La flexibilité du travail peut-elle permettre de lutter efficacement contre le chômage? BIEN COMPRENDRE LES DOCUMENTS Document 1 Mots-clés - emploi - taux de chômage L'intérêt des comparaisons internationales est parfois modéré par la différence des critères retenus pour mesurer le chômage. Par exemple, aux États-Unis, les chômeurs découragés sont mal pris en compte. Comme le document mentionne l'emploi et le chômage en 1985 et 1995, le candidat est invité à mesurer les évolutions relatives. Évolution en pourcentage de l'emploi et du chômage, et coefficient multiplicateur pour le taux de chômage entre 1985 et 1995 Emplois Nombre de chômeurs Taux de chômage États-Unis + 16,73-30,847 0,77 Japon + 11,19 + 31,25 1,19 Union européenne dont + 7,73 + 24,83 1,05 - Allemagne + 37,69 + 39,13 1,15 - France + 4,26 + 50 1,13 - Royaume-Uni + 5,37-23,33 0,77 Ensemble des pays Capitalistes industrialisés + 12,68 + 4,92 0,96 États-Unis et Royaume-Uni, considérés comme pays à grande flexibilité du travail, ont connu une forte baisse de leur taux de chômage - à relativiser par la prise en compte des chômeurs découragés. Mais les premiers ont créé relativement plus d'emplois que le second. Les autres pays de l'union européenne ont connu une forte hausse du nombre de chômeurs et du taux de chômage, même en Allemagne où de nombreux emplois ont été créés. Malgré cette forte création, le passage de la RFA à l'allemagne s'est traduit par une forte hausse du chômage. Si la population active augmente plus vite que le nombre d'emplois créés, il est alors logique d'enregistrer une hausse du chômage, d'autant plus que la création d'emplois encourage certains inactifs à devenir actifs et à chercher un emploi. Par exemple, avec des créations d'emplois proches, la France et le Royaume-Uni ont connu des évolutions du chômage divergentes. À la question 1, l'exemple des États-Unis et du Royaume-Uni apporte une réponse : la souplesse dans l'utilisation du travail fait apparemment diminuer le chômage. Pour la question 3, il faut utiliser des connaissances personnelles : la pauvreté s'accroît fortement dans ces pays, même pour ceux qui ont un emploi. Document 2 Mot-clé - formes particulières d'emploi Ce document nous montre l'augmentation du nombre d'emplois aux conditions d'utilisation de travail assouplies par rapport à un contrat de travail à durée indéterminée. Lorsqu'un travailleur dispose d'un contrat à durée déterminée (CDD), il sait au moment où il est embauché quand son contrat prendra fin. Les CDD ont une durée courte. Ils participent à la flexibilité externe. Passant de 320 000 en 1985 à 750 000 en 1995, les CDD ont été multipliés par 2,34. Hatier 1
Les stages et les emplois pour lesquels l'employeur reçoit une aide de la part d'une collectivité publique ont connu une progression de 200 %. Les emplois aidés permettent de limiter le coût du travail pour les employeurs. En intérim, le travailleur est soumis à deux employeurs : l'entreprise de travail temporaire et l'entreprise dans laquelle il effectue concrètement le travail. L'emploi intérimaire est aussi de courte durée et s'intègre dans une stratégie de flexibilité externe. Passant de 120 000 à 300 000, les emplois intérimaires ont été multipliés par 2,5 de 1985 à 1995. Le nombre d'apprentis a connu une hausse faible, de 22,22 % pour la même période. Les apprentis effectuent un travail productif et reçoivent une formation : cela explique que le SMIC ne leur soit pas en totalité applicable. Mis en relation avec le document précédent, ce document montre que la multiplication des emplois aux contraintes allégées n'a pas permis, en France, de diminuer le chômage de 1985 à 1995. Cela fournit une réponse à la question 2. Rappel de cours Pour les libéraux, c'est la productivité marginale du travail, c'est-à-dire ce que rapporte le dernier travailleur embauché, qui détermine le niveau du salaire, à conditions techniques inchangées. D'autre part, à volume d'emploi donné, l'utilité du salaire, soit les avantages que procure le salaire au travailleur, est égale à la désutilité marginale du travail, c'est-à-dire ce qu'il en coûte au travailleur d'aller travailler (effort, perte de temps libre...). Un niveau élevé de salaire limite l'achat de travail par les entreprises et attire de nombreux actifs qui, sans cela, auraient renoncé à se présenter sur les marchés du travail. Document 3 Mots-clés - effet d'offre - effet de demande Ce document semble présenter les effets d'une adaptation aussi stricte que possible du volume de travail acheté au volume désiré par les entreprises. Il y a confusion implicite entre travail et emploi. Le travail correspond au déploiement d'efforts intellectuels et manuels permettant de produire des richesses économiques. L'emploi est le cadre institutionnel qui permet ce déploiement d'énergie. La confusion semble négliger le fait que le travail s'inscrit dans un certain type de relations sociales. Du côté de l'offre, la flexibilité améliore la compétitivité des entreprises. Ce mécanisme est conforme aux idées libérales : avec plus de profit, les entreprises investissent, produisent mieux et à moindre coût. La baisse de prix qui en résulte élève le pouvoir d'achat et incite à consommer plus. Cela va pousser à produire plus et, de ce fait, favoriser l'embauche qui peut alors faire diminuer le chômage. Mais du côté de la demande, la flexibilité quantitative va limiter la demande des ménages et faire baisser le PIB, ce qui aboutit à une hausse du chômage. L'optique représentée est alors plutôt keynésienne. Le résultat final sur le chômage est incertain : tout dépend de l'effet dominant, d'offre ou de demande. Mais la théorie du salaire d'efficience permet de critiquer la partie haute du document. Issue d'un approfondissement de la théorie libérale, elle indique que lorsque les salariés ont l'impression d'être bien traités par l'entreprise, ils sont prêts à faire des efforts supplémentaires et à élever leur productivité ou leur créativité au-delà de ce qui est strictement demandé par l'entreprise. Cela aboutit à inverser l'axiome de départ des libéraux selon lequel la productivité marginale du travail détermine les salaires, à un niveau d'emploi donné (réponse à la question 3). Document 4 Mot-clé - coût de main-d'œuvre L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui regroupe les PDEM, se prononce en faveur de la flexibilité accrue du temps de travail, source de créations d'emplois. L'OCDE évoque aussi la nécessité de faire baisser le coût du travail par la composante qu'elle classe comme non productive. Dans sa vision libérale, c'est le coût du travail trop élevé qui est responsable du chômage. Deux points sont critiquables : Hatier 2
1. Les coûts non salariaux, c'est-à-dire ceux de la protection sociale, sont présentés comme extérieurs à la valeur de la production. Cette vision est très réductrice car, au niveau collectif, la bonne santé du travailleur, la possibilité qu'il a d'élever des enfants, etc., sont des éléments constitutifs de la valeur créée par son travail et sont nécessaires à la reproduction de sa force de travail. S'il n'y avait pas de protection organisée de façon collective, il faudrait élever les salaires de telle sorte qu'ils permettent d'épargner individuellement pour les périodes de retraite, de maladie, de chômage ; 2. Rendre en 1994 la hausse des coûts salariaux responsable du chômage semble très contestable. En effet, depuis 1983, en France, la part de la valeur ajoutée distribuée aux salariés n'a cessé de diminuer jusqu'en 1990 alors que celle qui va rémunérer les capitaux a connu une très forte hausse. En 1994, le taux de marge des entreprises était de 30 %, soit un niveau supérieur à celui observé en 1971 en France. Le document permet de répondre à la question 1, et sa critique à la question 3. Document 5 Mots-clés - parts de marché - innovation Ce document, écrit par un représentant de l'école de la régulation, indique que la flexibilité dans l'utilisation du travail n'a pas accru la compétitivité externe des pays qui l'ont pratiquée. Au contraire, la facilité d'utilisation du travail au niveau juridique a freiné les gains de productivité et les innovations aux États-Unis. Les États-Unis maintiennent un commerce international déficitaire depuis longtemps. A contrario, deux pays peuvent illustrer partiellement la thèse de R. Boyer : la Suède et la France. La première a longtemps restreint son chômage en maintenant un droit du travail très rigide. La France a acquis une forte compétitivité internationale mesurée par ses excédents commerciaux croissants depuis 1992, sans avoir totalement déréglementé l'utilisation du travail. Jusqu'en 1997, l'exemple de l'allemagne était aussi probant : avec des salaires élevés, elle obtenait des produits chers, mais très compétitifs au niveau international du fait de leur qualité. Ce document incite à porter son attention sur les aspects qualitatifs du travail et sur les effets pervers de la flexibilité envisagée par les coûts seulement (question 3). Document 6 Mots-clés - flexibilité - précarité Le document confirme la banalisation des contrats précaires, surtout dans certains secteurs. Alors que, dans leur principe, ils devaient répondre à des besoins exceptionnels des entreprises, ils sont détournés de leur fonction initiale, et deviennent aussi un moyen de sélection à l'embauche. Mais la banalisation de ces formes d'emplois flexibles conduit à la précarisation de l'ensemble de la vie, par le biais de l'instabilité du revenu. Ce document amène à réfléchir sur plusieurs points : - la dévalorisation globale du travail et du travailleur, gérés comme des matières premières. Cela nie la dimension personnelle et sociale du travail. Le contexte de chômage pèse sur les rapports de force sociaux, au détriment des travailleurs. Ceux-ci sont contraints d'accepter des emplois peu stables, faute de mieux (réponse à la question 3) ; - le court-termisme de certaines entreprises. En négligeant la durée, elles négligent la qualification de la main-d'œuvre. Le capital humain (ensemble des qualifications que possède un individu) est négligé alors que, même sans diplôme, un travailleur acquiert des savoir-faire dont profite l'entreprise, par effet d'apprentissage. Le travailleur sera d'autant plus motivé pour enrichir son capital humain qu'il envisagera sa présence durable dans l'entreprise (réponse à la question 3) ; - le recours à ces formes de flexibilité externe semble concerner des branches ou des métiers à faible qualification : le bâtiment ou les emplois dans la restauration collective, les emplois de caissière... Ces branches sont peu exposées à la concurrence étrangère, ce qui met à mal l'argument de la nécessaire compétitivité extérieure. Cela fournit une réponse à la question 2 ; Hatier 3
- les effets pervers engendrés par le recours massif aux emplois précaires : plus de 50 % des embauches se font sous cette forme. Au niveau macroéconomique, dans la logique keynésienne, le niveau faible des revenus sur le long terme (c'est-à-dire en intégrant des périodes d'emploi et des périodes de chômage) n'est pas porteur de forte demande effective. Cela va limiter la production et le nombre d'emplois créés. De plus, l'instabilité psychologique qui pèse sur les travailleurs précaires se diffuse aussi chez les autres. L'incertitude pousse à l'épargne plus qu'à la consommation et aussi à la hausse des taux d'intérêt : deux facteurs plutôt négatifs en termes de chômage (réponse à la question 2). RECHERCHE D'UNE PROBLÉMATIQUE Bilan du dossier documentaire Le dossier documentaire nous montre que la flexibilité qui est majoritairement proposée et appliquée concerne surtout le coût du travail : documents 1, 2, 4, et 3 pour sa partie haute. Mais cette forme surtout externe de flexibilité comporte des inconvénients mis en avant par les documents 5, 6, et 3 pour sa partie basse. Pour les autres formes de flexibilité, les documents 4 et 5 suggèrent seulement des pistes que le candidat devra enrichir avec ses connaissances personnelles. Celles-ci doivent aussi être utilisées pour réinterpréter les faits au travers de grilles de pensée étudiées en cours. Problématique Ainsi, nous pourrons envisager l'intérêt de la flexibilité comme moyen de limiter le chômage avant d'étudier les effets pervers de certaines formes de flexibilité qui s'avèrent peu acceptables socialement et peu efficaces contre le chômage. PLAN DÉTAILLÉ DE LA DISSERTATION Introduction - Accroche. - Définition des termes. - Énoncé de la problématique. - Annonce du plan. Première partie La flexibilité peut permettre de lutter contre le chômage, selon les économistes libéraux. 1. La souplesse d'utilisation du travail peut aboutir au développement de l'emploi. a. Du côté des employeurs, les facilités juridiques favorisent l'embauche... b.... et la souplesse peut favoriser en partie les salariés. 2. Mais, sous couvert de flexibilité, c'est seulement le coût du travail qui est visé. a. La flexibilité externe est utilisée pour réduire le coût du travail... b.... car selon les libéraux, le coût du travail est responsable du chômage. Seconde partie Mais la flexibilité externe présente beaucoup d'effets pervers qui l'invalident comme solution au chômage. 1. Au niveau microéconomique, la flexibilité externe n'est pas source de compétitivité externe. a. L'entreprise perd les effets d'apprentissage... b.... et elle est moins poussée à innover. 2. Au niveau macroéconomique, la flexibilité introduit le dualisme. a. La faiblesse des revenus distribués comporte un risque déflationniste. b. Le dualisme renforce les inégalités sociales. Conclusion - Reprise de la réponse. - Ouverture. RÉDACTION DE LA DISSERTATION La flexibilité a longtemps été une revendication majeure des employeurs en France. Cependant, invités à réorganiser le travail en vue de l'application de la loi des 35 heures, leur souci de la flexibilité s'est atténué. Hatier 4
L'expression flexibilité du travail présente en effet plusieurs faces. Au sens général, cela signifie la souplesse d'utilisation du travail salarié. Elle semble justifiée par les évolutions rapides de la demande et le souci de rendre des prestations très adaptées aux demandes des ménages ou des entreprises. En particulier, la nécessité d'être compétitif au niveau international est avancée comme une contrainte majeure imposant la flexibilité. Alors que dans les pays développés à économie de marché (PDEM), les conditions d'utilisation du travail sont encadrées par des règles juridiques et conventionnelles, certains se demandent si la flexibilité du travail peut permettre de lutter efficacement contre le chômage. La flexibilité peut correspondre à une remise en cause du cadre institutionnel d'utilisation du travail. Le travail correspond à une dépense d'énergie effectuée dans un but productif. Le cadre social de cette dépense d'énergie est l'emploi. La flexibilité peut porter sur le volume horaire de travail effectué (flexibilité quantitative) en modulant les horaires avec les mêmes effectifs (flexibilité interne) ou en faisant varier les effectifs employés (flexibilité externe). La flexibilité sous différentes formes aboutit à une diminution du coût du travail. Enfin, la flexibilité fonctionnelle revêt un aspect qualitatif et concerne l'adaptation des qualifications des travailleurs aux contraintes de la production. Le chômage désigne la situation de personnes actives désireuses de travailler, sans emploi et qui n'en trouvent pas malgré leurs recherches effectives (INSEE). Lutter efficacement contre le chômage signifie trouver des solutions qui s'avèrent, sur le long terme, sans effets pervers majeurs. En effet, depuis quinze ans, les mesures prises contre le chômage visent la flexibilité mais peu se sont révélées satisfaisantes. Nous verrons d'abord en quoi la flexibilité peut aboutir à limiter le chômage, avant d'envisager les limites de cette solution. La flexibilité, selon les économistes libéraux, peut permettre de lutter contre le chômage par l'assouplissement des conditions d'utilisation du travail si elle ne vise pas un objectif trop restrictif. La souplesse d'utilisation du travail doit aboutir au développement de l'emploi en favorisant l'offre d'emplois par les entreprises et de travail par les salariés. Du côté des employeurs, les facilités juridiques favorisent l'embauche. En effet, pouvoir disposer d'un salarié rapidement et sans procédures contraignantes permet aux entreprises de répondre aux variations de la demande et de gagner en compétitivité. Si les procédures de licenciement sont allégées ou même inexistantes, comme c'est le cas pour les contrats à durée déterminée ou pour l'emploi intérimaire, l'entreprise n'hésite plus à embaucher. Les entreprises peuvent alors développer leur activité sans craindre les sureffectifs. Selon le document 3, le PIB doit alors enregistrer une hausse, source de créations d'emplois. En France, entre 1985 et 1995, les contrats à durée déterminée (CDD), c'est-à-dire dont le salarié connaît à l'embauche le terme, ont été multipliés par 2,34 (document 2). L'emploi intérimaire, pour lequel le salarié est soumis à deux employeurs (l'entreprise de travail intérimaire et l'entreprise où il effectue son travail), conçu pour faire face à un surcroît d'activité temporaire, a été multiplié par 2,5. En revanche, les emplois d'apprentis, peu coûteux, mais contraignants en termes de formation de la part des entreprises, n'ont pas connu une hausse aussi forte : seulement 22,22 % de plus. Cela traduit le rejet des contraintes juridiques par les entreprises. Pour les ménages employeurs, un assouplissement a été réalisé, en France, dans l'utilisation de travailleurs à domicile, ce qui a permis de réduire le recours au travail au noir et de créer quelques emplois. Du côté des salariés, la souplesse peut favoriser en partie les travailleurs. Parmi les actifs, certains sont fragilisés socialement et ont une employabilité (mesurée par leur probabilité de trouver un emploi) faible. Les chômeurs de longue durée ont souvent perdu confiance en soi. La diminution de leurs compétences, faute de pratique, les place en situation défavorable dans la file d'attente des chômeurs. En bénéficiant de stages ou de contrats de travail pour lesquels les entreprises sont aidées par une collectivité publique, ils peuvent enclencher un processus de réinsertion sociale. D'ailleurs cette forme d'emploi particulière a connu une hausse de 200 % de 1985 à 1995. Les jeunes, surtout sans qualification, peuvent aussi tirer profit, dans certaines circonstances, de la multiplication de leurs expériences professionnelles. L'alternance de périodes d'emploi et de chômage peut leur fournir une expérience. Cela leur permet de choisir en connaissance de cause lorsqu'ils obtiennent un emploi à durée indéterminée qui offre socialement plus de garanties. La modulation des horaires peut aboutir à un progrès dans la vie des travailleurs si elle facilite l'harmonisation de la vie privée et professionnelle. L'argument est surtout utilisé vis-à-vis des femmes, mais elle concerne tous les travailleurs. La flexibilisation des horaires peut s'accompagner d'une réduction globale du temps de travail sans perte de salaire et sans perte de profit pour l'entreprise du fait des gains de productivité réalisables avec une motivation plus grande des travailleurs et une meilleure organisation du travail. C'est dans cette logique qu'il faut situer la loi sur les 35 heures votée en France en 1998. Mais sous couvert de flexibilité, c'est seulement le coût du travail qui est visé le plus souvent, car la flexibilité la plus appliquée résulte d'une volonté libérale de réduire le coût du travail. La flexibilité externe est utilisée pour réduire le coût du travail. Dans les faits, toutes les formes de flexibilité ne sont pas utilisées de façon équivalente. Par exemple, la flexibilité fonctionnelle est peu utilisée en France. Elle consiste à former les travailleurs dont les Hatier 5
savoir-faire sont obsolètes, à de nouvelles qualifications nécessaires dans le futur. Dans les grandes entreprises japonaises ou en Suède, cette pratique est plus courante. En revanche, en France ou aux États-Unis, c'est surtout la flexibilité quantitative qui est recherchée par les entreprises. Elle consiste à essayer de faire coller au maximum le volume d'heures de travail achetées au volume d'heures de travail nécessaires dans l'immédiat. Cela peut passer par la précarisation croissante des emplois, comme en France (document 2), ou par le recours accru au travail à temps partiel. Mais celui-ci est déjà rarement choisi. Cela peut aussi passer par la modulation des horaires de travail : les horaires peuvent changer d'un jour à l'autre ou d'un mois à l'autre. L'annualisation des horaires peut être pratiquée pour des activités ayant des rythmes de production variables selon les périodes. Il s'agit alors de flexibilité quantitative interne car les effectifs ne varient pas. Mais, au total, l'adaptation stricte du travail acheté au travail considéré comme nécessaire répond surtout au souci des entreprises de limiter le coût du travail. Le mécanisme est représenté dans le document 3 : ce meilleur ajustement doit conduire à la hausse des profits réalisés par les entreprises. L'Organisation de coopération et de développement économiques est plus explicite dans le document 4 : accroître la flexibilité des salaires et réduire les coûts de main-d'œuvre correspondent à la même chose. L'OCDE introduit une autre forme de flexibilité, relative à la protection sociale. En effet, les coûts de celle-ci sont présentés comme extérieurs à la valeur de la production réalisée, comme si le travailleur n'avait pas besoin d'être en bonne santé pour venir travailler ou de reconstituer sa force de travail en cas de chômage. En réalité, la protection sociale, lorsqu'elle a été mise en place, en France par exemple, a été conçue comme un élément de la rémunération du salarié, comme un salaire indirect ou différé, prenant en charge des besoins qui se manifesteront dans certaines circonstances (risques sociaux), plus tard. Sans cette mutualisation des risques sociaux, les salaires directs devraient être plus élevés pour assurer la reproduction de la force de travail. Mais, selon les libéraux, le coût du travail est responsable du chômage. La majorité des analyses ou des pratiques relatives à la flexibilité partent de l'idée libérale selon laquelle c'est le niveau trop élevé du coût du travail qui est responsable du chômage. Les économistes libéraux ou néolibéraux comme Pigou ou Friedman considèrent que le marché du travail est un marché comme un autre, où les prix agissent sur les quantités et réciproquement. Le coût du travail est égal à la productivité marginale du travailleur, soit ce que rapporte à l'entreprise le dernier travailleur embauché, à conditions de production inchangées. S'il est trop élevé, les entreprises renoncent à embaucher. Avec une trop forte rémunération, trop d'actifs sont disposés à se présenter sur le marché du travail. Si le coût du travail est rigide, il n'y a pas d'ajustement par les prix, mais par les quantités, et le chômage se développe. L'exemple des États-Unis semble donner raison aux thèses libérales. La flexibilisation défensive (abandon des politiques de hauts salaires et d'emplois stables), la lutte contre l'établissement de syndicats, l'émigration des entreprises vers les États les plus permissifs en matière de pouvoir patronal, ont abouti (document 5), de 1985 à 1995, à une forte création d'emplois : plus 16,73 %, tandis que le nombre de chômeurs diminuait de presque 31 % (document 1). Le Royaume-Uni a aussi réduit le nombre de ses chômeurs, de 23,33 %, mais les créations d'emplois y ont été moindres qu'aux États-Unis : plus 5,37 %. Cependant, ces deux pays comportent une part importante de chômeurs découragés, et de ce fait absents des statistiques. Si certaines formes de flexibilité peuvent favoriser l'adéquation entre offre et demande d'emplois, les plus nombreuses présentent cependant des dangers. La flexibilité externe présente beaucoup d'effets pervers qui l'invalident comme solution au chômage, tant au niveau des entreprises qu'au niveau de l'ensemble de la société. Au niveau microéconomique, la flexibilité externe n'est pas source de compétitivité externe car elle n'incite pas à la productivité, ni à la créativité. L'entreprise perd les effets d'apprentissage qui résultent de l'emploi durable. En envisageant, à court terme, le travail seulement comme un coût, les entreprises qui recourent massivement à la flexibilité quantitative se privent des avantages qu'elles pourraient tirer d'une relation durable avec des salariés. En effet, ceux-ci, même sans qualification reconnue institutionnellement, disposent de savoir-faire. Ce capital humain peut s'enrichir avec une présence longue dans l'entreprise. Mais si le travailleur se sent géré comme une matière première, du fait qu'il sait son contrat de travail provisoire, quel intérêt a-t-il à améliorer ses savoir-faire? Les effets d'apprentissage qui sont des gains de productivité réalisés du fait de l'expérience des travailleurs sont perdus pour l'entreprise. En termes de salaire, la théorie du salaire d'efficience, qui résulte d'un approfondissement de l'analyse libérale - et, à ce titre, part aussi de la rationalité des agents -, apporte un autre argument. Si l'on situe les relations employés-entreprises en termes de dons et de contre-dons, le salarié qui a le sentiment d'être bien traité par l'entreprise, et concrètement bien payé par rapport aux entreprises concurrentes, est prêt à fournir des efforts supplémentaires de productivité et de créativité pour celle-ci. Avec des salaires élevés, l'entreprise est gagnante. Mais, à l'inverse, payer le minimum les salariés revient à ne pouvoir exiger d'eux que le minimum d'efforts. Les entreprises les plus performantes ne cherchent pas à dégrader leur image de marque en négligeant la dimension Hatier 6
personnelle et sociale du travail fourni par leurs salariés. Par exemple, le bâtiment a du mal à recruter du fait de son image de marque dévalorisée. L'entreprise est moins poussée à innover. La compétition qui existe dans un système économique capitaliste et qui favorise la mise au point de nouveaux produits ou de nouvelles méthodes de production, nécessite un cadre institutionnel identique pour les entreprises. Mais rien n'oblige à la flexibilité en soi. Ce qui est important dans la notion de concurrence est la relative égalité des contraintes, mais non le niveau des contraintes dans l'utilisation du travail. Profiter de facilités financières procurées par la flexibilisation du travail permet de gagner en compétitivité-prix seulement. En revanche, pour ce qui relève de la compétitivité qualitative, la flexibilité externe ne procure pas de stimulant (document 5). Au niveau des résultats macroéconomiques, les États-Unis, qui connaissent une forte flexibilité dans l'utilisation du travail, n'ont pas réussi à dégager d'excédents commerciaux extérieurs. À l'inverse, la France, souvent critiquée par l'ocde pour ses rigidités, connaît des excédents croissants depuis 1992. De façon générale, les branches ou les pays qui innovent le plus ne sont pas ceux où les salaires sont les plus réduits. Pour les PDEM, la division internationale du travail impose plutôt de se spécialiser dans des branches qui peuvent tirer leur compétitivité de la qualité de leur main-d'œuvre plus que de la faiblesse des salaires qu'elles distribuent. La coexistence de divers statuts au sein de l'entreprise réduit les possibilités d'organisation d'actions collectives, cela peut être perçu comme un avantage pour les employeurs, mais cette diversité ne favorise pas non plus la coopération entre employés, ce qui est plus dommageable pour l'entreprise. Au niveau macroéconomique, le dualisme introduit par la flexibilité va limiter la croissance : la flexibilité ne répond pas au chômage et risque même d'en aggraver les effets. La faiblesse des revenus distribués présente un risque de récession. Les revenus des travailleurs sous contrats précaires sont faibles. Aux États-Unis ou au Royaume-Uni, tous les pauvres ne sont pas sans emploi, même des actifs occupés peuvent disposer de revenus inférieurs au seuil de pauvreté. Si ces travailleurs représentent une part importante de la population active, ils vont influer sur la demande de consommation. Comme, de plus, en Europe, le chômage pousse les salariés permanents à limiter leurs revendications salariales, la masse des salaires distribués augmente peu. Ainsi, la consommation risque de stagner. La demande effective des entreprises, soit, selon Keynes, la demande attendue par les entreprises, risque d'être insuffisante pour inciter les entreprises à produire plus ou à investir. Sans hausse de la production, il sera difficile de créer des emplois, à moins de réduire le temps de travail au-delà des gains de productivité réalisés régulièrement. La faiblesse de la consommation peut retarder l'investissement des entreprises. L'effet multiplicateur de l'investissement sur le revenu national ne se produira pas. D'autant plus que la crainte du chômage et la précarisation des emplois font augmenter l'incertitude au sein de la population, ce qui peut l'inciter à épargner plus. Selon Keynes, la hausse de l'incertitude se traduit par la hausse des taux d'intérêt : les individus répugnent à se dessaisir de leurs liquidités. Cela n'est pas facteur de croissance, mais plutôt de récession. Dans l'optique de Keynes, il serait plus judicieux d'élever la masse salariale afin d'agir sur la demande. La hausse de celle-ci devrait permettre de relancer l'activité de production, source de créations d'emplois, facteur de baisse du chômage. Mais rien n'interdit dans le même temps de réorganiser la production dans le sens de la flexibilité des horaires ou des qualifications. La flexibilité telle qu'elle est majoritairement pratiquée renforce les inégalités sociales sans faire baisser le chômage. L'utilisation de contrats précaires d'emploi permet aux entreprises de sélectionner les individus avant de les embaucher durablement. Pendant cette superpériode de sélection (document 6), la pression est forte sur les salariés. Mais les moins qualifiés ou ceux qui ont un handicap social quel qu'il soit, sont rejetés dans la seule voie des contrats précaires répétitifs. La segmentation du marché du travail se développe, amenant le dualisme social. La multiplication des emplois précaires agit directement sur les revenus distribués à cette occasion. Les salariés dans cette situation ont des revenus irréguliers et ne bénéficient pas des augmentations liées à l'ancienneté qui est le procédé de hausse des salaires le plus courant. Avec des revenus irréguliers, il est difficile de planifier les dépenses sur le long terme. Pour les jeunes, la difficulté de payer régulièrement un loyer retarde le départ de chez les parents, à moins que ceux-ci puissent financer le loyer. Cela renforce les inégalités sociales car seules les catégories aisées le peuvent. Enfin, au niveau des résultats, en France, la multiplication des emplois précaires ne s'est pas traduite par une baisse du chômage, jusqu'en 1997. Souvent, les entreprises ont profité de l'effet d'aubaine procuré par les emplois aidés, sans embaucher plus qu'elles ne l'auraient fait spontanément. Le chômage constituant un moyen de pression, les salariés sont poussés à accepter des emplois à statut précaire. Le risque est le découragement des actifs qui peut faire dégonfler artificiellement le chiffre du chômage, mais ne résout pas le problème. La flexibilité externe ne permet donc pas d'enclencher un processus de création d'emplois et se traduit par des inégalités sociales plus fortes. Hatier 7
Ainsi, il apparaît que certaines formes de flexibilité sont susceptibles de faire baisser le chômage, en agissant du côté des employeurs et du côté des travailleurs. En revanche, d'autres formes de flexibilité semblent engendrer des effets pervers importants en matière de compétitivité et de croissance économique. Il convient donc de les utiliser avec modération, surtout dans un contexte de faible croissance. Pour lutter efficacement contre le chômage, d'autres voies peuvent aussi être explorées, comme la baisse générale du temps de travail ou l'amélioration de la formation des travailleurs. Hatier 8