Oléagineux, Corps Gras, Lipides. Volume 11, Numéro 1, 46-9, JANVIER/FÉVRIER 2004, Acides gras oméga 3 : aspects métaboliques



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Les oméga 3 : de l alimentation animale à la nutrition humaine Oléagineux, Corps Gras, Lipides. Volume 11, Numéro 1, 46-9, JANVIER/FÉVRIER 2004, Acides gras oméga 3 : aspects métaboliques Auteur(s) : Nicole COMBE 1, Evelyne FÉNART 2 1 ITERG, Département de Biochimie-Nutrition, Université Bordeaux I, 33405 Talence Cedex 2 ONIDOL, Avenue George V, 75008 Paris Tél. : 05 40 00 87 24 <n.combe@istab.u-bordeaux1.fr> Résumé : La dernière édition des Apports nutritionnels conseillés (ANC éd. 2001) souligne la nécessité d accroître la consommation d acide alpha linolénique (ALA). Celle ci devrait au minimum doubler et représenter 0,8 % (par rapport à l énergie totale) contre 0,34 % actuellement. Or, l étude Aquitaine [1] a montré que les lipides d origine animale contribuaient à près de 75 % de l apport alimentaire en ALA. Ainsi, parmi les stratégies envisageables pour accroître notre consommation d ALA, sans changer fondamentalement les habitudes alimentaires des Français, on note un intérêt croissant pour augmenter la teneur en oméga 3 des produits animaux via l alimentation de ces derniers. Quelques exemples de modification de la composition en acides gras des produits animaux sont exposés. Chez les espèces monogastriques (volaille, porc), le profil des lipides de carcasse est un bon reflet des lipides alimentaires. Ainsi, chez le porc, le niveau d oméga 3 peut être augmenté d un facteur 2 à 4, lorsque les animaux reçoivent dans leur alimentation de l huile de colza, des graines de lin ou de la farine de poissons. En revanche, chez les animaux ruminants, le transfert des acides gras polyinsaturés alimentaires vers les tissus est faible en raison de l hydrogénation qu ils subissent dans le rumen. Certaines stratégies qui consistent à protéger ces acides gras de la biohydrogénation permettent néanmoins d accroître le taux d ALA dans les tissus et le lait. Ainsi, il apparaît possible d augmenter la consommation d oméga 3 de la population, via la consommation de produits issus d animaux nourris avec des sources d oméga 3. Cependant, au niveau de la production, ces changements doivent être maîtrisés \; ils ne peuvent se faire sans un contrôle des qualités d une part organoleptiques, en raison du degré élevé d oxydabilité de ces acides gras, d autre part de texture, en raison de leur caractère «fluide». Summary : Recent data have shown the intake level of alpha linolenic acid (ALA) in French people was lower than the recommended value (0.34 ± 0.1% of total energy versus 0.8%), and 75% of ALA was provided by animal fats consumption. Basing on these data, a 3 fold increase of the ALA content in animal products theoretically might cover nutritional requirements without any change in consumers eating habits. Some examples of natural meat milk eggs enrichment by including appropriate omega 3 sources (flaxseed oil, extruded flaxseeds, fish oil or fishmeal) in livestock rations are given. Pigs and poultry readily incorporate dietary fatty acids in body tissues so that significant increases (2 4 fold) in the n 3 content of pork, chicken and eggs have been achieved. This is less effective in ruminants, because of unsaturated fatty acid biohydrogenation occurring in rumen, unless fatty acids are delivered in a protective coating (whole flaxseeds, formaldehyde treated flaxseeds, encapsulated oils). However, these feeding strategies have to avoid sensory and quality Article disponible sur le site http://www.ocl-journal.org ou http://dx.doi.org/10.1051/ocl.2004.0046

deficits associated with high contents of omega 3 fatty acids in food products. Finally, benefits of such approaches have been provided by a French human study which showed that consumption of foodstuffs from animals fed flaxseed diets induced an improvement of consumer plasma fatty acid profile, namely by increasing omega 3 fatty acid content and decreasing n 6\\n 3 ratio. Mots-clés : acides gras oméga 3, alimentation animale, viande, lait, œufs Keywords : omega 3 fatty acids, animal feeding, meat, milk, eggs ARTICLE Des données récentes de consommation alimentaire de la population française ont permis de souligner les efforts importants à faire en terme de nutrition lipidique eu égard à la dernière édition des Apports nutritionnels conseillés (ANC- éd. 2001) [1], en particulier vis à vis de la consommation d acide alpha-linolénique (ALA). Celle-ci devrait au minimum doubler et représenter 0,8 % (par rapport à l énergie totale) contre 0,34 % actuellement. Ce qui permettrait d abaisser le rapport entre les acides linoléique (LA) et alpha-linolénique de 14 (valeur moyenne constatée) à 5 (valeur recommandée). L étude Aquitaine [2] a montré que les lipides d origine animale contribuaient à près de 75 % de l apport alimentaire en ALA, bien qu en moyenne ils en contiennent peu (rarement plus de 1 % des acides gras totaux). Ce constat peut s expliquer par nos habitudes alimentaires ; 46 % de l ALA sont fournis par les lipides d origine laitière, dont 30 % par les fromages. Les produits animaux constituent donc un vecteur potentiel d enrichissement, si on parvient à augmenter leur teneur en ALA. Ceci est envisageable, puisque les lipides corporels des animaux terrestres sont modulables par les acides gras de leur alimentation, en particulier les acides gras polyinsaturés. A priori, on peut faire les simulations suivantes pour atteindre l objectif, basé sur les ANC. Sachant d une part que l apport global en ALA doit être doublé, d autre part que les produits animaux contribuent aux trois quarts de l apport en ALA, on en déduit que, via ce seul vecteur, les besoins seraient couverts en multipliant par trois la teneur en ALA de ces produits. Pour cela, quelles sont les possibilités en alimentation animale? Il existe un certain nombre d essais zootechniques destinés à modifier, par l alimentation, le profil des lipides corporels d animaux, monogastriques ou polygastriques. En préambule, il faut rappeler qu il y a lieu de distinguer les animaux monogastriques (volailles et porc) des animaux polygastriques (ruminants). En terme de réponse aux régimes, les résultats sont en effet très différents. Chez les monogastriques, le profil des lipides de la carcasse est en général un bon reflet des lipides alimentaires, en particulier des acides gras polyinsaturés, oméga 6 et oméga 3, alors que chez les ruminants, le transfert de ces acides gras vers les tissus est faible compte tenu de l activité de biohydrogénation des bactéries du rumen, qui transforment une partie de ces acides gras en acides gras trans. Même si cela peut avoir un aspect positif, en relation avec la production d acide linoléique conjugué (CLA), l intérêt reste marginal du point de vue de l objectif visé ici. Rappelons que les animaux, comme l Homme, ne synthétisent pas les acides gras polyinsaturés, linoléique et alpha-linolénique. On ne les retrouve dans les tissus que parce qu ils sont présents dans l alimentation. En revanche, les oméga 3 à longue chaîne (20 :5 n-3 : EPA et 22 :6 n-3 : DHA) sont synthétisables par les animaux ; ainsi, leur origine dans les lipides corporels peut être soit la nourriture, soit la biosynthèse à partir de leur précurseur, l acide alpha-linolénique. Cette

présentation ne se veut pas exhaustive, mais cible quelques études types qui montrent les possibilités offertes par cette approche zootechnique. Cas des animaux monogastriques Le porc L INRA en 2001 a étudié, chez le porc lourd, l enrichissement de ses lipides corporels en acide alphalinolénique via l introduction d huile de colza dans son alimentation, à raison de 5 % [3]. Comparé au même apport en suif, le pourcentage d acide alpha-linolénique était plus que doublé aussi bien dans les dépôts adipeux (1,86 % versus 0,76 %) que dans les muscles (0,98 % versus 0,44 %). Le niveau d acide linoléique n étant pas modifié, le rapport LA/ALA était divisé par deux. La figure 1 illustre une étude [4] qui rapporte également un accroissement en oméga 3 à longues chaînes, via un apport de graines de lin dans la nourriture des porcs. On constate que la réponse à des quantités croissantes, comprises entre 5 et 15 % par rapport à la matière sèche, est pratiquement linéaire. À ces deux doses, le pourcentage d acide alpha-linolénique dans le tissu adipeux est multiplié respectivement par deux et par quatre, comparé au lot témoin qui ne reçoit pas de graines de lin. De même, le pourcentage d EPA s accroît respectivement d un facteur 1,7 et 2,5, ce qui témoigne d une bonne efficacité de bioconversion de l ALA en EPA. En revanche, il n y a pas d effet sur le contenu en DHA, ce qui est généralement observé dans le cas d un enrichissement alimentaire en précurseur (ALA). Dans cette étude, le rapport oméga-6/ oméga 3 dans les dépôts adipeux passe de 19 à 5. Les omega 3 s incorporent également dans les lipides du muscle. Les tests d oxydabilité pratiqués sur les tissus ayant incorporé le plus d oméga 3 montrent que l indice de peroxyde ne dépasse par la valeur de 1 ; en outre, l acceptabilité par un jury de dégustation des produits enrichis est satisfaisante. Howe et al. [5] utilisent chez le porc, pendant les six semaines précédant l abattage, une autre source d oméga 3, la farine de poissons riche en DHA, à raison de 15 % de la ration. Il en résulte une incorporation d oméga 3 à longues chaînes dans les différentes parties poitrine (66 mg versus 25 mg /100 g), longe (55 mg versus 21 mg /100 g), jambon (48 mg versus 27 mg /100 g). Cependant, ces produits sont mal acceptés par les dégustateurs, en raison de l odeur prononcée de poisson. Le poulet Les volailles semblent fournir beaucoup d espoir en matière d enrichissement ; des études récentes (6, 7) montrent qu au moyen de doses croissantes d huile de lin introduites dans la ration (2 à 8 %), on obtient une augmentation proportionnelle (r = 0,97) de l acide alpha-linolénique dans les triglycérides de la graisse abdominale, sans atteindre de plateau (valeur maximale : 5 % des acides gras totaux après 40 jours d alimentation), ainsi que dans les lipides intramusculaires du pectoral et de la cuisse de poulet. La figure 2 illustre également l enrichissement consécutif en oméga 3 totaux dans les phospholipides de la cuisse, jusqu à 6 % des acides gras [7]. En outre, les auteurs constatent que ces niveaux d incorporation d oméga 3 dans les lipides corporels du poulet ont peu d impact sur la sensibilité à l oxydation et sur les qualités organoleptiques des produits. Ainsi, il apparaît possible d enrichir de façon notable le poulet, avec des aliments pouvant contenir jusqu à 7 % d acide alphalinolénique. De la farine de poisson a été également introduite dans l alimentation du poulet, à des doses croissantes (de 5 % à 20 %) pendant 42 jours [5]. Il en résultait une forte incorporation des oméga 3 à

longues chaînes ; dans le filet, le contenu en EPA était multiplié par cinq, celui en DHA par 16, avec 20 % de farine de poisson. Cependant, à ce niveau, la qualité organoleptique était altérée. Seuls les produits issus d une alimentation avec 5 % de farine de poisson étaient acceptables par les dégustateurs. En conclusion, les auteurs indiquent que cette atteinte de qualité porte à la fois sur des problèmes de goût et de texture. Les oméga 3 étant très «fluides», ils influencent la tenue des matières grasses. L enrichissement des œufs en oméga 3 suscite également beaucoup d intérêt ; une étude récente [8] a comparé les effets de l introduction de graines de lin (0 %, 3 % et 5 %) dans l aliment des poules, supplémenté ou non avec un dérivé d huile de poisson, riche en DHA (0,5 %). La réponse en termes de contenu en acide alpha-linolénique était proportionnelle à l apport de graines de lin ; au total, la concentration en oméga 3 du jaune d œuf atteignait respectivement 1,6 %, 2,6 % et 4,3 % des acides gras totaux avec la présence de 0 %, 3 % et 5 % de graines de lin dans l aliment. L introduction du dérivé d huile de poisson avait la particularité d enrichir les œufs en DHA. Entre les essais extrêmes, on passait d un rapport LA/ALA de 8,5 à 3,4. Pour tous les essais, l enrichissement en oméga 3 se faisait sans baisse de la qualité organoleptique et sans augmentation de l oxydabilité. La farine de poisson a été testée pour sa capacité à enrichir les œufs en DHA [5]. La figure 3 illustre les résultats de cette étude, en fonction de la quantité de farine introduite dans l aliment (0, 5, 10, 15 et 20 %) pendant 42 jours. Entre 0 % et 10 %, le contenu en DHA augmentait notablement (multiplié par 5) ; un plateau semblait atteint avec 10 % de farine, puisque des quantités plus importantes ne contribuaient pas à élever la teneur en DHA du jaune d œuf. Comme l indiquent les auteurs, pour que les qualités organoleptiques soient maintenues, cette teneur en DHA ne devait pas dépasser 3 % par rapport aux acides gras totaux du jaune de l œuf, ce qui correspond à un apport de 5 % maximum de farine de poisson dans l aliment des poules. Cas des animaux polygastriques Le transfert vers les tissus et le lait des acides gras polyinsaturés présents dans l alimentation est beaucoup moins efficace chez les polygastriques qui les transforment au niveau du rumen. Tous les essais de supplémentation «classique» n ont montré qu un très faible enrichissement des lipides corporels. D autres stratégies sont testées, comme l encapsulation qui protège les matières grasses dans le rumen et ainsi améliore le transfert des acides gras polyinsaturés. Les tissus de bovins Des essais de supplémentation de la ration (4 % de la matière sèche) soit en matières grasses animales, soit en huile de colza, soit en huile de lin, ont été comparés à un essai témoin (sans supplémentation) [9]. Les dépôts adipeux et les muscles s enrichissaient en acide alpha-linolénique de façon notable seulement avec l essai «huile de lin», les niveaux étaient multipliés par 4 et 2, respectivement dans les deux types de tissu. Avec l huile de colza, l enrichissement était très inférieur à celui auquel on pouvait s attendre. Le lait de vache De façon générale, les essais d expérimentation «classique» montrent qu il est difficile d accroître le niveau d acide alpha-linolénique dans le lait (+ 0,3 à + 0,6 %). En revanche, cela est possible lorsque la matière grasse introduite dans la ration est sous forme encapsulée (figure 4). Ainsi, le lait de vaches témoins (sans apport de matières grasses) contient environ 0,5 % d acide alpha-linolénique par rapport aux acides gras totaux ; ce taux passe à 0,8 % lorsque la ration des animaux contient soit 3 %

d huile de lin, soit 4 % de graines de lin [10]. Il peut s élever jusqu à 6,4 % lorsque l huile de lin est sous forme encapsulée. Le lait de brebis En nourrissant les animaux avec des graines de lin (14 % de la ration), protégées ou non par encapsulation, le contenu en acide alpha-linolénique du lait a pu être multiplié respectivement par six et par trois [11]. Ainsi, l acide alpha-linolénique représentait 4,6 % des acides gras totaux dans le premier cas, et 2,7 % dans le second. Les auteurs supposent que l effet notable des graines de lin entières non encapsulées est probablement dû à la protection offerte par la graine au niveau du rumen, plus efficace que celle de la graine de colza ou de soja, observées par ailleurs. Conclusion Ces données montrent qu il existe des limites à l enrichissement en oméga 3, qu elles soient de production (monogastriques vs polygastriques), technologiques (qualité de texture et de conservation) ou sensorielles. Des enrichissements modérés s avèrent donc plus réalistes. C est le choix fait par la filière du Lin. Le contenu en acide alpha-linolénique peut être en effet doublé dans un certain nombre de produits issus d animaux nourris avec des graines de lin extrudées, et dont la consommation s est avérée efficace en terme de valeur nutritionnelle, comme l indique l étude suivante [12], dans laquelle 75 volontaires ont consommé ou non ces produits. Dans cette étude, le régime des sujets du groupe expérimental apportait en moyenne 1,65 % d acide alpha-linolénique contre 0,75 % dans le groupe témoin (alimentation actuelle), et le rapport alimentaire LA/ALA passait de 15 à 7. Les auteurs observaient une augmentation du niveau d acide alpha-linolénique dans le sérum (0,44 % des acides gras totaux chez les témoins contre 0,93 % chez les sujets du groupe expérimental). Le rapport oméga 6/oméga 3 dans le sérum était inférieur chez les sujets du groupe expérimental (10 versus 15). Ces réponses biologiques sont encourageantes et permettent de penser que via l alimentation animale, on peut agir sur la nutrition humaine. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que parmi ces corps gras animaux, certains sont riches en acides gras saturés (ruminants). Or pour répondre à l objectif des ANC, il faudrait en réduire la consommation. Dans ce cadre, les produits issus des monogastriques semblent donc plus appropriés. Le coût pour le consommateur n a pas été évoqué ici, il a fait récemment l objet d une revue documentée [13] qui permet également de souligner l intérêt manifeste d utiliser, en parallèle dans notre alimentation, les huiles végétales riches en acide alpha-linolénique. RÉFÉRENCES 1. MARTIN A (2001). Apports nutritionnels conseillés pour la population française Tec & Doc, ed. France : CNERNA-CNRS, Afssa. 2. COMBE N, BOUÉ C. Apports alimentaires en acides linoléique et alpha-linolénique d une population d Aquitaine. OCL 2001 ; 8 : 118-21. 3. MOUROT J. Mise en place des tissus adipeux sous-cutanés et intra-musculaires, et facteurs de variation quantitatifs et qualitatifs chez le porc. INRA-Prod Anim 2001 ; 14 : 355-63.

4. ROMANS JR, WULF DM, JOHNSON RC, et al. Effect of ground flaxseed in swine diets on pig performance and on physical and sensory characteristics and omega 3 content of Pork : II. Duration of 15 % dietary flaxseed. J Anim Sci 1995 ; 73 : 1987-99. 5. HOWE PRC, DOWNING JA, GRENYER BFS, et al. Tuna fishmeal as a source of DHA for n-3 PUFA enrichment of Pork, Chiken, and Eggs. Lipids 2002 ; 37 : 1067-76. 6. GANDEMER G, VIAU M, MAILLARD N, et al. Lipides alimentaires et qualité de la viande de poulet : influence de l apport de quantité croissante d acide linolénique (18 :3 n-3). 3 es Journées de la Recherche Avicole, St Malo 1999 ; 403-6. 7. BOUVAREL I, JUIN H, LESSIRE M, et al. Formulation en acides gras de l aliment du poulet de chair et présentation de la carcasse. 5 es Journées de la Recherche Avicole, Tours 2003. 8. GALEA F, BOURDILLON A, ROUILLERE H. Effect of different levels and sources of omega 3 fatty acids in diets for laying hens on eggs fatty acids profile. 25 th World Congress of International Society for Fat Research, Bordeaux page 16, (2003). 9. BAS P, SAUVANT D. Variations de la composition des dépôts lipidiques chez les bovins. INRA-Prod Anim 2001 ; 14 : 311-22. 10. CHILLIARD Y, FERLAY A, DOREAU M. Contrôle de la qualité nutritionnelle des matières grasses du lait par l alimentation des vaches laitières : acides gras trans polyinsaturés, acide linoléique conjugué. INRA-Prod Anim 2001 ; 14 : 323-35. 11. SCHMIDELY P, SAUVANT D. Taux butyreux et composition de la matière grasse du lait chez les petits ruminants : effets de l apport de matière grasse ou aliment concentré. INRA-Prod Anim 2001 ; 14 : 337-54. 12. WEILL P, SCHMITT B, CHESNEAU G, et al. Effects of introducing linseed in livestock diet on blood fatty acid composition of consumers of animal products. Ann Nutr Metab 2002 ; 46 : 182-91. 13. BOURRE JM. Relations entre acides gras oméga 3, oméga 9, structures et fonctions du cerveau. Le point sur les dernières données. Le coût financier alimentaire des oméga 3. OCL 2003 ; 10 : 165-74. n

Illustrations Figure 1. Relation entre le niveau d apport de «graines de lin» dans l alimentation du porc et le niveau d oméga 3 dans le dépôts adipeux. D après J. R. Romans et al., 1995. Figure 2. Influence du contenu en acide alpha-linolénique (huile de lin) dans l alimentation du poulet sur le niveau d oméga 3 dans les triglycérides (TG) et les phospholipides (PL) du muscle. D après I. Bouvarel et al., 2003.

Figure 3. Influence de l incorporation de farine de thon dans l alimentation des poules sur le niveau de DHA du jaune d œuf. D après P. R. Howe et al., 2002. Figure 4. Influence du régime sur le niveau d acide alpha-linolénique dans le lait de vaches. D après Y. Chilliard, A. Ferlay et M. Doreau, 2001.