Pédiatrie 211 LA ROPIVACAINE A-T-ELLE UNE PLACE EN PEDIATRIE? C. Ecoffey, Service d Anesthésie-Réanimation Chirurgicale 2, Hôpital Pontchaillou, Université Rennes 1, 35033 Rennes cedex 9. INTRODUCTION La ropivacaïne est un agent anesthésique local amide S-enantiomère qui a été largement évalué chez l adulte et le grand enfant [1]. En France, il n a l AMM qu à partir de 12 ans. Néanmoins, la ropivacaïne a été utilisée chez l enfant plus jeune et plusieurs études ont rapporté son efficacité et sa sécurité après bloc caudal, bloc péridural lombaire et blocs périphériques. Des données pharmacocinétiques ont été publiées pour différentes tranches d âge. Il est clair que la ropivacaïne a plusieurs propriétés qui peuvent être utiles en pratique clinique quotidienne, en particulier la capacité à créer un bloc différentiel avec moins de bloc moteur, et aussi une moindre toxicité cardiovasculaire. Les études avec la ropivacaïne chez l enfant ont étudié l injection unique caudale ou lombaire de doses allant de 1 à 3 mg.kg -1, l injection de 3 mg.kg -1 dans le cadre d un bloc périphérique et des administrations continues allant jusqu à 0,4 mg.kg -1.h -1. L effet de l addition de clonidine et kétamine sans conservateur a également été étudié. 1. ANESTHESIE CAUDALE 1.1. PHARMACODYNAMIE Pour l injection unique, les comparaisons à masse égale de ropivacaïne et de bupivacaïne ont montré des profils identiques pour l installation, l efficacité, la durée du bloc et l incidence du bloc moteur (Tableau I). Comme cela a été montré pour la bupivacaïne, la durée des blocs par voie caudale avec la ropivacaïne peut être multipliée par 2 ou 3 par l addition de clonidine [9] ou de kétamine sans conservateur [10] (il convient de noter qu en France les ampoules de kétamine contiennent un conservateur neurotoxique). La concentration de 2 mg.ml -1 de ropivacaïne donne les mêmes résultats que 2,5 mg.ml -1 de bupivacaïne [2] alors que 3,75 mg.ml -1 donne moins de bloc moteur avec la ropivacaïne à concentration et volume égaux [7]. Quand la même quantité massique de ropivacaïne est utilisée dans un volume plus large que la bupivacaïne, l analgésie est prolongée. Quand une quantité plus grande de ropivacaïne est utilisée
212 MAPAR 2001 dans un volume identique, l analgésie est prolongée comparativement à la bupivacaïne ou à la ropivacaïne à concentration habituelle [5]. Des solutions plus concentrées de ropivacaïne donne un bloc moteur mais l incidence, l intensité et la durée est plus courte qu avec une masse égale de bupivacaïne [4, 7]. Enfin, un cas clinique d anesthésie caudale faite chez un nouveau-né prématuré de 1 090 g a montré une durée courte (de l ordre d une heure) après une injection unique de 2,75 mg.kg -1 [11]. Tableau I Résumé des différentes études pédiatriques décrivant la pharmacodynamie de la ropivacaïne administrée par voie caudale. Réf Ropivacaïne (R) Bupivacaïne (B) Résumé des conclusions 2 R 0,2 % R augmente la durée d'analgésie avec un bloc moteur moindre. 3 R 0,2 % Même délai d'installation. Analgésie et bloc moteur idem. 4 R 0,25 % 5 6 R 0,25 % ou R 0,5 % R 0,25 % 7 R 0,375 % B 0,375 % 8 R 0,1 % ou R 0,2 % B 0, 2 % Analgésie idem. R donne un bloc moteur plus court. R 0,5 % = analgésie plus longue. R 0,25 % et = analgésie identique. Analgésie et durée du bloc moteur identique. Analgésie idem. R donne un bloc moteur moindre. R 0,1 % < R 0,2 % pour l'analgésie et la durée du bloc moteur. R 0,2 % = B 0,2% 1.2. PHARMACOCINETIQUE [12, 13, 14, 15] La pharmacocinétique de la ropivacaïne chez l enfant au-delà de 1 an, après une injection unique par voie caudale, est proche de ce qui est observé chez l enfant avec la bupivacaïne administrée par cette voie. Il y a peu d effet âge au-delà de 1 an. Le profil des concentrations plasmatiques au pic est loin des seuils toxiques de 0,3 à 0,9 mg.l -1. Une très faible part est éliminée non métabolisé dans les urines. Malgré la correction en fonction du poids, la clairance, le volume de distribution et la demi-vie d élimination ne varient pas avec l âge entre 1 et 12 ans. Chez le nourrisson avant 6 mois, la clairance est plus basse et en dessous de 3 mois la fraction libre est significativement plus élevée après une injection unique par voie caudale de 2 mg.kg -1. 2. ANESTHESIE PERIDURALE La ropivacaïne a été également étudiée après administration par voie péridurale [16, 17, 18]. Après une injection unique par voie péridurale lombaire chez des nourrissons de 1 à 12 mois, un volume de ropivacaïne de 0,7 ml.kg -1 (2 mg.ml -1 ) donne une durée d installation, une durée d action et une efficacité identique à la bupivacaïne 2,5 mg.ml -1 [16].
Pédiatrie 213 De même, une étude pharmacocinétique et pharmacodynamique de la ropivacaïne par voie péridurale continue (0,4 mg.kg -1.h -1 soit 0,2 ml.kg -1.h -1 d une solution à 2 mg.ml -1 ) a montré que pour des enfants au-dessus de 3 mois, il n y avait pas d accumulation [19]. Une étude sur des nourrissons opérés d atrésie des voies biliaires âgés de 1 à 3 mois a montré également des concentrations plasmatiques de ropivacaïne en dessous des taux toxiques, y compris pour la forme libre [20]. 3. BLOCS PERIPHERIQUES Une solution de ropivacaïne plus concentrée 5 mg.ml -1 dans un volume de 0,6 ml.kg -1 (3 mg.kg -1 ) permet un bloc ilioinguinal efficace chez les enfants de 1 à 12 ans [21]. Cette dose et cette voie d injection conduisent à des concentrations plasmatiques au pic basses. La concentration de ropivacaïne libre (0,022 à 0,14 mg.l -1 ) est loin des doses toxiques. Le bloc sciatique par voie poplité postérieure a été décrit chez l enfant pour l analgésie de la chirurgie du pied et de la cheville. La durée d analgésie est de 8 à 12 heures [22]. 4. REGLES D UTILISATION L avantage de la ropivacaïne est sa moindre cardiotoxicité par rapport à la bupivacaïne. En ce qui concerne la toxicité neurologique des troubles du comportement voire des convulsions ont été rapportés lors d injections intravasculaires accidentelles chez l adulte [23]. Chez l enfant, deux cas cliniques, l un avec des débits de perfusion continue de ropivacaïne par voie péridurale > 1 mg.kg -1.h -1 [24], l autre à la suite d une perfusion erronnée IV de ropivacaïne pendant 2 heures (enfant ayant un cathéter péridural) [25] n ont montré aucun signe de toxicité neurologique. Néanmoins, les règles d administration et de prévention de l injection intravasculaire sont les mêmes que pour les autres anesthésiques locaux : injection fractionnée, surveillance du tracé ECG [26]. Une question reste posée : faut-il utiliser une dose test adrénalinée avec de la lidocaïne avant l injection de la ropivacaïne afin de détecter un passage intravasculaire en sachant que la tachycardie induite par l adrénaline d une dose test existe 8 fois sur 10 avec l halothane ou le sévoflurane [27, 28]? Les doses maximales recommandées sont de 3 mg.kg -1 pour une injection en bolus et 0,4 mg.kg -1.h -1 (0,2 mg.kg -1.h -1 pour les nourrissons, en réduisant de 30 % après 48 heures) pour une perfusion péridurale continue [29, 30]. CONCLUSION D autres études seront nécessaires pour définir la place de la ropivacaïne par rapport à la bupivacaïne, mais chez l enfant, la ropivacaïne devrait remplacer la bupivacaïne dans le futur car, d une part, l injection intravasculaire avec les anesthésiques locaux hors ropivacaïne utilisés chez l enfant peut conduire à des arrêts cardiaques [31], et d autre part, un certain degré de marge de sécurité avec la ropivacaïne a été montré sur un modèle de bloc sciatique chez le rat [32] confirmant les deux cas cliniques rapportés sans signe de toxicité malgré un surdosage. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] McClure J. Ropivacaine. Br J Anaesth 1996;76:300-7 [2] Ivani G, Mereto N, Lampugnani E, De Negri P, Torre M, Mattioloi G, Jasonni V, Lonnqvist PA. Ropivacaine in paediatric surgery: preliminary results. Paediatr Anaesth 1998;8:127-9
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