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Transcription:

Les finances publiques québécoises 1 Germain Belzile 2 Au printemps 1998, le ministre des finances Bernard Landry déposait un budget prévoyant, pour l année financière 1998-1999, un déficit de $2,2 G 3. Or, pour la première fois en 40 ans, les finances publiques québécoises se sont avérées équilibrées. Et, selon le budget déposé en mars 1999, il devrait en être de même pour l année budgétaire 1999-2000. Ce résultat, qui permet de devancer d un an l objectif du déficit zéro, mettra-t-il le point final à plusieurs années de sacrifice pour les Québécois? L élimination du déficit budgétaire québécois En 1994, le gouvernement nouvellement élu de Jacques Parizeau héritait d un déficit budgétaire de $5,8 G. Ce déficit étant égal au service de la dette de l État québécois, le gouvernement finançait ses dépenses de programme avec l ensemble de ses revenus. Il devait cependant emprunter pour payer les intérêts sur sa dette, qui atteignait alors 43,5 % du PIB 4. La situation était intenable car, sans un redressement majeur, la dette menaçait d augmenter de façon 1 Publié dans l Annuaire du Québec 2000, Éditions Fidès. 2 Chargé de formation, Institut d économie appliquée, École des HEC. 3 G pour giga, ou milliard, alors que M représente million. 4 Ce nombre représente le ratio de la dette totale sur le PIB. Il est bon de noter qu il y a quatre définitions différentes de la dette d un État : la dette directe, la dette totale, la dette nette et la dette garantie. Ceci explique en partie les divergences entre les valeurs de la dette publiées dans les médias.

explosive. 5 En outre, le taux d endettement des Québécois était considéré par plusieurs comme beaucoup trop élevé : si l on ajoutait à la dette du Québec sa part de la dette fédérale, on dépassait allègrement la valeur du PIB. Il n existe pas de seuil maximum à ne pas dépasser, mais on peut noter que les pays de l Union Européenne ont fixé à 60 % ce critère lors des accords de Maastricht. Un endettement élevé ne peut à long terme que miner la crédibilité de l État, alors qu une part considérable des taxes et impôts ne sert pas à produire des biens et services, mais plutôt à financer les intérêts sur les emprunts. Il n est pas nécessaire d équilibrer le budget ou d obtenir des surplus pour diminuer le taux d endettement. En effet, toute croissance de la dette inférieure à la croissance du PIBnominal fera diminuer le ratio dette/pib. Comme le PIB croît en général de plus de 3 % par année, une augmentation de la dette de 1 ou 2 % (équivalant à un déficit de $750 M à $1,5 G) produirait une réduction du taux d endettement. La loi sur le déficit zéro, issue des sommets des partenaires économiques du printemps et de l automne 1996, correspond donc à un choix politique : celui de réduire rapidement le ratio dette/pib. 6 5 Lorsque le taux d intérêt moyen sur la dette est plus élevé que le taux de croissance du PIB nominal, un solde primaire égal à zéro conduit à une augmentation continue du ratio dette/pib. Un surplus primaire est alors essentiel pour stabiliser ce ratio. 6 Une réduction rapide du ratio dette/pib, par une forte augmentation du solde budgétaire, comporte des avantages et des inconvénients. Parmi les avantages, on peut citer l obtention rapide par le gouvernement d une plus grande marge de manœuvre, en raison de la chute du service de la dette, une amélioration de la cote de crédit et la possibilité de réduire les taxes dès l élimination du déficit. Les désavantages sont aussi nombreux : le mécontentement des contribuables recevant peu de services et payant beaucoup de taxes, et la réduction de la croissance économique (et la stagnation du chômage) causée par la politique budgétaire restrictive du gouvernement.

L assainissement des finances publiques a été rendu possible par une hausse des revenus autonomes du gouvernement, passés de 17 % du PIB en 1990-91 à plus de 18 % en 1997-98 7 et par une spectaculaire réduction des dépenses de programme, de 23 % du PIB en 1992-93 à 19 % en 1997-98. La forte baisse des transferts fédéraux (de 6,8 % du PIB en 1983-84, à 4,5 % en 1990-91 et à 3 % en 1997-98) causée, entre autres, par la lutte au déficit fédéral, a allongé de plusieurs années cet exercice. La loi sur le déficit-zéro fixait des plafonds de déficit pour chaque année financière : $3,275 G pour 1996-97, $2,2 G pour 1997-98, $1,2 G pour 1998-99 et $0 à partir de 1999-2000. Les cibles ont été atteintes pour les deux premières années, alors que le budget de 1998-99 est équilibré. Un meilleur résultat aurait été atteint en 1997-98, n eut été de la crise du verglas de janvier 1998, qui a affecté le solde budgétaire de $500 M. Le ministre Landry prévoyait un dépassement de la cible de $1 G en 1998-99. L atteinte plus rapide du déficit zéro est attribuable à une réduction du service de la dette de $806 M et à une hausse non-anticipée de $1164 M des revenus autonomes et de $1642 M des transferts du gouvernement fédéral 8. Cette manne inattendue d Ottawa a permis d augmenter de $1606 M les dépenses budgétaires, tout en atteignant le déficit zéro un an plus tôt que prévu. De fortes réinjections ont ainsi pu être faites en 7 La modification du cadre comptable, annoncée dans le budget précédent, rend périlleuse la comparaison de données budgétaires d avant 1997-98 avec celles de 1998-99. 1997-98 a été donc été choisie comme année de référence.

santé, le budget du ministère passant de $13 G en 1997-98 à $14,33 G en 1998-99, en éducation et dans les programmes du ministère de l Emploi, de la Solidarité et de la Condition féminine. Notons que la hausse des transferts fédéraux est ponctuelle et qu ils devraient diminuer de $1,1 G en 1999-2000. En supposant que le solde budgétaire demeure équilibré à partir de 1998-99, et en utilisant les hypothèses (conservatrices) sur la croissance du PIB nominal québécois contenues dans le budget 1999-2000, le ratio dette/pib devrait passer à 42,2 % en 1998-99, à 41,1 % en 1999-2000 et à 39,4 % en 2000-2001. Des nuages à l horizon L atteinte prématurée des objectifs budgétaires devrait cependant libérer les appétits de tous les groupes d intérêts de la société, donnant lieu à une surenchère de demandes auprès du gouvernement Bouchard. 8 Cette hausse des transferts fédéraux ne les augmente cependant pas jusqu à leur niveau de 1995-96.

Les grands équilibres du ministre Landry seront sans doute mis en péril, en premier lieu, par les renouvellements de conventions collectives des employés de l État. La grève illégale des infirmières de l été 1999 n est qu un prologue à une dure année pour le gouvernement. Après plusieurs années de compressions (qu ils ont vécues en première ligne, sous forme de réductions de salaires réels, de disparitions de postes et d augmentations de tâches), les syndiqués seront beaucoup plus gourmands cette année. Il sera très difficile pour le gouvernement Bouchard de faire accepter ses offres d augmentations de salaires de 5 % sur 3 ans. Un deuxième problème concerne la fiscalité. Alors que la ponction fiscale des gouvernements est de 40 % du PIB au Québec, elle n est que de 36 % ailleurs au Canada et de 32 % aux États-Unis 9. L écart entre les prélèvements au Canada et aux États-Unis peut être expliqué par l existence d un État plus actif au niveau de la santé et de la redistribution des revenus au nord du 49 ième parallèle. Le surplus d impôts de 4 % du PIB au Québec (plus de $7 G par année) se justifie moins facilement et contribue à réduire les dépenses des ménages, à encourager l exode des cerveaux et à ralentir la croissance. Il sera difficile d ignorer les demandes de réalignement de la fiscalité québécoise sur celle de ses voisins. Face à la grogne des contribuables québécois et aux réductions d impôts dans l Ontario de Mike Harris, le ministre Landry a promis une réduction du fardeau fiscal des particuliers de $1,3 G. Le budget 1999-2000 comporte, entre

autres, une première réduction d impôt de $400 M. Les taxes sur la masse salariale des PME sont aussi réduites de 37 %. Une commission parlementaire se penchera sur les réductions futures de taxes et d impôts. Finalement, l économie nord-américaine entreprend sa neuvième année de croissance ininterrompue. Avec un taux de chômage avoisinant les 4,5 %, les Américains sont susceptibles de connaître une poussée inflationniste. La Fed pourrait alors pousser les taux d intérêt US à la hausse, suivie, comme d habitude, par la Banque du Canada. Une hausse de nos taux d intérêt viendrait alourdir le service de la dette, qui compte actuellement pour 16 % des dépenses. Elle causerait aussi un ralentissement économique, réduisant les recettes fiscales et augmentant les transferts aux particuliers. Les ministres du gouvernement Bouchard devront faire preuve de persuasion et profiter d une bonne étoile, s ils veulent maintenir le cap sur leurs objectifs budgétaires en vue d un prochain référendum. 9 Les calculs sont disponibles de l auteur.

Le budget du Québec en perspective (en % du PIB) 1983-84 1990-91 1994-95 1997-98 Revenus autonomes 17 17,2 17,2 18,1 Transferts fédéraux 6,8 4,5 4,4 3 Revenus totaux 23,7 21,7 21,6 21,1 Dépenses de programme 23,4 20,8 21,6 19 Service de la dette 2,7 2,9 3,4 3,2 Dépense totale 26,1 23,6 25 22,2 Solde budgétaire -2,3-1,9-3,4-1,1 Dette totale 26,5 29,7 43,5 43,1 (52,3 selon le nouveau cadre comptable)