FONDATION D'UN IGH EN ENVIRONNEMENT CONTRAINT FOUNDATION OF A HIGH RISE BUILDING ABOVE A HIGHWAY Emilie CAZES 1, Anne BERGERE 1, Fahd CUIRA 1, Bruno SIMON 1 1 TERRASOL, Setec, Paris, France RÉSUMÉ Les études de conception de la tour s appuient dans un premier temps sur une synthèse approfondie des données de sol à la Défense (Paris). Est ensuite élaboré un modèle de calcul 3D où les fondations sont représentées par des volumes équivalents calés grâce à des modèles très fins du comportement des micropieux. L utilisation de ce modèle permet de définir la matrice d interaction sol-structure du système de fondations. ABSTRACT The detailed design of the tower is based on a thorough analysis of soil data at la Défense, Paris. Then, soil-structure interaction is assessed by defining a flexibility matrix. To this aim, a 3D global model was built, where foundations are modelled by equivalent volumes which deformation moduli were determined using very fine models for micropile behaviour. 1. Présentation de l ouvrage Situé à la Défense (Paris), le projet consiste en une tour R+30 implantée sur une dalle audessus de la RN192. La dalle s appuie sur un ouvrage de couverture des voies constitué de quatre files de piédroits longitudinaux et de leurs fondations. L environnement urbain de l immeuble de grande hauteur est dense : il est encadré à l Ouest par le CNIT, à l Est par l ensemble Coupole bordé d un parking souterrain et en-dessous par les voies de la RN192 devant rester en service pendant les travaux. Figure 1. Coupe transversale de l ouvrage de couverture et maille de micropieux (file C). 1
Les fondations de la tour doivent satisfaire plusieurs critères propres au site de la Défense : emprise au sol restreinte, emprise du sous-sol occupée et préchargée par les parkings et fondations du CNIT et de la Coupole, maîtrise des déformations induites sur les avoisinants. De plus, leur mise en œuvre se fera sans interruption du trafic. A cela s ajoute le contexte géologique: les fondations sont ancrées dans les Marnes et Caillasses du Lutétien, juste au dessus de la dalle du Calcaire Grossier et des sols argileux de l Yprésien, dont le comportement impacte les tassements de la tour à long terme. Ces contraintes ont motivé le recours à des fondations sur quatre files de micropieux (notées A à D) ainsi qu une file de contreforts (à côté de la file A) pour reprendre en majorité les efforts horizontaux. 2. Interaction sol-structure 2.1. Principe La pratique usuelle de conception des ouvrages appréhende les réponses du sol et de l ouvrage grâce respectivement à un modèle géotechnique et à un modèle structure. Une démarche plus rigoureuse consiste à coupler ces modèles en utilisant l interaction solstructure de manière à outrepasser les simplifications inhérentes à chaque modèle, telles que les «ressorts de sol» ou l absence de rigidité relative. Cette méthode permet une prise en compte des interactions entre fondations et une conception affinée, indispensable dans le contexte complexe de la tour et dans la recherche d optimisation de l ouvrage (Cuira et al., 2016). 2.2. Matrice d interaction sol-structure 2.2.1. Forme générale La matrice d interaction sol-structure est une matrice de souplesse. Elle relie le déplacement en tête de chaque appui (coiffant plusieurs micropieux/pieux) dans une zone de chargement i donnée, aux descentes de charges dans toutes les zones. Cette matrice d influence pour les zones d appuis est intrinsèque au système «sol + fondations». 14 Figure 2. Zones d appuis des fondations et matrice d interaction sol-structure. 2
Les files de fondations sont découpées en 21 zones de chargement visibles sur la vue en plan de la figure 2 : 14 zones de chargement pour les files de micropieux et 7 pour la file de pieux. La forme générale de la matrice d interaction sol-structure est donnée en figure 2. Seule la matrice de souplesse verticale, associée à la cuvette de tassement, sera traitée dans le présent article. 2.2.2. Couplage avec le modèle structure Dans un premier temps, l étude de l interaction sol-structure consiste à bâtir le modèle géotechnique à même d évaluer les tassements sous le chargement initial fourni par le bureau de structure. La matrice de souplesse obtenue permet ensuite au bureau de structure de caler la cuvette de tassement de son modèle, et d aboutir aux réactions définitives des appuis. Sont finalement effectuées les vérifications de stabilité et de portance des fondations par le bureau de géotechnique. Figure 3. Démarche pour l étude de l interaction sol-structure. 3. Détermination des modules de déformation La première étape de l étude de l interaction sol-structure est la détermination des paramètres d entrée du modèle géotechnique. A cet effet, l étude PRO s est appuyée sur une synthèse approfondie des données de sol : l accent a été mis sur la définition de modules de déformation adaptés aux domaines de déformations que l ouvrage génère dans le sol. Deux jeux de modules de sols sont proposés, basés l un sur l analyse des essais (jeu 1 dit «raisonnable) et l autre sur les retours d expérience dont TERRASOL dispose (jeu 2 dit «prudent»). 3.1. Essais in-situ et laboratoire Les campagnes de reconnaissances se composent de 2 sondages carottés, 6 sondages pressiométriques, 2 sondages destructifs, des enregistrements gamma-ray, 4 pelles mécaniques pour les reconnaissances des fondations du CNIT, 3 essais cross-hole, des essais d identification et des essais mécaniques. Les sondages ont successivement rencontré les formations suivantes : Marnes et Caillasses, Calcaire Grossier, Sables de Cuise, Fausses Glaises, Sables d Auteuil et Argiles Plastiques. 3
3.1.1. Essais pressiométriques Le grand nombre d essais pressiométriques réalisé avec et sans cycles permet d obtenir des statistiques représentatives des formations rencontrées. Pour chaque formation, le module pressiométrique E M résulte d une moyenne harmonique sur l ensemble des sondages, tandis que la pression limite nette correspond à une moyenne géométrique. Les essais ont fait l objet d une analyse détaillée (suivi sur site, écartement des essais jugés non valables, extrapolation de la pression limite à partir de la pression de fluage pour les essais limités par la capacité limite de la sonde, modules E M très élevés bornés à 500 MPa). Les valeurs caractéristiques retenues pour les études de conception se trouvent dans le Tableau 1. Elles permettent d estimer le module de déformation E : k E E M (1) Avec : α coefficient rhéologique du matériau et k facteur majorant pouvant varier de 1 à 4. Le facteur k dépend du type de sol, de la dimension de la fondation ainsi que du niveau de déformation atteint. Le choix d une valeur de k supérieure à 1 est parfaitement justifié et découle de la mesure de tassements plus faibles que les prévisions basées sur k = 1. Combarieu (2006) a par ailleurs discuté de manière approfondie du choix de la valeur de k. Il montre notamment qu un calcul élastique classiquement mené avec k = 1 conduit à des tassements pessimistes. Un facteur k = 3 a été adopté dans la présente analyse, en accord avec les modules pressiométriques de premier rechargement. Cette approche est à l origine du premier jeu de modules, appelé jeu «raisonnable». 3.1.2. Essais de laboratoire - Influence de la teneur en eau Pour les Fausses Glaises et les Argiles Plastiques, les essais de laboratoire révèlent une grande variabilité des caractéristiques géotechniques dont témoigne la teneur en eau. Tableau 2. Résultat des essais de laboratoire pour les Argiles Plastiques Wnat 34,4% (3 mesures) Wnat 29,5% (3 mesures) Wnat 23,9% (3 mesures) - e 0 0,9 à 1, - e 0 0,8 à 0,85, - e 0 0,66, - I p = 55%, (sol plastique), - I p = 30 (sol plastique), - I p = 31% et 55%, (sol plastique à très plastique), - d.moyenne = 14,1 kn/m 3, - d.moyenne = 14,9 kn/m 3, - d.moyenne = 15,8 kn/m 3, 1 essai œdométrique : 1 essai œdométrique : 1 essai œdométrique : - Degré de surconsolidation : 2, - Degré de surconsolidation : 4, - Degré de surconsolidation : 0,6 (résultat peu crédible) - C c /(1+e 0 ) = 0,177 : sol moyennement compressible, - C c /(1+e 0 ) = 0,155 : sol moyennement compressible, - C c /(1+e 0 ) = 0,145 : sol moyennement compressible, - C s /(1+e 0 ) = 0,044, - C s /(1+e 0 ) = 0,037, - C s /(1+e 0 ) = 0,058 - C v = 1,3.10-8 m²/s pour des contraintes de l ordre de 5 MPa. - C v = 1,3.10-8 m²/s pour des contraintes de l ordre de 5 MPa. - C v = 3,2.10-9 m²/s pour des contraintes de l ordre de 5 MPa Avec : e 0 : indice des vides; I p : indice de plasticité; h : poids volumique humide; d : poids volumique sec; C c /(1+e 0 ) : facteur de compressibilité vierge; C s /(1+e 0 ) : facteur de compressibilité en recompression et C v : coefficient de consolidation. Les essais triaxiaux cycliques réalisés fournissent le module de cisaillement G pour une distorsion ε imposée. De même que les essais œdométriques et les essais d identification, ils montrent une sensibilité de l échantillon à la teneur en eau. 4
3.2. Retour d expérience sur le site de la Défense Les données d auscultation de trois tours situées dans le même contexte géologique que la tour projet sont utilisées pour recaler les modules de déformation des sols et les temps de consolidation. Le retour d expérience sur la tour Majunga concerne les tassements à court terme (1 an) et celui de la tour CB21 concerne le tassement à long terme (35 ans). La tour D2 a quant à elle fait l objet d une synthèse géotechnique poussée. Les données récoltées permettent de représenter les différents modules, représentés par formation, en fonction du niveau de déformation sous lequel ils ont été mesurés. Au bas de la figure suivante, la déformation indiquée correspond au résultat obtenu avec le modèle Plaxis 3D des fondations de la tour projet ( = 4,7 10-4 dans les Argiles Plastiques). On observe sur la figure que le module de déformation correspondant est celui adopté pour le 1 er jeu de module (E = 3.E M / α, voir tableau 1), ce qui confirme alors l adoption de la relation de Combarieu avec un facteur k = 3. Figure 4. Modules de déformation mesurés pour les Argiles Plastiques. 3.3. Jeux de modules retenus Formation Tableau 1. Jeux de modules retenus Cote base (m.ngf) E M (MPa) p l * (MPa) α E - jeu 1 (MPa) E - jeu 2 (MPa) Marnes et Caillasses sup 41 16 2.2 2/3 70 43 Marnes et Caillasses inf 33 104 7.1 2/3 465 357 Calcaire Grossier sup 24 270 8.4 2/3 1 210 Calcaire Grossier inf 17.5 238 8.8 2/3 1 055 Sables de Cuise 2.5 112 7 2/3 500 300 Fausses Glaises -4.5 46 3.9 2/3 205 100 Sables d Auteuil -6.5 120 8.2 2/3 535 Argiles Plastiques -21.5 39 2.7 2/3 175 100 Marno-calcaire de Meudon - 224 9.8 2/3 substratum 5
Le jeu de modules n 1 est fixé à partir de la relation pressiométrique (1). Le jeu de modules n 2 fait intervenir des valeurs dites plus «prudentes». Il est basé sur le retour d expérience des tours voisines pour les sols argileux en profondeur ainsi que sur les valeurs pressiométriques faibles observées localement près du noyau dans les Marnes et Caillasses (E M = 7 MPa pour MC sup et E M = 77 MPa pour MC inf). 4. Modélisation du système de fondation Le système de fondation se compose de quatre files de micropieux (3 ou 3,8 micropieux/ml) et d une file de pieux. L emprise du projet est approximativement de 90 m x 30 m. Afin de limiter le nombre d éléments structure à modéliser dans le logiciel aux éléments finis PLAXIS 3D, chaque file est modélisée par un élément volumique équivalent. 4.1. Calage local des files de fondations 4.1.1. Comportement en frottement d un micropieu/pieu isolé 0 Charge en tête (kn) 0 500 1000 1500 2000 2500 3000 Tassement du pieu en tête (mm) 2 4 6 8 10 12 14 ELSqp * ELScar ELUf ELU a * * * Foxta Plaxis Figure 5. Courbe de chargement d un micropieu isolé (file B, jeu 1). Le comportement d un micropieu (ou d un pieu) isolé chargé verticalement est appréhendé grâce à un modèle ElFi PLAXIS 2D axisymétrique faisant intervenir le module de déformation long terme E du sol et de l interface sol/micropieu. Cette interface, volume de caractéristiques réduites, sert à introduire le frottement le long du micropieu grâce à un matériau d interface élastoplastique de cohésion c. Les valeurs de E et de c du modèle ElFi sont validées par comparaison des courbes de chargement du micropieu (ou du pieu) obtenues avec le logiciel FOXTA (module Taspie+) selon un modèle «t - z» de type Frank et Zhao (1982). 4.1.2. Elément de volume équivalent à la maille de micropieux/pieux Une maille du réseau (micropieux respectivement pieu et volume élémentaire associé) est modélisée sous PLAXIS 3D pour calculer le tassement sous chargement vertical. Les tassements obtenus selon différentes verticales de la maille sont très proches (figure 4), ce qui permet de définir le module long terme équivalent sur la hauteur des micropieux d une part, et sous la base des micropieux d autre part. La verticale dans l axe du micropieu a été privilégiée puisqu elle conduit à un tassement légèrement plus important. 6
45.00 43.00 41.00 39.00 Tassement u z (mm) 8 7 6 5 4 3 2 1 0 a b c d Eeq micropieu E 34 = 2350 MPa + d b + + a + c 37.00 Cote (m NGF) 35.00 33.00 E 34 35 = 400 MPa Figure 6. Comportement en profondeur en divers points de la maille (file B). 4.2. Modèle global La modèle global des fondations de la tour est bâti sous PLAXIS 3D. Il est centré sur l IGH et inclut une partie de l implantation du CNIT ainsi qu une partie du parking Coupole. Les files de micropieux et de pieux de contrefort sont modélisées par des éléments de volume comme expliqué au paragraphe 4.1. Figure 7. Modèle global - Maillage des fondations et du sol à 33 m NGF. Les files de micropieux et de pieux sont découpées en plusieurs zones de chargement. La matrice de souplesse est calculée en chargeant une zone de fondation à la fois. Pour une zone de chargement donnée, la souplesse est évaluée à partir du tassement long terme calculé en tête de la file de fondations (en kn/m) : u i ij (2) Fz, j Avec : α ij la souplesse de la zone i lorsque la zone j est chargée, u i le tassement long terme en tête au centre de la zone i et F z,j le chargement de la zone j, exprimé en kn. 7
La matrice de souplesse est valable dans un domaine de chargement précis, ici en domaine élastique. L utilisation d une telle matrice permet d optimiser les échanges avec les ingénieurs structure et d obtenir une cuvette de tassement similaire entre le modèle de sol et le modèle de structure, dès la première itération, dont le tassement maximum calculé est de l ordre de 3 cm à long terme. Le calcul du court terme est ensuite effectué au moyen du modèle structurel. Tassement (mm) Y modèle 3D Cuvette latérale (m) 130 140 150 160 170 10 12 14 16 18 20 22 24 26 Contrefort File A File B File C File D Géotechnique Structure Figure 8. Cuvette de tassement au droit de l IGH Interaction sol-structure. 5. Conclusion La mise en œuvre de l interaction sol-structure dans le cadre des études de conception de la tour projet s est appuyée sur une modélisation 3D aux éléments finis des fondations de l ouvrage de couverture. Dans le but d affiner le calcul de tassements au droit de la tour et des avoisinants, il a tout d abord été mené une synthèse approfondie des données de sol (détermination des modules de déformation à partir de nombreux types d essais et du retour d expérience sur les tours avoisinantes du quartier). Données d entrée de l étude, ces modules ont été évalués en cohérence avec le modèle de calcul adopté et les déformations attendues. Un modèle global de calcul 3D a ensuite été construit : les files de fondations ont été modélisées par des éléments de volume équivalents calés soit en vertical, soit en horizontal et rotation, grâce à des modèles très fins du comportement des micropieux et de leur effet de groupe. La matrice d interaction sol-structure ainsi calculée prend en compte les interactions entre fondations et permet de récoler en une itération les cuvettes de tassement des modèles géotechnique et structurel sur ce projet d IGH en environnement contraint. 6. Références bibliographiques Combarieu O. (2006). L usage des modules de déformation en géotechnique. RFG n 114. Frank, R. & Zhao, S. R. (1982). Estimation par les paramètres pressiométriques de l enfoncement sous charge axiale des pieux forés dans les sols fins. Bull. Liaison Labo. P. et Ch. 119 :17-24. Cuira F., Simon B. et Borely C. (2016). Apports de l interaction sol-structure dans la conception des ouvrages. JNGG Juillet 2016. 8