Avant-propos La vigilance de l avocat en matière de blanchiment lui évitera d entendre de trop près le bruit des bottes des autorités



Documents pareils
Janvier La notion de blanchiment

La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

Table de matières. Préambule 11 Introduction 13

RECUEIL DE LEGISLATION. S o m m a i r e LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT ET CONTRE LE FINANCEMENT DU TERRORISME

Paris en ligne et risques de blanchiment et de financement du terrorisme. Jean-Claude DELEPIERE Président de la CTIF

LA NOUVELLE LEGISLATION BELGE RELATIVE AUX PARIS SPORTIFS

Exemples de typologies présentées par TRACFIN

RISQUES DE BLANCHIMENT DANS LE SECTEUR DE L IMMOBILIER: TYPOLOGIES Dakar, le 20 JUILLET 009

Code sectoriel relatif à la distribution des produits financiers

Note à Messieurs les : Objet : Lignes directrices sur les mesures de vigilance à l égard de la clientèle

DELIBERATION N DU 20 MAI 2015 DE LA COMMISSION DE CONTROLE

Les Recommandations du GAFI

LOI N du 16 juin 1986 instituant une Caisse des Règlements Pécuniaires des Avocats (CARPA)

CIRCULAIRE AUX BANQUES COMMERCIALES ET AUX BANQUES D ÉPARGNE ET DE LOGEMENT

b) Obligation de déclaration, secret professionnel et indépendance

Mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme - Belgique

BULLETIN OFFICIEL DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE

NOTE D INFORMATION RELATIVE A LA DÉTECTION DES OPÉRATIONS DE BLANCHIMENT PAR LE PERSONNEL DES BANQUES

Loi fédérale sur la mise en œuvre des recommandations du Groupe d action financière, révisées en 2012

CODE DES RELATIONS BANQUES TPE/PME

LE SECRET PROFESSIONNEL ET LE DEVOIR DE DISCRÉTION DE L AVOCAT

CENTRE DE RECHERCHE GRENOBLE RHÔNE-ALPES

La protection de vos données médicales chez l assureur

Déclaration de Wolfsberg sur la surveillance, le filtrage et la recherche

INDICATEURS D OPÉRATIONS DE BLANCHIMENT

LES NOTAIRES ET LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DE CAPITAUX ET LE FINANCEMENT DU TERRORISME

Vu la Loi n du 23 décembre 1993 relative à la protection des informations nominatives, modifiée ;

Le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

La fraude fiscale : Une procédure pénale dérogatoire au droit commun. Par Roman Pinösch Avocat au barreau de Paris

L'AGENT IMMOBILIER. Attention : les cartes professionnelles déjà délivrées restent valables jusqu à leur date d expiration.

Circulaire n 41/G/2007 du 2 août 2007 relative à l 'obligation de vigilance incombant aux établissements de crédit

2. Chaque participant a accès au jeu via l application Facebook disponible sur la page Facebook de Lidl Belgium.

Protocole d accord entre les assureurs de protection juridique affiliés à Assuralia, l O.V.B. et l O.B.F.G.

LE COURTAGE D ASSURANCE

La Carpa, outil d auto-régulation de la profession d avocat et de lutte contre le blanchiment d argent

Lutte contre le blanchiment des capitaux

CHARTE D ÉTHIQUE PROFESSIONNELLE DU GROUPE AFD

SLOVÉNIE. Rapport de la 4e visite d évaluation Résumé. Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

Le Privilège du secret professionnel des conseillers juridiques en entreprise

ACCORD ENTRE LA COMMISSION BANCAIRE ET LA BANQUE NATIONALE DE ROUMANIE

A S T J ASSOCIATION SUISSE DES TRADUCTEURS-JURÉS STATUTS TITRE I. Article 1 er

LE LOGICIEL ENTIEREMENT INTEGRE ET UNIQUE DE L UNODC. Spécialement conçu pour les unites de renseignement financier. goaml.unodc.

PRESENTATION BIENVENUE DANS NOTRE. Créer une société Offshore pour les acheteurs et investisseurs étrangers. Options et avantages

Les responsabilités à l hôpital

Lignes directrices relatives à la notion de personnes politiquement exposées (PPE)

PREVENIR LA CORRUPTION

AUX COOPÉRATIVES D ÉPARGNE ET DE CRÉDIT AUX FÉDÉRATIONS DE COOPÉRATIVES D ÉPARGNE ET DE CRÉDIT

CONVENTION DE PARTENARIAT

CHAPITRE 1 : LA PROFESSION COMPTABLE

O.B.F.G. (règlement du 19 mai 2008 tel que modifié le 29 avril 2009) Table des matières

BULLETIN OFFICIEL DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE n 102 (1 er avril au 30 juin 2006)

Règlement du Programme de bourse de démarrage de cabinet de l AJBM. 1- Objectifs

Memo BATL : la nouvelle loi sur la régularisation fiscale

Droit de rencontres. «La responsabilité du dirigeant d entreprise» Lionel ORBAN Firket, Brandenberg, Crahay, Pichault & Associés.

La responsabilité juridique des infirmiers. Carine GRUDET Juriste

Charte de Qualité sur l assurance vie

Numéro du rôle : Arrêt n 136/2008 du 21 octobre 2008 A R R E T

Principes anti-blanchiment de Wolfsberg pour les banques correspondantes

La majorité, ses droits et ses devoirs. chapitre 7

N 2345 ASSEMBLÉE NATIONALE PROPOSITION DE LOI

LA VIOLATION DU SECRET : LE RÔLE DU BÂTONNIER

Introduction générale

Politique Utilisation des actifs informationnels

La lutte contre le terrorisme et son financement. Jean-Claude DELEPIERE Président de la Cellule de Traitement des Informations Financières

CONDITIONS GENERALES

Cour d'appel de Bruxelles - Arrêt du 8 novembre

LA DEONTOLOGIE FRANCAISE DU CONFLIT D INTERET

Lutte contre la fraude

Assurance et capital-investissement Directive AIFM et utilité de l assurance RC Professionnelle

CODE DE CONDUITE DES AGENTS IMMOBILIERS CHARTE DE DÉONTOLOGIE

Point sur la régularisation fiscale des avoirs non déclarés situés à l étranger.

Plan et résumé de l intervention de Jean-Philippe Dunand

Règlement Internet Banking. Helpdesk Internet Banking: ou

TRIBUNAL DE POLICE ET SANCTIONS PENALES : PEINES PRINCIPALES, SUBSIDIAIRES & ACCESSOIRES

Loi n du 7 juillet 1993 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment de capitaux

DEONTOLOGIE LA CORRESPONDANCE PROFESSIONNELLE

AVIS SUR DES CLAUSES RELATIVES A LA CHARGE DE LA PREUVE DANS DES ASSURANCES OMNIUM

Groupe Helvetia. Code de Compliance

I-Checkit est l outil dont les services chargés de l application de la loi ont besoin au 21 ème siècle pour mettre au jour et neutraliser les réseaux

Le financement participatif : L état du droit luxembourgeois

Contrat d agence commerciale

CONSIDÉRATIONS SUR LA MISE EN ŒUVRE DES DÉCISIONS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE

POLITIQUE DE DANAHER CORPORATION EN MATIERE DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION

ASSEMBLÉE NATIONALE 8 janvier 2015 AMENDEMENT

ECOBANK. Trade Financement de l immobilier au Sénégal

Un nouveau pas dans la lutte contre le blanchiment.

INVESTIGATION INTERNE AUX ENTREPRISES: LE CADRE JURIDIQUE

Travaux et publications

CIRCULAIRE AUX ETABLISSEMENTS DE CREDIT N

Conditions : ces conditions de crédit, ainsi que toute annexe à ces Conditions; CONDITIONS DE CREDIT DE PAYDAY

Règlement intérieur du Conseil de surveillance

Numéro du rôle : Arrêt n 151/2012 du 13 décembre 2012 A R R E T

EVALUATION MUTUELLE DE LA BELGIQUE QUATRIEME RAPPORT BISANNUEL. Rapport de la Belgique

DOSSIER DE PRESSE LUTTE CONTRE LE FINANCEMENT DU TERRORISME

Commission Statut et Juridique AH-HP. COMMENTAIRES et OBSERVATIONS sur le PROJET du CODE de DEONTOLOGIE du CONSEIL NATIONAL de l ORDRE des INFIRMIERS

Guide des Bonnes Pratiques des Affaires du Groupe Legrand

Les quarante Recommandations du GAFI

11 janvier DÉCRET-LOI n portant création et organisation de l Agence nationale de renseignements.

TENDANCES CLÉS DU MARCHÉ JURIDIQUE

Les professionnels du secteur de l assurance au Luxembourg

Transcription:

La vigilance de l avocat en matière de blanchiment lui évitera d entendre de trop près le bruit des bottes des autorités L exercice de la profession d avocat suppose une intégrité professionnelle scrupuleuse. Les droits attachés à l exercice de cette profession ne peuvent jamais être le paravent d une quelconque complicité. L avocat ne bénéficie de ce chef d aucune immunité quelconque, que ce soit sur le plan pénal ou disciplinaire. L avocat doit s abstenir de toute intervention dont il sait qu elle constitue un acte de participation à une activité criminelle. Même si l on sait que le législateur et la Cour constitutionnelle 1 ont considérablement réduit le champ d application de la loi préventive 2, les avocats ont 1. Arrêts de la Cour constitutionnelle des 23 janvier 2008 et 10 juillet 2008 ; cfr nos observations : Le secret professionnel de l avocat est renforcé par la Cour constitutionnelle, Tribune de l OBFG, mars 2008, page 11 ; La Cour constitutionnelle belge réécrit la loi anti-blanchiment!, le Juriste international, UIA, 2008, point 1, page 47 ; Blanchiment : l arrêt de la Cour constitutionnelle du 10 juillet 2008 : Le secret professionnel de l avocat à nouveau sauvegardé! bis repetita!, Tribune de l OBFG, septembre 2008, page 21. En France, le Conseil d État a prononcé un arrêt le 10 avril 2008 qui va dans le même sens, cfr nos observations : Le Conseil d État de France suit la Cour constitutionnelle belge, Tribune de l OBFG, juin 2008, p. 26. 2. Il s agit de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme telle que modifiée notamment par la loi du 18 janvier 2010.

LES AVOCATS FACE AU BLANCHIMENT vu leur devoir de vigilance renforcé. Cette vigilance implique que l avocat ne se comporte pas béatement et passivement. L avocat doit avoir son attention en éveil et, si nécessaire, procéder à des investigations raisonnables. Il doit être le premier juge de son client et des opérations qui sont soumises à sa sagacité. L avocat doit agir avec précaution. En matière de blanchiment, cette obligation a un fondement légal : l article 14 de la loi préventive. Les avocats soumis à cette législation «doivent exercer une vigilance constante à l égard de la relation d affaires et procéder à un examen attentif des opérations effectuées et, lorsque cela est nécessaire, de l origine des fonds, et ce, afin de s assurer que celles-ci sont cohérentes avec la connaissance qu ils ont de leur client, de ses activités professionnelles et de son profil de risque». Ils «examinent avec une attention particulière, toute opération ou tout fait qu ils considèrent comme particulièrement susceptible d être lié au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme et ce, en raison de sa nature ou de son caractère inhabituel par rapport aux activités du client ou en raison des circonstances qui l entourent ou de par la qualité des personnes impliquées». Cette obligation légale de vigilance concerne les faits, les attitudes ou le comportement non seulement du client de l avocat, mais aussi de tout tiers, tel que la partie adverse, que l avocat est amené à rencontrer 3. L OBFG a ainsi édicté une recommandation le 19 mai 2008 qui suggère aux avocats d être particulièrement attentifs aux situations suivantes : I Pays d origine Les clients, personnes physiques ou morales, sont ressortissants de pays non coopératifs selon le G.A.F.I. (www.fatf-gafi.org) ; le client est introduit par une banque ou un tiers établi dans un pays connu pour le caractère strict de son secret bancaire, un climat favorable, la production ou le commerce de drogues. 3. Pour une analyse typologique des dossiers examinés par la cellule de traitement des informations financières, cfr www.ctif-cfi.be et nos observations, L utilisation des avocats à des fins de blanchiment Analyse typologique réalisée par la CTIF, Tribune de l OBFG, mars 2008, p. 13. 8 LARCIER

II Difficultés d identification L identité du client ou de ses ayant-droits est difficile à définir ; le client fait appel aux services d un représentant ; l avocat ne peut pas rencontrer personnellement un client personne physique ; le client n a pas d adresse ou souhaite que la correspondance soit adressée à une autre adresse que la sienne ; le client est une société représentée par une personne qui est un gérant ou un administrateur de fait. III Relations avocat-client Le client donne mandat à l avocat d accomplir une des opérations suivantes : ouverture de compte(s) bancaire(s) ; réception de courrier en lieu et place du client ; exécution de transactions financières en dehors de celles opérées régulièrement par l intermédiaire du compte CARPA ; domiciliation de sociétés au cabinet de l avocat. IV Nature des opérations Le client est impliqué dans des transactions qui n entrent pas dans le cadre habituel de ses activités ; les transactions en elles-mêmes de par leur nature ou fréquence sont inhabituelles ; le client répond difficilement aux questions liées à l origine des fonds ; un bien immobilier fait l objet de plusieurs transactions sur une courte période ; de l argent liquide intervient de manière inhabituelle dans les transactions ; le client demande à l avocat que des tiers soient payés par son intermédiaire. LARCIER 9

LES AVOCATS FACE AU BLANCHIMENT Jusqu il y a peu, l avocat avait une certaine pudeur à s ingérer dans les affaires de son client ou de ses interlocuteurs. Actuellement, ce devoir de nonimmixtion s est quelque peu dissipé. On est passé d une neutralité absolue à une vigilance molle puis à une vigilance accrue, celle qui contraint l avocat à «devoir connaître» Ce devoir doit cependant s entendre raisonnablement au regard des moyens dont l avocat dispose et des prérogatives attachées à sa mission (indépendance, secret professionnel, droits de la défense ). L odeur de l argent noir et des avantages illicitement recueillis ne doit jamais nous quitter des yeux, afin que nous restions en perpétuel éveil. L avocat n est cependant pas un enquêteur ou un policier. Ce n est par nature ni sa mission ni son rôle. L avocat n a ni les antennes de la libellule, ni les ultrasons de la chauve-souris, ni les moustaches du chat. De manière plus générale, lorsque l avocat intervient aux côtés de son client, sa vigilance lui impose d interroger son client et de se faire préciser toutes les circonstances de fait déterminantes 4, de prendre une série d initiatives 5 et de procéder à des vérifications et des investigations. L avocat doit-il lui-même vérifier les informations que lui donne son client? Nous ne le pensons pas, sauf en cas de doute. Le client est, en effet, tenu de son côté à un devoir d information de son avocat. Il doit veiller à ce que les données transmises à son conseil soient complètes et exactes. La mise en œuvre raisonnable du devoir de vigilance devrait éviter à l avocat prudent d entendre de trop près le bruit des bottes des autorités * * * Le présent ouvrage est consacré aux avocats face au blanchiment. Il s agit des actes d une journée d étude organisée par l Ordre français du barreau de Bruxelles et la Conférence du jeune barreau de Bruxelles le 20 janvier 2011, avec le concours de l AEDBF Belgium, du CCBE, de l ERA et de l UAE, sous la direction scientifique de Me André Risopoulos. Ce livre est divisé en deux grandes parties : la première partie concerne la prévention en matière de blanchiment avec un examen attentif des obligations incombant à l avocat : identification et vérification de l identité du client et de l ayant-droit, vigilance, conservation des documents, formation des membres du cabinet et du personnel, 4. Civ. Charleroi, 1 er juin 2001, J.L.M.B., 2002, p. 128. 5. «L avocat ne doit pas attendre passivement les instructions que le client lui donnera éventuellement, mais il doit prendre l initiative pour le rendre attentif motu proprio à des embûches, des obligations légales ou des formalités à accomplir» (Liège, 22 décembre 1998, J.L.M.B., 2000, p. 242). Dans le même sens, Bruxelles, 2 avril 2004, J.T., 2005, p. 163 ; Civ. Charleroi, 29 mars 1988, J.T., 1989, p. 79. 10 LARCIER

transmission d informations aux autorités, abstention d exécution, organisation interne, collaboration avec les autorités. Le droit à l immunité de l avocat y est examiné de même que les sanctions en cas de manquements. L approche est faite en droit belge et en droit comparé, particulièrement en droit français. Les contributions sont signées par M es Christian Charrière-Bournazel, Georges-Albert Dal, Patrick De Wolf, Françoise Lefèvre et Olivier Clevenbergh ; la seconde partie examine en profondeur le délit pénal de blanchiment : le champ d application, la participation criminelle et les sanctions dont la délicate question de la peine de confiscation et la problématique de la fraude fiscale. Les rapports sont signés par Madame Françoise Roggen et par M es Olivier Creplet, Adrien Masset, Pierre Monville et André Risopoulos. Monsieur Jean Spreutels tirera les conclusions générales et évoquera quelques perspectives. Jean-Pierre BUYLE Bâtonnier de l Ordre français du barreau de Bruxelles LARCIER 11