La vigilance de l avocat en matière de blanchiment lui évitera d entendre de trop près le bruit des bottes des autorités L exercice de la profession d avocat suppose une intégrité professionnelle scrupuleuse. Les droits attachés à l exercice de cette profession ne peuvent jamais être le paravent d une quelconque complicité. L avocat ne bénéficie de ce chef d aucune immunité quelconque, que ce soit sur le plan pénal ou disciplinaire. L avocat doit s abstenir de toute intervention dont il sait qu elle constitue un acte de participation à une activité criminelle. Même si l on sait que le législateur et la Cour constitutionnelle 1 ont considérablement réduit le champ d application de la loi préventive 2, les avocats ont 1. Arrêts de la Cour constitutionnelle des 23 janvier 2008 et 10 juillet 2008 ; cfr nos observations : Le secret professionnel de l avocat est renforcé par la Cour constitutionnelle, Tribune de l OBFG, mars 2008, page 11 ; La Cour constitutionnelle belge réécrit la loi anti-blanchiment!, le Juriste international, UIA, 2008, point 1, page 47 ; Blanchiment : l arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 juillet 2008 : Le secret professionnel de l avocat à nouveau sauvegardé! bis repetita!, Tribune de l OBFG, septembre 2008, page 21. En France, le Conseil d État a prononcé un arrêt le 10 avril 2008 qui va dans le même sens, cfr nos observations : Le Conseil d État de France suit la Cour constitutionnelle belge, Tribune de l OBFG, juin 2008, p. 26. 2. Il s agit de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme telle que modifiée notamment par la loi du 18 janvier 2010.
LES AVOCATS FACE AU BLANCHIMENT vu leur devoir de vigilance renforcé. Cette vigilance implique que l avocat ne se comporte pas béatement et passivement. L avocat doit avoir son attention en éveil et, si nécessaire, procéder à des investigations raisonnables. Il doit être le premier juge de son client et des opérations qui sont soumises à sa sagacité. L avocat doit agir avec précaution. En matière de blanchiment, cette obligation a un fondement légal : l article 14 de la loi préventive. Les avocats soumis à cette législation «doivent exercer une vigilance constante à l égard de la relation d affaires et procéder à un examen attentif des opérations effectuées et, lorsque cela est nécessaire, de l origine des fonds, et ce, afin de s assurer que celles-ci sont cohérentes avec la connaissance qu ils ont de leur client, de ses activités professionnelles et de son profil de risque». Ils «examinent avec une attention particulière, toute opération ou tout fait qu ils considèrent comme particulièrement susceptible d être lié au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme et ce, en raison de sa nature ou de son caractère inhabituel par rapport aux activités du client ou en raison des circonstances qui l entourent ou de par la qualité des personnes impliquées». Cette obligation légale de vigilance concerne les faits, les attitudes ou le comportement non seulement du client de l avocat, mais aussi de tout tiers, tel que la partie adverse, que l avocat est amené à rencontrer 3. L OBFG a ainsi édicté une recommandation le 19 mai 2008 qui suggère aux avocats d être particulièrement attentifs aux situations suivantes : I Pays d origine Les clients, personnes physiques ou morales, sont ressortissants de pays non coopératifs selon le G.A.F.I. (www.fatf-gafi.org) ; le client est introduit par une banque ou un tiers établi dans un pays connu pour le caractère strict de son secret bancaire, un climat favorable, la production ou le commerce de drogues. 3. Pour une analyse typologique des dossiers examinés par la cellule de traitement des informations financières, cfr www.ctif-cfi.be et nos observations, L utilisation des avocats à des fins de blanchiment Analyse typologique réalisée par la CTIF, Tribune de l OBFG, mars 2008, p. 13. 8 LARCIER
II Difficultés d identification L identité du client ou de ses ayant-droits est difficile à définir ; le client fait appel aux services d un représentant ; l avocat ne peut pas rencontrer personnellement un client personne physique ; le client n a pas d adresse ou souhaite que la correspondance soit adressée à une autre adresse que la sienne ; le client est une société représentée par une personne qui est un gérant ou un administrateur de fait. III Relations avocat-client Le client donne mandat à l avocat d accomplir une des opérations suivantes : ouverture de compte(s) bancaire(s) ; réception de courrier en lieu et place du client ; exécution de transactions financières en dehors de celles opérées régulièrement par l intermédiaire du compte CARPA ; domiciliation de sociétés au cabinet de l avocat. IV Nature des opérations Le client est impliqué dans des transactions qui n entrent pas dans le cadre habituel de ses activités ; les transactions en elles-mêmes de par leur nature ou fréquence sont inhabituelles ; le client répond difficilement aux questions liées à l origine des fonds ; un bien immobilier fait l objet de plusieurs transactions sur une courte période ; de l argent liquide intervient de manière inhabituelle dans les transactions ; le client demande à l avocat que des tiers soient payés par son intermédiaire. LARCIER 9
LES AVOCATS FACE AU BLANCHIMENT Jusqu il y a peu, l avocat avait une certaine pudeur à s ingérer dans les affaires de son client ou de ses interlocuteurs. Actuellement, ce devoir de nonimmixtion s est quelque peu dissipé. On est passé d une neutralité absolue à une vigilance molle puis à une vigilance accrue, celle qui contraint l avocat à «devoir connaître» Ce devoir doit cependant s entendre raisonnablement au regard des moyens dont l avocat dispose et des prérogatives attachées à sa mission (indépendance, secret professionnel, droits de la défense ). L odeur de l argent noir et des avantages illicitement recueillis ne doit jamais nous quitter des yeux, afin que nous restions en perpétuel éveil. L avocat n est cependant pas un enquêteur ou un policier. Ce n est par nature ni sa mission ni son rôle. L avocat n a ni les antennes de la libellule, ni les ultrasons de la chauve-souris, ni les moustaches du chat. De manière plus générale, lorsque l avocat intervient aux côtés de son client, sa vigilance lui impose d interroger son client et de se faire préciser toutes les circonstances de fait déterminantes 4, de prendre une série d initiatives 5 et de procéder à des vérifications et des investigations. L avocat doit-il lui-même vérifier les informations que lui donne son client? Nous ne le pensons pas, sauf en cas de doute. Le client est, en effet, tenu de son côté à un devoir d information de son avocat. Il doit veiller à ce que les données transmises à son conseil soient complètes et exactes. La mise en œuvre raisonnable du devoir de vigilance devrait éviter à l avocat prudent d entendre de trop près le bruit des bottes des autorités * * * Le présent ouvrage est consacré aux avocats face au blanchiment. Il s agit des actes d une journée d étude organisée par l Ordre français du barreau de Bruxelles et la Conférence du jeune barreau de Bruxelles le 20 janvier 2011, avec le concours de l AEDBF Belgium, du CCBE, de l ERA et de l UAE, sous la direction scientifique de Me André Risopoulos. Ce livre est divisé en deux grandes parties : la première partie concerne la prévention en matière de blanchiment avec un examen attentif des obligations incombant à l avocat : identification et vérification de l identité du client et de l ayant-droit, vigilance, conservation des documents, formation des membres du cabinet et du personnel, 4. Civ. Charleroi, 1 er juin 2001, J.L.M.B., 2002, p. 128. 5. «L avocat ne doit pas attendre passivement les instructions que le client lui donnera éventuellement, mais il doit prendre l initiative pour le rendre attentif motu proprio à des embûches, des obligations légales ou des formalités à accomplir» (Liège, 22 décembre 1998, J.L.M.B., 2000, p. 242). Dans le même sens, Bruxelles, 2 avril 2004, J.T., 2005, p. 163 ; Civ. Charleroi, 29 mars 1988, J.T., 1989, p. 79. 10 LARCIER
transmission d informations aux autorités, abstention d exécution, organisation interne, collaboration avec les autorités. Le droit à l immunité de l avocat y est examiné de même que les sanctions en cas de manquements. L approche est faite en droit belge et en droit comparé, particulièrement en droit français. Les contributions sont signées par M es Christian Charrière-Bournazel, Georges-Albert Dal, Patrick De Wolf, Françoise Lefèvre et Olivier Clevenbergh ; la seconde partie examine en profondeur le délit pénal de blanchiment : le champ d application, la participation criminelle et les sanctions dont la délicate question de la peine de confiscation et la problématique de la fraude fiscale. Les rapports sont signés par Madame Françoise Roggen et par M es Olivier Creplet, Adrien Masset, Pierre Monville et André Risopoulos. Monsieur Jean Spreutels tirera les conclusions générales et évoquera quelques perspectives. Jean-Pierre BUYLE Bâtonnier de l Ordre français du barreau de Bruxelles LARCIER 11