Médicaments de la goutte et des hyperuricémies UE Appareil Locomoteur 2013/2014 Dr. Youssef Bennis Service de Pharmacologie Clinique CHU d Amiens
Physiopathologie de la goutte et cibles thérapeutiques
Physiopathologie de la goutte Définition : La goutte résulte de la précipitation d acide urique en microcristaux d urate monosodiques dans les tissus et de la réaction inflammatoire associée. Humain = seul mammifère capable de développer une goutte car absence d uricase (enzyme capable de métaboliser l acide urique en allantoïne soluble) Hyperuricémie chronique nécessaire au développement de la goutte mais non suffisante. L acide urique est un acide faible (pka 5,8) présent sous forme d urate, la forme ionisée, à ph physiologique. Solubilité des microcristaux d urate monosodiques : < 68 mg/l (420 µmol/l), dépend du ph, température, hydratation des tissus et concentration en cations. Attention, proche des taux sériques normaux! Uricémie = équilibre entre apport diététique, synthèse et excrétion.
Importance clinique de l uricémie (360 µm) (480 µm) Beaulieu P & Lambert C. Précis de Pharmacologie. PUM 2010
Métabolisme des bases puriques van den Berghe et al. Inborn Metabolic Diseases. Springer. 2006;part VIII, pp 433-449 Biosynthetic Pathway = «de novo synthesis» Salvage pathway (10, 11, 12, 13) Catabolic pathway
Equilibre entre apport diététique, synthèse et excrétion 2/3 1/3 Beaulieu P & Lambert C. Précis de Pharmacologie. PUM 2010 Rock KL et al. Nat. Rev. Rheumatol. 2013;9:13 23
Apports diététiques Valeix N. & Guillot X. Actual. Pharm. 2013;52(524):26-29
Synthèse et excrétion Beaulieu P & Lambert C. Précis de Pharmacologie. PUM 2010
Mécanisme inflammatoire de la goutte : activation de l inflammasome Toll-like receptor 2/4 Martinon F er al. Nature 2006;440:237 41 Inflammation «Inflammasome»
Mécanismes de maturation de l IL-1β La NALP (NLRP3 ou cryopyrine) appartient à la famille des NOD-like receptors impliqués dans la détection intracellulaire de produits microbiens et la défense immunitaire innée. Inflammasome impliqué dans la goutte = complexe protéique associant NALP3, la protéine adaptatrice ASC (apoptosis-associated speck-like protein containing a CARD) et la pro-caspase 1 qui sera clivée en caspase 1 active. Les cristaux d urate monosodique pourraient activer l inflammasome selon plusieurs mécanismes encore mal compris : - Interaction avec la membrane cellulaire et activation de la kinase Syk? - Liaison avec les Toll-like receptor (récepteurs TLR 2 et 4)? - Phagocytose des cristaux avec libération des enzymes lysosomiales telle que la cathepsine B et des radicaux libres dérivés de l oxygène (ROS)? - Activation du récepteur canal P2X7 (Efflux de K+)? La Caspase-1 activée stimule la maturation de l IL-1β qui va être libérée dans le milieu extracellulaire et exercer une action autocrine et/ou paracrine proinflammatoire (activation des cellules endothéliales et recrutement des polynucléaires neutrophiles). Ea HK. Presse Med. 2011; 40: 836 843
Rôle central de l IL-1β MONOCYTES (exposées aux cristaux d urates de sodium) Martinon F er al. Nature 2006;440:237 41 Chen CJ. J Clin Invest. 2006;116(8):2262 2271 SOURIS (injection intrapéritonéale de cristaux d urates de sodium) (MSU 6h)
Mais inflammation = phénomène régulé dans le temps Lioté F. Revue du Rhumatisme. 2011;78(3):S122-S128
Traitements de la crise de goutte
1. La colchicine Présentations commercialisées en France (2013) COLCHICINE OPC 1MG CPR COLCHIMAX CPR (Colchicine 1mg + Opium 12,5mg + Tiemonium 50mg) Pharmacodynamie Alcaloïde extrait de la colchique, poison du fuseau mitotique (isolée en 1820 par Pelletier et Caventou) Pas d action sur le métabolisme ou l excrétion de l acide urique Freine la production d'acide lactique par les leucocytes: diminue la précipitation des cristaux d'urate. Inhibition de la polymérisation des microtubules dans les leucocytes : migration leucocytaire vers les microcristaux d urate phagocytose des microcristaux d'urate activation de l inflammasome et libration d IL-1β Diminution de l expression de certaines molécules d adhésion (leucocytaires et endothéliales) Cronstein BN & Terkeltaub R. Arthritis Res Ther. 2006;8 S1:S3
1. La colchicine Pharmacocinétique Résorption digestive rapide Subit un cycle entéro-hépatique (métabolisme hépatique et réabsorption entérique) biodisponibilité tissulaire très variable (24 à 88%). Métabolisation par le cytochrome CYP3A4 (foie, intestin) et efflux par la protéine de transport P-glycoprotéine (nombreux tissus) Distribution tissulaire importante (intestin, foie, reins, rate ) accumulation tissulaire dès que la posologie dépasse 1 mg/j (effets toxiques +++) Elimination fécale ( 16 à 50%) et urinaire (5 à 20%) T1/2 vie plasmatique 20 min, T1/2 tissulaire 10 à 30 heures (mais concentration parfois encore élevée dans les leucocytes après 9 jours ) Rôle des deux principales protéines de métabolisme (CYP3A4) et de transport (P-gp) dans le sort de la colchicine au sein de l organisme après son administration par voie orale. Une fraction de la colchicine n est pas absorbée au niveau intestinal en raison de son efflux par la P-gp exprimée sur la membrane luminale des entérocytes. La fraction absorbée peut-être ensuite métabolisée par les CYP3A4 intestinaux et hépatiques. Le foie peut aussi excréter dans la bile 16 à 50 % de la fraction absorbée par l effet de la P-gp exprimée sur les canalicules biliaires des hépatocytes. La distribution tissulaire de la fraction biodisponible (F : 24 88 %) peut être limitée par la présence de Pgp comme par exemple au niveau de la barrière hématoencéphalique, qui limite aussi sa capture cérébrale. Enfin la P-gp exprimée au niveau des tubules proximaux du rein facilite son excrétion au niveau urinaire. Clb : clairance biliaire ; Clr : clairance rénale ; F : fraction biodisponible. Niel E & Scherrmann JM. Revue du Rhumatisme. 2006;73(12):1338-1345
1. La colchicine Indications thérapeutiques Traitement symptomatique de l accès aigu de goutte Prophylaxie des accès aigus de goutte chez le goutteux chronique notamment lors de l'instauration du traitement hypo-uricémiant Autres maladies : chondrocalcinose et rhumatisme à hydroxyapatite, maladie de Behcet, maladie périodique (fièvre méditerranéenne familiale). Posologie Symptomatique: 3mg le 1er jour, 2mg les 2e et 3e jours puis 1mg/jour Meilleure tolérance si faibles doses répétées (études AGREE, EULAR ) Prophylactique: 1mg/jour Remarque : réduire la dose de moitié si âge > à 70 ans ou diarrhée Effet Indésirables Surtout digestifs : nausées, vomissements et diarrhées +++ Action antimitotique de la colchicine : neutropénie, leucopénie, azoospermie Éruptions cutanées, prurit Neuropathie périphérique, myopathie réversibles à l arrêt du traitement
1. La colchicine Intoxication à la colchicine Dose potentiellement mortelle : 10mg (= 1/2 boite) Dose constamment mortelle : 40mg (= 2 boites ) Diarrhée = Premier signe de surdosage : diminution de posologie ou arrêt (attention poudre d opium dans colchimax= anti-diarrhéique, tiemonium= antispasmodique) Prise en charge réanimatrice pas d antidote Contre-indication Précautions d emploi Insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine < 30 ml/min) Insuffisance hépatique sévère Grossesse Valeix N. & Guillot X. Actual. Pharm. 2013;52(524):26-29
1. La colchicine Colchicine = attention aux interactions!!!
1. La colchicine Thesaurus des EI (07/2013)
2. Les anti-inflammatoires Anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS) Traitement de première intention chez les anglo-saxons Soulagent et en réduisent le gonflement et la raideur articulaire Aucune action sur les lésions articulaires. L indométacine (100 à 150 mg/24h) et le diclofénac (150 mg/24h), utilisés sur une courte durée (2 à 3 jours), sont les plus prescrits. Peu d études (pas d étude de grande ampleur versus colchicine) Glucocorticoïdes Prednisone/prednisolone orale 30/35mg pendant 3/5 jours : même efficacité que AINS mais moins de troubles digestifs. Infiltration cortisonique de cortivazol (Altim ), APRES ponction évacuatrice du liquide inflammatoire effet antalgique + diagnostic de goutte (mise en évidence de microcristaux d urate de sodium au microscope en lumière polarisée et vérification de l absence de germe dans le liquide de ponction). Pas d étude versus colchicine
3. Les anti-il-1 Martinon F. Immunol Rev. 2010 Jan;233(1):218-32.
3. Les anti-il-1 Punzi L & So A. Curr Med Res Opin 2013; 29:3 8 Anakinra Antagoniste compétitif de l IL-1 pour le récepteur IL1R1 Déjà commercialisé (Kineret ) dans la Polyarthrite Rhumatoïde En cours d étude dans la goutte entre autres Rilonacept IL-1 Trap (récepteur soluble de l IL-1β) Non commercialisé En cours d étude dans la goutte entre autres Canakinumab Anticorps monoclonal humanisé anti-il-1β AMM européenne 18/02/2013
3. Les anti-il-1 Canakinumab Présentation commercialisée en France : ILARIS 150MG PDR ET SOL INJ Initialement indiqué dans les «syndromes périodiques associés à la cryopyrine (CAPS)» (maladies rares impliquant une mutation du gène NLRP3 codant pour la NALP3 (=cryopyrine) et aboutissant à une hyperactivité de l inflammasome et une production excessive d IL-1β) Egalement indiqué depuis février 2013 dans le «Traitement symptomatique des patients adultes présentant des crises fréquentes d'arthrite goutteuse (au moins 3 crises au cours des 12 mois précédents) chez qui les AINS et la colchicine sont contre-indiqués, mal tolérés ou n'entrainent pas de réponse suffisante et chez qui des cures répétées de corticoïdes ne sont pas appropriées Etude clinique dans la goutte canakinumab versus triamcinolone (corticoïde) : diminution significative de la douleur lors des crises et réduction du nombre de crises. Mais 2x plus d effets indésirables graves (notamment infections). Pharmacocinétique : Pic de concentration sérique (Cmax) atteint environ 7j après 1 injection sous-cutanée de 150 mg. Augmentation de la clairance en fonction du poids. T1/2 = 26 jours Posologie : 150mg SC le plus tôt possible si crise maximum 1x /12 semaines Prix: 11945,98 euros TTC pour 1 injection non pris en charge par l assurance maladie (dans la goutte, nov 2013).
Traitements des hyperuricémies
Traitements des Hyperuricémies En première intention: Règles hygiéno-diététiques : perte de poids (si IMC>30 alors -10Kg = -20% d uricémie), bonne hydratation, réduction des aliments riches en purines et urates. Instauration du traitement pharmacologique : Après une 2 e crise de goutte, en présence de tophus dans les tissus mous ou osseux (visibles sur la radiographie), ou d une arthropathie uratique, ou s il y a atteinte rénale (lithiase ou néphropathie urique). Dès la 1 ère crise chez le patient greffé rénal sous ciclosporine car risque de récidive +++ En prévention d un syndrome de lyse tumorale induit par la chimiothérapie d une forte masse néoplasique Traitement instauré à vie : remontée de l uricémie si arrêt et récidives des crises Catégories d hypo-uricémiants : Inhibiteurs de la synthèse d acide urique : allopurinol, febuxostat Uricosuriques: probenecide, benzbromarone (ATU), fenofibrate et losartan (hors AMM), lesinurad = RDEA594 (essai clinique) Uricolytiques : rasburicase, pegloticase (pas encore d AMM en France)
Inhibiteurs de la synthèse d acide urique 1. L Allopurinol Présentations commercialisées en France (2013) : ZYLORIC CP 100MG, 200MG, 300MG et génériques Pharmacodynamie: Inhibiteur compétitif à faible dose de la xanthine oxydase Métabolisé en oxypurinol lui-même un inhibiteur non compétitif de la xanthine oxydase Pharmacocinétique: - Absorption rapide - Effet de 1 er passage hépatique: métabolisation en oxypuyrinol - T1/2 = 1h (allopurinol) et 20h (oxypurinol) (action observée après 2 à 3 jours - Elimination rénale
Inhibiteurs de la synthèse d acide urique 1. L Allopurinol Indications: Hyperuricémies symptomatiques primitives ou secondaires (néphropathies, hémopathies ) Traitement de fond de la goutte Traitement et prévention de la lithiase urique Posologie: Débuter à 100mg/j puis augmentée par paliers de 2 à 4 semaines jusqu à la dose minimale efficace pour objectif uratémie < 360µM) Adaptation à la fonction rénale indispensable Dubost JJ et al. Rev Med Interne. 2011 Dec;32(12):751-7
Inhibiteurs de la synthèse d acide urique 1. L Allopurinol Effets indésirables: Musculo-squelettiques : à l initiation ou à l arrêt, peut déclencher une crise de goutte aiguë en faisant varier les taux d acide urique (nécessité de poursuivre la colchicine à fiable dose lors de l instauration de l allopurinol jusqu à obtention de l objectif uratémique) Cutanéo-muqeux : éruptions prurigineuses, papuleuses, érythémateuses, vésiculeuses ou bulleuses jusqu aux éruptions cutanées graves telles que syndrome Lyell ou Stevens-Johnson. Apparition < 1 mois +++ mais parfois après de nombreuses années. Arrêt immédiat et reprise Contre Indiquée. Gastro-intestinaux : hépatotoxicité, diarrhée, nausée Hématologiques : leucopénie, thrombopénie Neurologiques : neuropathie périphérique
Inhibiteurs de la synthèse d acide urique 1. L Allopurinol Thesaurus des EI (07/2013)
Inhibiteurs de la synthèse d acide urique 2. Le Fébuxostat Présentations commercialisées en France (2013) : ADENURIC 80MG et 120MG CPR Pharmacodynamie: Inhibiteur non compétitif (non purinique) et sélectif de la xanthine oxydase Efficacité clinique sur la diminution de l uricémie rapide, puissante et > à l allopurinol Uricémie moyenne (mg/dl) Uricémie moyenne des études pivots de phase III Placebo Allopurinol 100 à 300mg Febuxostat 80 et 120mg Febuxostat 240mg Pharmacocinétique: Absorbtion rapide (tmax = 1,0-1,5 heures) et élevée (au moins 84 %) Distribution variable (Vd varie de 29 à 75L). Plus faible chez les femmes que chez les hommes ( Cmax et AUC plus élevées pour une même dose répétée) Forte liaison à l albumine plasmatique (99,2%) Forte métabolisation hépatique par glucurono-conjugaison (UDPGT) et oxydation (CYP450) Elimination mixte rénale et hépatique Semaines
Inhibiteurs de la synthèse d acide urique 2. Le Fébuxostat Indication: «traitement de l'hyperuricémie chronique chez l adulte dans les cas où un dépôt d'urate s'est déjà produit (incluant des antécédents ou la présence de tophus et/ou d'arthrite goutteuse).» Posologie: 80mg 1x/jour pour objectif uricémie <360µM après 2 semaines de traitement. Augmentation à 120mg 1x/jour si objectif non atteint Pas d adaptation nécessaire si insuffisance rénale ou hépatique légère à modérée ou si patient âgé. Effets Indésirables: Fréquents : Anomalie du bilan hépatique, céphalées, nausées, diarrhées, éruptions cutanées Graves : augmentation du risque d IDM et d AVC? (lien de causalité non établi) Interactions médicamenteuses Possibles avec Inducteurs ou inhibiteurs des cytochromes P450 et UDPG à suivre
Uricosuriques 1. Probénécide Présentations commercialisées en France (2013): BENEMIDE 500MG CPR Pharmacodynamie/Pharmacocinétique: Inhibe la réabsorption rénale tubulaire des urates par action enzymatique rapidement réversible du transporteur OAT-4 (réduit aussi l excrétion d autres médicaments organiques acides dont la pénicilline) Augmentation de l uricosurie attention au risque de lithiase urique Agent masquant dans le dopage interdiction pour la pratique sportive Absorption est rapide et complète, métabolisme hépatique (glucuronoconjugaison), Elimination rénale, T1/2 = 4 à 8h. Indications: Traitement de fond de la goutte tophacée ou non en l'absence d'hyperuraturie Hyperuricémie symptomatique primitive ou secondaire sans insuffisance rénale Traitement adjuvant de la pénicillinothérapie Posologie: Débuter 2 semaines après crise de goutte: 1 cp/j pendant 1 semaine associée à la colchicine et une hydratation alcalinisante puis 2 à 3 cp/j Effets Indésirables non spécifiques : céphalées, vertiges, nausées, vomissements, réactions cutanées, anémie Contre-indication absolue avec le Méthotrexate ( méthotrexaténémie)
Uricolytiques 1. Rasburicase Présentations commercialisées en France (2013): FASTURTEC 1,5MG et 7,5MG INJ Pharmacodynamie, Pharmacocinétique: Urate oxydase (uricase) recombinante aspergillaire Formation stœchiométrique de H2O2 Hémolyse si déficit en G6PD Après perfusion IV : équilibre de la concentration plasmatique en 2 à 3 jours. Variabilité importante du volume de distribution selon l âge. Elimination principalement par hydrolyse protéique. T1/2 = 19h en moyenne. Indication: «traitement et prophylaxie de l'hyperuricémie aiguë, en vue de prévenir l'insuffisance rénale aiguë, chez les adultes, enfants et adolescents (âgés de 0 à 17 ans) souffrant d'une hémopathie maligne avec masse tumorale élevée et ayant un risque de réduction ou de lyse tumorale rapide lors de l'initiation de la chimiothérapie».
Uricolytiques 1. Rasburicase Posologie: Recommandations de la SFCE, en association à une hyperhydratation : Risque de syndrome de lyse tumoral faible : Rasburicase 0,2 mg/kg/j x 1j Risque de syndrome de lyse tumoral élevé : Rasburicase 0,2 mg/kg/j x 5j Effets indésirables Fièvre, nausées, vomissement (fréquents) Réactions allergiques (rasch, bronshospasme, choc anapylactique) Possibilité d anémie hémolytique en cas de déficit en G6PD Contre-Indication Hypersensibilité Déficit en G6PD