et accorde 60% des sièges à la liste ou à la coalition qui a soutenu le maire élu. Le maire est ainsi assuré d'une majorité stable d'autant plus que sa démission entraîne la dissolution du conseil municipal. Le maire nomme les assesseurs, les directeurs d'administration et les représentants de la commune dans les structures para-municipales. Les fonctions d'assesseur (adjoint) et de conseiller municipal sont désormais incompatibles. 16

- Inscrire les opérations relevant du renouvellement urbain dans une logique métropolitaine et à partir d une opération ciblée sur un territoire, tenter de créer une plus-value qui se répercute sur l ensemble de l agglomération ; - Transformer les modalités de l action publique pour agir en un temps réduit et mieux coordonner l action des pouvoirs publics autour d un projet. Ces trois niveaux renvoient à des mutations plus profondes au sein de l action publique urbaine dans le domaine de l aménagement : une ouverture plus large à une pluralité d acteurs (par forcément tous issus du domaine professionnel de l urbanisme) - que les notions de partenariat public privé ou encore de gouvernance urbaine permettent d analyser - et une territorialisation des problématiques de l aménagement avec une émancipation progressive des villes, acteurs stratégiques du développement urbain (Demesteere & Padioleau, 1991). Les années 1990 voient ainsi un changement de paradigme avec la montée en puissance du local et de l aménagement à partir de la valorisation/revalorisation des ressources locales, mais avec toujours quelques difficultés à construire une approche globale et intersectorielle, même si le mode «projet» devient la référence pour régénérer les territoires dévalorisés. 1.1.3 LA CULTURE DU «PROJET» L AVENEMENT DES PRINCIPES DE GOUVERNANCE ET DE PARTENARIAT PUBLIC PRIVE DANS LE DOMAINE DE L'AMENAGEMENT MUTATIONS DES GRANDS PRINCIPES DE L ACTION PUBLIQUE : DE LA CRISE DE «L ETAT- PROVIDENCE» A LA GOUVERNANCE L intervention croissante des collectivités locales dans le processus de transformation de la ville va de pair avec la montée en puissance des mouvements sociaux, revendiquant un meilleur cadre de vie et une prise en compte de leurs intérêts (Amiot, 1986). Ainsi dès la fin des années 1970, les principes de «territorialisation», de «transversalité», de «partenariat» et enfin de «participation des habitants» émergent dans la formulation des politiques publiques et renvoient à des pratiques en mutation. Par conséquent, de nouvelles politiques urbaines surgissent au tournant des années 1980 (Gaudin, 1993), se focalisant sur le cadre de vie et prenant en compte de nouveaux questionnements jusque alors ignorés des préoccupations étatiques et avec une intégration d une pluralité d acteurs. Dès la fin des années 1970, l État Providence entre en crise, autrement dit le modèle keynésien qui avait prévalu jusque là, est incapable de trouver, en son sein, des réponses pour endiguer la crise économique. Dès lors, il s opère un retour aux thèses libérales et on assiste à l émergence du néo-libéralisme, dont la première critique envers le système keynésien est de 17

fustiger le rôle «trop» régulateur de l État et le fonctionnement d une société «trop» bureaucratique. «On assiste à une remise en cause de tous les concepts-référents de l action publique : une réévaluation à la baisse de l État et à la hausse du marché, un abandon du projet concerté et une dénonciation des corporatismes, la prise de conscience de la distorsion entre les ambitions nationales et le poids de la concurrence internationale.» 7 Cette remise en cause touche l ensemble des sociétés occidentales, avec pour conséquence l émergence d un nouveau rapport entre les gouvernements et le monde économique et l introduction de nouvelles thèses concernant l action de l Etat ou du gouvernement central. Ce changement de valeurs conduit à la poursuite de nouvelles politiques, passant des politiques redistributives aux politiques de l offre. Le mythe de l État Providence s effrite tout doucement au profit d une régulation par le marché, plus apte à répondre aux besoins et aux exigences de nos sociétés en mutation (Jobert, 1994). Cela se traduit par une restructuration de l intervention publique, notamment en ce qui concernent les services publics et l implication des pouvoirs publics dans la sphère sociale. «Il faut préférer les stratégies de revenu aux stratégies de service, qui bénéficient davantage aux corporations qui en sont les gestionnaires qu aux usagers finaux de ces institutions : mieux vaut garantir la liberté des plus pauvres en leur octroyant une aide financière que de tenter de répondre à leurs problèmes en accroissant la puissance tutélaire des mandarins sociaux et des gestionnaires de service HLM». (Jobert & Theret, 1994,p 45). De tels discours, en pénétrant ainsi les sphères dirigeantes et décideuses, atteignent le cœur de nos sociétés. L efficacité du privé pour répondre à des problèmes d intérêts publics et sociaux ne fait plus de doute. Le rôle de l État tend à être minimisé (trop technocratique et pas assez réactif face aux nouvelles exigences économiques). Les ultra-libéraux penchent même pour une privatisation (voire une dilapidation) des missions de l État et des collectivités locales. Mais si la décentralisation fait l unanimité, les modalités provoquent d importants débats. Les modes de faire et la culture de l action publique sont ainsi remis en cause, avec en première ligne, les principes de l économie mixte et de l existence de ses sociétés. Rompant avec certains modes de faire exemplaires des années Providence comme la planification, les thèses néo-libérales confortent l idée d un retour vers une économie de marché et un encouragement des 7 MERRIEN F.X., 1997, L État Providence, collection Que Sais-je?, Presses Universitaires de France, Paris, pp 107-108 18

initiatives et des prises de risque du privé. Les liens entre secteurs privé et public se renouvellent avec pour conséquence une perméabilité plus importante entre ces deux sphères, publique et privée. La gouvernance, concept apparu dans les années 1980 d abord pour signifier les formes de gouvernement des Pays en Développement (Osmont, 1998), va devenir rapidement une notion analytique pour décrire les mutations en cours de l action publique dans l ensemble des pays. Ainsi la gouvernance rend compte de la nécessité d élaborer une action publique non plus à partir de la seule autorité publique mais à partir des interactions entre des coalitions d acteurs publics et privés (Stoker, 1998). L avènement de ce concept reflète ainsi une évolution profonde des modes de faire, ayant pour expression dans le secteur de l aménagement urbain l émergence de la notion de «projet urbain». LE «PROJET URBAIN» COMME NOUVEAU MODELE DE COMPOSITION URBAINE Ces nouveaux cadres de référence de l action publique se concrétisent en aménagement par l émergence de nouvelles pratiques que la notion de «projet urbain» permet d appréhender. Le «projet urbain» relève d une nouvelle démarche novatrice de gestion de la ville, dans un contexte marqué par l incertitude nécessitant la réduction des délais et surtout la formation de coalitions d acteurs autour de la transformation de la ville. Le secteur de l aménagement se restructure complètement avec la montée en puissance du milieu local pour qui l opération d aménagement devient un support d affirmation pour les élus locaux (Lorrain, 2000), essentiellement en France et en Italie et la structuration du secteur privé déployant de nouvelles expertises. Le projet urbain se formule à différentes échelles, celle de l opération et celle de la ville ou de l agglomération. Depuis les années 1970, nous avons effectivement vu le vocabulaire lié à l urbanisme opérationnel évoluer empruntant des termes issus du management et du monde de l entreprise. Peu à peu «l opération d aménagement» a été remplacée par le «projet d aménagement» ou plus dernièrement le «projet urbain». Ce dernier terme remporte l adhésion parce qu il concentre l idée de développement, de stratégie, d autonomie ; bref il est en phase avec les exigences de la société actuelle et se substitue comme LE mode d action de production de la ville. En effet, la notion de projet urbain émerge au moment où la critique du modèle classique de production de la ville (c'est-à-dire les opérations d urbanisme opérationnel 19

normées et codifiées) s intensifie. Le projet est alors un instrument au service de l action publique entre indétermination et volontarisme (Pinson, 2004). Le projet urbain s apparente ainsi à une démarche et un guide de «bonnes pratiques» plutôt qu à un déroulement de procédures rigides. Les conclusions des travaux de Nadia Arab (2004) confirment celles avancées par Yves Janvier (1996). La base de négociation du projet d aménagement n est plus le plan-masse, dessin autour duquel s appuient les négociations entre les acteurs, mais plutôt la méthode ou la démarche de projet qui prend en compte, dès la phase amont du projet les incidences d une future exploitation. L appellation «projet urbain» permet alors de rendre compte de l intégralité du processus, qui va de l élaboration du projet à la réalisation architecturale et urbaine tout en se préoccupant de son exploitation et de sa gestion dans le temps. Dès lors, les principes de l urbanisme opérationnel (ou le système classique de production de la ville) ne permettent plus de construire des montages complexes et durables attendus par les acteurs publics comme privés. Avec la notion de projet urbain véhicule l idée d un renouveau de l action publique ou de la détermination d un nouveau modèle, où la collaboration, la coproduction deviennent des mots-clés pour concevoir et élaborer des interventions sur la ville. «[Le modèle du projet] fait triompher le principe selon lequel la réponse à l incertitude, aux exigences d innovation urbaine, à la complexification du système d acteurs et des problèmes urbains réside dans l organisation d une action collective qui privilégie la coopération et la négociation dans la définition des actions à entreprendre. Le modèle du projet milite ainsi pour la mise en place d un processus d action qui veut bouleverser les rapports traditionnels entre acteurs en procédant par une intégration en amont des différentes logiques (publiques, privées, d usage, d exploitation) concernées par le projet.» 8 Ainsi, l approche et la diffusion du terme de «projet urbain» n est pas uniquement le fruit d une nouvelle rhétorique sur la ville, mais caractérise des mutations profondes dans les pratiques des acteurs. Dépassant l approche traditionnelle «maîtrise d'ouvrage/maîtrise d'œuvre», le projet urbain rend compte de la conception et des logiques de coproduction du projet, de configurations d acteurs et de méthodes de gestion de projet. La thématique du projet urbain rencontre alors tout un champ sémantique décrivant et insinuant de nouvelles 8 ARAB N., 2004, L activité de projet dans l aménagement urbain : processus d élaboration et modes de pilotage ; le cas de la ligne B du tramway strasbourgeois et d Odysseum à Montpellier, thèse e, aménagement et urbanisme, soutenue le 3 décembre 2004, Paris, p 19 20