Savoir lire et comprendre une affiche politique : deux exemples sous le Front populaire autour du projet de la semaine des 40 heures. Programmes de 3e et de 1ère
1- Identifier et présenter les documents : Il s agit de présenter la nature et le type des documents, l auteur, la source et la date : -le document n 1 est une affiche politique réalisée par Peiros en mai 1936 pour la CGT et concerne la semaine des 40 heures. - le document n 2 est une affiche politique réalisée par Léon Blot pour «Ordre et Bon Sens» en mai 1936 et porte également sur la semaine des 40 heures.
Repérer les différents groupes ou parties sur l affiche : Ces différents groupes ou parties ont chacun leur signification mais sont étroitement liés ou complémentaires. Il s agit également de déterminer quel est le sens de lecture donc quelle partie demande d être d abord lue. On demande donc aux élèves de repérer en les entourant (s ils ont des photocopies) ces différentes parties et de dire par une simple phrase ce qu elles montrent. - Dans l affiche de Peiros, on distingue trois parties : L usine et le soleil levant Le mari et père ouvrier qui part au travail. Il est le lien entre le foyer et l usine mais aussi le principal concerné par le sujet de l affiche. L épouse et l enfant
- Dans l affiche de Léon Blot deux voire trois parties : Un ouvrier au bord du précipice, une main dans le dos représentant la SFIO et la CGT et de couleur rouge symbole du communisme, qui le pousse. Le soleil couchant, moment où s annonce l obscurité. Le précipice avec des mots annonciateurs de lendemains difficiles.
2-Expliquer chaque partie de l affiche : signification, message induit L explication demande à l élève de faire une description plus minutieuse des personnages, attitudes, objets, lieux, couleurs, formes, taille, symboles, emplacement etc.. et d en discerner le sens Rien n est choisi au hasard. Le tout cherche à divulguer un message et sans aucun doute, comprendre une affiche passe par la nécessité d une culture générale. - L affiche de Peiros L épouse et mère et son enfant. La mère n est pas celle qui part au travail: c est l image du foyer à une époque où le mari reste majoritairement celui qui pourvoit aux besoins de la famille. L épouse ici souhaite une bonne journée à son mari et donne ainsi l image d un foyer heureux et pour lequel le départ à l usine reste quelque chose de positif.
L ouvrier parfaitement identifié par son bleu de travail, une carrure qui veut montrer l aspect physique de son travail mais ici aussi une bonne santé. Curieusement, il part au travail à l usine avec le sourire et renvoie le salut à son épouse. On n a pas ici l image de l ouvrier harassé par un travail pénible, angoissé ou peu motivé à l idée d une journée à l usine. En arrière-plan, l usine noire, crachant la fumée. Une dimension qui peut paraître inquiétante car l usine garde l image d un lieu écrasant, faisant travailler la masse dans des conditions difficiles, celle des ouvriers qui s y épuisent pour des salaires de misère. Pourtant, cette image est annulée par l attitude de l ouvrier. C est finalement le soleil qui est cause de cette attitude : c est clairement un soleil levant sur lequel est inscrit 40 heures. Le soleil donne une dimension de joie et d optimisme mais c est parce qu il porte un message orienté vers les ouvriers puisque comme le soleil, ils sont ceux qui se lèvent tôt.
- L affiche de Blot Un ouvrier au bord d un précipice dans l attitude de quelqu un qui jette et qui va être poussé par une poing rouge menaçant sur lequel est inscrit SFIO (parti politique socialiste dirigé à l époque par Léon Blum) et CGT (syndicat proche du Parti communiste français, parti dont le modèle reste clairement la révolution russe de 1917). Le rouge renvoie au communisme, la SFIO et la CGT y sont tous les deux assimilés sans différences. On comprend ici clairement que SFIO et CGT, normalement défenseurs des intérêts des ouvriers, veulent plutôt sa perte. On peut prévoir ici une question demandant aux élèves de rechercher la définition au préalable de SFIO et CGT. Le précipice aux pointes acérées et dans lequel se trouve une multitude de mots tous plus inquiétants les uns que les autres. On comprend là qu ils sont causes de malheur pour l ouvrier au bord du précipice; sont d ailleurs mis en évidence les mots «chômage» et «misère». Le soleil sur lequel est inscrit «semaine de 40 heures». Ici, il s agit d un soleil couchant, brumeux, annonciateur de la nuit, de ténèbres. On comprend que l inscription est la cause de la situation terrible qui attend l ouvrier. Le soleil est donc ici la partie de l affiche qui sert de lien entre l ouvrier et le précipice.
3- Comprendre le message véhiculé par ces deux affiches La description détaillée va permettre de comprendre le message exact que chaque affiche veut divulguer à ceux qui les regarderont. -l affiche de Peiros Cette affiche défend clairement la semaine de 40 heures au lieu des 48 (soit 6 jours travaillés par semaine). Rien de surprenant puisque cette affiche à été réalisée sur demande de la Confédération Générale du Travail (CGT), syndicat qui défend les intérêts des ouvriers (hausse de salaire, amélioration des conditions de travail). Reprenons l entête de l affiche : la CGT explique que le passage à la semaine de 40 heures aura des effets très positifs pour les ouvriers. Il faut donc ici mettre en lien l entête avec le reste de l affiche : l ouvrier «sera libéré de l inquiétude et de la misère engendrées par le chômage» il part au travail avec le sourire car il sait assurer la subsistance de sa famille (d où la femme et l enfant). Quel est donc le rapport entre l abaissement du temps de travail et celui du taux de chômage? Pour la CGT, si les ouvriers travaillent 8 heures de moins par semaine et que le patron ne veut pas néanmoins réduire sa production, il sera obligé d embaucher. Cela provoquera donc une baisse rapide du chômage. Les avantages ne s arrêtent pas là : l ouvrier part au travail avec le sourire car travailler 40 heures c est obtenir deux jours de repos hebdomadaires. L ouvrier mieux reposé est aussi plus motivé.. C est aussi un ouvrier qui passe plus de temps en famille et celle-ci ne voit plus l usine comme un lieu négatif, celle qui épuise les corps et le moral : d où ce au revoir adressé par l épouse et son enfant.
-l affiche de Léon Blot On comprend assez vite que cette affiche, à l inverse de la première est contre la semaine des 40 heures. Elle a été réalisée pour «Ordre et Bon Sens» désignation qui cache les opposants de droite et patronaux à toute nouvelle restriction du temps de travail hebdomadaire. Pourtant, l affiche semble s adresser aux ouvriers et leur parle de mirage en bas à gauche(d où le soleil trouble). Curieusement, ce sont la CGT et la SFIO (et derrière elles le communisme international), pourtant les défenseurs attitrés des ouvriers, qui sont accusés d être les auteurs de ce mirage qui affectera les ouvriers : en effet, la main pousse l ouvrier dans le précipice donc à sa perte. On en arrive aux mots dans le précipice qu il faut s efforcer de mettre en ordre; ils sont tous une conséquence négative des 40 heures: - «prix de revient majorés» et «vie plus chère» : les patrons devront répercutés le coup du passage aux 40 heures (sans baisse de salaire) et des nouvelles embauches sur les prix de vente. Cela affectera donc le pouvoir d achat des ouvriers - d où la «mévente», la baisse de la consommation qui entraînera la chute de la production - «bien-être amoindri», «chômage», «misère» : les patrons compenseront les pertes par des licenciements entraînant chômage et misère ouvrière. Le mirage est donc là : c est de faire croire que la semaine des 40 heures favorisera le bien-être et la lutte contre le chômage alors que d après cette affiche, c est tout le contraire qui se produira. L affiche de Léon Blot est une réponse point par point à l affiche de Peiros.
4- Le contexte Pour comprendre ce genre de documents, il faut se plonger dans le contexte économique, social et politique de mai 1936. La situation économique et sociale est au plus mal (on peut le démontrer par un graphique mettant en parallèle chute de la production et hausse du chômage) La production industrielle ne cesse de baisser entraînant une hausse du chômage considérable puisque l on compte 1 million de chômeurs en 1936 et même 50% d ouvriers en travail partiel. Les revenus des salariés ont chutés de plus de 15% en 1936, et les classes moyennes ne sont pas mieux loties (d où une forte adhésion à des mouvements d extrême-droite). La paupérisation progresse donc de manière inquiétante. Or, la situation est aggravée par une absence totale de concertation sociale entre patrons et la CGT -pour les patrons, ni l Etat ni (et encore moins) les syndicats n ont à intervenir dans la gestion humaine de l entreprise (conditions de travail, salaires, temps de travail). La CGT est perçue comme un suppôt du communisme international avec lequel, il n est pas question de discuter. D ailleurs, les ouvriers syndiqués où trop ouvertement à gauche risquaient le licenciement et ce malgré le droit syndical (qui date de 1884) que peu de patrons reconnaissent -pour la CGT, le patron est perçu comme systématiquement hostile aux intérêts ouvriers qu il exploite. Certes, la CGT rêve du grand jour de la grève générale, de la paralysie totale qui permettra aux ouvriers de s affirmer sur les patrons : cette perspective n allait pas mettre le patronat en confiance.
Le contexte politique En mai 1936 doivent se tenir les élections législatives. Or, c est une période de perte de confiance envers la politique pour beaucoup de Français : l incapacité des gouvernements à résoudre la crise économique et sociale depuis 1931 explique la forte instabilité gouvernementale puisque l on comptera jusqu à 15 changement de gouvernement de 1932 à juin 1936. D où la prolifération des discours d extrême-droite contre l incapable démocratie et ses parlementaires (le texte de «Solidarité française» est une bonne illustration). C est dans ce contexte que naîtra le Front populaire, alliance politique d abord entre la SFIO et le PCF en juillet 1934, rejoints en 1935 par le Parti radical. Léon Blum n a guère de sympathie pour le PCF qu il juge trop sectaire et trop attaché à une URSS dont il connaissait déjà l absence totale de démocratie. Pour le PCF, la SFIO reste un parti bourgeois. Néanmoins, le poids politique du PCF n est pas négligeable pour la SFIO et pour ces deux partis comme pour le Parti radical ensuite, il s agissait de faire barrage aux menaces contre les libertés depuis la tentative de coup d Etat des ligues d extrême-droite en février 1934 (dont le CSAR ou «Cagoule» très largement financé par E.Schueller fondateur de l Oréal). Il s agit aussi de porter une solution d espoir à la terrible crise économique et sociale qui favorise d ailleurs le recours aux extrémismes. L affiche de Peiros vient bien dans cet état d esprit car elle porte une revendication défendue par le Front populaire avant même sa victoire électorale (à la différence d ailleurs des congés payés). La semaine des 40 heures est vue par Blum comme une solution possible au chômage. On comprendra vite pourquoi Blum cristallisera autant de haine et de rejet de la part des patrons comme de certains parlementaires et journalistes antisémites notoires (dont Xavier Vallat). La victoire obtenue, le gouvernement de Front populaire dirigé par Léon Blum fera adopter la semaine des 40 heures. Le week-end à l anglaise est né. Cela amènera Léo Lagrange ministre des loisirs et des sports (le premier du genre) à multiplier les mesures d éducation culturelle et sportive, à démocratiser l accès aux loisirs sains car il fallait occuper sainement le temps libre de tous ces ouvriers.
5- Usage pédagogique L intérêt est d abord de donner aux élèves une méthode de lecture et d interprétation d une affiche car aujourd hui encore elles sont fortement présentes dans notre paysage. L affiche est toujours une simplification et a pour but de délivrer un message percutant et rapide. Le danger est donc que cette simplification empêche une réflexion de fond. Il y a donc dans cet exercice un véritable outil de formation au sens critique du citoyen. Cependant, interpréter une affiche peut demander une solide culture générale pour comprendre les références de l affiche qu elles soient justes ou purement mensongères. Le contexte est indispensable pour comprendre ces documents. Il peut être donné avant l étude des affiches en partant d un graphique présentant l évolution de la production industrielle et du chômage, le texte de «Solidarité française» et terminer par un document illustrant la manifestation du 6février 1934 dans le contexte du scandale politico-financier Stavisky. Un effort de recherche et de réflexion peut être attendu par un élève de 1ère. Il peut ainsi s appuyer sur de précieux indices que les manuels fournissent en suffisance. Sur les affiches, on peut demander d abord aux élèves de 3e de rechercher la définition de «CGT», de réinvestir des connaissances de 4e concernant les conditions de vie ouvrières, la naissance des syndicats, les moyens de manifestation. La description de l affiche vient ensuite telle que indiquée dans les pages précédentes. Il s agit là de montrer aux élèves que les couleurs, les personnages, les mots, les lieux, les objets ont un sens, d où l intérêt de les repérer puis de les expliquer dans le détail. On peut guider cette description par un questionnaire en particulier en 3e si l on veut mettre en évidence certaines parties de l affiche. Il y a le sens premier, celui qui veut convaincre vite et celui qui demande d entrer dans le questionnement mais qui n est pas forcément attendu par celui qui réalise l affiche. Ainsi, une publicité doit convaincre vite de l intérêt d un produit pas d amener le consommateur à réfléchir sur le contenu du produit ou même sa réelle utilité. L affiche de Peiros défend un projet bénéfique pour l ouvrier mais ne pose pas la question de son impact dans un contexte économique difficile. Celle de Blot prétend s adresser à l ouvrier mais défend en réalité l intérêt des patrons et ignore un contexte sociale catastrophique. Au total, on peut amener l élève par une méthode et une description détaillée à percevoir et comprendre le message de tels documents, voire à en discerner les limites et les incohérences. On interroge l élève sur un thème qui le touche en premier lieu, car si ce thème appartient à l histoire, il nous rappelle qu aujourd hui le repos hebdomadaire (le week-end) va être remis en cause prochainement. S interroger par ces documents sur son passé social et ce qui en fut la cause doit faire prendre conscience que les meilleures acquisitions sociales sont toujours menacées.