Anne-Sophie Bruno Doctorante à l Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines



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Le rôle de la Chambre de Commerce et d Industrie de Paris dans l attribution des cartes de commerçants étrangers aux migrants tunisiens dans les années 1970 et 1980 Anne-Sophie Bruno Doctorante à l Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines Ce travail porte sur le rôle de la Chambre de Commerce de Paris dans l attribution des cartes de commerçants étrangers à des ressortissants tunisiens 1. Depuis 1935, l exercice d une activité artisanale par un étranger est soumise à l obtention d une carte d identité spéciale d artisan, cette législation ayant été étendue en 1938 aux commerçants ; théoriquement, l inscription au registre du commerce est subordonnée à l obtention d une carte de commerçant étranger. Celle-ci est délivrée par la préfecture, après enquête. C est dans le cadre de cette procédure que les Chambres de Commerce et d Industrie sont amenées à donner, sur le plan professionnel, un avis consultatif, doublé d un avis des Chambres des Métiers pour les activités artisanales. La Chambre de Commerce de Paris a conservé toutes les demandes de cartes de commerçants examinées entre 1971 et 1981. L intérêt de cette source réside dans la richesse des renseignements collectés 2 mais aussi dans le fait que tous les dossiers sont conservés, que les demandes aient été acceptées ou refusées. Les Tunisiens, comme les ressortissants des autres ex-protectorats français, sont exemptés de la carte de commerçant étranger jusqu au 1er janvier 1978, en application de la circulaire du 12 décembre 1977. Les dossiers de Tunisiens conservés à la Chambre de commerce ne concernent donc que les immigrants les plus récents 3. A partir de cette date, les Tunisiens qui souhaitent ouvrir une entreprise doivent passer par cette procédure ; quant aux indépendants déjà installés, ils doivent faire régulariser leur situation et déposent également un dossier 4. Les avis émis par la CCIP s exercent dans un cadre législatif et réglementaire. D un point de vue général, le ministère de l industrie et du commerce précise que si la situation personnelle du candidat peut entrer en compte, les Chambres de Commerce doivent surtout considérer l ensemble du dossier du seul point de vue économique 5. Les rapporteurs de la Chambre de Commerce sont en effet contraints par un certain nombre de recommandations émanant de leur ministère de tutelle. Les raisons professionnelles qui peuvent motiver un avis défavorable de la part des chambres de commerce sont de plusieurs types : elles s appliquent lorsque l intéressé ne semble pas présenter de qualités professionnelles suffisantes, lorsque la profession envisagée par le demandeur est déjà très encombrée et n offre aucun intérêt économique pour le pays, lorsque l étranger possède déjà une carte de travailleur et désire, sans raison valable, exercer une profession commerciale, et enfin, lorsqu il s agit d un 1 Il s insère dans une thèse de doctorat sur les trajectoires professionnelles des migrants de Tunisie en France au XXe siècle,menée sous la direction de Catherine Omnès à l Université de Versailles Saint- Quentin-en-Yvelines. Je tiens également à remercier Noël Bonneuil, qui m a initié aux méthodes statistiques employées ici et sans lequel ce travail n aurait pas été possible. 2 Les renseignements concernent le candidat (état civil, adresse, activités professionnelles antérieures, passé migratoire, situation administrative, etc.), l entreprise (statut juridique, adresse du siège, domaine d activité, nombre d employés envisagés, extension géographique, capital social, associés, etc.) mais aussi le dossier lui-même (rapporteur, ordre du dossier, année, type de demande) 3 On peut faire l hypothèse que cette exemption jusqu à une date tardive ne constitue pas un biais très important dans le cas des Tunisiens, dans la mesure où cette migration est alors encore majoritairement récente, les principaux flux datant de la deuxième moitié des années 1960. 4 Les étrangers qui possèdent une carte de séjour de résident privilégié renouvelée sont exemptés de cette procédure. 5 Archives de la CCIP, III 4-44(4), Circulaire du ministère de l industrie et du commerce du 30 janvier 1953.

commerce ambulant 6. D autre part, il est recommandé aux rapporteurs de donner à priori un avis favorable aux extensions ou aux reprises 7. L enjeu de ce travail est de savoir si les avis émis par les rapporteurs de la CCIP répondent à des motifs purement professionnels, comme la législation le prévoit : il s agit ainsi de confronter les recommandations faites aux rapporteurs de la Chambre de Commerce à la pratique concrète d examen des dossiers. L analyse des demandes de carte de commerçant a également pour but de déterminer l impact du changement législatif de 1978 : dans quelle mesure l obligation de demander une carte de commerçant étranger constitue-t-elle un instrument de fermeture du travail indépendant pour les ressortissants tunisiens et quelles catégories de demandeurs sont les plus touchées par ce changement de législation? I. Méthode A. Le modèle de régression logistique Les dossiers de demandes de carte de commerçant étranger présentent une telle richesse de renseignements que les résultats sont difficilement interprétables par une analyse statistique descriptive. Est-ce que l avis défavorable émis pour une candidate à un commerce ambulant de textile est dû au caractère forain de son activité, au secteur choisi, au sexe de la candidate ou à un autre facteur? Les modèles de régression logistique permettent de déterminer la contribution de chaque variable explicative à la probabilité d avoir un avis favorable ou un avis défavorable 8. L intérêt de cette méthode est de mesurer le poids de chaque variable, toutes choses égales par ailleurs, càd après avoir contrôlé l effet des autres variables. Une fois pris en compte l effet du secteur, du type de demande, le sexe joue-t-il encore un rôle dans l avis émis par le rapporteur, et, si oui, dans quel sens? En d autres termes, est-ce que la probabilité d avoir un avis favorable est plus grande que celle d avoir un avis défavorable pour un homme ou pour une femme, dans le secteur textile ou dans l alimentation,...? Le tableau 1 présente les résultats de l analyse de régression logistique menée sur les avis de la CCIP. Les coefficients présentés en première colonne permettent de mesurer l effet et le sens de chaque variable sur la probabilité d avoir un avis favorable. Le modèle utilisé permet une réflexion en terme de variables et non en terme d individus. Si le fait d être ambulant donne une probabilité plus faible d obtenir un avis favorable que le fait d être un commerçant sédentaire, cela ne signifie pas pour autant que tous les candidats à un commerce ambulant obtiennent un avis défavorable. Il est donc intéressant de combiner cette approche statistique en terme de variables avec une approche plus micro-analytique des cas individuels pour voir comment les variables isolées dans l analyse statistique se combinent concrètement dans l examen des dossiers. B. Constitution de l échantillon Pour analyser les demandes de cartes de commerçants déposées par des Tunisiens, un échantillon aléatoire de 240 dossiers a été constitué parmi les dossiers conservés par la Chambre de Commerce et d Industrie de Paris de 1971 à 1981 9. Si l analyse statistique descriptive repose sur un principe de représentativité, le modèle logistique cherche, lui, à étudier la variabilité. Les catégories présentant des caractéristiques a priori différentes des autres sont donc particulièrement intéressantes à étudier. Or, l échantillon aléatoire ne permet pas d étudier certaines sous-catégories importantes, comme les femmes, les candidats à une entreprise du bâtiment ou à une horlogerie-bijouterie, ainsi que les originaires de Ghomrassen, ville du sud-est tunisien. En effet, l échantillon aléatoire ne comporte que 6 Archives de la Chambre de Commerce et d Industrie de Paris, désormais CCIP, Cote III 4-44(4), note de la Commission du Commerce et de l Industrie du 19 janvier 1951, envoyée aux membres de la CCIP. 7 Archives de la CCIP, III 4-44(4), Circulaire du ministère de l industrie et du commerce du 30 janvier 1953. 8 Voir en annexe la présentation de la méthode et l interprétation des résultats ainsi que le détail des variables codées. 9 Le registre de demandes comporte 710 entrées correspondant à des demandes faires par des Tunisiens, ce qui correspond à 650 individus distincts, certains déposant plusieurs dossiers. Le tri aléatoire de 250 dossiers a permis de retrouver 240 dossiers, soit un échantillon de près d un dossier sur trois.

21 femmes, c.-à-d. moins de 9%. Dès que l on croise cette variable du genre avec une autre, les effectifs sont trop faibles pour permettre l analyse. De même, sans ajouter les candidats relevant du bâtiment, de l horlogerie-bijouterie ou de la restauration, on se condamne à ne pas étudier l effet du secteur puisque à eux seuls l alimentation et le textile représentent 70% des dossiers de l échantillon aléatoire. Les artisans de l horlogerie ou du bâtiment, ainsi que les restaurateurs ghomrassni, ont-ils un profil différent des profils majoritaires? Les dossiers relevant de ces quatre catégories ont donc été saisis dans leur totalité, afin de les intégrer à l analyse sans introduire de biais. L analyse porte ici uniquement sur les premières demandes déposées par les Tunisiens de l échantillon, soit 316 dossiers. Elle exclut les cas plus complexes de dossiers présentés parallèlement par deux candidats pour une même entreprise, les dossiers présentés par un même candidat pour plusieurs entreprises, ainsi que les secondes ou troisièmes candidatures 10. B. Résultats Tableau 1 : Résultats du modèle de régression logistique Variables Coefficients Std. Error z value Pr(> z ) significativité (Intercept) 0.88312 2.51685 0.351 0.725677 alimentation 3.06328 1.58876 1.928 0.053843. restauration 1.66988 1.57951 1.057 0.290414 textile cuir habillement 7.40289 2.29702 3.223 0.001269 ** autres artisans 0.26997 1.59576 0.169 0.865657 autres commerces 2.82412 1.85569 1.522 0.128041 mixte 3.33334 2.14536 1.554 0.120246 services 2.69378 1.42755 1.887 0.059161. ambulant -3.83694 0.99034-3.874 0.000107 *** statutcapital 1-2.16474 0.71046-3.047 0.002312 ** statutcapital 3-0.87080 0.63844-1.364 0.172582 statutcapital 5-1.26345 0.79370-1.592 0.111419 statutcapital 4-1.08504 0.79589-1.363 0.172790 diplôme français 3.32985 1.15465 2.884 0.003928 ** expérience à l'étranger 0.57734 0.85757 0.673 0.500802 carrière 1 4.19334 1.28456 3.264 0.001097 ** carrière 2 3.43024 1.25340 2.737 0.006205 ** carrière 3 3.51437 1.14988 3.056 0.002241 ** carrière 5 2.87561 1.11507 2.579 0.009912 ** carrière 6 2.38207 1.19324 1.996 0.045901 * situation familiale 1-0.18781 0.66369-0.283 0.777192 situation familiale 2 8.01625 3.05429 2.625 0.008675 ** situation familiale 4 1.09988 1.19797 0.918 0.358557 situation familiale 5 7.40719 4.02796 1.839 0.065924. nombre d'enfants 0.21316 0.17103 1.246 0.212653 situation familiale 2*nbenfants -2.45276 0.84237-2.912 0.003594 ** situation familiale 4*nbenfants -0.09729 0.32238-0.302 0.762800 situation familiale 5*nbenfants -1.94468 1.00290-1.939 0.052495. arrivéefrance 1-0.12712 1.62600-0.078 0.937686 arrivéefrance 3-3.29714 1.31045-2.516 0.011868 * arrivéefrance 4-1.95337 1.47311-1.326 0.184835 arrivéefrance 5-3.92115 1.93369-2.028 0.042579 * duréeprésence -0.26869 0.09493-2.831 0.004647 ** arrivéefrance 1*duréeprésence 0.14549 0.13270 1.096 0.272924 arrivéefrance 3*duréeprésence 0.34478 0.12403 2.780 0.005441 ** 10 Ce choix permet de satisfaire à la condition d indépendance entre les événements étudiés.

arrivéefrance 4*duréeprésence 0.19385 0.13030 1.488 0.136821 arrivéefrance 5*duréeprésence 0.45130 0.19040 2.370 0.017778 * sexe F -1.55129 0.61673-2.515 0.011892 * rapporteur 3-6.06245 2.38279-2.544 0.010951 * rapporteur 2-4.84988 2.39508-2.025 0.042874 * rapporteur 11-2.57179 1.56722-1.641 0.100799 rapporteur 4-15.04811 11.53272-1.305 0.191954 rapporteur 6-6.35266 2.32643-2.731 0.006321 ** rapporteur 1-5.94992 2.44423-2.434 0.014922 * rapporteur 7-3.23840 1.95236-1.659 0.097175. rapporteur 8-7.62916 2.48294-3.073 0.002122 ** rapporteur 9-3.45371 2.13666-1.616 0.106006 rapporteur 14-2.37919 1.48233-1.605 0.108486 rapporteur 10-0.66517 1.50382-0.442 0.658259 rapporteur 12 6.33757 13.50046 0.469 0.638760 rapporteur 13-2.74452 1.39911-1.962 0.049807 * Significativité : (***) significatif à 0,1% près, (**) significatif à 1% près, (*) significatif à 5% près. II. La pratique d examen des dossiers Sur 316 dossiers étudiés, 212 obtiennent un avis favorable du rapporteur de la CCIP, soit un tiers des demandes. Quels critères motivent les avis émis? A. L intérêt pour l économie nationale La notion d intérêt pour l économie nationale mentionnée dans les recommandations du ministère de l Industrie et du Commerce est difficile à interpréter, faute de définition précise. Plusieurs types de variables sont associés, dans les avis des rapporteurs, à l argument de l absence d intérêt pour l économie nationale. Ce vocabulaire est employé de façon systématique lorsqu il s agit de commerces ambulants, dont on a vu qu il s agissait d un critère suffisant pour justifier un avis défavorable. Ainsi, demander la création d un commerce ambulant donne, à dossier égal, 46 fois moins de chance d obtenir un avis favorable que lorsqu il s agit d un commerce sédentaire 11. Les raisons de cette hostilité à l égard du commerce ambulant sont-elles liées au fait que les forains ne paient pas de taxe professionnelle? Le terme intérêt pour l économie nationale est également fréquemment employé, dans les avis, en cooccurrence avec la notion de saturation ou d encombrement de la profession, càd du secteur d activité. Cette variable joue un rôle significatif dans la probabilité d obtenir un avis favorable. Le bâtiment 12 apparaît comme le secteur le plus nettement défavorable, les demandes formulées dans cette activité ayant, à dossier égal, 1760 fois moins de chance d aboutir à un avis favorable que les demandes formulées dans le textile. Le fort effet négatif du secteur du bâtiment témoigne de la grave crise économique qui affecte ce secteur à la fin des années 1970 : la CCIP prononce ainsi un avis défavorable pour les deux tiers des demandes déposées dans le bâtiment. La situation de marasme économique est d ailleurs fréquemment évoquée par les rapporteurs : sur 16 avis défavorables émis dans ce secteur, seuls deux ne font pas références aux difficultés actuelles des professions du bâtiment, mais à la qualification du requérant. Parmi ces 14 références à la crise sectorielle, cinq avis motivent explicitement leur refus par la volonté de ne pas favoriser l installation d artisans étrangers. Les rapporteurs de la Chambre de Commerce, représentants patronaux élus par les employeurs dans le cadre de leur fonctions syndicales, mais aussi chefs d entreprise soumis eux mêmes à la concurrence, agissent ainsi en défenseurs des intérêts de leur communauté professionnelle. 11 Voir méthode de calcul en annexe : le odds ratio est égal à 1/e -3,83694 =1/0,0215=46,51. 12 Etant le secteur de référence, le bâtiment n apparaît pas dans le tableau, puisque son coefficient est fixé à 0.

La situation de crise semble d ailleurs attestée par le pourcentage de candidats de ce secteur qui sont au chômage au moment du dépôt de leur dossier : 39% d entre eux sont en effet demandeurs d emploi, alors qu en moyenne, ce phénomène ne concerne que 9% des candidats de l échantillon aléatoire. Cependant, dans les avis des rapporteurs de la CCIP, la référence au chômage des candidats (6 cas) est équivoque. Trois dossiers établissent un lien de cause à effet entre la crise et le chômage du candidat, précisant que les difficultés actuelles du bâtiment sont attestées par la situation de demandeur d emploi de l intéressé. Mais dans les trois autres dossiers, ce lien de cause à effet disparaît. La crise sectorielle et le chômage du candidat constituent deux arguments distincts ; la situation de chômeur du candidat n est pas évoquée pour son rôle de révélateur de la crise, mais en relation avec la situation des entreprises françaises, [qui] recherchent des ouvriers qualifiés. Le rapporteur de la Chambre de Commerce à l origine de ces avis juge le bien-fondé du changement de statut en fonction de sa propre position d employeur, cherchant à maintenir dans le salariat une main-d œuvre qualifiée qui fait défaut. La mention un ouvrier qualifié, en lisant simplement les petites annonces, trouve[rait] à s employer est cependant supprimée du bordereau final envoyé à la préfecture et transformé en l intéressé, inscrit à l ANPE, devrait facilement trouver un emploi salarié. Ce contrôle exercé sur la création d entreprise par un étranger constitue donc un réel handicap, le travail indépendant jouant, en période de crise, un rôle de refuge pour les ouvriers qualifiés. On peut aussi rattacher à la notion d intérêt pour l économie nationale le type d entreprise. L analyse statistique permet de voir quelles formes d entreprise sont jugées plus intéressantes que d autres pour l économie nationale. Le type d entreprise a ainsi codé en cinq catégories : 1) les entreprises en nom propre créées avec moins de 10 000 F de capital (désigné par statutcapital1) ; 2) les entreprises en nom propre créées avec un capital de 10000F à 20000F (statutcapital2, qui sert de référence) ; 3) les entreprises en nom propre ayant un capital supérieur à 20000F, et qui pourraient donc se constituer en société (statutcapital3) ; 4) les sociétés, auxquelles la législation fixe un capital social minimum de 20000F pour les SARL et de 100 000 F pour les SA ; 5) les entreprises en nom propre dont le capital social n est pas précisé (statutcapital5). La situation qui joue dans le sens le plus défavorable est le cas des entreprises en nom propre créées avec moins de 10000F de capitaux, qui ont entre 8 et 9 moins de chances d avoir un avis favorable que les entreprises de type 2. 7% des avis défavorables font ainsi référence à la faiblesse voire à l absence de capitaux. La forme de l entreprise joue donc un rôle, mais seulement pour les entreprises les plus faiblement dotées en capital. Ce résultat, mis en parallèle avec l effet négatif du commerce ambulant, montre les réticences des rapporteurs de la CCIP à l égard des très petites entreprises. En revanche, cette attitude n a pas pour corollaire une bienveillance particulière à l égard des formes sociétaires, puisque le fait de constituer une société plutôt qu une entreprise en nom propre n a pas d effet significatif. De la même façon on ne note pas une probabilité plus grande d obtenir un avis favorable lorsqu on constitue une entreprise en nom propre avec des capitaux élevés, puisque la situation 3 (statutcapital3) n a pas un coefficient significatif. Enfin, on constate que, dans la pratique, la consigne de favoriser les reprises et les modifications ne constitue pas une priorité des rapporteurs, puisque le type de demande (création, reprise, régularisation ou modification) n a aucun effet statistiquement significatif sur la probabilité d obtenir ou non un avis favorable, une fois retiré l effet des autres variables 13. Outre l intérêt pour l économie nationale, les recommandations pour l application de la réglementation faisaient référence à la qualité professionnelle du requérant. Quelle interprétation les rapporteurs de la CCIP font-ils de cette notion? B. La qualification professionnelle Plusieurs éléments du dossier peuvent relever de la qualité professionnelle, comme la mention d un diplôme français (CAP, diplôme universitaire), ou celle de l exercice d une activité professionnelle dans 13 Cette variable n est donc pas présentée dans le tableau.

le secteur de la demande à l étranger (en Tunisie, en Algérie, en Israël, au Canada, etc.) avant l arrivée en France. L analyse de régression logistique montre que la mention d un diplôme français dans le dossier constitue un atout considérable pour l obtention d un avis favorable puisque la probabilité d avoir un avis favorable est 27 fois plus élevée quand le candidat possède un diplôme français que lorsqu il n en possède pas. Cette importance accordée au diplôme français est d autant moins étonnante que la Chambre de commerce est très attachée à la formation professionnelle et technique et prend part activement à cette formation par le biais des écoles qu elle gère. A contrario, le fait d avoir une expérience du secteur à l étranger ne modifie pas la probabilité d avoir un avis favorable, ni dans un sens ni dans l autre 14. Cette variable n est pas prise en compte de façon significative par les rapporteurs de la CCIP. Certains avis exposent explicitement les raisons pour lesquelles l expérience à l étranger n est pas prise en considération. Ainsi un Tunisien originaire de Djerba, vendeur dans une alimentation familiale en Algérie, et arrivé en France depuis quelques mois, dépose une demande de reprise pour une alimentation générale. Le refus fait état du fait que le candidat ne possède pas une expérience satisfaisante du commerce tel qu il se pratique en France ; le justificatif professionnel est jugé non valable car établi en Algérie, ce qui ne prouve pas les compétences du requérant à exercer en France. Les rapporteurs de la CCIP jugent donc la qualification essentiellement en fonction de référents nationaux, ce qui pose problème dans le cas de migrants étrangers dont la formation, scolaire et professionnelle, s est le plus souvent effectuée ailleurs qu en France. En dehors du diplôme, le principal critère professionnel pris en compte est l activité professionnelle exercée depuis l arrivée en France. Cinq types de carrières ont été distingués. Le premier type de carrière (carrière 1) s applique aux candidats qui ont travaillé dans le secteur de la demande à la fois comme salarié et comme indépendant. Le second type de carrière (carrière 2) désigne les parcours d individus ayant déjà une expérience du secteur en tant que commerçant ou artisan, sans y avoir travaillé comme salarié auparavant. Les carrières de type 3 caractérisent une expérience salariée du secteur, même si cette expérience n a duré que quelques mois. Les carrières de type 4 s appliquent à des individus qui n ont jamais travaillé comme salariés dans le secteur de la demande, mais qui ont déjà ouvert une entreprise, dans un autre secteur. Ils n ont donc aucune expérience du secteur, mais connaissent déjà le travail à leur compte, ce qui les différencient des carrières de type 5, qui n ont travaillé que comme salariés, toujours dans un autre secteur. Enfin les carrières de type 6 désignent des individus n ayant jamais exercé aucune activité professionnelle en France, qu il s agisse de candidats, des femmes le plus souvent, venus en France dans le cadre du regroupement familial et n ayant encore jamais travaillé, ou d individus souhaitant ouvrir un commerce dès leur entrée en France. La hiérarchie établie en fonction de la carrière antérieure montre une préférence des rapporteurs de la Chambre pour les candidats ayant déjà travaillé dans le secteur de leur demande (les carrières 1 à 3 étant plus favorables que les carrières 4 à 6). En revanche, si l on prend en compte non plus le critère du secteur mais le statut salarié ou indépendant la hiérarchie des préférences est plus complexe à analyser. Pour un individu ayant déjà travaillé comme salarié dans le secteur de la demande (carrières 1 et 3), le fait d avoir été en outre déjà commerçant ou artisan (carrière 1) double sa probabilité d avoir un avis favorable. En revanche, la situation d indépendant n ayant jamais travaillé auparavant comme salarié dans le secteur (carrière 2) est moins favorable que les deux situations précédentes. Le principal critère semble donc être moins le travail indépendant que le travail salarié dans le secteur choisi. Plus encore, l analyse statistique fait ressortir la carrière 4 comme la plus défavorable 15 : de façon étonnante, il est préférable de n avoir jamais travaillé en France que d avoir déjà ouvert une entreprise dans un secteur différent de celui de la demande, puisque, à dossier égal, le candidat qui n a jamais exercé d activité professionnelle en France a 10 fois plus de chance d obtenir un avis positif que s il avait travaillé comme salarié et indépendant dans un autre secteur que celui de la demande. Les passages d une activité à l autre concernent les passages de l alimentation à la restauration ou aux services (laverie automatique), de la restauration au textile, des services (coiffure) à l alimentation, ou les passages, au sein du même domaine, entre activités distinctes, comme celui de la pâtisserie à la 14 En effet, cette variable, présentée dans le tableau, n a plus aucune significativité une fois qu on a introduit les autres variables. 15 La carrière 4 est la carrière de référence. Par rapport à elle, tous les autres coefficients sont significatifs et positifs.

boucherie, ou du commerce de linge à la confection. L attitude défavorable des membres de la Chambre de Commerce à l égard des ces profils d entrepreneurs peut s interpréter comme un réflexe de défense de la profession, le passage d un secteur à un autre étant jugé comme le signe d un manque d ancrage dans le secteur et comme l absence de prise en compte par le candidat des spécificités de la profession défendue. Il est également possible que les rapporteurs interprètent ce changement de secteur d installation comme le résultat d un échec, les candidats étant alors considérés comme inaptes à la fonction de chef d entreprise. A la lecture des avis, il semble cependant qu il faille privilégier la première hypothèse. Sur les 12 avis concernant des candidats ex-indépendants d un autre secteur, 9 sont des avis défavorables. Tous les avis négatifs, sauf un, mentionnent l absence de compétence professionnelle, précisant souvent pour le secteur de la demande. Un des avis négatifs concerne un serrurier ayant déjà obtenu une inscription au registre du commerce pour un commerce ambulant de textile, et déposant un dossier pour une entreprise de serrurerie. L avis défavorable est motivé par l absence de compétence professionnelle alors que, dans le même temps, la Chambre des Métiers a jugé que le diplôme et l exercice de la profession de mécanicien ajusteur constituait la preuve d une qualification suffisante. Mais surtout le rapporteur lui dénie même la possibilité d acquérir la qualification professionnelle de serrurier. L avis se clôt sur le risque de confusion entre activités, le rapporteur jugeant que l activité demandée relèv[ait] plutôt de la quincaillerie que de la serrurerie. Aux yeux du rapporteur, la qualification professionnelle du requérant, satisfaisante pour la quincaillerie, est en revanche jugée insuffisante pour la profession dont le rapporteur défend les intérêts. La défense de la profession conduit donc les rapporteurs à privilégier les carrières les plus continues (carrières 2 et 3), dessinant ainsi une figure de candidat idéal au poste de chef d entreprise, celle de l ouvrier accédant à l indépendance après une carrière salariée dans le secteur. A contrario, les carrières discontinues constituent un handicap. Les trajectoires de déqualification peuvent également être interprétées par les rapporteurs comme une discontinuité. Ainsi, un candidat dont le dossier comporte tous les éléments conduisant à un avis favorable voit sa demande rejetée par la CCIP. Le requérant possède pourtant un diplôme français (un certificat de FPA dans la plomberie), il a déjà travaillé dans le secteur comme salarié et comme indépendant (carrière 1, la plus favorable) et il est marié avec une Française, avec laquelle il a eu trois enfants. Le motif de refus ( avis défavorable pour références professionnelles insuffisantes ) se comprend donc mal au regard du diplôme et de la carrière du candidat. Cet homme, arrivé en France en 1955 à l âge de 18 ans, a d abord travaillé pendant 10 ans comme plombier salarié avant d ouvrir sa propre entreprise artisanale, pendant 4 ans. Après cette expérience, il retrouve jusqu au milieu des années 1970 différents emplois de plombier salarié, entrecoupés de périodes de chômage plus ou moins longues. La dernière séquence de chômage est suivie d une déqualification professionnelle, puisqu au moment de la demande, le candidat est plongeur dans la restauration depuis plus de cinq ans. Il semble donc que ce soit cette longue coupure avec le domaine de qualification qui incite le rapporteur à donner un avis défavorable. L argument de la discontinuité 16 l emporte donc sur tous les éléments favorables du dossier dans cet exemple de déqualification professionnelle. Si l élément de discontinuité joue dans les cas de déqualification, il joue a fortiori encore plus pour les individus qui n ont jamais travaillé dans le secteur de leur demande. L exemple des création de commerces alimentaires ambulants examinées par le même rapporteur le montre. Du point de vue des éléments professionnels, les dossiers présentés par ces candidats ne sont pas dans la configuration la plus favorable, puisqu il s agit dans tous les cas de petits commerces ambulants en nom propre, créés par des candidats n ayant aucun diplôme français. Sur 9 demandes, 6 obtiennent un avis défavorable ; les refus font tous état de l absence de qualification pour exercer une profession déjà saturée. L examen des dossiers permet d expliciter le sens donnée à absence de qualification. C est en effet le type de carrière précédemment effectuée qui constitue le critère de distinction entre ces dossiers et qui permet de compenser l effet très négatif du caractère ambulant : tous les avis défavorables sont émis pour des candidats qui n ont jamais travaillé comme indépendant ou comme salarié dans l alimentation (carrières de type 4 ou 5) tandis que les trois avis favorables sont obtenus par les candidats ayant déjà une connaissance du secteur, comme salarié ou commerçant (carrière de type 2 ou 3). Les candidats 16 Cette variable n a pu être introduite dans l analyse statistique, la carrière étant le point le plus mal renseigné dans les dossiers. Certains mentionnent chaque séquence d emploi, au jour près, d autres se contentent de mentionner les années, d autres enfin ne mentionnent que la succession des emplois, sans autre précision.

dont le dossier est rejeté par la CCIP travaillent en France depuis la fin des années 1960 ou le début des années 1970, le plus souvent comme ouvriers non qualifiés de l industrie ou des services, à des postes de cariste, d ouvrier nettoyeur, de manœuvre, de cuisinier ou de chauffeur livreur. La création d un commerce alimentaire est considérée par les rapporteurs de la CCIP comme une rupture non justifiée dans leur trajectoire professionnelle et fait l objet d un avis défavorable. En revanche, les trois avis favorables sont émis pour des candidats dont la création d entreprise s inscrit en continuité avec leur activité antérieure. L expérience du secteur, parfois très courte (quelques mois), permet de justifier d une qualification professionnelle suffisante pour l obtention d un avis favorable. La trajectoire antérieure constitue donc un élément important de l examen des dossiers. Ceci à une incidence importante sur la possibilité de s installer à son compte pour un travailleur étranger. Avant 1978, les Tunisiens n ayant jamais travaillé dans l alimentation pouvaient en toute liberté ouvrir leur commerce : les individus de l échantillon présentant une carrière de type 2 (ceux qui ont déjà ouvert un commerce dans le secteur alimentaire, sans avoir auparavant travaillé dans ce secteur comme salarié) en sont l illustration. Après 1978, les nouveaux venus du secteur sont désormais dans une situation défavorable par rapport à leurs prédécesseurs, puisque leur méconnaissance du secteur est susceptible de constituer un élément défavorable dans leur dossier. Or, les nouveaux venus sont très nombreux parmi les commerçants étrangers, en particulier dans l alimentation. Sur les 289 dossiers de l échantillon qui permettent de reconstituer la carrière antérieure 17, 43,5% n ont jamais travaillé dans le secteur de leur demande. Le pourcentage de nouveaux venus est encore plus fort dans l alimentation, où il s élève à 60%. Les carrières discontinues sont donc particulièrement nombreuses parmi les Tunisiens de l échantillon. Pour les nouveaux venus, l obligation d obtenir une carte de commerçant étranger constitue un barrage important dans l accès au travail indépendant, d autant plus important que l alimentation représente 45% des demandes de l échantillon examiné ici. Le fait que la qualification professionnelle soit jugée à la seule mesure des normes françaises, celle du diplôme français ou de la carrière suivie en France, laisse ainsi peu de place à d autres modes de transmission du savoir-faire professionnel, par la famille ou l entourage. Dans les autres secteurs, le critère de la carrière est moins déterminant puisque l ancienneté dans le secteur est plus répandue. Quels sont alors les éléments professionnel qui entrent en compte dans l émission d un avis par le rapporteur? Dans le cas du bâtiment, qui est, on l a vu, le secteur où la probabilité d obtenir un avis favorable est la plus faible, les critères professionnels en jeu ne s énoncent pas en terme de carrière, puisque tous les candidats ont déjà travaillé comme salarié et/ou indépendant dans ce secteur (carrières de type 1, 2 ou 3). Quels sont donc les éléments qui expliquent que, malgré le fort effet négatif du secteur, le tiers des candidats (8 cas sur 24) à une entreprise du bâtiment obtiennent un avis favorable de la CCIP? les variables explicatives sont la mention d un diplôme français ainsi que la situation familiale. Trois avis favorables sont formulés pour des dossiers qui allient un diplôme français (de type CAP ou certificat de Formation Professionnelle pour Adultes) et une situation familiale de type 2 (au moins un membre français dans le ménage) avec un ou deux enfants ; deux cas satisfont seulement à la condition de diplôme et deux à la seule situation familiale. Le cas du bâtiment montre ainsi que les critères de qualification jouent rarement seuls, mais qu ils sont souvent couplés à la situation personnelle du requérant. C. La situation personnelle Parmi les variables qui jouent un rôle significatif sur la probabilité d avoir ou non un avis favorable figure la situation familiale du candidat. Il est intéressant de noter que la situation matrimoniale seule ne joue pas de rôle en soi, mais qu elle ne produit un effet que lorsqu elle est couplée à la nationalité des membres du ménage et au nombre d enfants 18. La situation familiale a ainsi été codée en cinq catégories. La situation familiale de type 1 désigne les individus célibataires, sans enfants. La situation 17 Certains candidats, en particulier ceux qui sont déjà commerçants et demandent un renouvellement, une extension ou l ouverture d une nouvelle entreprise, ne jugent pas nécessaire de mentionner le détail de leur carrière antérieure, ce qui rend l analyse de leur trajectoire professionnelle impossible. 18 Les modèles introduisant de façon séparée, additive, la situation matrimoniale - célibataire, marié ou autre -, la nationalité des membres, et le nombre d enfants ne mettaient en valeur aucun rôle significatif de ces variables, qui ne jouent que lorsqu elles sont couplées.

2 désigne des individus mariés, dont au moins un membre de la cellule familiale étroite a la nationalité française (qu il s agisse du conjoint ou d un enfant). La situation familiale 3 s applique à des individus mariés, dont tous les membres de la famille sont étrangers (Tunisiens ou non). La situation familiale 4 vaut pour les individus mariés mais dont la nationalité des membres de la famille (conjoint et enfants) n est pas précisée 19. Enfin, la situation familiale 5 regroupe tous les autres cas, individus séparés, divorcés, remariés, veufs ou vivant en concubinage (le plus souvent avec une personne française). Le modèle de régression logistique montre que la probabilité d avoir un avis favorable est plus grande lorsqu il s agit d un candidat ayant une famille en partie française. Si l on compare, à dossier égal, deux individus mariés, avec un enfant, le simple fait d avoir un membre français dans le ménage donne 260 fois plus de chance d avoir un avis favorable que si les membres de sa famille étaient tous étrangers. Mais, de façon surprenante, à mesure que le nombre d enfants s élève, on assiste à une inversion de cette situation favorable : dès que le seuil de quatre enfants ou plus est atteint, le fait de faire partie d une famille de type 2 devient un handicap, puisqu il donne 6 fois moins de chance d avoir un avis favorable que si tous les membres de la famille étaient étrangers 20. Si les rapporteurs de la Chambre de Commerce ont une attitude plus favorable à l égard des familles françaises, cette situation de faveur ne vaut que pour les familles qui restent proches du modèle d un couple avec 2 ou 3 enfants. Les motifs invoqués dans les avis défavorables émis pour les individus appartenant à des familles de type 2 ou 5 ne font pour autant pas référence à la situation familiale du requérant, sauf pour un dossier, où le rapporteur lie son refus à la situation personnelle du candidat. Le dossier mentionne un avis défavorable jusqu à la régularisation de sa situation familiale, le rapporteur rappelant que le candidat a 7 enfants, dont quatre d un premier mariage, sans qu on sache s il est veuf ou divorcé, sa nouvelle épouse étant française, ainsi que leurs trois enfants. Ce type de motivations des avis est cependant très rare. On peut donc dire que, si la variable de la situation familiale joue statistiquement un rôle, elle ne donne pour autant pas lieu à un discours explicite et construit de la part des rapporteurs de la Chambre de commerce. Dans quelques cas, les rapporteurs motivent leurs avis par l ancienneté du séjour en France du candidat. Cette variable a donc été introduite dans le modèle pour mesurer le rôle du passé migratoire du candidat : l âge d arrivée du candidat a été prise en compte, afin de déterminer si les individus arrivés mineurs en France (certains à l âge de quelques mois) bénéficiaient d un traitement particulier. Cinq catégories d âge d arrivée ont ainsi été distinguées : la première (arrivéefrance1) pour les individus arrivés avant 18 ans, la seconde pour les individus arrivés entre 18 et 22 ans, la troisième pour ceux arrivés entre 23 (moyenne de l échantillon) et 27 ans, la quatrième pour ceux entrés de 28 à 35 ans, la cinquième pour les individus arrivés après 35 ans. Couplée à la durée de présence en France (exprimée en années), cette variable permet d estimer l âge du candidat au moment de l ouverture. Les résultats de l analyse logistique montre tout d abord que le fait d être arrivé en France avant sa majorité ne constitue pas un atout particulier pour obtenir un avis favorable de la part de la CCIP. Les rapporteurs de la Chambre de Commerce ne réservent aucun traitement particulier à ces migrants, étrangers comme les autres à leurs yeux. L analyse logistique montre en revanche que pour les individus arrivés après 18 ans, le traitement des dossiers tient compte de l âge d arrivée et du temps de présence en France. Pour un temps de résidence court, mieux vaut être venu travailler en France le plus jeune possible et ouvrir rapidement sa propre entreprise puisque par rapport à l âge d arrivée 2, qui sert de référence, les âges d arrivée plus tardifs ont un effet négatif sur la probabilité d avoir un avis favorable. En revanche, à mesure que la durée de présence s allonge, l effet de l âge d arrivée s inverse. Après neuf ans de présence, le fait d être arrivé en France après 35 ans (et donc d avoir plus de 44 ans) devient plus favorable que le fait 19 On peut supposer que si un des membres de la famille était français, le requérant n omettrait pas de mentionner cet élément dans son dossier. 20 Ces probabilités sont calculées en couplant le coefficient de la situation familiale et le coefficient de la situation familiale multiplié par le nombre d enfants : ainsi pour un candidat marié avec un enfant, la situation familiale 2 donne un coefficient agrégé de e 8,01625-2,45276 =e 5,56394 =260,83, alors que l odds de la situation de référence, l individu membre d une famille dont tous les membres sont étrangers, est de 1. A partir de 4 enfants, ce coefficient final est de e 8,01625+4*(-2,45276) =e 8,01625-9,81104 =e -1,79479 =0,1661. Par rapport aux familles étrangères de 4 enfants, ces familles ont donc 6 (1/0,1661) fois moins de chance d obtenir un avis favorable, le coefficient du nombre d enfants isolé étant négligeable.

d être arrivé entre 18 et 22 ans (et d avoir entre 27 et 31 ans). De même après 11 ans de résidence en France, les migrants arrivés entre 23 et 27 ans et désormais proches de quarante ans sont dans une situation plus favorable que les individus arrivés à 18 ans, âgés alors d une trentaine d années. Ces résultats dessinent une courbe en creux. La probabilité d avoir un avis favorable est grande aux début de la vie active, l ouverture de sa propre entreprise intervenant alors très tôt dans le cycle de vie de l individu ; ensuite, à l approche de la trentaine, cette probabilité décline, avant de remonter à un âge plus mûr, après 40 ans. La meilleure stratégie pour les individus arrivés en France après 25 ans est donc d exercer une activité salariée pendant suffisamment de temps pour acquérir sur le tas une expérience professionnelle et compenser ainsi l absence de formation scolaire et professionnelle dans le pays d accueil, remarque qui rejoint les conclusions établies pour la carrière et de la qualification. Cependant, l analyse des variables d âge permet d enrichir la figure du chef d entreprise idéal puisqu à celle du salarié patient s ajoute celle du jeune adulte dont le projet est dès le début de monter sa propre entreprise et qui dispose de suffisamment de capitaux pour s installer très tôt à son compte. Enfin, parmi les variables de situation personnelle, l analyse statistique souligne l importance du sexe dans l émission d un avis. A dossier égal, le simple fait d être une femme donne 4,75 moins de chance d obtenir un avis favorable que lorsqu on est un homme. L exemple de quatre demandes de création d entreprise de confection illustre cette différence de traitement. Les candidats, trois hommes et une femme, envisagent tous de créer une entreprise en nom propre avec moins de 10000F de capital de départ ; aucun d eux n a de diplôme français et tous ont eu uniquement une carrière salariée en France, dont une partie dans le textile (carrière de type 3). Tous font partie de familles sans membre français en leur sein et leurs dossiers sont examinés par le même rapporteur. Les profils d entreprise et de candidats sont donc très proches et pourtant seuls deux d entre eux obtiennent un avis favorable. La candidate féminine obtient un avis défavorable, alors que l entreprise qu elle crée a exactement le même profil que les autres. Le motif du refus fait référence à une expérience professionnelle insuffisante, ce qui paraît justifié dans la mesure où elle n a travaillé que cinq mois dans la confection. Son expérience professionnelle est donc infiniment moins établie que celle d un des deux demandeurs masculins, qui travaille, lui, depuis plus de cinq ans dans la confection. En revanche, le second avis favorable, émis en raison de l expérience professionnelle requise, est obtenu par un candidat qui n a travaillé que cinq mois dans la confection, après une carrière de cuisinier de plus de six ans. On voit ainsi que, selon le sexe du requérant, cinq mois de travail salarié dans le secteur peuvent constituer la preuve de l expérience professionnelle suffisante du candidat masculin, tout autant que le signe d une absence de qualification professionnelle, quand il s agit d une femme. Le fait d être soumis à une législation spécifique place donc les ouvriers étrangers dans une situation moins favorable que les ménages français, pour lequels on connaît l importance des commerces de détail ouverts par les épouses afin de compléter le revenu familial. Le sexe intervient aussi dans la façon dont certains motifs sont invoqués de manière différenciée selon le genre du candidat. Prenons l exemple de deux femmes, nées, à un an près, dans le sud tunisien, arrivées en France au début des années 1970, à moins d un an d intervalle, habitant le même arrondissement parisien et ayant toutes deux une famille française par les enfants. Ces deux femmes présentent chacune une demande de reprise, examinée par le même rapporteur, pour une SARL familiale dans la confection, le gérant démissionnaire étant dans un cas l époux de la candidate et dans l autre son frère. Une fois encore les points communs entre ces deux dossiers semblent nombreux. Or, seule l une d entre elles obtient un avis favorable. Les motivations invoquées par le rapporteur font clairement référence à la situation personnelle de la requérante, l avis étant lié aux raisons de santé qui obligent son mari à démissionner. L avis est donc explicitement mis en relation avec le statut d épouse, alors qu il n est jamais fait référence à la situation professionnelle du conjoint lorsqu il s agit d un candidat masculin. Les veuves ou les femmes dont le mari est en incapacité de travail, c est-à-dire les quelques cas dans lesquels le chef de famille traditionnel ne peut plus assurer sa fonction économique, se voient donc systématiquement attribuer un avis favorable, signe de la difficulté des rapporteurs à examiner les dossiers de femmes de façon autonome. La même référence au chef de famille masculin se retrouve dans certains dossiers présentés par de jeunes adultes qui cherchent à créer leur propre entreprise alors qu ils travaillent comme salarié dans l entreprise familiale. L issue du dossier est ici inversée, puisque le chef de famille est encore à même de prendre en charge sa famille. Le cas des quatre entreprises de la confection précédemment évoqué en témoigne. En dehors de la candidate féminine, le deuxième dossier à faire l objet d un avis

défavorable, est celui d un jeune homme de 19 ans qui travaille depuis deux ans comme aide familial dans la société de confection de son père. Le motif du refus est là aussi très clair : le candidat ferait mieux de rester salarié de son père plutôt que d ouvrir sa propre entreprise. Cependant, contrairement aux dossiers féminins, cette absence d autonomie dans le traitement du dossier n est pas systématique dans le cas des jeunes héritiers. Le rapporteur constitue dans ce cas une variable explicative essentielle. D. le rôle du rapporteur L analyse statistique met en évidence l influence négative de certains rapporteurs, une fois contrôlé l effet des autres variables. Ainsi, le simple fait d avoir pour examinateur le rapporteur 13 et non le rapporteur 5, dont les prérogatives portent surtout sur le secteur de l alimentation et de la restauration, donne à dossier égal 16 fois moins de chance d avoir un avis favorable 21. Des dossiers comparables peuvent donc faire l objet d un avis différent selon le rapporteur qui les examine. L exemple de deux restaurateurs tunisiens, âgés de 52 et 53 ans, en témoigne. Les deux individus, de sexe masculin, sont nés dans les années vingt dans le sud-est tunisien. Tous deux sont mariés à des Tunisiennes et ont des enfants tunisiens. Les entreprises en question sont en nom propre, et les deux candidats ont déjà exploité pendant plusieurs années un restaurant en France, avant de faire une demande de reprise d une nouvelle exploitation. Pourtant le dossier examiné par le rapporteur 5 fait l objet d un avis favorable, tandis que celui examiné par le rapporteur 13 obtient un avis inverse. Les motifs invoqués dans l avis défavorable font référence à une insuffisance de qualification professionnelle, surprenante au regard de l expérience antérieure de commerçant pendant plus de 7 ans. L avis manuscrit est cependant plus explicite. Le candidat a été commerçant au début des années 1970, sans avoir demandé de carte de commerçant étranger ; cette infraction laisse à penser de la part du demandeur une tendance à passer outre la réglementation et la législation françaises. Le rapporteur fait ainsi une erreur d analyse, puisqu à cette date, les Tunisiens étaient exemptés de la carte de commerçant, ce que le président de la CCIP ne manque pas de lui rappeler, lui demandant par conséquent de reconsidérer son avis. L avis définitif reste pourtant inchangé, mais le dossier envoyé à la préfecture ne retient que le motif de qualification insuffisante, supprimant toute référence à la situation administrative supposée à tort irrégulière. Le même rapporteur 13 est à l origine d un autre avis défavorable pour fraude, cette fois-ci d ordre personnel. L avis est en effet justifié par la situation familiale peu claire du candidat, puisqu il est enregistré comme célibataire au registre du commerce, mais se déclare marié à une Tunisienne dans sa demande de régularisation. Pour le rapporteur, cette fausse déclaration a pour fonction probablement [de] faciliter l immigration de sa famille, alors qu il peut simplement s agir d un migrant se déclarant célibataire parce que venu en France sans sa famille. Un autre dossier, dont le rapporteur n est pas précisé, fait appel au même type d arguments : la situation familiale du candidat est là aussi en cause puisque l avis défavorable est motivé par le fait que l enfant du candidat, né en France d une mère Espagnole, soit déclaré Tunisien, sauf pour les allocations familiales et l aide familiale. Trois ou quatre rapporteurs sont ainsi à l origine de tous les avis explicitement défavorables en raison de l origine étrangère du candidat, les remarques de cet ordre étant systématiquement supprimées du bordereau final. Mais l effet de l individu qui examine le dossier ne vaut pas seulement pour ces quelques cas extrêmes. La subjectivité du rapporteur transparaît aussi dans les avis qui font appel à des arguments d ordre moral. Ainsi lorsque le rapporteur 3 délivre un avis pour une demande de régularisation dans le textile, la décision favorable est motivée par la formation de vendeur du candidat, et par l ancienneté de son séjour en France, mais aussi par son désir de sortir d une situation de chômeur assisté ; il convient donc d encourager cette attitude louable. Si les avis favorables du rapporteur 3 peuvent reposer sur des considérations d ordre moral, celles-ci peuvent tout autant motiver implicitement ses avis défavorables, expliquant ainsi l effet négatif mis en valeur par la régression logistique pour ce rapporteur. Plus généralement, en l absence d une grille précise d évaluation, l avis final ne peut que varier fortement en fonction des présupposés de l individu qui examine le dossier. Qu il s agisse de l intérêt national présenté par le dossier, de la qualité professionnelle du candidat, de la possible appréciation en fonction de sa situation personnelle, les consignes données aux rapporteurs des Chambres de 21 Le rapporteur de référence, le numéro 5, a un odds ratio de 1 (e 0 ) ; par rapport à cette référence, le fait d être examiné par le rapporteur 13 donne un odds ratio de e -2,74452 soit 0,06. 1/0,06=16,66.

Commerce sont en effet si floues qu elles sont sujettes à autant d interprétations divergentes qu il y a de rapporteurs. Conclusion L analyse statistique des avis émis par la Chambre de Commerce sur les demandes de carte de commerçant étranger a donc permis de voir que les critères professionnels n étaient pas seuls en jeu. L avis rendu par le rapporteur de la Chambre de Commerce est le résultat d un arbitrage entre des considérations d ordre macro-économique (comme la conjoncture du secteur) et des considérations d ordre individuel (sur le plan professionnel ou personnel). Ces avis dessinent l image du travailleur indépendant idéal, aux yeux de la Chambre de Commerce : les rapporteurs donnent en effet à voir ce qu est, pour eux, la norme, en matière de qualification, de choix du secteur, de qualification personnelle ou de situation familiale. Or, les candidats à une carte de commerçant étranger ont souvent un profil très éloigné de cette norme, en raison de leur passé migratoire. La conception institutionnalisée de la qualification, sanctionnée par un diplôme d Etat, et la conception d une carrière linéaire conduisant du salariat qualifié à l ouverture de sa propre entreprise correspondent très peu à la réalité des candidats étrangers à l ouverture d une entreprise. L importance des nouveaux venus parmi les candidats étrangers le montre. Il n est cependant pas certain que cette caractéristique soit propre aux étrangers. En revanche, seuls les étrangers sont dans la situation où cette confrontation avec les normes de la corporation porte à conséquence puisqu ils sont seuls à devoir demander une carte de commerçant étranger et que du résultat de cette procédure dépend la possibilité ou non d ouvrir leur entreprise. L application aux ressortissants tunisiens de la législation sur le travail indépendant empêche ainsi une partie des candidats d accéder au statut de commerçant ou d artisan. Le travail présenté ici n analyse que la première phase de cette procédure, celle de l avis consultatif donné par la Chambre de Commerce. L objectif est désormais d analyser les divergences de point de vue entre la Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers, puis de confronter ces avis au résultat définitif émis par la préfecture. Annexe Tableau 2. Présentation des variables explicatives du modèle Variables secteur ambulant statutcapital 1 statutcapital 2 statutcapital 3 statutcapital 4 statutcapital 5 diplôme français expérience à l'étranger carrière 1 carrière 2 carrière 3 carrière 4 carrière 5 carrière 6 situation familiale 1 situation familiale 2 situation familiale 3 situation familiale 4 situation familiale 5 arrivéefrance 1 Description le secteur de référence est le bâtiment commerce ambulant ou sédentaire entreprise en nom propre ayant un capital inférieur à 10000F entreprise en nom propre au capital compris entre 10000F et 20000F entreprise en nom propre ayant un capital supérieur à 20000F société -SARL ou SA entreprise en nom propre au capital non précisé titulaire ou non d'un diplôme français mention ou non d'une activité professionnelle dans le secteur à l'étranger a déjà été salarié et indépendant dans le secteur de la demande a déjà été indépendant, mais jamais salarié, dans le secteur de la demande a été salarié dans le secteur de la demande, mais jamais indépendant a été salarié et indépendant, mais toujours dans un autre secteur a été salarié dans un autre secteur, et jamais indépendant n'a jamais exercé d'activité professionnelle en France célibataire marié, au moins un membre de la famille est français marié, tous les membres de la famille étant étrangers marié, nationalité des membres de la famille inconnue Autres : veuvage, divorce, séparation, remariage, union libre arrivé avant 18 ans

arrivéefrance 2 arrivéefrance 3 arrivéefrance 4 arrivéefrance 5 duréeprésence sexe arrivé entre 18 et 22 ans arrivé entre 23 (moyenne) et 27 ans arrivé entre 28 (début du dernier quartile) et 35 ans arrivé après 35 ans présence ininterrompue en France jusqu'à la demande, exprimée en années sexe féminin ou masculin Les termes figurant en gras désignent les situations de référence de chaque variable. - Présentation du modèle logistique: La probabilité d avoir un avis favorable (P(X=1)) rapportée à la probabilité d avoir un avis défavorable (P(X=0)) est exprimée en fonction de l effet de chaque variable explicative introduite dans le modèle. Ainsi log(p(x=1)/p(x=0))=α+β 1 X 1 +β 2 X 2 +...+β n X n où X 1,X 2,..., X n sont les variables explicatives introduites dans le modèle, par exemple, le sexe, le secteur, etc., et les β représentent les coefficients par lesquels ces variables affectent la probabilité générale d obtenir un avis favorable comparée à celle d obtenir un avis défavorable. On peut exprimer cette équation d une autre façon en utilisant la fonction exponentielle, inverse de la fonction logarithme: (P(X=1)/P(X=0) = e α+β 1 X 1 +β 2 X 2 +...+β n X n La valeur des ces coefficients est présentée dans la première colonne du tableau. Les colonnes suivantes indiquent le degré de significativité du coefficient, résumé dans la dernière colonne par un système d étoiles. - Interprétation des résultats Les coefficients indiqués n ont de valeur qu au sein de la même variable, par rapport à la situation de référence, dont la valeur est fixé à 0 par le modèle. Ainsi le coefficient du sexe féminin, qui est de - 1,55129, s interprète par rapport à la situation de référence, le sexe masculin. La valeur du coefficient n a en soi aucune valeur, elle ne fait sens que par rapport à la référence : la démarche du modèle logistique est donc essentiellement comparatiste. Le fait d être une femme donne-t-il moins de chance d avoir un avis favorable que le fait d être un homme? Pour comparer ces probabilités, il faut transformer les coefficients en odds ratio. e β femme -β homme=e -1,55129-0 =0,211. Comme le coefficient pour le sexe masculin est fixé à 0, e β homme=e 0 =1. Le rapport entre les deux odds (l odds ratio) est de : 1/0,211=4,739. On peut donc dire que le fait d être une femme donne 4,73 fois moins de chance d avoir un avis favorable que le fait d être un homme. Pour comparer entre elles deux variables dont aucune n est la situation de référence, par exemple la carrière 2 et la carrière 5, il suffit transformer une des variables en nouvelle référence : Probabilité comparée entre la carrière 2 et la carrière 5 : e β 2 -β 5=e 3,43024-2,87561 =e 0,55463 =1,7412 Nouvelle situation de référence, la carrière 5 : e β 5 -β 5=e 0 =1 L odds ratio, le rapport entre les deux, est donc de 1,74, càd que le fait d avoir fait une carrière 5 donne 1,74 fois plus de chance d avoir un avis favorable que le fait d avoir fait une carrière 2.