Situation de l innovation technologique dans la logistique des entreprises françaises



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Transcription:

Situation de l innovation technologique dans la logistique des entreprises françaises Imène MHENNI, Ecole Centrale Paris, Laboratoire Productique Logistique Nathalie BOSTEL, IRCCyN- Institut de Recherche en Communication et Cybernétique de Nantes et IUT de Saint-Nazaire, Département Gestion Logistique Transport Pierre DEJAX, IRCCyN- Institut de Recherche en Communication et Cybernétique de Nantes et Ecole des Mines de Nantes, Département Automatique et Productique Smaïl AÏT-EL-HADJ GRESTI, Ecole Centrale de Lyon Afin de mesurer la situation réelle des entreprises industrielles et de distribution en matière d adoption des nouvelles technologies et de mise en œuvre des démarches d innovation en logistique, une enquête a été effectuée auprès d un échantillon d entreprises françaises dans les secteurs de la production et de la distribution. Cet article présente les résultats détaillés de l enquête au regard du profil des entreprises répondantes et les principales tendances observées. La logistique, l une des principales activités créatrices de valeur dans l entreprise est aujourd hui, plus que jamais, directement concernée par les implications de l innovation, notamment induites par les mutations technologiques et organisationnelles, en particulier dans le domaine des technologies de l information et de la communication. Une logistique innovante peut permettre aux entreprises de se différencier et d acquérir de nouveaux avantages concurrentiels autant sinon plus que l innovation dans la conception et la production (2). Ces avantages sont de l ordre de la réactivité en terme de délai, avec une logistique permettant une plus grande rapidité de circulation des produits ou de mise à disposition du service, ils peuvent consister dans la qualité du service rendu, notamment en terme de personnalisation, ils le sont sûrement dans l ordre des coûts du service rendu au client et dans le coût de réalisation de la fonction pour l entreprise. Un des éléments de la stratégie d innovation en logistique est l évaluation de l effort à mener dans ce domaine par rapport aux autres composantes de la «supply chain» et même de la «chaîne de valeur» d une manière générale (17); ceci en fonction des avantages compétitifs relatifs que peuvent apporter les différents niveaux de la «supply chain» en regard d une action d innovation. Le second élément de la stratégie d innovation en logistique est le choix des contenus de la politique d innovation entre l innovation d équipement, versus l innovation organisationnelle (3), et les choix de système d information qui lui sont cohérents. Elle porte aussi sur les choix entre l acquisition externe de solutions innovantes, disponibles dans le commerce, et la génération alternative d améliorations ou de ruptures innovantes générées en interne. Il est clair que plus la démarche innovante sera interne et spécifique, plus elle Les auteurs remercient l ASLOG et en particulier M. Journet et M. Le Denn pour leur participation à cette étude, ainsi que les entreprises qui ont bien voulu répondre à l enquête. Vol. 9 N 1, 2001 63

sera, en même temps que risquée, différenciante (Modèle Arthur D. Little) (1). Il reste que si ces choix sont évidemment modulés par la nature et l intensité de la concurrence, ils sont aussi largement déterminés par la synergie nécessaire de cette politique d innovation avec les métiers de l entreprise (12). C est sur cette problématique de l innovation en logistique et pour mieux mesurer l état de l innovation en logistique dans les entreprises industrielles et de distribution françaises, que nous avons réalisé une enquête ayant pour but d identifier les démarches d innovation qui sont en cours ou projetées : processus d innovation, rôle des nouvelles technologies de l information et de la communication, problèmes rencontrés et freins à l innovation... ainsi que les besoins des entreprises en nouvelles technologies et en nouvelles méthodes de management en logistique, Dans un premier temps, nous décrivons les modalités de l enquête. Ensuite, nous analysons le profil des entreprises y ayant répondu et présentons les résultats détaillés avant d exposer les principales tendances qui se dégagent. Présentation de l enquête L enquête a été réalisée à l aide d un questionnaire constitué d un nombre relativement important de questions fermées à choix multiples complétées par quelques questions ouvertes. Ce questionnaire a été utilisé selon deux modes : Des entretiens directs, ce qui présente l avantage de mieux développer les questions ouvertes et de permettre un remplissage plus complet du questionnaire. Un envoi postal, permettant de toucher un plus grand nombre d entreprises sur l ensemble du territoire. Environ 300 questionnaires ont été envoyés, principalement à des adhérents de l ASLOG (Association française pour la LOGistique) et quelques relances ont été effectuées par fax. Le taux de réponse obtenu est de plus de 15%, ce qui est largement supérieur à la moyenne variant entre 3 et 5% dans ce genre d enquête. Ce taux de réponse montre que l innovation technologique en logistique suscite beaucoup d intérêt. L élaboration de l enquête et des questionnaires, s est appuyée sur les supports méthodologiques de Grosbras (13) et Harvatopoulos (14). L enquête concerne deux types d entreprises : les industriels (fabricants), les distributeurs et les sociétés commerciales. Tous les secteurs industriels sont concernés, en particulier certains secteurs importants dans le domaine de la logistique comme l automobile, l agro-alimentaire, l électronique, etc. Le questionnaire est constitué de 48 questions fermées et 7 questions ouvertes donnant l occasion à l enquêté de s exprimer plus librement sur certains points. Avant sa diffusion générale, le questionnaire a été testé par une dizaine de responsables logistiques et dirigeants de PME. Leurs observations ont permis d améliorer le questionnaire en levant certaines ambiguïtés ou en augmentant le nombre d options possibles de réponses à des questions à choix multiple. Les réponses au questionnaire d enquête ont été dépouillées et analysées à l aide du logiciel ACCESS. Le contenu du questionnaire et les résultats complets de l enquête sont détaillés dans un rapport intermédiaire récent (16). Nous en présentons une synthèse dans le paragraphe suivant. Résultats et analyse de l enquête realisée auprès des industriels et des distributeurs Description des entreprises répondantes L échantillon est constitué de 83 entreprises, dont 37 % d entreprises commerciales ou de distribution et 63 % d entreprises industrielles. Les principaux secteurs de l industrie sont représentés comme le montre la Figure 1. L échantillon est constitué de 39 % de petites et moyennes entreprises et de 61 % de grandes entreprises. Il contient notamment 14 % d entreprises de plus de 10 000 personnes. Les personnes ayant rempli les questionnaires sont pour plus de 59 % des responsables logistiques. 11 % des répondants sont des dirigeants de petites entreprises. Les 30 % restants occupent des fonctions diverses au sein de la fonction logistique : responsable d entrepôt, ingénieur, etc Cette répartition garantit globalement une bonne connaissance de la fonction logistique de la part des répondants, notamment sur les questions stratégiques. 64 Vol. 9 N 1, 2001

L analyse des questions concernant la fonction logistique montre que, dans la majorité des cas, celle-ci occupe une place importante au sein de l entreprise et revêt un caractère stratégique. En effet, dans 87 % des cas, la fonction logistique est officialisée (formelle) et dépend alors dans 70 % des cas de la direction générale et dans 30 % des cas de la direction industrielle. Elle est aussi bien stratégique qu opérationnelle pour 67 % des répondants, plutôt stratégique dans 10 % des cas et plutôt opérationnelle dans 23 % des cas. 94 % des répondants considèrent la logistique comme une arme concurrentielle. Ce chiffre montre la prise de conscience de la part des entreprises, du rôle prépondérant de la logistique dans la compétitivité des entreprises. Ceci se traduit dans l expression des objectifs stratégiques des systèmes logistiques : amélioration de la qualité de service, diminution des coûts et accroissement de la réactivité du système logistique (Figure 2). Figure 1 - Secteurs d activité Figure 2 - Quels sont les impératifs stratégiques de la logistique dans votre entreprise? (note de 1 : pas d impact à 4 : impact très important) La pertinence des résultats Les réponses obtenues comportent des biais inhérents à la nature des questions, au sujet de l enquête et à la composition de l échantillon lui-même. Tout d abord on peut penser que les personnes ayant répondu au questionnaire sont plus intéressées par le problème de l innovation technologique en logistique que celles qui ne l ont pas fait. Il y a donc des chances pour qu elles appartiennent à des entreprises en avance dans ce domaine. Par conséquent, certains résultats relatifs à l échantillon sont probablement supérieurs à la moyenne réelle des entreprises, ce dont nous avons tenu compte lors de l analyse de l enquête. D autre part, il est difficile de faire la distinction entre la position du répondant lui-même et celle de son entreprise face aux questions traitées. En effet, même si on a insisté sur l obligation de se conformer à la vision générale qui existe dans l entreprise, la personne qui répond ne peut pas s empêcher d être subjective. Par ailleurs, on ne peut pas dire que l échantillon soit représentatif de toutes les entreprises françaises en termes de secteur ou de taille. Néanmoins, les croisements du secteur ou de la taille des entreprises avec les autres réponses nous montrent s il y a des différences significatives entre grandes et petites entreprises ou entre distributeurs et industriels. Notons qu à chaque fois que seul le résultat global, c est à dire englobant tout l échantillon, est cité, cela veut dire qu il n y a pas de différences significatives entre secteurs ou grandes et petites entreprises parmi les répondants. Enfin, il était inévitable dans certains cas de poser des questions comportant l attraction de la réponse positive ou le biais des réactions de prestige de l enquêté. En effet, les technologies et les nouvelles méthodes de management étant aujourd hui à la mode, le répondant aura tendance à choisir les réponses qui vont dans ce sens afin de valoriser l image de son entreprise, voire sa propre image. Par conséquent, il faut garder à l esprit que ces réponses ne reflètent pas tout à fait la réalité et qu une correction à la baisse de certains résultats est nécessaire. Vol. 9 N 1, 2001 65

Pour toutes ces raisons, et étant donné la taille modérée de l échantillon, les résultats obtenus nous donnent des indications plus qualitatives que quantitatives. Ceci correspond tout à fait à l objectif de notre enquête qui est de dégager les tendances générales du comportement des entreprises face à l innovation technologique, plutôt que des mesures absolues. L analyse des résultats de l enquête Nous analysons ci-après les réponses à l enquête suivant les thèmes abordés. Pour plus de détails, on se référera à notre rapport cité ci-dessus (16). L innovation technologique dans la stratégie logistique L analyse de ce thème montre qu il yauninté- rêt certain de la part des entreprises pour Figure 3 - D où provient l idée d une innovation technologique en logistique? l innovation technologique en logistique même si elle ne fait pas l objet d un projet bien défini. Bien qu une majorité des répondants considère que l innovation technologique en logistique est stratégique dans leur entreprise, il apparaît à travers l enquête qu elle provient dans la plupart des cas soit du client soit des logisticiens, qui ont une liberté d action assez importante et non pas de la direction générale. En effet, 80 % des entreprises ont déjà exigé des innovations de leurs fournisseurs (le répondant est ici considéré comme client) et dans 61 % des cas, l innovation est proposée par le responsable logistique. En outre, environ 20 % des répondants affirment que les projets d innovation en logistique ne résultent jamais d une initiative de la part de la direction générale (Figure 3). Par ailleurs, seulement 65 % des entreprises tiennent compte de l opinion des leaders dans l adoption d une nouvelle technologie. Les besoins actuels et futurs en nouvelles technologies Les répondants ont clairement exprimé le besoin des entreprises en nouvelles technologies pour la logistique. D ailleurs, 88% des enquêtés souhaitent coopérer avec d autres entreprises, grandes ou petites sur des projets d innovation en logistique. Le besoin en innovation technologique Figure 4 - Comment comptez-vous améliorer la performance logistique de votre entreprise? Les technologies de l information et de la communication occupent la place la plus importante dans les innovations logistiques et constituent le moyen sur lequel les entreprises comptent pour augmenter la performance de leurs systèmes logistiques. En effet, on note que le système d information logistique est considéré comme un gisement de productivité ou de performance pour cette fonction. A la question Comment comptez-vous améliorer la performance logistique de votre entreprise, la rationalisation du système d information est la réponse la plus citée (Figure 4). Notons, que les taux de réponses des PME sont sensiblement plus faibles (40 % en moyenne) et particulièrement sur les trois points suivants : le re-engineering, l ECR (Efficient Consumer Response) et le SLI (Soutien Logistique Intégré), ce qui montre que les PME sont en retard sur les nouveaux concepts de management basés sur les technologies de l information, phénomène pouvant être expliqué soit par le manque de moyens soit par l idée répandue que ces concepts sont réservés aux grandes entreprises. 66 Vol. 9 N 1, 2001

En outre, le système d information est considéré comme le domaine où ilyaleplus grand besoin d innover en logistique, suivi des outils d aide à la décision et de l organisation du système logistique (Figure 5). Les résultats concernant le transport et les systèmes de manutention, aspects plus classiques de la logistique, sont à notre avis trop faibles car on sait qu il y a encore beaucoup à faire dans ces domaines et qu on peut obtenir des gains de productivité très intéressants grâce à des améliorations dans les techniques de transport et les systèmes de manutention. On note par ailleurs un retard des PME par rapport aux grandes entreprises dans l expression de leurs besoins en innovation technologique : ces besoins sont plus importants dans des domaines où les grandes entreprises ont déjà de l avance comme les outils de gestion ou les systèmes de manutention, mais la prise de conscience de l importance du système d information dans sa globalité et des nouveaux outils de management n est pas aussi développée chez les PME que dans les grandes entreprises (Figure 6). Plus concrètement, on a demandé aux enquêtés, sous forme de question ouverte, quelles étaient les innovations technologiques réalisées pendant les cinq dernières années, quels étaient les projets actuels et les besoins futurs (Figure 7). La grande majorité des réponses portent sur les technologies de l information : logiciels de gestion logistique, EDI (Echange de Données Informatisées), systèmes d information intégrés : ERP (Entreprise Resource Planning), SCM (Supply Chain Management), etc Néanmoins, les besoins se tournent de plus en plus vers l organisation et la restructuration du système logistique. En effet, l introduction des systèmes de gestion intégrée exige une reconstruction des fonctions et des processus logistiques. Par ailleurs, le peu de réalisations concrètes citées en Kanban et en actions d externalisation est assez étonnant. Les bénéfices espérés Qu attendent les entreprises de l innovation technologique en logistique? Les entreprises attendent essentiellement une amélioration de la qualité de service pour le client ce qui est conforme à leur stratégie logistique. Viennent ensuite les coûts plus bas, les délais plus courts et la réponse aux besoins spécifiques d un marché. Figure 5 - Dans quels domaines touchant à la logistique y a-t-il le plus grand besoin d innover dans le cas de votre entreprise Figure 6 - Dans quels domaines touchant à la logistique y a-t-il le plus grand besoin d innover dans le cas de votre entreprise En ce qui concerne les critères de choix pour l adoption d une nouvelle technologie, vient en premier l amélioration de la qualité de service, suivie de l amélioration de la productivité des opérations et du retour sur investissement à court terme qui est cité par près de la moitié des entreprises interrogées. La vision des entreprises reste ainsi à court terme en ce qui concerne l adoption des nouvelles technologies, ce qui explique d ailleurs leur retard sur certaines nouvelles technologies ou concepts de management dont les apports ne peuvent être ressentis qu à moyen ou long terme et dont le retour sur investissement est difficilement mesurable. (Figure 8). Vol. 9 N 1, 2001 67

Figure 7 - Projets d innovation réalisés dans le passé (cinq dernières années), en cours de réalisation, planifiés pour le futur (question ouverte) Figure 8 - Quels sont les critères de choix pour l adoption d une nouvelle technologie de l information? Contradiction entre le désir d innover et les réalisations concrètes Bien qu une grande majorité des répondants déclarent avoir procédé à des innovations majeures sur leur système logistique, les entreprises sont en retard sur un certain nombre de technologies et notamment par rapport aux entreprises d outre-atlantique, si l on compare nos résultats avec ceux d enquêtes réalisées aux Etats Unis (5), (6), (7), (8). En effet, si la majorité des répondants considèrent que de façon générale, ils envisagent l adoption d une technologie avant sa phase de maturité (23% prétendent l adopter pendant sa phase d émergence), les réalisations concrètes nous prouvent le contraire. En effet, à part un certain nombre de technologies massivement utilisées (code à barre, E-mail, EDI, terminaux portables, Internet et Intranet), on remarque que le reste des technologies de l information et de la communication est peu implanté dans les systèmes logistiques, sachant que ces technologies sont aujourd hui tout à fait opérationnelles (les écrans tactiles, les systèmes d information géographique, les étiquettes électroniques, la reconnaissance vocale, etc.) (Figure 9). Le retard des petites entreprises par rapport aux grandes est évident dans ce domaine. Les réponses des grandes entreprises sont en moyenne 30 % plus importantes. Par ailleurs, les PME adoptent les technologies à un stade plus avancé de leur cycle de vie, comme le montre la Figure 10, espérant ainsi limiter les risques. On voit donc qu il y a une réelle contradiction entre la prise de conscience de l importance des nouvelles technologies et les réalisations concrètes. On peut donc penser que les réponses à certaines questions ont été biaisées par l "effet de mode" qui existe autour de l innovation technologique et surtout autour des technologies de l information et de la communication. Par ailleurs on a noté qu il y avait une insuffisance d innovation incrémentale dans les systèmes logistiques comme si les entreprises attendaient qu il y ait une vraie révolution des technologies touchant à la logistique pour procéder à l introduction des innovations. En effet, 88% des entreprises affirment avoir procédé à des innovations dans leur système logistique durant les cinq dernières années, 79% d entre elles ayant réalisé des innovations radicales et seulement 39% des innovations incrémentales. Ce résultat est étonnant car la production d innovations technologiques en général montre qu il y a très peu d apparitions de technologies totalement nouvelles, par rapport aux très nombreux perfectionnements et améliorations de technologies déjà existantes. De plus, l innovation incrémentale a ses avantages par rapport à l innovation radicale. En effet, avec l innovation incrémentale, l organisation assimile la technologie sur une longue période, le changement est ainsi moins brutal et est introduit progressivement dans l organisation, alors que l innovation radicale implique de grands 68 Vol. 9 N 1, 2001

bouleversements de l organisation. Notons tout de même que l innovation radicale est nécessaire lorsque l organisation est en décalage avec son environnement et lorsque le changement est vital pour sa survie. En réalité, radicalisme et incrémentalisme constituent les deux facettes complémentaires et indissociables des stratégies d innovation gagnantes sur le long terme. Figure 9 - Quels sont les technologies de l information que vous utilisez en logistique? L accès à l information et la veille technologique en logistique La veille technologique réalisée dans le domaine de la logistique par les entreprises de notre échantillon est insuffisante. En effet, dans seulement 47 % des entreprises interrogées, une personne fait de la veille technologique en logistique. Ce résultat est de seulement 30 % pour les PME (il est de 57 % dans les grandes entreprises). En d autres termes, plus du tiers des grandes entreprises et plus de la moitié des PME ne font pas d effort pour être au courant de tout ce qui est nouveau dans les technologies touchant à la logistique, ce qui est contradictoire avec leur désir d être à la pointe dans ce domaine. Les technologies auxquelles les entreprises s intéressent le plus sont les technologies de l information avec un taux de réponse de 69 % et les techniques de transport avec un taux de 60 %. Par contre, peu d entreprises s intéressent régulièrement aux nouveaux concepts tels que ECR, CALS (Computer Aided Logistics Support), logistique virtuelle... Les PME s intéressent peu aux outils d aide à la décision (22 % de réponses contre 55 % pour les grandes entreprises). La majorité des entreprises suivent de près les innovations technologiques réalisées par les prestataires de services logistiques. Moins de la moitié s intéressent à celles réalisées par la concurrence, les fournisseurs d équipements logistiques ou les éditeurs de logiciels d aide à la décision. Une différence importante a été notée entre fabricants et distributeurs : 56 % de ces derniers suivent de près les innovations réalisées par les fournisseurs d équipements pour la logistique contre 36 % seulement chez les fabricants. Quand aux sources d information auxquelles les entreprises ont accès, les plus citées sont les revues scientifiques et professionnelles (85 %) suivies des associations professionnelles, des congrès et colloques et des réseaux de connaissance. Les résultats relatifs aux PME montrent qu elles ont globalement moins accès aux différentes sources d information Figure 10 - De façon générale, à quel moment du cycle de vie d une innovation technologique envisagez-vous de l adopter? que les grandes entreprises, notamment concernant l adhésion aux associations, la participation aux congrès et l implication dans des réseaux de connaissances. Vol. 9 N 1, 2001 69

Enfin, les résultats montrent qu il y a une insuffisance d accès à l information internationale dans le domaine de l innovation technologique en logistique. En effet pour 35% des entreprises, les sources d information sont seulement nationales. L effort entrepris est donc assez faible car l accès à l information internationale est de plus en plus aisé, notamment grâce à Internet, mais aussi aux revues professionnelles internationales dont les abonnements sont à la portée de la plupart des entreprises. Cette insuffisance d accès à l information internationale est d autant plus préjudiciable que le plus grand nombre d innovations en logistique naissent aux Etats Unis (18). Les tableaux détaillés concernant les analyses de ce paragraphe figurent dans notre étude (16). Le processus d innovation Figure 11 - Quelles fonctions internes, autres que la fonction logistique, sont impliquées dans le processus d introduction d une nouvelle technologie en logistique? Place de l informatique / Place de l homme La place de l informatique dans les projets d innovation technologique en logistique semble très importante. En effet, 82% des entreprises interrogées affirment que la fonction informatique est impliquée dans le processus d introduction d une nouvelle technologie, juste après la direction générale qui est citée dans 83 % des cas. Ce résultat peut être expliqué de deux façons : tout d abord il n est pas étonnant que l informatique soit toujours impliquée puisque, comme on l a déjà vu, la plupart des innovations technologiques portent sur les nouvelles technologies de l information et de la communication. Et par ailleurs, l importance du côté informationnel de la logistique, qui gère aussi bien les flux de matières que les flux d information, explique que l informatique intervienne dans tout processus de changement dans cette fonction. En outre, on a noté que dans les PME, l implication des différentes autres fonctions dans les projets d innovation en logistique est supérieure à celle des grandes entreprises. Ce phénomène est dû à la souplesse structurelle des petites organisations et constitue un avantage certain pour l introduction des innovations technologiques. L implication de la direction générale est aussi plus importante grâce à une plus grande disponibilité des dirigeants, représentant ainsi un autre facteur de réussite du projet d innovation (Figure 11). Par ailleurs, nous avons noté que la fonction Ressources Humaines n est concernée que dans 40 % des cas. L aspect humain n est donc pas suffisamment pris en compte dans les projets d innovation technologique, ce qui est un handicap important sachant que le rôle joué par les hommes, que ce soit en termes de management et de conduite de l innovation ou en termes d acceptation ou de résistance, est primordial dans tout processus de changement. Par ailleurs, 85 % des entreprises interrogées affirment que la place du système d information et de communication dans les projets d innovation est prépondérante par rapport à la capacité de jugement, de créativité et de management du personnel, ce qui est à notre avis un lourd handicap. Ce résultat est de 94 % pour les grandes entreprises et de 71 % pour les petites. Le manque de prise en compte de l aspect humain dans les projets d innovation touchant à la logistique est donc nettement plus visible dans les grandes entreprises dont la structure est généralement plus rigide. Management de l innovation : Structure : Pour la conduite d un projet d innovation, il y a création d une structure organisationnelle intermédiaire pour 40 % des entreprises interrogées, 45 % des grandes entreprises et seulement 31 % des PME. Souvent, ce sont les structures existantes qui prennent donc en charge, en plus de leurs responsabilités quotidiennes la globalité du projet d innovation. Ce type de structure présente des inconvénients liés 70 Vol. 9 N 1, 2001

essentiellement au manque de disponibilité d un personnel trop occupé par des tâches quotidiennes plus urgentes aux dépens du projet d innovation. En outre, l efficacité des structures intermédiaires comme les équipes projet ou les équipes pluridisciplinaires est largement prouvée dans les pratiques du management du changement et de l innovation. Partenaires : Pour un projet d innovation, la plupart des entreprises font appel à des consultants. Les prestataires sont bien placés aussi, ainsi que les clients. Par contre, les concurrents, les universités et les laboratoires de recherche sont peu cités. Pourtant leurs apports peuvent être complémentaires de ceux des cabinets de conseil. Les entreprises devraient donc élargir leur réseau de partenariat dans les projets d innovation vers une plus grande variété de partenaires. Implication du personnel : 59 % des entreprises répondantes affirment suivre une démarche participative pour le personnel opérationnel en logistique dans les projets d innovation (Figure 12). Ce résultat est à notre avis totalement biaisé et dû à ce qu on appelle l attraction de la réponse positive ou alors à une mauvaise compréhension de ce que c est que la démarche participative. En effet, on a vu dans les résultats précédents que l aspect humain est peu pris en compte dans les projets d innovation, ce qui est contradictoire avec toute démarche participative. D ailleurs, moins de 20 % des répondants affirment préparer le personnel opérationnel aux projets d introduction des nouvelles technologies par la démonstration des possibilités de gains d origine humaine et pas seulement technique, et seulement 23 % par une démarche consultative. On note aussi, que dans seulement 39 % des entreprises, il existe une politique de communication des indicateurs de performance du projet, et donc dans le reste des cas, le personnel n est pas informé des éventuels avantages apportés par l innovation. Par contre, une majorité des entreprises (55 % des grandes entreprises, et 63 % des PME) font une campagne de formation à la nouvelle technologie. Ce taux reste néanmoins insuffisant car la formation devrait être systématique lors d un projet d innovation : un personnel non formé à la nouvelle technologie est un facteur d échec pour l utilisation de cette technologie dans l entreprise. Quant aux conséquences de l introduction d une nouvelle technologie en logistique sur le reste de l entreprise, celles-ci sont prises en compte dès la phase d initiation du projet dans 66% des cas, étudiées lors de l implémentation de la technologie dans 25% des cas et constatées après l exploitation de la technologie dans 18% des cas. Sachant que ces réponses comportent un biais inhérent à la nature de la question, on peut dire que les conséquences de l innovation sont prises en compte assez tardivement dans le processus d introduction de la technologie dans une majorité des entreprises. Méthodologie : Il n existe pas de méthodologie connue pour l introduction des nouvelles technologies dans les systèmes logistiques. On pouvait penser que certaines entreprises avaient développé des méthodes ou des guides pour l innovation en logistique, mais cette enquête prouve le contraire, du moins en ce qui concerne les entreprises interrogées. En effet, on avait posé la question libre : quelle(s) méthodologie(s) d intégration des nouvelles technologies utilisez-vous pour l introduction d une nouvelle technologie? Seulement le tiers des enquêtés ont répondu à la question. De plus, aucun n a donné une méthodologie précise mais ils ont surtout cité les groupes projets, l appel à des consultants, le bon sens, la méthodologie empirique, etc. Par contre, 81 % des entreprises affirment procéder à des expériences pilotes pour l introduction d une nouvelle technologie, ce qui constitue un taux satisfaisant. En effet, l expé- Figure 12 - Comment le personnel opérationnel en logistique est-il préparé / participe-t-il aux projets d introduction d une nouvelle technologie? Vol. 9 N 1, 2001 71

Figure 13 - Comment classez-vous ces critères de choix pour une nouvelle technologie? rience pilote permet d appliquer le changement sur une part assez faible de l activité pour ne pas compromettre le fonctionnement du système logistique de l entreprise si le projet ne se déroule pas comme prévu. Les problèmes qui apparaissent ont moins de conséquences néfastes et sont résolus avant d étendre l expérience sur tout le système. Facteurs de succès La majorité des enquêtés pensent que le facteur de réussite le plus important d un projet d innovation technologique est l engagement de la direction, loin devant les autres facteurs de succès proposés : la vision commune parmi tous les acteurs, l implication et la motivation des employés, une bonne synergie avec les autres fonctions et enfin la précision des objectifs et des indicateurs qui est très peu citée. Ce résultat est probablement lié au fait que les enquêtés expliquent l échec des projets d innovation par le manque d engagement de la direction qui est probablement dû à l éloignement structurel de celle-ci par rapport aux réalités technologiques et opérationnelles de l innovation en logistique. De plus, les dirigeants qui sont en position d effectuer les choix technologiques en logistique ne sont généralement pas compétents sur le sujet. La présence d une compétence directe en matière d innovation en logistique est donc un facteur de succès important. On a aussi noté que les grandes entreprises citent le facteur vision commune dans 76 % des cas alors que les PME ne le citent que dans 53 % des cas. En effet, il est plus difficile d instaurer une vision commune parmi tous les acteurs du projet dans les grandes structures complexes caractéristiques des grandes entreprises que dans les structures plus petites et plus simples des PME. Enfin, parmi les critères de choix les plus importants pour l adoption d une nouvelle technologie, la compatibilité avec l existant vient en premier lieu (Figure 13). Cette considération n est pas favorable à l introduction de nouvelles technologies impliquant un changement radical. Evaluation de l innovation Les méthodes d évaluation utilisées pour les projets d innovation technologique restent très classiques et concernent dans 90% des cas le calcul d indicateurs de performance à court ou moyen terme (gain en délais, en coût ou en productivité). Or, on sait que les apports d une innovation ne sont pas toujours calculables par des indicateurs. Les enquêtes de satisfaction des clients et les réunions d évaluation avec tous les acteurs du projet ne concernent que la moitié des entreprises interrogées. Les enquêtés ne citent pas d autre méthode originale d évaluation des projets d innovation. Les freins à l innovation en logistique et les problèmes rencontrés L innovation technologique bouleverse les habitudes et met en cause les règles établies dans l entreprise. Or la plupart des entreprises ont une organisation mécaniste, très marquée par l importance des procédures et des normes et du contrôle hiérarchique. Ce type d organisation est spontanément conservatrice et n est pas très propice à l apparition de l innovation. Réticence et freins à l innovation Le taux de réticence à l innovation cité par les enquêtés est assez important, sachant que le chiffre obtenu est certainement sous-évalué par rapport à la réalité. En effet, 43 % des enquêtés affirment qu il y a une réticence à l innovation de la part du personnel exécutant, et 26 % de la part des décideurs. Pour ces derniers, le refus est dû au pragmatisme et à l attachement aux choix traditionnels qui font fonctionner l entreprise. Concernant le personnel exécutant, il s agit essentiellement de la mise en cause des compétences et de l attachement à la tradition donc de la peur du changement (Figure 14). L innovation technologique impose en effet une reconversion plus ou moins importante des métiers et dont la perception subjective peut être amplifiée par l attachement aux routines habituelles. On note que les motivations de la réticence à l innovation ne 72 Vol. 9 N 1, 2001

sont pas les mêmes pour les grandes et petites entreprises. Pour ces dernières, c est surtout l attachement aux concepts traditionnels, alors que pour les grandes entreprises, il s agit surtout de la crainte de l échec, probablement parce que l échec d un projet d innovation dans une grande structure entraîne des conséquences plus graves étant donné le poids important des investissements liés aux projets. Les principaux freins à l innovation technologique en logistique sont les conflits dans les priorités, le manque de disponibilité du personnel, les ressources financières limitées et l incompatibilité avec l existant. Par contre, la complexité des nouvelles technologies et leur évolution trop rapide ne semblent pas faire peur aux entreprises dans le domaine de la logistique (Figure 15). Figure 14 - Quelles sont les deux motivations les plus importantes de la réticence à l innovation (personnel exécutant)? Figure 15 - Quels sont les freins à l innovation technologique en logistique? On note ici des différences significatives entre grandes et petites entreprises. Dans ces dernières, le problème de manque de disponibilité du personnel est plus important, et peut s expliquer par un effectif plus réduit et le manque de moyens financiers qui réduit la possibilité de recruter quelqu un spécialement pour un projet d innovation. Par contre, le problème d incompatibilité avec l existant se pose moins car les systèmes informatiques sont moins complexes que dans les grandes entreprises et donc plus faciles à modifier. Les problèmes rencontrés Les difficultés rencontrées par les entreprises lors des projets d innovation technologique en logistique sont principalement d ordre organisationnel et non technique comme on pourrait le penser. En effet, le problème le plus cité par les enquêtés est le manque de disponibilité du personnel, suivi des problèmes d argent, d organisation et de communication. Par contre, l aspect technologie et connaissances ne pose semble-t-il pas beaucoup de problèmes aux entreprises. Figure 16 - A quel stade du processus d innovation rencontrez-vous le plus de problèmes? Le stade du processus d innovation où les entreprises rencontrent le plus de difficultés est l implémentation de la technologie dans l organisation. Les causes que l on peut en tirer sont : 1. le manque de méthodologies d introduction des nouvelles technologies : cette introduction se fait de façon non structurée, sans référence à un guide d introduction des nouvelles technologies, 2. le manque de prise en compte de l aspect humain, 3. l insuffisance de formation à la nouvelle technologie Vol. 9 N 1, 2001 73

La sélection de la technologie la plus appropriée semble aussi poser problème et peut être expliquée par une insuffisance d accès à l information. Il est intéressant pour cette question de comparer les réponses des grandes et petites entreprises. Comme le montre la Figure 16, les résultats sont assez opposés pour les deux stades du projet d innovation suivants : l exploration de la plage des options technologiques disponibles qui est nettement plus problématique pour les PME : en effet, elles ont plus de difficultés d accès à l information (réseau de connaissances plus petit, moindre adhésion à des associations professionnelles, moins d accès aux congrès et colloques pour raisons financières, etc.). l opérationnalisation de la technologie et l apprentissage de sa meilleure utilisation qui pose plus de problèmes pour les grandes entreprises : en effet, les PME ont une structure plus souple qui conduit à une communication plus facile, à moins de dysfonctionnements et d obstacles entre les niveaux hiérarchiques, etc. Les principales tendances dégagées Cette enquête nous a permis de constater qu il y a aujourd hui une grande prise de conscience de la part des entreprises de l intérêt de l innovation technologique en logistique. D ailleurs, la plupart d entre elles sont prêtes à collaborer avec d autres entreprises, petites ou grandes, pour réaliser des projets d innovation en logistique. Mais, si le désir d innover est très grand, les projets d innovation ne sont toujours pas conduits par une stratégie globale, mais constituent souvent une réponse à la demande ou à l exigence d un client ou une initiative du responsable logistique. De plus, si l objectif direct des entreprises dans les projets d innovation réels est la recherche de la performance et en particulier l amélioration de la qualité de service à court ou moyen terme, elles n ont pas encore compris tout ce que les nouvelles technologies et les méthodes modernes de management et d organisation peuvent leur apporter comme avantages concurrentiels ou facteurs de différenciation à long terme. On rapprochera ces observations des nouveaux critères de performance logistique et des pratiques communes aux stratégies logistiques des leaders cités par Mesnard et Pfohl (15). Par ailleurs, nous avons constaté une contradiction entre le désir d innover et les réalisations concrètes dans le domaine de la logistique. En effet, certaines technologies qui sont aujourd hui tout à fait opérationnelles et qui ont fait leurs preuves, sont rarement implantées dans les systèmes logistiques. Comme l a souligné un fournisseur de solutions informatiques pour la logistique, il y a aujourd hui plus de technologies disponibles sur le marché que ne peuvent intégrer les systèmes logistiques à cause de différents freins et problèmes, en particulier l incompatibilité avec les systèmes d information existants. La majorité des entreprises ont une stratégie d innovation en logistique de type radical aux dépens de l innovation continue ou incrémentale qui présente l avantage de permettre à l organisation d assimiler un changement moins brutal, introduit progressivement dans l entreprise. Cette absence de politiques de progrès continu dans les systèmes logistiques est préjudiciable pour les entreprises comme le montre l enquête américaine de Bowersox (8) qui considère le changement continu et permanent comme un critère d excellence en logistique. Les freins et problèmes rencontrés lors des projets d innovations sont surtout organisationnels et méthodologiques. En effet, si l aspect technique et les connaissances posent apparemment peu de difficultés aux entreprises, la disponibilité du personnel, l organisation ainsi que la communication semblent être des problèmes majeurs. De plus, les entreprises ne disposent pas de supports méthodologiques ou de méthodes d aide à l introduction des nouvelles technologies dans les systèmes logistiques. Leurs collaborations dans ce domaine sont d ailleurs souvent limitées aux entreprises de conseil ainsi qu aux prestataires de services logistiques. On constate par ailleurs que les nouvelles technologies de l information et de la communication (NTIC) ont pris une importance considérable en logistique aux dépens des autres technologies plus classiques telles que les technologies de manutention ou de transport. Les NTIC sont l objet de la majorité des besoins exprimés en innovation technologique en logistique mais aussi des projets d innovation concrets. Par conséquent, les entreprises sont confrontées aux problèmes d incompatibilité des différentes solutions informatiques qui leur sont proposées. Elles s orientent de plus en plus vers des solutions globales à l aide de systèmes informatiques 74 Vol. 9 N 1, 2001

totalement intégrés comme les SCM (outils de Supply Chain Management) qui gèrent l ensemble de la chaîne logistique ou les ERP (Enterprise Resource Planning) qui eux prennent en charge tous les aspects de l entreprise. Par conséquent, les entreprises vont être amenées à restructurer les processus et les fonctions logistiques et donc à introduire des innovations organisationnelles dans leur système logistique parallèlement à l adoption de nouveaux systèmes d informations. L enquête a en outre montré que l aspect humain est peu pris en compte dans les projets d innovation technologique en logistique. En effet, le rôle de l homme dans le processus d introduction des nouvelles technologies est considéré par 85 % des entreprises comme secondaire par rapport à celui du système d information et de communication. Ceci constitue en fait l une des premières raisons des échecs des projets d innovation en logistique. Là encore l enquête de Bowersox (6) confirme l importance du facteur humain dans la réussite des projets et l atteinte de l excellence pour les entreprises. Par ailleurs, l accès à l information en matière de nouvelles technologies pour la logistique se révèle insuffisant. En effet, la notion de veille technologique en logistique n est pas réellement établie, et l intérêt que portent les entreprises aux nouveautés dans ce domaine n est pas systématique. Il se réduit dans la plupart des cas aux revues professionnelles nationales ainsi qu aux congrès et colloques français, ou encore à l adhésion à des associations. L accès à l information internationale est insuffisant à une époque où elle est accessible au plus grand nombre, d autant plus que nombre des innovations en logistique nous viennent d outre-atlantique. Il faut également remarquer que certaines innovations technologiques d actualité ne sont curieusement pas citées par les répondants, ou du moins sont noyées dans la catégorie Autres. Il s agit en particulier de technologies comme la traçabilité, pourtant essentielle à certaines activités logistiques. Il y a un retard évident des PME sur les grandes entreprises dans le domaine de l innovation technologique dans les systèmes logistiques. Ce retard se traduit par des besoins en technologies moins avancés que ceux exprimés par les grandes entreprises, un intérêt moins important aux nouveaux concepts de management basés sur les NTIC (l ECR, le reengineering, la logistique intégrée ) et une adoption plus tardive des technologies. Néanmoins, les PME bénéficient de plusieurs avantages potentiels pour l innovation technologique par rapport aux grandes entreprises. Ces avantages sont principalement liés à leur structure plus souple qui favorise la communication ainsi que la prise en compte de l aspect humain. Le handicap des PME reste le manque de moyens et le manque d accès à l information. Enfin, la place de la fonction logistique dans l organisation, éminemment variable et évolutive, ainsi que sa propension à participer aux décisions stratégiques (11) jouent certainement un rôle déterminant dans son aptitude à intégrer et développer l innovation. Conclusions Cette enquête nous a permis de faire le point sur la situation de l innovation technologique en logistique dans les entreprises françaises de production et de distribution. Même si la majorité des entreprises ont compris l importance des innovations technologiques pour la logistique d un point de vue de la compétitivité, on constate un écart important entre le discours et les réalisations concrètes, surtout parmi les PME. L enquête permet de suggérer une grille de lecture décisionnelle (3) permettant aux dirigeants d orienter leur choix d un processus d innovation logistique. Se construire une grille d évaluation de l importance de l innovation logistique dans la dynamique stratégique de l entreprise en évaluant le poids des processus logistiques dans la chaîne de valeur de l entreprise, et à partir de là, de l impact compétitif d une action d innovation dans ce domaine. Se donner des moyens de veille et d appréciation sur la gamme disponible et les tendances d évolution des nouvelles technologies de l information et de la communication qui attirent le plus les entreprises malgré les freins et les difficultés d implantation qu elles peuvent générer. Comment choisir et acquérir des solutions fiables, globales et évolutives pour leurs systèmes logistiques? Est ce qu une partie de ces besoins peut être réalisée à l aide des systèmes de gestion intégrés de la logistique, comme par exemple les SCM et les ERP? Se donner les moyens de mettre en cohérence les choix technologiques retenus pour l inno- Vol. 9 N 1, 2001 75

vation en logistique, qu ils soient d origine interne ou externe, et les processus logistiques sur les plans organisationnel et humain (4). Cela implique par les entreprises le choix et la maîtrise de méthodologies de management du changement organisationnel (9) et d accompagnement de l introduction des nouvelles technologies. La construction plus approfondie de cette grille de pilotage de l innovation en logistique mériterait des travaux plus approfondis qui ne pourraient pas s appuyer sur une simple enquête mais supposeraient alors l élaboration de dispositifs de suivi et d animation d entreprises impliquées dans un tel processus. Bibliographie (1) Ait-el-Hadj, s., le management de l innovation technologique, encyclopédie de gestion, vol. 2, economica, 1997. (2) anrt, l innovation dans les services, economica 1999. (3) anvar, histoires d innover, interéditions 1993. (4) Arasti, M-R, aide à l élaboration de stratégies technologiques cohérentes avec la stratégie globale de l entreprise, une approche de type processus, thèse institut national polytechnique de grenoble, 1999. (5) Bowersox D.J., Daugherty P.J., Dröge C.J. leading edge logistics : competitive positioning for the 1990s, council of logistics management, oak brook, il, 1989. (6) Bowersox D.J., Daugherty P.J., Dröge C.L., Germain R.N., Rogers D.S., logistical excellence : it s not business as usual, digital press, burlington,1992. (7) Bowersox D.J., Daugherty P.J., logistics paradigms : the impact of information technology, journal of business logistics, vol.16 n 1, 1995. (8) Bowersox D.J., world class logistics : the challenge of managing continuous change, clm annual conference proceedings, 1995. (9) Cattan, M. et alii, maîtriser les processus de l entreprise, guide opérationnel, les éditions d organisation, 1998. (10) Dussauge, P., Ramanantsoa, B, technologie et stratégie d entreprise, ediscience international., 1994. (11) Fabbes-Costes N., Meschi P. X., situations types et évolutions de la logistique dans l organisation, logistique et management, vol. 8, n 1, 2000, pp101-112. (12) Giget, M., la dynamique stratégique de l entreprise, dunod, 1998 (13) Grobras J.M., Dussaix A.M., les sondages : principes et méthodes, que sais-je?, presses universitaires de france, paris, 1996. (14) Harvatopoulos Y., l art de l enquête, guide pratique, eyrolles, paris, 1989. (15) Mesnard X., Pfohl H. C., la supply chain de demain : evolution ou révolution, enquête ela/at kearney, logistique et management, vol.8, n 1, 2000, pp61-68. (16) Mhenni I., Bostel N., Dejax P., Ait-el-Hadj S., Journet m., Le Denn Y., l innovation technologique en logistique : situation actuelle et tendance des entreprises industrielles et de distribution françaises, cer de l ecole des mines de nantes, 00/4/auto, 2000. (17) Porter M., l avantage concurrentiel, interéditions, 1986. (18) Serraf H., logistique européenne : l état de l art, liaisons transport / la revue française de logistique, n 31, 1995. 76 Vol. 9 N 1, 2001